Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Bilan de Volker Türk au Conseil des droits de l’homme sur la situation mondiale
04 mars 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-cinquième session du Conseil des droits de l’homme
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
L’humanité a rarement été confrontée à autant de crises se multipliant rapidement. Dans le cadre de ce bilan, je me concentrerai tout d’abord sur le fléau de la guerre et l’impératif de paix, puis sur l’ouverture nécessaire à l’épanouissement des sociétés, en particulier en cette année marquée par de nombreuses élections.
Une vague de conflits bouleverse des vies, détruit des économies, porte profondément atteinte aux droits humains, divise le monde et réduit à néant les espoirs de solutions multilatérales.
On compte actuellement 55 conflits dans le monde. Les violations généralisées du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme ont un impact dévastateur sur des millions de civils. Les déplacements et les crises humanitaires ont déjà atteint une ampleur sans précédent. Tous ces conflits ont des ramifications régionales et mondiales.
Les situations d’urgence qui s’ajoutent les unes aux autres rendent les risques d’un débordement des conflits bien réels. La guerre à Gaza a un impact destructeur dans l’ensemble du Moyen-Orient. Les conflits dans les autres régions, notamment dans la Corne de l’Afrique, au Soudan et au Sahel pourraient également dégénérer rapidement. La militarisation croissante dans la péninsule coréenne fait augmenter le niveau de menace. La détérioration de la crise en matière de sécurité dans les provinces orientales de la République démocratique du Congo, que le Conseil examinera le 3 avril, est alarmante. Dans la mer Rouge comme dans la mer Noire, les attaques créent des ondes de choc pour le transport mondial de marchandises, aggravant ainsi les souffrances économiques infligées aux pays moins avancés.
Conflits, guerres, violence.
Le droit à la paix est le pilier de tous les droits humains. Sans paix, tous les autres droits sont bafoués. Il est urgent que nous trouvions des moyens de contrer le bellicisme, la peur et l’illogisme de l’escalade de la haine et des hostilités, qui profitent à court terme à quelques-uns tout en ruinant la vie et les droits de millions de personnes. Nous devons aspirer de nouveau à la paix. Nous devons pour cela désamorcer ces crises, maintenir ouvertes les voies de communication, restaurer la confiance et nous lancer dans le long travail de relèvement et de réconciliation, raviver l’esprit d’interdépendance et le sentiment d’un avenir commun à toute l’humanité.
Nous avons vu les résultats que nous pouvons obtenir si vous faisons preuve d’un engagement patient, persistant et fondé sur des principes, et si nous donnons aux femmes et aux jeunes les moyens de participer activement à la prise de décision.
Monsieur le Président,
La semaine, je me suis exprimé sur la situation au Myanmar et au Soudan, où les conflits armés internes, caractérisés par des crimes atroces, provoquent des dizaines de milliers de morts, le déplacement de plus de 11 millions de personnes et une crise humanitaire incontrôlée.
J’ai aussi fait une déclaration devant le Conseil sur le Territoire palestinien occupé. La guerre à Gaza a déjà eu de graves retombées dans les pays voisins, et je crains fort que, dans cette poudrière, la moindre étincelle ne provoque une explosion bien plus importante. Cela aurait des conséquences pour tous les pays du Moyen-Orient et bien d’autres encore.
L’escalade militaire dans le sud du Liban entre Israël, le Hezbollah et d’autres groupes armés est extrêmement préoccupante. Près de 200 personnes ont été tuées au Liban et quelque 90 000 ont été déplacées à l’intérieur du pays. Les installations sanitaires, les établissements scolaires et des infrastructures essentielles ont subi des dégâts considérables. Les incidents au cours desquels des civils, dont des enfants, du personnel paramédical et des journalistes, ont été tués lors d’attaques doivent faire l’objet d’une enquête approfondie. Quelque 80 000 Israéliens ont également été déplacés des zones frontalières d’Israël. Il est impératif de faire tout ce qui est possible pour éviter une aggravation de la situation.
