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Déclarations et discours Multiple Mechanisms FR

République Démocratique du Congo : Mise à jour du Haut-Commissaire

30 mars 2023

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

À

52e session du Conseil des droits de l'homme

Lieu

Genève

Monsieur le Président,
Madame la Représentante spéciale du Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les panélistes,
Excellences,

Les défis en matière de droits humains auxquels est confronté le peuple de la République démocratique du Congo sont bien connus de ce Conseil.

Dans un pays aux ressources abondantes, si extraordinairement fertile et vaste que les observateurs estiment qu'il pourrait nourrir la moitié de l'Afrique, 26,4 millions de personnes (soit un Congolais sur quatre) souffrent d'une grave insécurité alimentaire. La faible gouvernance et le manque d'accès aux infrastructures essentielles et aux services publics dans de nombreuses régions ont des conséquences néfastes sur l’exercice des droits économiques et sociaux, notamment en matière d'éducation et de santé. En raison des actes de violence perpétrés par de nombreux groupes armés, 6 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays, soit le plus important nombre de personnes déplacées internes du continent africain.

La situation des droits humains s’est encore détériorée sur plusieurs aspects depuis notre dernière mise à jour au Conseil, en octobre 2022.

La violence armée s'est intensifiée dans les provinces de l’Est, notamment en Ituri et au Nord-Kivu, où les groupes armés M23, ADF, CODECO, Zaïre et Nyatura continuent de perpétrer des attaques ignobles contre la population civile, en toute impunité. Depuis octobre 2022, au moins 1 338 personnes, dont 107 enfants, ont été tuées dans ces provinces de l’Est.

Des zones généralement épargnées par le passé ont également connu des flambées de violence, notamment les provinces de Maï-Ndombe et de Kwilu.

Les violences ciblées que subissent les civils dans les zones affectées par les conflits comprennent notamment des violences sexuelles d’une grande brutalité, qui ont historiquement été utilisées en RDC comme une arme de guerre délibérée et une stratégie de terreur. En 2022, le Bureau conjoint des Nations unies aux droits humains a documenté et confirmé des cas de violences sexuelles liées au conflit sur 701 victimes, dont 503 femmes, 11 hommes et 187 filles.

La violence endurée par de larges segments de la population en RDC est alimentée par l'impunité et la corruption, qui sapent les efforts de l'État pour fournir des services de base, établir l'ordre et empêcher les pratiques commerciales abusives et violentes. En conséquence, la population n'est pas seulement privée de sécurité, mais aussi d'une part légitime des richesses du pays.

Les autorités ont pris des mesures importantes pour lutter contre l'impunité. En 2022, au moins 91 membres des forces de défense et de sécurité et au moins 143 membres de groupes armés ont été condamnés pour des infractions liées à des violations des droits humains. Il s'agit là de résultats importants, tant pour les victimes que pour leur effet dissuasif.  Toutefois, l'ampleur des violations et des abus des droits humains subis exige davantage d'actions pour enrayer le sentiment généralisé d'impunité.

Mon Bureau soutient les processus judiciaires concernant les massacres de Nyamamba et Mbogi, dans la province de l'Ituri, rapportés en janvier 2023, et ceux de Kishishe, dans la province du Nord-Kivu, en novembre 2022. Nous soutenons également les efforts de formation et de redevabilité du personnel des forces armées.

Je prends note du discours du Monsieur le Président Tshisekedi devant ce Conseil, et je salue son engagement à traiter les questions de redevabilité en explorant les options présentées dans le Rapport Mapping 2010 publié par mon Bureau. J'encourage vivement le gouvernement à faire de la lutte contre l'impunité l'épine dorsale de sa stratégie pour le retour de la paix dans les zones touchées par le conflit.

Les autorités ont également fourni des efforts significatifs pour créer les conditions d'un retour à la paix dans les provinces affectées par le conflit. Il s'agit notamment du dialogue avec les groupes armés, de l'élaboration de programmes de désarmement, de stabilisation et de justice transitionnelle, ainsi que de la mise en œuvre de l'enseignement primaire gratuit et du programme "145 territoires", qui vise à construire des infrastructures de santé et d'éducation.

J'encourage vivement l'accélération de la mise en œuvre du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation. Il est important que ce programme ambitieux respecte pleinement les normes en matière de droits humains et s'aligne sur les initiatives de justice transitionnelle - en intégrant les droits des victimes et des communautés affectées, à la justice, à la vérité, à la réparation et aux garanties de non-répétition.

Je salue le travail de la Communauté d'Afrique de l'Est et de l'Union africaine pour promouvoir la paix et la sécurité dans l'Est de la RDC, notamment par le dialogue politique et le déploiement d'une force régionale. Il est essentiel que toutes les opérations de la force régionale de la Communauté d'Afrique de l'Est soient menées dans le plein respect du droit international humanitaire et des droits humains. Les droits des victimes et la nécessité de rendre des comptes pour les graves violations et abus des droits humains qui ont été si répandus, doivent également être au cœur de tout processus politique.

