Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme Volker Türk conclut sa visite officielle en République démocratique du Congo
18 avril 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
A partir de
Kinshasa, République démocratique du Congo
Bonsoir, et merci d'être venus.
C’est ma première visite en République démocratique du Congo en tant que Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, bien que j'y sois déjà venu à plusieurs reprises. Je remercie le Président de m'avoir invité, et je suis reconnaissant de l'excellente coopération avec le gouvernement et tous nos partenaires.
L'immensité de cette nation - qui s’étend sur une superficie géographique équivalente à celle de l'Europe occidentale - est marquante.
La RDC est immensément riche de la résilience et de la force de son peuple. Elle dispose également d'abondantes ressources naturelles. Ce pays pourrait tout simplement être l'un des plus riches du monde. Mais malheureusement, il est aujourd'hui l'un des plus pauvres.
Les défis du pays en matière des droits humains sont nombreux et complexes. Permettez-moi de me concentrer sur la situation dans les provinces de l’est, où vit une population épuisée et profondément traumatisée, écrasée par des décennies de guerre et de conflit.
Au Nord-Kivu, le groupe armé M23 continue de semer la terreur, tuant et enlevant la population locale, et s’attaquant fréquemment aux défenseurs des droits humains, aux journalistes et aux leaders des communautés. Des enfants sont également recrutés de force dans ses rangs.
Depuis octobre, cinq-cents-mille personnes ont été déplacées des zones contrôlées par le M23, ce qui porte le nombre total des personnes déplacées à près de 2,7 millions.
En Ituri, outre les affrontements intercommunautaires entre les groupes armés CODECO et Zaïre, le groupe armé ADF (Forces démocratiques alliées) multiplie les attaques contre la population civile, entraînant plusieurs abus flagrants des droits humains et des violations graves du droit international humanitaire. À ce jour, la province compte quelque 1,8 million de personnes déplacées.
Les forces de sécurité nationales et les milices comme le Wazalendo commettent également des violations des droits humains qu'il faut prévenir.
Au cours de ma mission, j'ai visité des camps de personnes déplacées à Bunia, dans la province d'Ituri, et à Goma, dans la province du Nord-Kivu. Bien que les conflits qui se déroulent dans ces deux provinces soient différents, le résultat est tragiquement similaire. Les personnes présentes sur les deux sites m’ont décrit comment elles avaient fui les combats et qu’elles cherchaient désespérément de l'aide et du soutien. Elles ont également exprimé leur profond désir de rentrer chez elles. Comme me l'a dit un défenseur des droits humains : « La guerre nous a tout volé, y compris notre avenir. »
Le nombre des victimes des violences sexuelles a considérablement augmenté dans les zones où se déroulent les combats, mais aussi dans les camps. Dans le camp de déplacés de Bulengo à Goma, mes interlocuteurs m'ont décrit comment les femmes étaient attaquées alors qu'elles allaient chercher du bois pour préparer les repas, et comment certaines femmes et filles étaient obligées de se vendre pour survivre.
Il est impératif que l'État soit en mesure de jouer pleinement son rôle à l'Est, pour assurer non seulement la sécurité, mais aussi l'éducation, la santé et un système judiciaire efficace et équitable.
Les pays qui soutiennent les groupes armés ou qui ont une influence sur eux doivent assumer leurs responsabilités et veiller à ce que les combats cessent. Au Nord-Kivu, tout rôle joué par le Rwanda dans le soutien au M23 doit cesser et une solution doit être trouvée de toute urgence. Il en va de même pour tout pays qui soutient des groupes armés actifs en RDC.
Tous les Congolais ont droit à la paix. Sans paix, il n'y aura ni développement ni progrès.
L'une des causes profondes de bon nombre de ces conflits est l'exploitation des ressources naturelles de la RDC, qui appauvrit la population locale au lieu de lui profiter. Le gouvernement, ainsi que les puissances régionales et internationales, ont des obligations à cet égard. Le secteur privé a également des responsabilités importantes, y compris les entreprises qui extraient des ressources, telles que le coltan, qui sont si précieuses pour le monde.
Nous utilisons tous des téléphones portables dont l'utilisation est rendue possible, en grande partie, grâce aux ressources de la RDC. Le monde ne peut pas continuer à consommer sur le dos du peuple congolais. Chacun doit se poser la question de sa responsabilité.
La préoccupation immédiate des populations touchées par le conflit est leur sécurité. Les autorités congolaises et la communauté internationale doivent continuer à travailler en partenariat pour éviter un vide de protection qui mettrait davantage en danger les civils.
J'ai de réelles inquiétudes quant à ce qui pourrait arriver aux civils en cas de retrait précipité de la Mission de l'Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO). Les forces nationales et d'autres forces régionales et internationales jouent un rôle essentiel à cet égard. Au cours de mes réunions, j'ai exhorté la mission de la Communauté de développement de l'Afrique australe en RDC (SAMIDRC) à établir et à mettre en œuvre un cadre solide de conformité aux droits humains et au droit international humanitaire afin d'éviter qu’il y ait les victimes civiles et de conserver le soutien et la confiance de la population, ce qui est essentiel.
L'impunité et l'absence de responsabilité sont également des causes profondes du cycle interminable de la violence.
J’apprécie le fait que les autorités ont récemment pris des mesures pour que certains responsables de violations des droits humains et d'abus rendent compte de leurs actes. Cependant, il reste encore beaucoup à faire. La corruption au sein des institutions de l'État doit être efficacement combattue. L'administration de la justice doit être renforcée. Enfin, les premières mesures positives visant à mettre en place une justice transitionnelle pour traiter les crimes du passé, rendre justice aux victimes et favoriser une paix et un développement durables pour le pays doivent se traduire par des actions tangibles, cohérentes et concrètes. Pour ce faire, il est nécessaire de placer les victimes et les communautés concernées au centre du processus.
Je suis préoccupé par la récente décision du gouvernement de lever le moratoire sur l’application de la peine de mort. Les Nations Unies sont claires à ce sujet. La peine de mort devrait être abolie partout dans le monde.
Le dynamisme de la société civile congolaise me donne de l'espoir. Au cours de ma mission, j'ai rencontré des défenseurs des droits humains dans l'est du pays et ici à Kinshasa. J’ai été impressionné par leurs idées, leur courage et leur engagement en faveur des droits humains. Leur sécurité doit être protégée à tout moment et leur travail doit être soutenu par nous tous et toutes. Le maintien et la protection d'un espace civique ouvert, fort et libre sont essentiels pour consolider cette situation. La liberté d'expression doit être protégée. Le rôle vital des défenseurs des droits humains, des journalistes et des partis politiques doit être respecté.
J'ai également exhorté le gouvernement à redoubler d’efforts pour garantir une tolérance zéro à l'égard de l'incitation à la violence et des discours de haine.
En fin de compte, il est nécessaire de réunir les efforts et de renforcer la cohésion sociale en RDC. Un contrat social solide entre le peuple et le gouvernement est un élément fondamental pour faire avancer ce pays dans l'intérêt de tous et de toutes.
Mon bureau est présent en RDC depuis 1996 et travaille avec et pour le peuple congolais afin d'assurer la protection et la promotion des droits humains. Je peux vous assurer que nous sommes pleinement engagés à poursuivre ce travail avec le soutien de nos partenaires internationaux et nationaux.
Je vous remercie de votre attention.
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