Au Yémen, le groupe Ansar Allah (Houthi) a pris pour cible les navires commerciaux traversant la mer Rouge, perturbant le commerce maritime mondial et faisant grimper le prix des marchandises, avec un impact particulièrement important sur les pays en développement. Il existe un risque sérieux que le conflit s’étende au Yémen lui-même, ce qui pourrait nuire gravement à la population du pays, qui souffre déjà de la crise humanitaire engendrée par une décennie de guerre. Je demande à nouveau la libération immédiate du personnel de l’ONU actuellement détenu arbitrairement à Sanaa.
En Syrie, où il n’y a toujours pas de voie claire vers une paix juste et durable, le conflit s’intensifie à nouveau, 13 ans après le début de la guerre civile catastrophique, qui a été marquée par d’horribles violations et atteintes aux droits de l’homme. Des hostilités ont récemment eu lieu le long de plusieurs « lignes de front » entre les parties dans le nord du pays, y compris des frappes aériennes et des bombardements. Nous aidons le Secrétaire général à mettre en place une institution indépendante dédiée aux personnes disparues en Syrie, qui ouvrira la voie au droit à la vérité des victimes, des survivants et de leurs familles.
Monsieur le Président,
En Ukraine, deux ans après l’invasion à grande échelle de la Fédération de Russie, le HCDH a confirmé le décès de plus de 10 000 civils, le nombre de blessés étant encore plus important. Les chiffres réels sont bien plus élevés. Dans la Fédération de Russie, des sites Web contenant des sources ouvertes font état de 147 civils tués au cours de la même période. Cependant, au lieu de progresser vers une paix durable, les hostilités se sont à nouveau intensifiées récemment, les attaques de missiles et de drones russes entraînant une forte augmentation du nombre de victimes civiles dans toute l’Ukraine. Dans le territoire ukrainien occupé, la Fédération de Russie a reproduit les processus observés dans la péninsule de Crimée occupée en 2014-2015 et a imposé ses propres systèmes juridiques et administratifs, en violation du droit international humanitaire, et les mesures répressives mises en place suscitent une peur généralisée. Je reviendrai plus en détail sur cette situation le 28 mars.
En Éthiopie, des mesures ont été prises pour mettre en œuvre l’accord de cessation des hostilités de novembre 2022 dans le Tigré, notamment la fin des opérations militaires du Gouvernement contre le Front populaire de libération du Tigré, la mise en place d’une administration régionale provisoire et des mesures en faveur d’une politique nationale de justice transitionnelle. Le Front populaire de libération du Tigré a cessé ses attaques contre les forces gouvernementales et a remis des armes lourdes. Toutefois, la situation humanitaire est très grave, et l’absence de mesures concrètes pour établir les responsabilités, ainsi que les violations persistantes des droits humains dans les zones encore sous le contrôle des forces érythréennes et amhara, restent des obstacles à une paix durable. Les combats se poursuivent entre le gouvernement et les groupes armés dans les régions d’Amhara et d’Oromia, et ont de graves conséquences pour les civils. Le HCDH publiera prochainement un rapport à ce sujet.
Au Mali, la situation des droits humains reste très préoccupante, les violations et abus ayant presque doublé en 2023 par rapport à 2022. Cette augmentation a coïncidé avec la reprise des hostilités entre les forces de sécurité et les groupes armés, à la suite du retrait de la MINUSMA. Deux groupes armés contrôlent un territoire important dans la zone frontalière avec le Burkina Faso et le Niger, ainsi que dans la région de Tombouctou, dont certaines parties sont assiégées depuis le mois d’août, ce qui aggrave les menaces pesant sur les droits des femmes et des filles. Si les groupes armés sont responsables de la majorité des violations graves, nous avons également reçu des allégations crédibles de violations graves commises par les forces maliennes, parfois accompagnées de personnel militaire étranger. J’appelle le Mali à garantir le principe de responsabilité.
