Déclarations et discours Multiple Mechanisms FR
Devant l’Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine, Volker Türk appelle à agir de toute urgence contre le racisme et autres vestiges du colonialisme
19 avril 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine
Lieu
Geneva
Madame la Présidente,
Chers membres de l’Instance permanente,
Chers collègues et amis,
Je suis ravi de m’entretenir avec vous cet après-midi. Je suis revenu ce matin d’une mission importante en République démocratique du Congo, c’est pourquoi je n’ai pas pu me joindre à vous plus tôt. Il était selon moi essentiel d’attirer l’attention de la communauté internationale sur les immenses souffrances des populations de l’est du pays qui ont été frappées par des cycles de conflits, de déplacements et de désespoir.
Je saisis cette occasion pour vous féliciter, Madame l’Ambassadrice June Soomer, pour votre nomination à la présidence de l’Instance permanente pour les personnes d’ascendance africaine, et pour vous remercier, Madame Epsy Campbell Barr, pour le rôle de premier plan que vous avez joué durant la précédente présidence.
Il est merveilleux de voir une participation aussi diversifiée et vocale de la part de personnes d’ascendance africaine venant du monde entier.
Je ne saurais trop insister sur l’importance de cette vaste Instance permanente, que vous avez souhaitée, pour rassembler les militants d’ascendance africaine et les États afin de concevoir une action globale visant à éliminer le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée.
À celles et ceux d’entre vous qui apportent leur expérience, leurs connaissances et leur expertise à ces discussions : vos contributions au mouvement de lutte contre le racisme ont des répercussions dans le monde entier. Elles révèlent l’ampleur des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes d’ascendance africaine, notamment les femmes, les jeunes, les LGBTQ+ et les migrants.
En mettant en lumière vos initiatives et vos idées sur les moyens d’éliminer le racisme systémique, ainsi que ses liens pernicieux avec d’autres formes de discrimination, cette Instance ouvre également de nouvelles voies vers un changement profond.
Je vous remercie toutes et tous pour votre détermination et votre vision.
Le HCDH se tient à vos côtés dans cette lutte pour la justice.
En tant que coordinateur de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine, je me joins à l’appel que vous avez lancé aux États pour qu’ils proclament une deuxième décennie, afin que nous puissions nous appuyer sur les progrès réalisés jusqu’à présent et relever les nombreux défis qui subsistent.
Je me joins à vos appels à l’action, dès maintenant.
Des siècles d’esclavage, de traite et d’oppression coloniale subis par les personnes d’ascendance africaine ont façonné et alimenté le racisme systémique et la discrimination raciale actuels.
D’autres formes d’oppression sont également enracinées dans ce terrible héritage.
Ces derniers jours, lors de ma visite en République démocratique du Congo, il m’est apparu évident que l’exploitation sans scrupules des remarquables ressources naturelles du pays est à l’origine de nombreux conflits. Les initiatives économiques d’exploitation appauvrissent la population locale au lieu de lui profiter, ces abus découlant en partie d’une longue histoire de violations atroces des droits de l’homme.
Le Gouvernement, les acteurs économiques, ainsi que les pouvoirs régionaux et internationaux ont l’obligation d’opérer de véritables changements à de nombreux égards, et chacun d’entre nous doit s’interroger sur ses propres responsabilités. Le téléphone portable qui se trouve dans ma poche, et dans la vôtre, provient très probablement des ressources de la République démocratique du Congo, et nous ne pouvons pas continuer à consommer au détriment des droits humains du peuple congolais.
Dans ce contexte, je me réjouis des discussions qui ont eu lieu ici au sujet de la situation dévastatrice en Haïti. J’espère de tout cœur que nous trouvons à un tournant pour ce pays, qui a si vaillamment mené la lutte contre l’esclavage et le colonialisme.
Lorsque nous parlons des racines du mouvement des droits de l’homme, nous entendons toujours parler des révolutions française et américaine. Nous n’entendons pratiquement jamais parler de la révolution haïtienne, qui était une révolution des droits de l’homme, et qui s’est déroulée il y a plus de deux cents ans. Il est très important de s’en souvenir.
Nous devons donc demander justice. Nous devons agir. Et beaucoup de travail nous attend.
La prise en compte de l’héritage de l’esclavage et de l’exploitation coloniale est un élément clé de notre programme de transformation pour la justice et l’égalité raciales, qui appelle les États à rendre une justice réparatrice.
Cette justice doit tenir compte des points de vue des personnes d’ascendance africaine, notamment des femmes. Il doit s’agir d’une approche globale, qui inclut la recherche de la vérité, la reconnaissance et la présentation d’excuses, le travail de mémoire, l’indemnisation et les réformes institutionnelles et éducatives.
