Communiqués de presse Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Allocution d’ouverture de la Conférence de Presse du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, à l’occasion de sa mission en République démocratique du Congo
RDC/Visite du Haut-Commissaire
21 juillet 2016
Je suis reconnaissant au Gouvernement de la République démocratique du Congo de m’avoir invité à visiter ce pays à un moment si important.
Ces derniers jours, j’ai écouté avec attention de nombreuses voix. Je regrette de n'avoir pas pu rencontrer le Président Joseph Kabila, mais il se pourrait que cette rencontre ait lieu dans quelques heures. J'ai pu cependant rencontrer le Premier Ministre Augustin Matata Ponyo, ainsi que le Président de l’Assemblée nationale, les Ministres de la défense, de la justice et des droits humains, le Chef de l'Agence nationale de renseignements ANR, le Commissaire principale de la police, la Représentante personnelle du Président en matière de lutte contre les violences sexuelles et le recrutement des enfants, ainsi que des membres de la Commission nationale des droits de l’homme.
A Goma et à Bukavu, j’ai été reçu par le Vice-Gouverneur du Nord-Kivu et le Gouverneur du Sud-Kivu, respectivement. J’ai aussi pu m’entretenir avec des survivantes de violences sexuelles à l’hôpital de Panzi, à Bukavu, où j'ai pu renouer mon dialogue avec le Dr Denis Mukwege. Dernier élément, et non des moindres, j'ai pu, dans chaque lieu visité, rencontrer des défenseurs des droits de l'homme et des membres de la société civile et de la communauté onusienne.
Ma visite coïncide avec le 20eme anniversaire de la présence de mon bureau en RDC, une relation caractérisée par l'ouverture et l'honnêteté comme tout vrai partenariat devrait l'être, même à des moments ou les désaccords peuvent être aigus. Celle-ci est notre plus grande présence sur le terrain. Nous nous sentons privilégiés d'avoir l'opportunité de servir la population et le Gouvernement de la RDC et notre engagement perdure.
J’ai débuté ma visite dans les provinces de l’est qui ont connu, à travers l'histoire, tant de massacres et de destruction. Bien que plusieurs groupes armés étrangers et nationaux continuent à infliger des violences sexuelles aux femmes et aux filles dans l’est – y compris à de très jeunes enfants – l'incidence générale de ces crimes semble diminuer. Je salue le Président Kabila pour l'engagement personnel dont il fait preuve pour assurer que justice soit rendue dans les cas de violence sexuelle commis par les forces de sécurité. Trente-cinq auteurs parmi les forces de sécurité et les officiels publics ont été poursuivis et condamnés depuis le début de l’année. A Kavumu et Kalehe, les autorités ont rapidement réagi aux informations que nous leur avons transmises et ont initié des enquêtes et poursuites, y compris dans des cas impliquant des hauts gradés. Si elle est réellement suivie des faits, cette volonté d'enquêter et de condamner les auteurs de violence sexuelle, quelque soit leur rang, peut avoir un impact décisif dans la prévention de ces crimes.
J’encourage aussi les autorités à agir pour garantir que les victimes reçoivent des soins adéquats sur le long terme, ainsi que la protection contre d'éventuels représailles, des réparations provenant d’un fonds national, et la reconnaissance de la part des autorités des crimes et des manquements dans les mesures de protection dont elles ont souffert. Lors de ma rencontre avec plusieurs femmes à l’hôpital de Panzi mardi, j’ai été profondément ému par la dignité avec laquelle elles ont demandé un mémorial en souvenir des morts et des souffrances infligées à leurs communautés.
Ces femmes, qui représentent tant d’autres victimes, doivent savoir qu’on les reconnait et que tout sera mis en œuvre pour s'assurer que ces violations extrêmement répugnante ne se répètent pas. Au cours de mes voyages à travers le monde, j’ai souvent observé cela: ce n’est que lorsque les victimes de violations des droits de l’homme sont traitées avec dignité par l’Etat qu’une paix durable est possible. Leurs voix doivent être entendues. En fin de compte, pour déterminer quand suffisamment d'actions par l'Etat ont été prises, il importe moins ce que je dis ou ce que les autorités disent, c'est seulement les victimes qui peuvent faire cette évaluation et qui peuvent décider si la réconciliation est authentique ou seulement une façade.
Face à de sérieuses allégations de violences sexuelles à l'égard des forces congolaises de maintien de la paix en République Centre Africaine, le Gouvernement a fait des efforts appréciables pour enquêter et traduire en justice plusieurs de ses casques bleus à leur retour dans le pays. Ces efforts sont d'autant plus remarquables que beaucoup d'autres pays sont réticents à prendre de telles mesures dans des situations similaires. Mon bureau est prêt à appuyer les efforts du Gouvernement dans ce sens.