Au Burkina Faso, les opérations militaires se sont intensifiées, des dizaines de milliers d’auxiliaires des forces de sécurité ont été déployés et l’état d’urgence a été déclaré dans 22 provinces, tandis que la sécurité et les droits humains se sont détériorés. Les groupes armés sont responsables de la majorité des violations graves des droits humains, comme cela a été signalé une fois de plus la semaine dernière. Le HCDH a également constaté une augmentation des violations graves impliquant les forces de sécurité et les auxiliaires des Volontaires pour la Défense de la Patrie. Les disparitions forcées et les détentions arbitraires de personnes considérées comme des détracteurs des autorités de transition semblent se multiplier. Je suis également inquiet face aux informations faisant état de conscription forcée. En cette période de transition, l’ouverture d’un espace de débat est essentielle à la construction d’une société résiliente et inclusive.
J’espère vivement que les négociations de paix en cours entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan aboutiront à un résultat positif fondé sur les droits humains. Pour instaurer la confiance et parvenir à une réconciliation et une paix durables, les voix des victimes et de leurs familles, y compris celles qui ont fui leurs foyers en septembre 2023, doivent être véritablement entendues et leurs besoins pris en compte. De nombreux griefs qui persistent depuis des décennies, de part et d’autre, doivent être résolus, et le HCDH est disponible pour soutenir de telles initiatives.
Dans la région des Balkans occidentaux, je suis inquiet face aux tensions qui subsistent entre la Serbie et le Kosovo[1], notamment les violents incidents qui ont eu lieu dans le nord du Kosovo en septembre 2023. La situation actuelle en Bosnie-Herzégovine est préoccupante, notamment les menaces récurrentes de sécession et les attaques contre l’ordre constitutionnel du pays, de la part des dirigeants de l’entité de la Republika Srpska. Les menaces accrues qui pèsent sur l’espace civique dans cette entité sont particulièrement préoccupantes en cette année d’élections locales, car elles ont entravé le travail des acteurs de la société civile. Pour contrer la polarisation croissante et faire progresser la réconciliation dans l’ensemble des Balkans occidentaux, il est essentiel que les dirigeants politiques disent clairement la vérité sur les atrocités passées, y compris le génocide, et qu’ils promeuvent la justice.
En Amérique latine et dans les Caraïbes, la prévalence et la violence des gangs et du crime organisé ont de graves répercussions sur la vie et les droits de millions de personnes, notamment en Équateur, en Haïti, au Honduras et au Mexique. Les réponses punitives et militarisées ont parfois conduit à de graves violations des droits humains, ce qui risque d’attiser la violence. Seules des politiques fondées sur les droits humains peuvent apporter des solutions efficaces et durables. La corruption, l’impunité, la mauvaise gouvernance et les causes structurelles de la violence, comme la discrimination et le non-respect des droits économiques, sociaux et culturels, doivent être combattues avec la pleine participation de la société civile et des communautés concernées. La coopération internationale doit être renforcée pour lutter contre le commerce illicite des armes et faire en sorte que les auteurs de crimes transnationaux répondent de leurs actes.
La violence armée atteint également des niveaux alarmants dans plusieurs pays des Caraïbes, notamment en Jamaïque, où l’état d’urgence a été déclaré à plusieurs reprises. Je félicite la Communauté des Caraïbes pour son action en faveur du maintien de la paix et de la stabilité dans la région, pour sa lutte contre le commerce illicite des armes et pour ses efforts encourageants en vue d’établir un bureau du HCDH dans la région de la CARICOM. J’aborderai en détail la situation extrêmement préoccupante en Haïti le 2 avril.
Monsieur le Président,
La peur fragmente les sociétés à travers le monde, laissant libre cours à la fureur et à la haine. Ces sentiments sont également alimentés par l’attitude du « seul gagnant » qui considère les élections comme le butin d’une conquête.
Avec des élections dans plus de 60 pays, où vit près de la moitié de la population mondiale, l’année 2024 pourrait être une étape importante pour les principes démocratiques. Demos, le peuple ; kratos, le pouvoir : un processus électoral significatif, sûr et pleinement participatif est essentiel pour garantir que la gouvernance serve les droits humains du peuple. Mais la démocratie s’étend au-delà d’une date électorale singulière qui a lieu tous les trois, quatre ou cinq ans. Elle vit, ou meurt, avec le droit des citoyens de participer à la conduite des affaires publiques, en permanence.