De nombreuses initiatives sont en cours aux niveaux local, national, régional et international.
Nous pouvons citer notamment les efforts menés par les personnes d’ascendance africaine pour obtenir des réparations en intentant des procès, par exemple aux États-Unis, contre de grandes entreprises et les collectivités locales.
En effet, les appels au recours judiciaire, y compris au niveau international, sont de plus en plus fréquents et ont été soulevés ici.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, l’Union africaine a accepté d’explorer les possibilités juridiques et judiciaires en matière de réparations lors de la conférence d’Accra sur les réparations qui s’est tenue l’année dernière.
Cet élan croissant en faveur de la justice réparatrice, ainsi que les voies de recours disponibles me sont venus à l’esprit alors que je lisais le livre de Philippe Sands sur la campagne judiciaire menée par les personnes d’ascendance africaine de l’archipel des Chagos, dont la population entière a été déportée entre 1967 et 1973.
Cette campagne a débouché sur un avis consultatif de la Cour internationale de Justice. La Cour a conclu que le Royaume-Uni devait mettre fin à son administration de l’archipel des Chagos pour achever le processus de décolonisation, conformément au droit des peuples à l’autodétermination. J’espère que nous pourrons bientôt trouver une solution au long exil enduré par les Chagossiens.
Le droit international, en particulier le droit international des droits de l’homme, a le pouvoir de lutter contre les méfaits corrosifs du racisme.
La discrimination raciale est une grave violation du droit international des droits de l’homme. Elle constitue en effet un rejet de ses valeurs fondamentales, de notre humanité et de notre valeur égale.
De telles violations exigent que leurs auteurs répondent pleinement de leurs actes et que des changements concrets soient apportés.
Le HCDH et moi-même, en tant que Haut-Commissaire, sommes déterminés à soutenir les personnes d’ascendance africaine et toutes les personnes qui s’élèvent contre le racisme.
Nous sommes également résolus à travailler de manière constructive avec les États pour veiller à ce qu’ils respectent leurs obligations et engagements en matière de droits de l’homme, notamment dans le cadre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, et de la Déclaration et du Programme d’action de Durban.
Nous avons travaillé sans relâche pour aider les États et d’autres acteurs à réaliser les objectifs de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine dans le cadre de ses thèmes de reconnaissance, de justice et de développement.
Notre programme de transformation, ainsi que la série d’outils que nous avons conçus, fournissent des conseils aux gouvernements sur les moyens de faire face aux cultures de déni, de démanteler le racisme systémique dans tous les domaines de la vie et d’assurer une justice réparatrice.
Un changement transformateur est attendu depuis longtemps. Les gouvernements doivent mettre en place des mesures complètes pour réaliser de réelles avancées dans de nombreux domaines, y compris ceux qui ont fait l’objet d’un débat approfondi lors de cette session.
Les personnes d’ascendance africaine doivent être incluses de manière pertinente. Le développement durable et équitable doit être synonyme de justice économique.
Les discussions sur la réforme et la revitalisation de la gouvernance mondiale lors du prochain Sommet de l’avenir, qui aura lieu à New York en septembre, doivent s’appuyer sur les recommandations de l’Instance permanente.
Elles doivent porter notamment sur la nécessité urgente de réformer l’architecture financière internationale de manière à ce qu’elle fonctionne pour tous, y compris dans le domaine crucial de l’allègement de la dette, et de veiller à ce que l’action climatique réponde aux effets dévastateurs subis par les communautés d’ascendance africaine.
En ce qui concerne les réparations, nous devons enfin entrer dans une nouvelle ère. Les gouvernements doivent véritablement montrer la voie, en s’engageant sincèrement à passer rapidement de la parole aux actes, afin de réparer les erreurs du passé.
Madame la Présidente,
Je félicite l’Instance permanente pour sa forte détermination à aborder des questions cruciales en matière de droits de l’homme.
J’attends avec impatience vos conclusions et recommandations.
Les résultats de vos discussions durant cette session et les précédentes seront cruciaux dans l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur la promotion, la protection et le plein respect des droits humains des personnes d’ascendance africaine.
Il s’agira d’une étape essentielle pour garantir une réponse plus efficace au racisme systémique et à la discrimination raciale.
J’invite tous les États et autres parties prenantes à contribuer pleinement à ce processus.
Je me réjouis également de poursuivre notre collaboration avec vous tous à travers les activités menées par HCDH en faveur de la lutte contre le racisme, dans la poursuite de notre objectif commun : un monde capable de garantir la liberté, la dignité et la justice pour tous.
Merci.