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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Volker Türk demande aux entreprises d’éviter tout préjudice et de choisir la paix en respectant les droits

12 septembre 2024

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Cycle de conférences Mary Robinson 2024 « Les entreprises ne sont jamais neutres : les responsabilités des entreprises dans les conflits et les crises »

Lieu

Genève

Chers intervenants,
Chers collègues, 
Chers participants,

C’est un plaisir de prendre la parole lors de cet événement en l’honneur de Mary Robinson, ancienne Présidente de l’Irlande, ancienne Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme et l’une des voix les plus éloquentes du monde des affaires.

Le thème de la discussion d’aujourd’hui est extrêmement pertinent face à la désintégration rapide de la paix, de la sécurité et du développement dans de nombreux pays à l’heure actuelle.

Comme je l’ai dit au Conseil des droits de l’homme il y a quelques jours, la communauté internationale est à un tournant.

Nous pouvons continuer à dévaler la pente de plus en plus raide vers la généralisation des conflits et des souffrances.

Nous pouvons continuer à bafouer les obligations juridiques internationales mises en place par nos prédécesseurs pour protéger les populations du monde d’une violence et d’un mal insupportables.

Nous pouvons continuer à encourager les discours haineux incitant les gens à déshumaniser les autres sur la base de prétendues différences triviales.

Nous pouvons continuer à financer et à favoriser un épais brouillard de désinformation qui dissimule les faits et empêche les gens de faire des choix éclairés.

Nous pouvons continuer de financer, d’armer et de faciliter l’utilisation de la violence par les forces de sécurité et les acteurs armés pour faire taire les voix critiques, commettre des abus et écraser les demandes légitimes de droits.

Nous pouvons continuer à ignorer et à alimenter notre triple crise planétaire.

Ignorer l’impératif de partager équitablement des bénéfices du développement durable.

Ou nous pouvons choisir une meilleure voie.

Nous pouvons choisir la paix. La justice. Un développement dont les bénéfices sont partagés équitablement. Nous pouvons choisir un monde plus respectueux, plus harmonieux, les différends pouvant être résolus équitablement, et plus prospère, grâce à une plus grande stabilité, et grâce à la créativité née de la liberté.

En d’autres termes, nous pouvons choisir d’être guidés par les droits humains qui sont inhérents à chacun d’entre nous, de manière égale et universelle.

Ce choix est trop important pour être laissé à un petit nombre de dirigeants politiques. Ses implications se feront sentir dans chaque communauté, voire par chaque famille et chaque individu, dans les années à venir.

Certes, les gouvernements ont un rôle essentiel et fondamental à jouer dans la mise en place d’institutions transparentes et responsables, d’un état de droit efficace et impartial et de systèmes bien financés qui garantissent les droits de chaque personne.

Cependant, les entreprises jouent également un rôle déterminant à cet égard. Un rôle dans le respect, ou le déni, des droits de la population.

Un rôle dans la promotion de l’harmonie sociale et du développement durable, ou un rôle dans l’incitation à la haine et aux conflits qui deviennent de plus en plus incontrôlables.

Car je le rappelle, les conflits sont une machine à chaos.

Ils sapent les institutions. Ils alimentent le pouvoir et la propagation de groupes criminels organisés et de groupes armés extrémistes sans foi ni loi, dont les activités se propagent souvent au-delà des frontières de leur pays, comme nous l’avons vu en Libye, au Yémen et ailleurs.

Ils menacent la navigation mondiale et les voies commerciales.

Ils peuvent provoquer une menace nucléaire capable d’affecter des personnes situées à des milliers de kilomètres, comme c’est le cas avec la guerre en Ukraine.

Et surtout, ils tuent, mutilent, privent et appauvrissent les êtres humains ordinaires, comme nous le voyons très cruellement à Gaza, par exemple.

Des millions de personnes, que ce soit en République démocratique du Congo (RDC), au Myanmar, au Soudan ou dans de nombreux autres pays, sont aujourd’hui confrontées à des souffrances intolérables en raison de conflits qui sont clairement alimentés (ou rendus possibles, du moins en partie) par des intérêts commerciaux.

En République démocratique du Congo, où je me trouvais il y a quelques mois à peine, les entreprises qui se livrent à l’accaparement de matières premières rares et précieuses sont liées à des groupes armés dont la violence prédatrice a chassé des millions de personnes de leurs terres. Actuellement, près de huit millions de personnes sont déplacées à l’intérieur de la RDC en raison du conflit.