Cette autonomisation des personnes de tous horizons est le « superpouvoir » des sociétés véritablement participatives, car elle garantit la confiance dans les institutions de gouvernance et encourage une prise de décision plus pertinente et plus efficace, car elle est mieux informée et accorde la même importance aux besoins des différents groupes.
Les trois quarts des parlementaires dans le monde sont des hommes. Au niveau mondial, les femmes, donc la moitié de la population adulte, continuent d’être privées d’une participation et d’une représentation politiques égales. Au rythme actuel, la parité hommes-femmes dans les parlements nationaux ne sera pas atteinte avant 2063. Je demande instamment à tous les États de faire davantage pour lutter contre la discrimination et la violence à l’égard des femmes et pour démanteler les lois et pratiques qui empêchent les femmes d’accéder au pouvoir.
La bonne gouvernance exige une surveillance et une responsabilisation constantes, par le biais d’un système indépendant d’équilibre des pouvoirs, ce qui signifie qu’elle s’appuie fortement sur l’état de droit, y compris sur des systèmes judiciaires indépendants. Les libertés fondamentales, les droits à la liberté d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association, sont également essentielles.
La corruption est également un défi majeur pour la démocratie et les droits. Son principal objectif est de détourner les décisions et les ressources publiques du bien commun au profit du privé, générant des inégalités sociales et économiques qui peuvent être si importantes qu’elles vident les institutions de l’État de tout sens et privent les personnes pauvres et démunies de leurs droits à déterminer leur avenir.
Dans de nombreuses régions du monde, de nombreuses personnalités politiques attisent délibérément les antagonismes et la xénophobie pour s’assurer un soutien, en particulier en période électorale. Dans cette fuite en avant qui consiste à abandonner le bien commun au profit d’un bénéfice personnel à court terme, elles réduisent à néant les principes fondamentaux des droits humains qui peuvent tous nous unir.
Je suis profondément préoccupé par la perspective de campagnes de désinformation intenses dans le contexte des élections, alimentées par l’intelligence artificielle générative. Des cadres réglementaires solides sont indispensables pour garantir une utilisation responsable de l’IA générative, et le HCDH fait tout ce qui est en son pouvoir pour les faire progresser.
Monsieur le Président,
L’autocratie et les coups d’État sont la négation de la démocratie. Chaque élection, même imparfaite, constitue au moins un effort pour reconnaître formellement l’aspiration universelle à la démocratie. Toutefois, dans une démocratie dite « illibérale », ou comme l’a dit le Premier ministre hongrois, un « État illibéral », la structure formelle des élections est maintenue, les libertés civiques sont restreintes, le contrôle de la gouvernance par les médias est érodé par l’installation d’un contrôle gouvernemental sur les principaux organes de presse, et les institutions indépendantes de contrôle et de justice sont profondément minées, concentrant le pouvoir dans l’exécutif.
Il est important de reconnaître que, dans de nombreux cas, les processus électoraux de cette année assureront un transfert de pouvoir en douceur, sans haine, et que les structures de gouvernance qui en résulteront rempliront largement leur fonction principale, qui est de représenter les nombreuses voix du peuple et de faire progresser ses droits.
Cependant, dans d’autres cas, j’ai de sérieuses inquiétudes quant au contexte des droits humains dans lequel plusieurs élections se déroulent.
Dans la Fédération de Russie, les autorités ont encore intensifié leur répression des voix dissidentes avant l’élection présidentielle de ce mois-ci. Plusieurs candidats n’ont pas pu se présenter en raison d’irrégularités administratives présumées. La mort en prison du leader de l’opposition Alexei Navalny renforce mes graves inquiétudes quant à sa persécution. Depuis le début de la guerre de la Russie contre l’Ukraine, des milliers de politiciens, de journalistes, de défenseurs des droits humains, d’avocats et de personnes qui ont simplement exprimé leur opinion sur les médias sociaux ont fait l’objet de poursuites administratives et pénales, et cette tendance semble s’être aggravée au cours des derniers mois, de nombreuses personnalités culturelles ayant été prises pour cible. Le mois dernier, un nouveau projet de loi a été adopté, qui punit davantage les personnes condamnées pour avoir diffusé des informations jugées fausses sur les forces armées russes, ainsi que les personnes qui cherchent à mettre en œuvre des décisions prises par des organisations internationales auxquelles la Fédération de Russie « ne participe pas ». Je demande instamment un examen rapide et complet de tous les cas de privation de liberté résultant de l’exercice des libertés fondamentales, ainsi que l’arrêt immédiat de la répression des voix indépendantes et des professionnels de la justice qui les représentent. L’avenir du pays dépend d’un espace ouvert.