Les avancées importantes réalisées dans le domaine de la lutte contre l’impunité des violences sexuelles reflètent des progrès plus larges réalisés en RDC depuis ma première visite, en 2004, dans le cadre d’autres fonctions. Le chemin vers la paix et la démocratie a été tracé, bien qu'imparfaitement. Il y a eu deux élections présidentielles – les premières dans l’histoire du pays – avec quelques progrès en termes de droits économiques et sociaux. Nous reconnaissons également des mesures clefs dans la réforme de la justice. Tout ceci constitue une avancée importante pour le peuple congolais, après tant d’années de tourments et de destruction, et je tiens à féliciter les Congolais pour ces réalisations.
Il semble toutefois qu’aujourd’hui ces avancées puissent être en danger. Alors que des échéances électorales cruciales approchent, la tension monte. Je reçois des rapports faisant état d'une augmentation des violations des droits civils et politiques fondamentaux par des acteurs étatiques. Celles-ci incluent des violations de la liberté d’expression et de réunion pacifique, des droits pourtant ancrés dans des traités internationaux juridiquement contraignants auxquels la RDC est partie, et qui sont inscrits dans la Constitution congolaise. L’espace public pour l’expression des voix dissidentes est maintenant clairement sous pression.
Je vois ceci comme un moment charnière. Ce pays a des atouts formidables, y compris le dynamisme et l’ingéniosité légendaires de son peuple. Si elle parvient à enclencher une dynamique en matière de droits de l’homme, de démocratie et d’état de droit pour tous, la RDC peut façonner une société avec une force et une cohésion nouvelles, une société qui peut véritablement bénéficier à l’ensemble de sa population. Mais si le pays tombe dans la répression, la méfiance et les griefs croissants, les incertitudes politiques actuelles pourraient conduire à une crise grave pouvant détruire des nombreuses avancées réalisées par le peuple congolais.
Je suis très préoccupé par les rapports faisant état d’un harcèlement croissant des représentants de la société civile et des journalistes, de la répression des voix qui s’opposent au gouvernement et des dispersions excessives et parfois mortelles de manifestations. Nous avons documenté plus de 800 victimes de telles violations entre juin 2015 et mai 2016, ce qui indique une tendance vers l'accélération. Je condamne les pertes de vie lors de manifestations à Butembo, Goma, Kinshasa et ailleurs, et je note avec préoccupation les arrestations arbitraires, actes d’intimidation et de répression dans les grandes villes du pays.
J'ai écouté très attentivement les observations faites par les officiers haut gradés des services de sécurité, et je prends bonne note de leurs assurances d'un plein respect de droit international des droits de l'homme. Cependant, ce respect doit pouvoir trouver son expression dans les rues, les marches et les lieux de rassemblement de la vie quotidienne de ce pays - et je continuerai à suivre cette situation avec grande attention.
Je suis troublé par les nombreux rapports de l'application d'une pratique du deux poids, deux mesures, concernant les rassemblements publiques. Les manifestations et réunions organisées par l’opposition et par la société civile sont souvent entravées ou réprimées, alors que celles organisées par la majorité présidentielle se déroulent généralement sans obstruction. J’ai aussi des préoccupations de longue date et toujours d’actualité concernant d'apparentes interférences politiques dans le système judiciaire, dont des violations du droit à un procès équitable, et des poursuites injustifiées à l’encontre des voix dissidentes. De plus, je suis préoccupé par la sévérité disproportionnée des peines prononcées dans de nombreux cas.
Je souhaite souligner, comme je le fais à travers le monde, que la société civile, les défenseurs des droits de l'homme et les institutions nationales des droits de l’homme sont les fondations essentielles sur lesquelles des sociétés fortes et sûres peuvent prospérer. Les personnes doivent sentir qu’elles prennent part aux institutions décisionnelles et que leurs voix sont respectées.
Pour surmonter les nombreux défis auxquels est confronté le pays, il faut un dialogue ouvert et honnête. Le Président a appelé à un dialogue national relatif aux élections à venir. Je soutiens cet appel. Cependant, ce dialogue est tout simplement impossible dans une atmosphère qui étouffent la discussion et l'expression de griefs et d'opinions; et ou des médias indépendants et le respect des libertés fondamentales sont menacés. Le respect des droits de l’homme pour tous est essentiel a tout dialogue inclusif et crédible et c'est pourquoi il doit être au centre de celui prévu en RDC. Il faut des garanties juridiques qui permettent aux personnes d'exprimer leurs points de vue et de travailler ensemble, sans craintes de représailles des forces de sécurité ou des autorités judiciaires. La jeunesse congolaise est l’un des plus grands atouts de ce pays, si riche en ressources. Les jeunes doivent être encouragés à contribuer - et ceux qui s'expriment ne doivent pas être forcés de se taire ni punis pour avoir exprimé une opinion dissidente.
