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Soudan : La mission d'établissement des faits de l'ONU décrit de graves violations des droits de l’homme et des crimes internationaux, et appelle à la protection des civils
06 septembre 2024
GENÈVE (6 septembre 2024) – Les parties belligérantes au Soudan ont commis une série de violations effroyables des droits de l’hommes et des crimes internationaux, dont plusieurs pourraient constituer des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, a déclaré la mission internationale indépendante d'établissement des faits pour le Soudan dans son premier rapport.
Les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide ainsi que leurs alliés respectifs, ont été reconnus responsables de violations systématiques à grande échelle, notamment des attaques indiscriminées ou directes menées par le biais de frappes aériennes et de bombardements contre des civils, des écoles, des hôpitaux, des réseaux de communication et des approvisionnements vitaux en eau et en électricité.
Les parties belligérantes ont également ciblé des civils - ainsi que des personnes chargées d’aider les survivants ou de documenter des violations - en recourant au viol et à d'autres formes de violence sexuelle, à l'arrestation et à la détention arbitraires, ainsi qu'à la torture et aux mauvais traitements. Ces violations pourraient constituer des crimes de guerre liés à des atteintes à la vie et à l'intégrité physique et à des atteintes à la dignité de la personne, selon le rapport.
« La gravité de ces conclusions souligne le besoin urgent et la nécessité d’une action immédiate pour protéger les civils », a déclaré Mohamed Chande Othman, président de la mission d'établissement des faits.
« Compte tenu de l'incapacité des parties belligérantes à épargner les civils, il est impératif qu'une force indépendante et impartiale ayant pour mandat de protéger les civils soit déployée sans délai », a déclaré M. Othman. « La protection de la population civile est primordiale et toutes les parties au conflit doivent respecter leurs obligations en vertu du droit international et cesser immédiatement et sans condition toutes les attaques contre la population civile. »
Le rapport révèle également des motifs raisonnables de croire que les Forces d’appui rapide et leurs milices alliées ont commis d'autres crimes de guerre, y compris le viol, l'esclavage sexuel, le pillage, le fait d'ordonner le déplacement de la population civile, et le recrutement d’enfants de moins de 15 ans dans les hostilités. Les agressions effroyables commises par les Forces d’appui rapide et leurs alliés contre les communautés non arabes – en particulier les Masalit d'El Geneina et de ses environs, dans le Darfour Occidental – comprenaient des meurtres, des actes de torture, des viols et d'autres formes de violence sexuelle, des destructions de biens et des pillages.
Il existe également des motifs raisonnables de croire que les actes commis par les Forces d’appui rapide et leurs milices alliées constituent de nombreux crimes contre l'humanité, notamment le meurtre, la torture, l'esclavage, le viol, l'esclavage sexuel, toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable, la persécution fondée sur l'appartenance ethnique et le genre, ainsi que les déplacements forcés.
Le conflit, qui s'est étendu à 14 des 18 États du Soudan, a fait des dizaines de milliers de morts et de blessés parmi les civils, déplacé près de 8 millions de personnes à l'intérieur du pays tandis que deux autres millions ont été forcés de fuir vers les pays voisins. Les parties belligérantes ont aggravé considérablement la crise en entravant l'accès humanitaire, selon le rapport.
« Le peuple soudanais a subi une tragédie inimaginable », a déclaré Joy Ngozi Ezeilo, membre experte. « Un cessez-le-feu durable doit être une priorité pour mettre fin aux combats qui piègent la population civile, et permettre l'acheminement efficace de l'aide humanitaire à tous ceux qui en ont un besoin urgent, où qu'ils soient. »
Le rapport, mandaté par le Conseil des droits de l'homme lors de la création de la mission d'établissement des faits en octobre 2023, s'appuie sur des enquêtes menées entre janvier et août 2024. Celles-ci incluent des visites au Tchad, au Kenya et en Ouganda, le témoignage de 182 survivants, membres de leurs familles et témoins oculaires, des consultations approfondies auprès d'experts et membres de la société civile, ainsi que la corroboration et l’analyse d’informations supplémentaires apportées à la mission.