Monsieur le Président,

Le gouvernement de la RDC a pris des engagements de principe pour élargir l'espace civique et politique. Cependant, ces promesses doivent être mises en œuvre de manière beaucoup plus concrète. Alors que des élections présidentielle, législatives et locales sont prévues en décembre de cette année, je suis profondément préoccupé par la persistance des restrictions des libertés publiques et de l'espace civique de la population congolaise. Il s'agit notamment d'entraves au droit de réunion pacifique et de menaces à l'encontre de dirigeants de l'opposition, de journalistes et de défenseurs des droits humains.  Il semblerait que des efforts systématiques soient déployés pour empêcher les journalistes et les acteurs de la société civile d'enquêter sur les allégations impliquant les forces de sécurité, en particulier dans les zones de conflit.

Je suis particulièrement préoccupé par le harcèlement et l'arrestation arbitraire de journalistes et de défenseurs des droits humains par l'Agence nationale des renseignements, y compris des cas présumés de mauvais traitements et de torture. Les collègues du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme entretiennent un dialogue constant avec cette Agence au sujet des 27 personnes dont on sait qu'elles sont en détention arbitraire prolongée, sans respect des procédures régulières. Le refus de l'accès aux centres de détention de cette agence est très préoccupant. Je demande instamment que des mesures soient prises rapidement pour engager la réforme tant attendue des services de renseignement.

Les tensions accrues entre les groupes ethniques, ainsi qu'entre le gouvernement de la République démocratique du Congo et le Rwanda, ont donné lieu à la désinformation et à des discours de haine à l'encontre de certains groupes ethniques, ainsi qu’à l’égard de certaines personnes. Les discours de haine et l'incitation à l'hostilité - qui sont particulièrement graves dans l'Est du pays - visent notamment les personnes présumées d'origine rwandaise. Je salue les mesures qui ont été prises pour lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux et dans la presse, ainsi que les appels lancés par le Président et par le Conseil des ministres pour mettre fin à l'incitation à la haine et à la discrimination.

Excellences,

L'élaboration d'une politique nationale de justice transitionnelle et l'adoption d'une loi sur les réparations sont des avancées importantes. Il est essentiel que ces processus restent inclusifs et transparents, qu'ils prennent en considération les droits et les points de vue des victimes et qu'ils intègrent les résultats des consultations nationales.

Je salue les réformes législatives récentes, en particulier l'adoption de la loi sur la promotion et la protection des droits des peuples autochtones en novembre 2022 et de la loi sur les réparations pour les victimes de violences sexuelles et d'autres crimes graves en décembre 2022. J'encourage leur mise en œuvre, ainsi que l'adoption rapide des projets de loi en cours sur la protection des défenseurs des droits humains, l'accès à l'information, la liberté d'association et de réunion pacifique, la lutte contre le tribalisme, le racisme et la xénophobie, et l'abolition de la peine de mort.

Par-dessus tout, j'appelle à la poursuite des réformes en matière de gouvernance, y compris les efforts visant à endiguer la corruption et à instaurer des pratiques commerciales fondées sur des principes. Des changements structurels considérables sont nécessaires pour faire en sorte que les fonctionnaires à tous les niveaux soient redevables devant la population qu'ils servent et pour permettre à tous les habitants de la RDC - y compris les femmes et les jeunes filles - de contribuer activement et librement à la vie en société. J'exhorte également les autorités à faire progresser le droit au développement et tous les droits économiques et sociaux, y compris par des actions concrètes pour la fourniture universelle de services essentiels tels que l'éducation, les soins de santé et l’accès à l'eau potable - que le Président de la République a identifiés comme des priorités nationales en janvier 2019. 

Le Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme continuera à soutenir les efforts déployés par les autorités pour faire progresser les droits humains, notamment dans le contexte du retrait prévu de la MONUSCO.  Les droits humains doivent être au cœur de ce processus de transition ordonné et progressif. Il est essentiel que des ressources suffisantes soient allouées pour assurer une présence solide des Nations unies en matière de droits humains dans le pays, afin de garantir que nous soyons en mesure de poursuivre nos activités de surveillance, de production de rapports, de renforcement des capacités, de plaidoyer et d'alerte précoce, tout en intensifiant les programmes d'assistance technique au sein de l'Equipe Pays des Nations unies.

Monsieur le Président,

Les populations de la RDC ont le droit de vivre en paix, à l'abri du besoin et de la peur. Ils méritent bien plus que ces cycles continus de brutalité et de misère. Je remercie le gouvernement pour le bon travail que nous accomplissons ensemble et je suis convaincu que nous continuerons à approfondir notre coopération. Je saisis également cette occasion pour remercier Bacre Ndiaye et Marie-Thérèse Keïta-Bocoum pour leurs importantes contributions. Après cinq années de services remarquables à la tête de l'équipe d'experts internationaux en République démocratique du Congo, Monsieur Ndiaye va nous quitter et j'ai décidé de nommer Madame Keïta-Bocoum présidente à sa place. Arnaud Akodjenou rejoindra l'équipe d'experts.

Je vous remercie de votre attention.

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