Communiqués de presse Conseil des droits de l’homme
Burundi : la liberté d’action et l’impunité des Imbonerakure inquiètent vivement la Commission d’enquête
05 septembre 2018
Commission d’enquête sur le Burundi
Genève, 5 septembre 2018 – De graves violations des droits de l’homme, dont certaines sont constitutives de crimes contre l’humanité, ont continué à être commises au Burundi en 2017 et 2018. Dans son rapport, présenté aujourd’hui, la Commission d’enquête des Nations Unies sur le Burundi décrit des exécutions sommaires, des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants, des violences sexuelles et des disparitions forcées. La Commission s’inquiète également du rétrécissement de l’espace démocratique au Burundi, ainsi que de l’appauvrissement croissant de la population.
« Les violations que la Commission avait documentées dans son premier rapport ont perduré tout au long de l’année écoulée. Certaines pratiques, comme celles consistant à faire disparaître les corps ou à opérer de nuit, tendent à les rendre moins visibles, mais elles n’en sont pas moins réelles », déplore Doudou Diène, Président de la Commission d’enquête. « Le référendum constitutionnel organisé en mai 2018 et la campagne pour les élections à venir en 2020 ont en particulier donné lieu à des persécutions, menaces et intimidations à l’encontre des personnes soupçonnées de s’opposer au Gouvernement ou de ne pas partager la ligne du parti au pouvoir, que cela soit avéré ou non. »
La Commission fonde ses conclusions sur quelque 900 témoignages de victimes de violations des droits de l’homme, de témoins et d’auteurs présumés de tels actes, dont plus de 400 recueillis au cours de l’année écoulée. Le Gouvernement du Burundi a, cette année encore, refusé tout dialogue et toute coopération avec la Commission d’enquête, en dépit des requêtes et initiatives répétées de cette dernière.
« Les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, les Imbonerakure, ont pris une importance croissante dans la répression, hors de tout cadre légal et dans une impunité quasi totale. La Commission a pu établir qu’ils agissent avec l’aval et sous le contrôle effectif de l’Etat burundais », affirme Françoise Hampson, membre de la Commission d’enquête. « Les Imbonerakure harcèlent, contrôlent et intimident la population et de nombreuses violations des droits de l’homme leur sont imputables. Ils opèrent souvent aux côtés ou en collaboration avec la police et le Service national de renseignement (SNR), qui restent les organes étatiques les plus impliqués dans les violations graves des droits de l’homme commises au Burundi. »
Le renforcement du rôle joué par les Imbonerakure s’inscrit dans un contexte d’embrigadement de la population, destiné à faire taire toute forme d’opposition. « Le contrôle exercé sur les Burundais par le pouvoir en place et les Imbonerakure s’est fortement accru et se ressent dans tous les aspects de la vie quotidienne. Les libertés publiques – à commencer par les libertés d’expression, d’association et de circulation – sont aujourd’hui très restreintes au Burundi », relève Françoise Hampson. « Un grand nombre de journalistes indépendants sont toujours en exil et d’autres les ont rejoints cette année. Le sort réservé aux défenseurs des droits de l’homme est également très inquiétant, comme l’a montré la récente condamnation à 32 ans de prison de Germain Rukuki au terme d’un procès inéquitable. »
La crise politique qui sévit depuis avril 2015 a aussi eu un impact très négatif sur les conditions de vie des Burundais et sur le respect de leurs droits économiques et sociaux. « De pays en phase de développement, le Burundi est redevenu un pays d’urgence humanitaire : les besoins en matière d’alimentation, d’eau et de santé d’une portion de plus en plus grande de la population ne sont pas couverts », explique Lucy Asuagbor, membre de la Commission. « Le Gouvernement a contribué à cet appauvrissement, en multipliant les taxes et contributions, prélevées de gré ou de force, comme celles instaurées pour financer les élections de 2020. Il a augmenté les ressources allouées à la défense et à la sécurité – et en particulier aux organes étatiques impliqués dans des violations graves des droits de l’homme – au détriment des dépenses sociales. La corruption et le détournement des deniers publics, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, n’ont fait qu’aggraver encore la situation. »