Le rapport recommande d'étendre l'embargo sur les armes en vigueur au Darfour, conformément à la résolution 1556 (2004) du Conseil de sécurité et aux résolutions ultérieures, à l'ensemble du pays, afin de mettre un terme à l’approvisionnement en armes, en munitions et au soutien logistique ou financier aux parties belligérantes et à empêcher une nouvelle escalade. Ceux qui fournissent des armes, le rapport avertit, pourraient être complices de graves violations des droits de l'homme et du droit humanitaire.
Les autorités soudanaises devraient coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale (CPI) et livrer toutes les personnes inculpées, y compris l'ancien président M. Al Bashir, indique le rapport. La compétence de la CPI, découlant de la résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité concernant la situation au Darfour, devrait également être étendue à l'ensemble du territoire soudanais.
Les efforts déployés par les autorités soudanaises pour enquêter et poursuivre tous les responsables de crimes internationaux ont été entachés par un manque de volonté manifesté par une justice sélective et un manque d'impartialité. Dans tel contexte, il sera extrêmement difficile de rendre justice aux victimes.
Le rapport appelle également à la mise en place d'un mécanisme judiciaire international distinct travaillant en tandem et en complémentarité avec la CPI.
« Ces conclusions devraient servir de signal d'alarme à la communauté internationale pour qu'elle prenne des mesures décisives afin de soutenir les survivants, leurs familles et les communautés affectées, et d'amener les auteurs présumés à prendre leur responsabilité », a déclaré Mona Rishmawi, membre experte. « Une approche globale de la justice transitionnelle est essentielle pour s'attaquer aux causes profondes du conflit et garantir l'obligation de rendre des comptes. »
Saluant les divers efforts déployés pour amener les parties à la table des négociations, M. Othman a déclaré : « le peuple soudanais mérite un avenir marqué par la paix, la prospérité et le respect des droits de l'homme ».
« La communauté internationale doit soutenir l'aspiration soudanaise à un gouvernement civil inclusif et représentatif qui respecte les droits de tous les citoyens », a déclaré M. Othman. « Ce soutien est essentiel pour favoriser la voie vers l'égalité, la justice et une paix durable au Soudan. »
Contexte : Le Conseil des droits de l'homme a établi la mission d'établissement des faits en octobre, par le biais de la résolution A/HRC/RES/54/2. En décembre 2023, le Président du Conseil des droits de l'homme a nommé Mohamed Chande Othman président de la mission d'établissement des faits, ainsi que Joy Ngozi Ezeilo et Mona Rishmawi membres. Le secrétariat de la mission d'établissement des faits est basé à l'Office des Nations Unies à Nairobi, au Kenya. La Mission d'établissement des faits a notamment pour mandat « d'enquêter et d'établir les faits, les circonstances et les causes profondes de toutes les violations des droits de l'homme, atteintes à ces droits et violations du droit international humanitaire présumées, y compris celles commises contre des réfugiés, et des crimes connexes dans le contexte du conflit armé en cours, qui a débuté le 15 avril 2023, entre les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, et d'autres parties belligérantes. La mission, qui avait été créée pour une durée initiale d'un an, a également été chargée de recueillir et d'analyser des éléments de preuve en vue d'éventuelles procédures judiciaires futures ; identifier, dans la mesure du possible, les personnes et entités responsables ; et de formuler des recommandations en vue de mettre fin à l'impunité et de garantir l’établissement des responsabilités et l'accès des victimes à la justice.
Plus d’informations sur le travail de la mission d'établissement des faits pour le Soudan sont disponibles ici.
Pour les demandes de renseignements des médias, veuillez contacter : Todd Pitman, Conseiller médias pour les missions d'enquête de l'ONU, todd.pitman@un.org / (+41) 76 691 1761.