Le conflit au Soudan n’est pas seulement une lutte de pouvoir. Il est également motivé par les intérêts commerciaux d’acteurs soudanais et étrangers, dont l’influence économique et la rivalité ont contribué à la guerre. Les entreprises contrôlées par les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide dans les secteurs lucratifs de l’or, de l’agriculture et de l’élevage sont devenues le pilier financier de l’économie de guerre, finançant les opérations militaires et sapant les efforts de paix.

Au Myanmar, la guerre menée par l’armée contre son peuple est rendue possible par un réseau d’entreprises étrangères qui fournissent des armes, des revenus, des télécommunications et d’autres services et ressources.

Dans de nombreux pays à travers le monde, les activités, les produits ou les services des entreprises numériques et technologiques ont permis l’incitation et la propagation de la haine et de divisions sociales profondes et toxiques. De nombreux outils et services numériques soutiennent également la violence de groupes armés, entraînant ces entreprises dans un réseau complexe de responsabilités et d’obligations.

S’agissant du Territoire palestinien occupé, la Cour internationale de Justice a récemment statué que les États Membres sont tenus de s’abstenir de nouer des relations économiques ou commerciales avec Israël, en ce qui concerne le Territoire palestinien occupé, qui risqueraient de renforcer sa présence illégale dans ce territoire.

En d’autres termes, les entreprises ne sont pas des acteurs neutres dans les situations de conflit. Même lorsqu’elles n’y participent pas directement, leur simple présence et leurs activités auront un impact sur la dynamique du conflit.

Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme servent de cadre pour répondre au risque intrinsèquement élevé d’implication dans des violations des droits humains, un risque caractéristique de contextes opérationnels difficiles tels que les conflits armés.

Ce cadre repose principalement sur la nécessité pour les entreprises de faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains. Dans tous les cas, il est essentiel que les entreprises investissent les ressources nécessaires pour évaluer correctement chaque situation et qu’elles prennent des décisions stratégiques sur la manière d’atténuer et de gérer les risques liés aux droits humains.

Lorsque le risque d’implication dans des violations graves des droits humains et des atteintes à ces derniers est particulièrement élevé, il est nécessaire d’accorder une plus grande attention à la situation et d’agir au plus vite.

C’est non seulement une bonne pratique, mais aussi une obligation croissante en vertu des législations nationales et régionales. C’est aussi une question de bon sens commercial, car cela permet d’éviter de graves atteintes à la réputation, dont des boycotts et des protestations, ainsi que des litiges.

Cela s’applique également aux investisseurs qui, comme tous les autres acteurs économiques, ont la responsabilité de respecter les droits humains. Les investisseurs sont eux aussi tenus de faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits humains, d’identifier les risques de répercussions négatives sur les droits humains et de prendre des mesures pour y remédier.

Quel que soit le contexte, le devoir de diligence raisonnable en matière de droits humains est la boussole qui peut aider chaque entreprise à concevoir ses propres solutions, afin de respecter pleinement les droits des populations sur le terrain.

Les Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme montrent aux chefs d’entreprise la voie à suivre pour parvenir à des conclusions moralement et juridiquement défendables.

L’année dernière, le HCDH a également publié un document qui clarifie les actions attendues des entreprises qui opèrent dans des contextes difficiles tels que les conflits, les régimes autoritaires, les troubles politiques ou les violations systématiques des droits humains.

Les décisions concernant le fait de rester ou non dans un contexte difficile et la manière de répondre au mieux à la détérioration de la situation des droits humains sont rarement faciles à prendre.

Dans certains contextes, même face à la pression de l’opinion publique, le départ d’une entreprise commerciale risque de ne pas améliorer la situation de la population sur le terrain.

Toutefois, les Principes directeurs prévoient aussi clairement un rôle pour l’examen du désengagement, en tenant compte de ses effets négatifs potentiels, lorsque cela se justifie.

Chers collègues,

Au final, les entreprises ont tout à gagner de la paix. De la justice. D’institutions solides et stables. De sociétés libres et développées. Et d’une réputation professionnelle exempte de toute implication dans des meurtres injustifiés ou des atteintes aux droits humains.

Toutes les entreprises ont tout intérêt à participer à l’édification de sociétés qui respectent les droits humains fondamentaux, dans lesquelles les valeurs de notre humanité commune peuvent s’épanouir, dans la paix.

Merci.