Les violations des droits de l’homme documentées par la Commission d’enquête ont été favorisées par des appels récurrents à la haine et à la violence, y compris de la part du Président de la République. Elles se sont déroulées dans un climat général d’impunité. « Le système judiciaire burundais n’a ni la volonté ni la capacité d’établir les responsabilités et de poursuivre les auteurs de violations », estime Doudou Diène. « Il est aujourd’hui un outil de répression utilisé par le pouvoir exécutif contre toute forme de contestation ou d’opposition. Au lieu de faire respecter les lois, garantir le respect des droits fondamentaux et d’établir les torts, les institutions judiciaires servent à couvrir les crimes et violations des droits de l’homme commis par la police, le SNR et les Imbonerakure, en leur offrant l’impunité. »
La Commission a établi une liste d’auteurs présumés de crimes contre l’humanité. Elle pourra être mise à la disposition de tout organe ou juridiction qui mènera des enquêtes indépendantes et crédibles sur les violations et atteintes aux droits de l’homme commises au Burundi et qui garantira la protection des témoins.
La Commission en appelle à toutes les parties burundaises concernées pour que cessent immédiatement les violations et atteintes aux droits de l’homme. Elle demande au Gouvernement du Burundi de poursuivre les agents de l’Etat et les Imbonerakure impliqués dans ces actes. La Commission l’invite également à « engager une réforme en profondeur du système judiciaire, afin de garantir son indépendance, son impartialité et son effectivité » et à réformer le secteur de la sécurité, responsable de nombreuses violations des droits de l’homme.
La Commission d’enquête sur le Burundi demande par ailleurs au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies de prolonger son mandat pour une année supplémentaire. « Notre Commission est aujourd’hui le seul mécanisme international à enquêter de manière indépendante et impartiale sur les violations et atteintes aux droits de l’homme commises au Burundi et à en identifier les auteurs présumés », note Doudou Diène. « Il est d’autant plus important de poursuivre ce travail que le Burundi se prépare à de nouvelles élections, en 2020, ce qui donne d’ores et déjà lieu à des abus et violations des droits de l’homme. »
ENDS
Background
La Commission d’enquête sur le Burundi a été créée, le 30 septembre 2016, par la résolution 33/24 du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Elle a pour mandat de mener une enquête approfondie sur les violations et atteintes aux droits de l’homme commises au Burundi depuis avril 2015, d’en identifier les auteurs présumés et de formuler des recommandations. Son mandat a été renouvelé, pour une année supplémentaire, le 29 septembre 2017.
La Commission compte trois membres : Doudou Diène (Sénégal), Lucy Asuagbor (Cameroun) et Françoise Hampson (Royaume-Uni).
La Commission d’enquête présentera son rapport final au Conseil des droits de l’homme, lors d’un dialogue interactif qui se déroulera le 17 septembre prochain à Genève.
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Une conférence de presse réunissant deux des trois membres de la Commission d’enquête sera diffusée en direct de Genève, le 5 septembre, dès 11h00 : http://webtv.un.org/
Le rapport, accompagné de questions-réponses et d’extraits de témoignages de victimes, sera disponible dès 10h45h sur :
https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/CoIBurundiReportHRC39.aspx
Pour plus d’informations sur les membres de la Commission d’enquête :
https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/HRC/CoIBurundi/Pages/Commissioners.aspx
Le texte de la résolution A/HRC/RES/33/24 est disponible à l’adresse suivante : http://ap.ohchr.org/documents/dpage_e.aspx?si=A/HRC/RES/33/24
Media contact: (Geneva) Claire Kaplun, Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR), Tel: +41-2 917 9056, email: ckaplun@ohchr.org
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