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Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Afghanistan : les droits humains sont « en train de s’effondrer », avertit Volker Türk

Dialogue interactif sur l'Afghanistan

12 septembre 2023

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Cinquante-quatrième session du Conseil des droits de l’homme

Monsieur le Vice-Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,

Les droits humains en Afghanistan sont en train de s’effondrer, affectant gravement la vie de millions de femmes, d’hommes, de filles et de garçons.

Les violations des droits humains dans le pays ne sont pas nouvelles : en raison de décennies de conflit armé, l’histoire contemporaine de l’Afghanistan a souvent été marquée par la violence et les injustices.

Cependant, la dynamique imposée par les Taliban depuis leur arrivée au pouvoir il y a deux ans constitue une atteinte systématique aux droits et libertés de la population, qui vise particulièrement les femmes et les filles et les exclut de la plupart des aspects de la vie publique et quotidienne.

Le pays connaît également une grave crise humanitaire et économique, les deux tiers de la population ayant désormais besoin d’aide.

La sécheresse actuelle affecte aussi gravement les moyens de subsistance et les communautés.

Le rapport présenté aujourd’hui au Conseil montre le recul des protections institutionnelles des droits humains à tous les niveaux en Afghanistan. 

Les cadres juridiques et institutionnels de l’Afghanistan ont subi de profonds changements depuis août 2021, et je rappelle aux autorités de facto qu’elles restent tenues de respecter les obligations internationales de l’Afghanistan en matière de droits humains.

Monsieur le Vice-Président,

Le niveau choquant d’oppression des femmes et des filles afghanes est d’une cruauté incommensurable. L’Afghanistan a créé un précédent dévastateur en étant le seul pays au monde où les femmes et les filles se voient refuser l’accès à l’enseignement secondaire et supérieur.

Les restrictions deviennent de plus en plus sévères, étouffant les libertés fondamentales des femmes et des filles, les confinant chez elles, les rendant invisibles.

Ce Conseil connaît déjà la longue liste de restrictions et de décrets misogynes. L’interdiction permanente d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur. L’obligation de porter le hijab dans les lieux publics, les sanctions s’étendant aux hommes de la famille si elles ne s’y conforment pas. L’interdiction d’accéder aux parcs, aux salles de sport et aux bains publics. L’interdiction de fréquenter des salons de beauté. L’interdiction de voyager plus de 78 km sans un mahram, ou chaperon de sexe masculin. L’interdiction de travailler pour une ONG nationale ou internationale, et désormais, pour les Nations Unies. Cette dernière interdiction va à l’encontre de la Charte des Nations Unies et de son principe fondamental d’égalité, compromettant à la fois les droits humains et l’aide humanitaire.

Les femmes et les filles jugées coupables de ne pas se conformer à cette litanie de règles font l’objet d’arrestations et de détentions arbitraires, de harcèlement, voire de violences physiques, tout comme les hommes de leurs familles.

Ces dernières semaines, les autorités de facto ont empêché un groupe d’étudiantes de se rendre à Dubaï pour leurs études, car elles n’étaient pas toutes accompagnées de leurs chaperons.

Que peut-on attendre par la suite ?

Toute perspective d’un avenir stable et prospère pour l’Afghanistan repose sur la participation de la moitié de la population. Refuser aux femmes et aux filles le droit de participer à la vie quotidienne et publique, c’est non seulement les priver de leurs droits humains, mais aussi priver l’Afghanistan de ce qu’elles ont à offrir.

Monsieur le Vice-Président,

Au cours des deux dernières années, nous avons assisté à une érosion systématique des lois et des institutions qui assuraient autrefois une certaine protection des droits humains. La Constitution a été suspendue et les lois sont désormais édictées par des décrets plutôt que par des processus consultatifs.

Les lois qui fournissaient autrefois un cadre pour la protection des femmes contre la violence ou un environnement favorable aux médias ont été suspendues.

La Commission afghane indépendante des droits humains, qui jouait un rôle vital, a disparu.

Les châtiments corporels et les exécutions publiques ont repris et des rapports font état d’exécutions extrajudiciaires, d’actes de torture et de mauvais traitements, ainsi que d’arrestations et de détentions arbitraires. Malgré les déclarations répétées des autorités de facto concernant l’amnistie générale, nous continuons de recenser des violations des droits humains contre des individus affiliés à l’ancien gouvernement et à ses forces de sécurité.

Les droits des personnes accusées sont régulièrement violés en raison du non-respect des garanties procédurales et du manque de moyens du système de justice pénale. Bien que les autorités de facto aient mis en place de nouveaux organes chargés d’effectuer des visites dans les prisons, de surveiller les procédures judiciaires et de recevoir les plaintes, nous ne savons pas encore comment ils fonctionneront.

À tout cela s’ajoute une absence très préoccupante d’établissement des responsabilités face aux violations des droits humains commises.

Les restrictions sévères imposées aux médias en Afghanistan représentent une attaque ciblée contre la liberté d’expression et d’opinion.

Dans l’environnement médiatique actuel, il est interdit aux journalistes de publier des contenus jugés contraires à leur interprétation religieuse. Les femmes journalistes doivent se couvrir le visage durant les émissions. La projection de films ou de feuilletons mettant en scène des femmes est interdite, tout comme les films étrangers jugés contraires aux valeurs islamiques afghanes ou à leur interprétation.

De nombreux médias ont été contraints de cesser leurs activités. La société civile est confrontée à des contraintes similaires et a donc été largement étouffée.

Les autorités de facto ont également eu recours à des arrestations et détentions arbitraires et parfois à une force excessive pour réduire au silence les dissidents et la liberté d’expression.

Monsieur le Vice-Président,

Dans la mesure du possible, la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan, à travers sa composante chargée des droits humains, continuera d’examiner des cas individuels et d’insister sur le respect du droit international par les autorités de facto. Mes collègues continueront également de suivre la situation des droits humains et d’en rendre compte, notamment grâce aux six rapports publiés à ce jour cette année, et nous tiendrons le Conseil informé de l’évolution de la situation.

En l’absence d’autres institutions de défense des droits humains dans le pays et de nombreuses missions diplomatiques, cette présence sur le terrain n’a jamais été aussi cruciale. Je voudrais rendre un hommage particulier à nos collègues afghanes qui travaillent dans ces conditions inimaginables.

La communauté internationale ne peut pas tourner le dos au peuple afghan.

Il s’agit d’une crise des droits humains de premier ordre.

J’encourage les États à se montrer proactifs en aidant l’économie afghane à surmonter ses difficultés. Cela nécessitera notamment des efforts concrets pour restaurer les systèmes financiers afin qu’ils profitent réellement au peuple afghan, notamment aux femmes et aux filles, et pour veiller à ce que les sanctions imposées n’aient pas d’incidence sur les besoins humanitaires.

J’invite tout particulièrement les États ayant une influence sur les autorités de facto à les aider à inverser cette trajectoire, qui est fatale non seulement pour les droits humains, mais aussi pour le développement et la sécurité futurs du pays.

J’encourage également les États à soutenir le travail du HCDH sur le terrain afin de protéger et d’informer la population afghane en cette période critique.

J’exhorte les autorités de facto à changer fondamentalement de cap et à permettre à l’Afghanistan de retrouver sa place dans l’ordre international en respectant pleinement ses obligations internationales en matière de droits humains.

Cela nécessitera une action concertée à tous les niveaux pour combler le vide actuel en matière de protection institutionnelle des droits humains et pour mettre en place un système de gouvernance inclusif et réactif fondé sur les droits humains.

Merci.

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