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Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Des migrants renvoyés sont détroussés, violés et assassinés en Libye

08 Septembre 2017

Opinion de Zeid Ra'ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

8 septembre 2017

La semaine dernière, à Paris, sept chefs d'Etat ou de gouvernement européens et africains ont adopté un plan d'action sur la migration et l'asile, lié aux mouvements d'Afrique subsaharienne vers l'Europe via la Libye. La déclaration finale reconnait une responsabilité partagée pour remédier aux causes profondes de la migration irrégulière et aux atteintes aux droits de l'homme auxquelles les migrants sont confrontés, la nécessité de protéger ceux qui en ont besoin et le soutien à la contribution de la migration régulière et bien organisée.

Ces engagements sont importants, mais ne cachent pas pour autant le fait que le plan vise principalement à arrêter les personnes en route vers l'Europe.

Il n'y a pas de solution simple à ces questions particulièrement complexes, pas de remède miracle pouvant concilier les pressions incitant les personnes à échapper à la guerre, à la persécution ou à la pauvreté, aux changements climatiques et autres catastrophes causées par l'homme, avec la réticence des nations européennes à accepter un grand nombre de migrants et de réfugiés.

L'absence d'un plan détaillé pour aborder la tragédie humaine qui se poursuit à l’abri des regards en Libye et le long de ses côtes est peut-être l'omission la plus inquiétante dans le document de Paris.

En décembre dernier, un rapport publié conjointement par mon bureau et la Mission d'appui des Nations Unies en Libye détaillait les horribles violations et abus dont sont victimes les migrants dans les centres de détention officiels et non officiels en Libye. Ce rapport avait suscité une certaine attention à l'époque, mais on a la mémoire courte lorsque les faits dérangent.

Neuf mois plus tard, la situation s'est encore détériorée. De nombreuses allégations nous parviennent, dépassant notre capacité à les vérifier. Il est fait état de corps dans le désert, dans la forêt, sur les plages. Le personnel des droits de l'homme aux Nations Unies est en contact avec des morgues dans diverses villes, qui se plaignent qu’elles manquent de place pour entreposer tous les corps. Certains migrants meurent de soif, de faim ou de maladies faciles à guérir, d'autres sont torturés ou battus à mort alors qu'ils sont soumis au travail forcé, tandis que d'autres encore sont juste assassinés.

Leurs corps non identifiés sont enterrés dans des tombes anonymes. D'autres disparaissent tout simplement, sans trace, dans l'indifférence, tandis que quelque part dans un pays lointain au sud du Sahara, des parents attendent anxieusement des nouvelles qu'ils ne recevront jamais. À l'exception de ces derniers, presque personne ne semble s'en soucier.

Notre personnel documente également le viol de femmes en détention. Ils parviennent à rencontrer des femmes qui sont enfermées toute la journée par des hommes – les mêmes hommes qui organisent leur viol de nuit. Dans certains cas, toutes les nuits. Nous parlons à ces femmes, mais nous sommes dans l’incapacité de les sortir de cette horrible situation. Ces viols sont endémiques. Pourtant, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Libye – malgré des rapports comme le nôtre en décembre dernier, ou des articles comme celui-ci – presque personne ne semble s'en soucier.

Nous ne recevons que des informations sommaires. Nous n'entendons parler que de certaines régions du pays. L'accès à d'autres zones est trop dangereux, que ce soit pour le personnel des Nations Unies que pour toute autre personne qui pourrait transmettre des informations. Nous ne pouvons même pas imaginer l'ampleur des abus infligés aux migrants dans tous ces endroits à l’abri des regards et qui échappent au respect de la loi. La situation des migrants qui traversent la Libye était déjà épouvantable à l'époque de Kadhafi, mais elle est devenue infernale depuis.

Et c'est là tout le dilemme – moral et juridique – de l'UE. Lorsque nous nous sommes entretenus avec des migrants en Italie, nous avons constaté que nombre d'entre eux avaient été capturés par les Garde côtes libyens lors de leurs premières tentatives d'évasion. Cela ne les a pas empêchés de chercher à tout prix à rejoindre l'Europe. Cela les a juste rendus plus désespérés encore lorsqu'ils étaient à nouveau livrés aux mains des miliciens et fonctionnaires qui les exploitaient et les maltraitaient. Le renvoi des migrants dans des centres de détention où ils sont retenus arbitrairement et sont victimes de torture, de viol et d'autres graves violations des droits de l'homme constitue une atteinte manifeste au droit international interdisant le ‘non-refoulement’.

L'Union européenne, et l'Italie en particulier, se sont engagées à soutenir les Garde côtes libyens – des garde-côtes qui ont tiré sur des bateaux d'ONG alors qu'ils essayaient de sauver des migrants de la noyade – de sorte que les ONG doivent maintenant intervenir beaucoup plus loin en mer. Des garde-côtes qui sauvent parfois des migrants en détresse – mais qui choisissent parfois de ne pas le faire. Tout comme les miliciens à terre, Il arrive parfois que des garde-côtes battent, détroussent et même tirent sur les migrants qu'ils interceptent. Certaines autorités européennes minimisent le comportement des garde-côtes qui mettent en danger des êtres humains, tout en critiquant les ONG qui essaient de les sauver.

Hier, 7 septembre, la présidente d'une de ces ONG, Joanne Liu de Médecins Sans Frontières a publié une lettre ouverte dans laquelle elle décrit les conditions infernales qu'elle et ses collègues ont découverts dans les centres de détention et dénonce ce qu'elle appelle la " complicité cynique " de ceux qui soutiennent le renvoi des migrants en Libye tout en fermant les yeux sur ce qui se passe là-bas. Je soutiens pleinement son analyse et je partage son écœurement sur cette situation.

Je ne souhaite pas minimiser l'importance de l'accord de Paris, qui reconnait qu'une réponse globale à cette situation complexe est nécessaire. Toutefois, cet accord aborde à peine la protection des droits de l'homme des migrants en Libye et sur les bateaux, et reste silencieux sur le besoin urgent d'alternatives à la détention arbitraire de personnes vulnérables.

Des actions sérieuses doivent être prises pour protéger les centaines de milliers de migrants amassés en Libye, alors que des innocents continuent de mourir ou d'être maltraités tous les jours, sur terre et en mer. Nous ne devons pas continuer à détourner notre regard de cette réalité brutale.