Les élections législatives qui ont eu lieu en Iran il y a trois jours ont été la première occasion pour les Iraniens de voter depuis les manifestations « Femmes, vie, liberté » de 2022 et 2023. Elles se sont déroulées dans un pays profondément divisé par la répression des droits des femmes et des filles par le Gouvernement. Les personnes qui ont participé aux manifestations ont été persécutées, emprisonnées pour de longues peines et, dans certains cas, mises à mort. Le projet de loi sur le soutien à la famille par la promotion de la culture de la chasteté et du hijab, s’il était adopté, imposerait des peines sévères pour des actes qui ne devraient être considérés comme criminels dans aucun pays. Dans le cadre de mon engagement continu avec les autorités iraniennes, j’ai demandé des réformes immédiates pour faire respecter les droits de l’ensemble de la population iranienne, y compris le droit des femmes à faire leurs propres choix, ainsi qu’un moratoire immédiat sur la peine de mort.
Au Tchad, je suis avec inquiétude les récents développements, notamment l’assassinat du chef de l’opposition. Je demande qu’une enquête transparente, rapide et indépendante soit menée et que la transition du Tchad vers les prochaines élections respecte pleinement le droit international des droits de l’homme.
L’élection présidentielle prévue au Sénégal a été brusquement annulée le mois dernier. À la suite de l’arrêt de la Cour constitutionnelle stipulant que le vote devait avoir lieu « dès que possible », le Président a annoncé qu’il s’en assurerait. L’espace civique du pays a été affaibli ces trois dernières années, près de 1 000 membres et militants de l’opposition ayant été arrêtés depuis 2021. Nombre d’entre eux ont été libérés sous conditions, et je demande que toutes les personnes qui n’ont pas été libérées, y compris plusieurs grandes figures de l’opposition, soient réexaminées et libérées. J’encourage le Gouvernement à veiller à ce que le dialogue national proposé comprenne une véritable participation de personnes de tous bords politiques.
Au Ghana, Le Président a annoncé qu’il quitterait ses fonctions à l’issue des élections présidentielles et législatives prévues en décembre, après avoir achevé son deuxième mandat, limité par la Constitution. Il s’agira de la cinquième succession présidentielle au Ghana depuis 1992, ce qui concrétisera encore davantage son rôle de chef de file en ce qui concerne le respect des transitions institutionnelles fondées sur des règles. La société civile ghanéenne a joué un rôle déterminant dans le renforcement de la participation civile et politique aux affaires publiques, notamment dans la lutte contre la corruption. Dans le même temps, les restrictions se sont multipliées ces dernières années, y compris les risques pour la sécurité des journalistes. L’insécurité s’est également accrue au Ghana, les menaces régionales s’étendant notamment aux régions du nord.
Le Rwanda a prévu d’organiser des élections présidentielles et parlementaires en juillet, dans un contexte d’amélioration du bien-être économique et social depuis plusieurs décennies et d’un bilan impressionnant en matière de représentation des femmes dans le milieu politique. Je demande instamment que des mesures soient prises rapidement pour garantir les libertés fondamentales et que de véritables enquêtes soient menées sur les allégations de disparitions forcées, d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture et d’intimidations, ainsi que de détentions arbitraires. Ces éléments sont indispensables à la création d’un environnement propice à la tenue d’élections.
