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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Le Haut-Commissaire Volker Türk appelle à l’abolition de la peine de mort

28 février 2023

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

52e session du Conseil des droits de l’homme

Lieu

Genève

Réunion-débat biennale de haut niveau sur la question de la peine de mort

Thème : violations des droits de l’homme liées à l’application de la peine de mort,
eu égard en particulier à la question de la limitation de la peine de mort aux crimes les plus graves

Monsieur le Président,
Excellences,
Chers collègues et amis,

Depuis de nombreuses années, les Nations Unies sont opposées à la peine de mort en toutes circonstances.

Je partage cet avis avec la plus grande conviction. Il s’agit fondamentalement de la promesse de la Charte des Nations Unies d’appliquer les normes les plus élevées en matière de protection pour tous les êtres humains.

Les raisons justifiant cette position sont très convaincantes, tant sur le plan des principes qui la sous-tendent que sur le plan pratique. N’oublions pas que l’application par un État de la peine de mort, qui est le châtiment le plus sévère et le plus irréversible, est profondément difficile à concilier avec la dignité humaine et le droit fondamental à la vie.

Malgré le large éventail de systèmes juridiques, de procédures judiciaires et de contextes de justice pénale représentés dans cette salle aujourd’hui, il existe un élément commun à tous ces éléments : comme toutes les institutions humaines, aucun d’eux n’est parfait.

Et, peut-être plus souvent que nous ne le pensons, ils peuvent aboutir à des conclusions erronées et désastreuses. Dans le cas de la peine de mort, cela signifie tout simplement que des innocents sont tués.

Un tel résultat est intolérable pour nous tous. Le recours à la peine de mort est selon moi inacceptable, quelle que soit la personne concernée. Lorsqu’il est utilisé contre des personnes qui n’ont même pas commis le crime dont elles sont accusées, il est insondable.

L’existence de la peine de mort dans les pays qui la pratiquent, ainsi que la menace de son application, peut être détournée à des fins abusives, notamment pour susciter la peur, réprimer l’opposition et empêcher l’exercice légitime des libertés.

Dans un certain nombre de contextes, la peine de mort, dans son application pratique, est également discriminatoire, condamnant à mort des personnes mises à l’écart de la société, notamment les minorités raciales, ethniques, linguistiques et religieuses, ainsi que la communauté LGBTQI+. Dans d’autres situations, elle a été utilisée pour décourager les opposants politiques ou les manifestants, notamment les jeunes.

En résumé, la peine de mort est, selon notre expérience commune, une relique du passé qui devrait être abandonnée au XXIe siècle.

Les faits montrent clairement que la peine de mort n’a que peu ou pas d’effet sur la dissuasion ou la réduction de la criminalité. Plusieurs études ont en réalité révélé que les nations qui ont aboli la peine de mort ont vu leur taux d’homicide inchangé et, dans certains cas, diminuer.

D’autres études démontrent clairement que l’élément clé sur lequel les décideurs politiques devraient se concentrer est l’inévitabilité de la sanction, qui est le moyen de dissuasion le plus puissant, plutôt que son niveau de sévérité.

Monsieur le Président,

Le Comité des droits de l’homme, qui fait autorité pour l’interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, a clairement indiqué que, dans l’état actuel du droit, seuls les « crimes d’une extrême gravité impliquant un homicide volontaire » sont passibles de la peine de mort.

Toutefois, je suis profondément troublé par le fait que la peine de mort continue d’être appliquée, dans diverses circonstances, pour des crimes qui n’atteignent pas le seuil de « crimes les plus graves » en vertu du droit international.

Le cadre juridique international exige également le respect scrupuleux des garanties d’un procès équitable, qui sont particulièrement cruciales dans le cas d’une telle infraction.

Il interdit la torture ou les mauvais traitements et garantit les droits à une défense adéquate, à un recours et à la grâce ou à la commutation.

Il interdit le recours à la peine de mort obligatoire.

Il interdit également la peine capitale pour les personnes âgées de moins de 18 ans au moment du crime présumé, les femmes enceintes, les nouvelles mères et les personnes présentant un handicap psychosocial ou mental grave.

Je salue le travail du Comité des droits de l’homme qui a approfondi son interprétation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en particulier l’article 6 sur le droit à la vie. Ce travail fournit une orientation cruciale pour tous les États parties au Pacte, dans toutes les régions du monde.

Malgré ces dispositions claires, la peine de mort est encore utilisée de manière abusive pour des délits liés à la drogue, l’espionnage, les crimes de nature économique, le blasphème et l’apostasie, les relations homosexuelles ou l’adultère, ainsi que pour l’exercice légitime des libertés civiles.

Dans de nombreux pays, la peine de mort reste obligatoire, ce qui est inconciliable avec les normes en matière de procès équitable.

Excellences, chers collègues,

Les opposants à un moratoire sur la peine de mort affirment que les droits des victimes risquent d’être négligés. Ils soutiennent que le châtiment, souvent exigé par les familles des victimes selon eux, est la meilleure riposte.

Je me demande donc : où est l’humanité dans la vengeance ? Ne sommes-nous pas en train d’avilir nos sociétés en privant un autre être humain de sa vie ?  

Et comment faire en sorte que les personnes condamnées ne deviennent pas elles-mêmes victimes d’un traitement injuste de la part de systèmes de justice pénale imparfaits ? Comment éviter d’être complice d’une injustice et de perpétuer un cycle de violations ?

Les experts en matière de justice pénale, s’appuyant sur l’expérience acquise dans le monde entier, estiment que la réponse appropriée réside dans le contrôle et la prévention des crimes. 

Nous devons mettre en place des systèmes de justice pénale performants, fondés sur les droits de l’homme, qui permettent aux victimes et aux survivants d’accéder à la justice, d’obtenir des réparations et de garantir la dignité.

Nous devons obliger les auteurs de crimes à rendre des comptes.

Aujourd’hui, j’appelle les États qui ne l’ont pas encore fait à adopter une position ferme en limitant le recours à la peine de mort, en établissant des moratoires et en prenant des mesures en vue de son abolition, surtout alors que nous œuvrons à raviver l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je me réjouis de ces mesures, dans le contexte actuel du 75e anniversaire de la Déclaration, où nous sommes tous invités à redoubler d’efforts.

J’invite également les gouvernements à collecter, analyser et rendre publiques les données relatives à son utilisation et à son efficacité réelle.

Monsieur le Président,

Bien que plusieurs pays fassent des pas dans la bonne direction, je tiens à rappeler que tant que tous les pays n’auront pas aboli la peine de mort, la défense de la dignité humaine ne sera jamais totalement assurée.

L’Assemblée générale est entrée dans l’histoire en décembre dernier lorsqu’un nombre record de 125 nations ont voté en faveur d’une résolution appelant à un moratoire mondial sur l’application de la peine de mort en vue de son abolition définitive.

C’est une étape importante et le signe d’une véritable avancée. Si nous maintenons cet élan pour éradiquer une fois pour toutes ce châtiment inhumain, nous pourrons rétablir la dignité au cœur de nos sociétés.

Il s’agit d’une priorité urgente pour le HCDH et pour l’ONU dans son ensemble.

Merci.

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