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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Nicaragua : détérioration continue et généralisée des droits humains

Interactive Dialogue on Nicaragua

12 Septembre 2023

Une manifestante brandit une banderole réclamant la liberté des prisonniers politiques au Nicaragua lors d’une marche organisée par les Nicaraguayens exilés au Costa Rica pour protester contre les élections municipales des maires, adjoints au maire et conseillers municipaux au Nicaragua, à San José, Costa Rica, le 6 novembre 2022. © REUTERS/Mayela Lopez

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Cinquante-quatrième session du Conseil des droits de l’homme

Monsieur le Vice-Président,
Excellences,
chers collègues,

Je suis profondément attristé par la détérioration continue et généralisée des droits humains au Nicaragua. Les politiques visant à punir et enfermer les personnes qui expriment leurs opinions, et à renforcer l’isolement du pays ne servent pas les intérêts du peuple nicaraguayen ni ceux des autorités. J’espère qu’au cours de notre dialogue d’aujourd’hui, ce Conseil sera en mesure de trouver des solutions et de suggérer de nouvelles idées susceptibles d’aider les autorités à inverser le cours des choses.

Depuis notre rapport présenté au Conseil l’année dernière, les personnes perçues comme des opposants ou des critiques du Gouvernement ont continué à être persécutées et à faire l’objet de mesures qui violent leurs droits humains. Parmi ces mesures, on peut citer les longues peines de prison prononcées sans procès, dans le cadre d’un système judiciaire dépourvu de toute indépendance, ainsi que l’expulsion, la privation arbitraire de la nationalité et l’interdiction faite aux Nicaraguayens de retourner dans leur propre pays. Des mesures que nous pensions réservées aux livres d’histoire.

Comme l’indique le rapport A/HRC/54/60 qui vous est présenté, le Gouvernement nicaraguayen continue d’imposer de sévères restrictions à l’espace civique et démocratique, limitant ainsi les libertés individuelles et collectives de son peuple. Il a également étendu son contrôle sur les organisations de la société civile, les ONG internationales, les universités et les médias.

Le niveau de pauvreté est élevé, mais il semble diminuer, passant de 14,2 % en 2021 à 13,3 % en 2022, selon les chiffres du Gouvernement.

Monsieur le Président,

Les individus perçus comme des détracteurs des autorités, ainsi que leurs proches, sont régulièrement harcelés, persécutés et emprisonnés. Au cours du seul mois de février, 316 Nicaraguayens considérés comme des opposants au Gouvernement ont été arbitrairement privés de leur nationalité, de leurs biens et de tous leurs droits civils et politiques. Il s’agissait de défenseurs des droits humains, de journalistes, de militants et de dirigeants sociaux et politiques, tous contraints, avec leur famille, de recommencer leur vie dans des pays lointains. Compte tenu du grand nombre de personnes touchées par ces mesures punitives généralisées, de nombreuses personnes craignent de quitter le pays, même brièvement, de peur d’être privées à tout jamais de leur droit de retour.

Le militantisme civique organisé et la défense des droits humains sont devenus quasiment impossibles. Depuis août 2022, le statut légal de 2 020 organisations de la société civile a été annulé, pour un total de 3 394 organisations depuis 2018. En d’autres termes, près de la moitié des groupes de la société civile du Nicaragua ont été fermés et de nombreux autres ont été contraints à l’autocensure. Douze universités ont été fermées au cours de l’année écoulée. L’Université centraméricaine a notamment été qualifiée de « centre de terrorisme pour l’organisation de groupes criminels ». La fermeture de ces universités et la confiscation de certains établissements scolaires gérés par diverses congrégations catholiques limitent l’accès aux droits à l’éducation et à la liberté d’information, ce qui a un impact préjudiciable sur la liberté d’expression et la liberté académique.

Le HCDH continue également de recenser des violations de la liberté de religion et de croyance dirigées principalement, mais pas uniquement, contre l’Église catholique romaine. Elles prennent notamment la forme de sanctions pénales et administratives coercitives et arbitraires, de harcèlement et de détention de prêtres et de fidèles.

À ce jour, 71 personnes sont toujours détenues arbitrairement au Nicaragua, après avoir été jugées et condamnées sans garanties d’une procédure régulière. L’évêque Roland Alvarez, qui en fait partie, a été condamné à 26 ans de prison sans aucun procès. Nous avons également enregistré la détention au secret de nombreuses personnes pendant une période pouvant aller jusqu’à 18 mois.

Le rapport qui vous est présenté fait également état d’actes de torture. En juillet, après la fin de la période considérée, nous avons recensé sept autres cas de torture graves de détenus, notamment l’utilisation de l’électricité, ainsi que des violences sexuelles et le viol d’hommes. Les femmes et les filles sont forcées de se dénuder et de se soumettre à des fouilles génitales humiliantes, notamment avant les visites aux détenus.

De nombreux détenus sont soumis à des mauvais traitements, notamment l’interdiction d’entrer en contact avec les membres de leur famille, l’interdiction de prendre des médicaments, la restriction des produits d’hygiène de première nécessité ou l’exposition constante à l’éclairage artificiel. La distribution de nourriture serait restreinte pour punir les personnes considérées comme des « ennemis » du Gouvernement.

Étant donné la situation actuelle, le fait que tous les organismes internationaux chargés de surveiller les conditions de détention soient expulsés du pays est alarmant. Les personnes privées de liberté se retrouvent ainsi dans une situation d’extrême vulnérabilité. J’appelle les autorités à accepter le retour d’observateurs internationaux indépendants et impartiaux sur les conditions de détention, à éradiquer la torture et les mauvais traitements et à rétablir les garanties d’une procédure régulière et l’état de droit.

L’augmentation brutale et continue de la violence dans les territoires des peuples autochtones et des communautés d’ascendance africaine au cours de l’année écoulée constitue également un sujet de vive préoccupation. Ces meurtres et ces attaques violentes, dont l’incendie délibéré de maisons et le vol de terres et de biens, sont perpétrés en toute impunité.

Je suis également préoccupé par le nombre élevé de mariages d’enfants et de grossesses d’adolescentes au Nicaragua, ainsi que par l’interdiction totale de l’avortement dans le pays, qui porte atteinte à la santé sexuelle et procréative, et peut provoquer des avortements dangereux et la mort de femmes et de filles.

Monsieur le Président,

Les actes de persécution constants, imprévisibles et arbitraires du Gouvernement poussent de nombreuses personnes à fuir. Entre septembre 2022 et juillet 2023, 45 866 Nicaraguayens ont demandé l’asile ne serait-ce qu’au Costa Rica.

Je regrette profondément que le Gouvernement n’ait pas répondu à mes propres communications et qu’il ait refusé de coopérer avec les organismes internationaux ou avec le HCDH. Les recommandations formulées dans ce rapport et dans les rapports précédents constituent un plan d’action qui peut aider les autorités à mettre en place un développement plus durable et une forme de gouvernance plus résiliente et plus efficace.

Je demande instamment au Gouvernement de démontrer qu’il est au service de sa population en lui permettant de se réunir, de s’exprimer et de participer librement et pleinement aux décisions. J’appelle à la libération de toutes les personnes détenues arbitrairement, ainsi qu’au rétablissement, sans discrimination, des droits des personnes privées de leur nationalité, tels qu’ils sont garantis par les instruments internationaux ratifiés par l’État du Nicaragua.

J’exhorte également la communauté internationale à poursuivre ses efforts pour influencer les autorités et soutenir les réfugiés et les demandeurs d’asile nicaraguayens.

Merci.

Cette déclaration a été prononcée en espagnol et en anglais.

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