En Somalie, un processus de révision de la Constitution fédérale provisoire est en cours, et j’exhorte les législateurs à veiller à la pleine conformité de cette dernière avec les engagements internationaux et régionaux de la Somalie en matière de droits humains. Le conflit dévastateur persiste et notre personnel a confirmé le meurtre d’au moins 500 civils en 2023. Le groupe armé des Chabab est responsable d’un grand nombre de ces meurtres, et je déplore également son recrutement et son utilisation d’enfants comme combattants. J’appelle à des réformes pour lever les restrictions à la liberté d’expression afin de garantir un espace civique dynamique. Étant donné que la Somalie a rempli les conditions fixées par l’initiative en faveur des pays pauvres très endettés du FMI et de la Banque mondiale, j’encourage l’allocation de ressources supplémentaires à l’éducation, à la santé et à la protection sociale.
Le peuple de Libye a droit à une gouvernance véritablement démocratique, participative et responsable. Cependant, alors que des élections sont prévues en Libye cette année, peu de progrès réels ont été accomplis en termes d’efforts concrets pour assurer la réconciliation, pour établir les responsabilités, y compris la justice transitionnelle, ou pour permettre la création d’un espace civique large, libre et sûr. Des progrès doivent être réalisés sur tous ces points afin de garantir des élections honnêtes et de mettre en place des institutions unifiées et légitimes.
En Inde, avec un électorat de 960 millions de personnes, les prochaines élections seront d’une ampleur unique. Je salue les traditions laïques et démocratiques du pays ainsi que sa grande diversité. Je suis toutefois préoccupé par les restrictions croissantes de l’espace civique, les défenseurs des droits humains, les journalistes et les personnes perçues comme des détracteurs étant pris pour cible, ainsi que par les discours de haine et la discrimination dont font l’objet les minorités, en particulier les musulmans. Il est particulièrement important, dans un contexte préélectoral, de garantir un espace ouvert qui respecte la participation significative de chacun. Je me félicite de la décision rendue le mois dernier par la Cour suprême sur les mécanismes de financement des campagnes électorales, qui confirme le droit à l’information et à la transparence.
Au Bangladesh, je suis préoccupé par le fait que des milliers de dirigeants et de militants des partis d’opposition restent en détention et qu’un certain nombre de décès en détention ont été signalés depuis le mois d’octobre. Tout en condamnant toute forme de violence politique, je demande un réexamen rapide de tous ces cas, en vue de leur libération, afin d’encourager le dialogue politique et la réconciliation. Je reste préoccupé par les allégations selon lesquelles le système judiciaire est utilisé pour harceler les défenseurs des droits humains, les journalistes et les dirigeants de la société civile. J’encourage des enquêtes sur les allégations de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires, conformément aux normes internationales.
Au Pakistan, la forte participation aux élections du mois dernier a montré à quel point le peuple pakistanais est attaché à la démocratie et souhaite mettre fin aux ingérences dans le pouvoir civil. Le respect des droits à la liberté d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association est fondamental pour renforcer la démocratie et relever les défis économiques et de développement à long terme. J’exhorte le nouveau Gouvernement à mettre fin à la détention arbitraire et aux disparitions forcées d’opposants politiques, de journalistes, de membres de communautés minoritaires et d’autres personnes, dont on ignore le sort pendant des semaines, des mois et, dans certains cas, des années.
Au Mexique, plusieurs processus électoraux coïncideront en juin, ce qui permettra d’élire plus de 20 000 fonctionnaires, dont le Président, tous les membres du parlement fédéral et un large éventail de représentants et d’autorités au niveau des États et des collectivités locales. Cet immense exercice des droits politiques et civils doit se dérouler sans violence.
Le Venezuela, où une élection présidentielle est prévue cette année, fera l’objet d’un compte rendu approfondi le 18 mars.
En Pologne, le nouveau Gouvernement de coalition a annoncé son intention de rétablir les libertés civiques et l’indépendance des institutions qui avaient été affaiblies précédemment, ainsi que les droits procréatifs, en mettant fin à l’interdiction quasi totale de l’avortement dans le pays. Je salue ces initiatives et j’insiste sur la nécessité de le faire dans le cadre d’un processus inclusif et participatif, reflétant les engagements du pays en matière de droits humains.
Aux États-Unis d’Amérique, en cette année électorale, il est particulièrement important que les autorités à tous les niveaux mettent en œuvre les récentes recommandations du Comité des droits de l’homme des Nations Unies afin de garantir que le suffrage soit non discriminatoire, égal et universel. Un décret présidentiel de 2021 reconnaît que des politiques disproportionnées et discriminatoires et d’autres obstacles ont restreint le droit de vote des personnes d’ascendance africaine et souligne la nécessité de les supprimer. Pourtant, selon le Brennan Center for Justice, au moins 14 États ont adopté des lois en 2023 qui ont pour effet de rendre le vote plus difficile. Dans un contexte de polarisation politique intense, il est important de souligner l’égalité des droits et la valeur égale du vote de chaque citoyen.
Monsieur le Président,
En Afghanistan, je déplore les violations persistantes et systématiques des droits humains, en particulier les violations généralisées des droits des femmes et des filles, qui les excluent de tous les aspects de la vie publique, notamment l’enseignement secondaire et supérieur, l’emploi et la liberté de circulation. La promotion des droits des femmes et des filles doit être la priorité absolue de toutes les personnes qui travaillent en Afghanistan et en lien avec ce dernier. Les libertés civiques et médiatiques d’ensemble de la population afghane sont profondément restreintes, et de nombreuses défenseuses des droits humains et journalistes font l’objet de détentions arbitraires. La reprise des exécutions publiques est horrible. Je reste préoccupé par l’expulsion forcée d’Afghans des pays voisins, en particulier pour ceux qui risquent d’être persécutés, torturés ou de subir d’autres préjudices irréparables en Afghanistan.
Aux Émirats arabes unis, un autre procès collectif est en cours sur la base d’une législation antiterroriste contraire aux droits humains. En décembre, de nouvelles accusations ont été portées contre 84 personnes, dont des défenseurs des droits humains, des journalistes et d’autres personnes déjà emprisonnées. Plusieurs d’entre elles approchaient de la fin de leur peine ou ont été arbitrairement maintenues en détention après avoir purgé leur peine. Ces poursuites conjointes constituent le deuxième plus grand procès collectif de l’histoire des Émirats arabes unis, après l’affaire dite « UAE94 » en 2021, et concernent un grand nombre des mêmes accusés. Je reste préoccupé par les tendances plus générales de suppression de la dissidence et de l’espace civique dans le pays, et j’invite instamment le Gouvernement à réviser les lois nationales conformément aux recommandations internationales en matière de droits de l’homme.
Le dialogue entre la Chine et le HCDH se poursuit dans des domaines tels que les politiques de lutte contre le terrorisme, l’égalité des genres, la protection des minorités, l’espace civique et les droits économiques, sociaux et culturels. À mesure que nous avançons, il est important que ce dialogue produise des résultats concrets, notamment en ce qui concerne les domaines d’action soulevés lors de l’Examen périodique universel. Je reconnais les progrès réalisés par la Chine en matière de réduction de la pauvreté et de développement, et j’ai insisté pour que ces progrès s’accompagnent de réformes visant à aligner les lois et les politiques concernées sur les normes internationales en matière de droits de l’homme. Au cours de l’EPU, la Chine a annoncé son intention d’adopter 30 nouvelles mesures de protection des droits de l’homme, notamment des modifications du droit pénal et des révisions du Code de procédure pénale. Le HCDH est ravi de collaborer avec la Chine à ce sujet. J’encourage en particulier la révision de l’infraction vague consistant à « provoquer des querelles et des troubles » prévue à l’article 293 du Code pénal, et je demande instamment la libération des défenseurs des droits humains, des avocats et des autres personnes détenues en vertu de cette législation. Je demande également au Gouvernement de mettre en œuvre les recommandations formulées par le HCDH et d’autres organismes de défense des droits humains en ce qui concerne les lois, les politiques et les pratiques qui portent atteinte aux droits fondamentaux, notamment dans les régions du Xinjiang et du Tibet. Je collabore avec les autorités de Hong Kong concernant les préoccupations persistantes relatives aux lois sur la sécurité nationale.
En El Salvador, j’encourage le Gouvernement, pour son deuxième mandat, à faire respecter l’état de droit, à garantir la séparation des pouvoirs et à promouvoir des contrôles et des contrepoids adéquats. J’appelle également les autorités à assurer des conditions de détention qui garantissent la dignité de toutes les personnes privées de liberté, y compris pour celles qui sont confrontées à de longues périodes sans procès et à des obstacles à l’accès à des avocats de la défense. Protéger tous les Salvadoriens de la criminalité et de la violence est un objectif important en matière de droits humains, et seules des mesures fondées sur les droits humains peuvent permettre de l’atteindre. J’encourage les autorités à permettre aux personnes de toutes opinions et de toutes communautés de participer à la prise de décision.
Dans le contexte de l’espace civique, permettez-moi également de souligner que les données, lorsqu’elles sont disponibles, montrent que de nombreux États doivent adopter des mesures globales pour lutter contre la violence policière et la discrimination. Par exemple, l’enquête Being Black in the EU (un résumé de l'enquête est disponible en français) réalisée l’année dernière par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE indique que 58 % des personnes interpellées par la police au cours de l’année précédente ont perçu cet acte comme étant motivé par la race, les taux les plus élevés étant enregistrés en Allemagne, en Espagne et en Suède. Depuis 2016, cette perception a augmenté au Danemark, en Finlande, en France, en Allemagne et en Irlande. Il est important d’analyser les facteurs qui sous-tendent ces perceptions et d’y remédier. Des données non gouvernementales en provenance des États-Unis et du Brésil continuent de faire état d’un nombre disproportionné de décès de personnes d’ascendance africaine dans le cadre d’interventions policières.
Dans de nombreux pays, y compris en Europe et en Amérique du Nord, je suis préoccupé par l’influence apparemment croissante des théories du complot dites du « grand remplacement », fondées sur l’idée fausse que les juifs, les musulmans, les personnes non blanches et les migrants cherchent à « remplacer » ou à supprimer les cultures et les peuples des pays. Ces idées délirantes et profondément racistes ont directement influencé de nombreux auteurs d’actes de violence. Associées à la soi-disant « guerre contre les personnes "éveillées" », qui est en réalité une guerre contre l’inclusion, ces idées visent à exclure les minorités raciales, en particulier les femmes issues des minorités raciales, et les personnes LGBTQ+ de l’égalité totale. Le multiculturalisme n’est pas une menace : il fait partie de l’histoire de l’humanité et est profondément bénéfique pour nous tous.
Je déplore l’escalade des attaques contre les personnes LGBTQ+ et leurs droits. Des législations et des politiques discriminatoires ont récemment été étendues, adoptées ou sont à l’étude au Belarus, au Burkina Faso, au Ghana, au Liban, au Niger, au Nigéria, dans la Fédération de Russie, en Ouganda et dans plusieurs États des États-Unis d’Amérique, entre autres. Je regrette également la récente décision de justice rendue à Saint-Vincent-et-les-Grenadines, qui maintient la criminalisation, datant de l’époque coloniale, des relations consenties entre personnes de même sexe, sur la base d’arguments discrédités depuis longtemps et de stéréotypes préjudiciables.
La reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+ va dans le sens de l’égalité et du droit de chaque personne de vivre à l’abri de la violence et de la discrimination. À cet égard, je salue les avancées importantes vers la pleine reconnaissance des droits des personnes LGBTQ+ en Grèce, ainsi que la dépénalisation des relations homosexuelles consenties à Antigua-et-Barbuda, à la Barbade, à Maurice, à Saint-Kitts-et-Nevis et à Singapour ces deux dernières années.
Monsieur le Président,
La paix, comme le développement, se construit et se nourrit de droits. C’est en défendant et en faisant progresser l’ensemble des droits humains, y compris le droit au développement et le droit à un environnement propre, sain et durable, que les États peuvent concevoir des solutions durables, car elles répondent à la vérité universelle de notre égalité et au désir indéfectible de liberté et de justice.
L’histoire témoigne de la capacité de l’humanité à surmonter les pires défis. L’une des plus grandes réalisations de l’humanité au cours des 75 dernières années a été la reconnaissance du fait que la question des droits humains (tous les droits humains, on ne doit pas choisir) dans chaque pays est une question d’intérêt international.
Merci, Monsieur le Président.
[1] Toute mention du Kosovo doit être interprétée dans le contexte de la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations Unies (1999).