Comme je l’ai dit, à maintes occasions, au cours de la semaine, - et ces déclarations valent pour chaque pays, pas seulement en Afrique, mais à travers le monde entier -, les opposants aussi ont des droits. Les critiques ou les divergences ne constituent pas une subversion. Les gens qui expriment simplement leurs opinions ne menacent pas l’Etat.
Lorsqu’il y a une activité criminelle, y compris l'incitation claire à la violence, alors des enquêtes et poursuites judiciaires doivent suivre - mais lorsqu'il y a des opinions divergentes sur ces allégations, seulement l’adhésion à un état de droit transparent, effectif et impartial peut apporter toute la clarté requise. Personne n'est au-dessus de la loi. Les partis politiques doivent jouer leur rôle et ne pas alimenter un climat de peur, mais plutôt chercher à s’assurer que leurs militants évitent l'incitation ou participation dans des actes violents.
J’exhorte aussi les forces de police à s’abstenir de toute utilisation de la force létale lors de manifestations pacifiques. La gestion des foules doit obéir aux principes de nécessité et de proportionnalité. La force létale ne doit être utilisée que lorsque des personnes sont exposées à une menace imminente de mort; et, si l’action de la police conduite a des morts ou des blessés graves, une enquête détaillée et transparente doit être menée, ainsi que d’autres actions si nécessaires sans délai. Je suis particulièrement heureux des efforts de la MONUSCO pour aider à former des unités de police dans l’utilisation de mesures non létales pour contrôler les foules, en conformité avec la politique des Nations Unies de diligence voulue en droits de l'homme.
Au cours des discussions que j’ai pues avoir cette semaine, je prends acte de plusieurs engagements pris par les autorités. Je ne serais satisfait que lorsque ces engagements se matérialiseront. Tout d'abord, je note l’engagement d'intensifier notre coopération en matière de droits de l’homme. A cet égard, je soumettrais une liste de personnes détenues qui selon nous, devraient être immédiatement relâchées. J'ai été informe que désormais les détenus seront rapidement transférés des cachots de l'ANR vers les centres de détention réguliers ou les magistrats civils détermineront le statut de leur dossier. Je suivrais avec attention ces développements.
J’ai également l’espoir que l’on nous accorde maintenant un accès illimité et sans entrave aux centres de détention placés sous la responsabilité de l’Agence nationale du renseignement (ANR).
En outre, j’ai été informé cette semaine de nouvelles règles applicables à l’échelle du pays concernant l’utilisation obligatoire de techniques non létales pour contrôler les mouvements de foule par la police. Je me félicite de cette mesure et observerai son application.
Le Ministre de la justice m’a également informé qu’un moratoire sur la peine de mort était en cours d’examen et, il y a quelques semaines, le Vice-Ministre des droits humains a déclaré publiquement que toutes les peines de mort seraient commuées soit en peine d’emprisonnement à vie – 20 ans de prison – soit en travail forcé. Ce sont des mesures importantes qui vont dans le bon sens.
J’ai formulé plusieurs recommandations en ce qui concerne la justice militaire. J’ai demandé que des mesures soient prises pour permettre d’engager des poursuites selon le principe de la responsabilité de commandement pour des violations des droits de l’homme, notamment les violences sexuelles. En outre, j’ai encouragé des mesures visant à s’assurer que les tribunaux militaires ne subissent pas les ingérences du commandement militaire.
Le Président de l'Assemblée nationale m'a informé que la législation visant spécifiquement à protéger les défenseurs des droits de l’homme en RDC sera adoptée dès que possible au cours de la prochaine session parlementaire. Par ailleurs, j’attends avec impatience de nouveaux progrès vers une Commission nationale des droits de l’homme indépendante et active.
La RDC a ratifié sept des neuf principaux instruments relatifs aux droits de l’homme. Je demande aux autorités d’harmoniser pleinement la législation nationale pour tenir compte de ces engagements et mettre en œuvre cette législation à tous les niveaux. Je demande également aux autorités de ratifier les autres traités et protocoles relatifs aux droits de l’homme, dont la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, et de soumettre leurs rapports conformément.
En ce qui concerne la situation dans les provinces situées dans l’est du pays, il est essentiel de mettre fin à la violence impitoyable et aux activités illégales des groupes armés. Il faudrait renforcer considérablement l’appui à ces efforts, ainsi qu’au désarmement, à la démobilisation et à la réintégration des anciens combattants. En outre, je demande une enquête bien plus approfondie sur les allégations de collusion avec ces groupes par les acteurs étatiques. Dans pareils cas, et dans bien d’autres situations, je dois insister sur le fait que les personnes qui sont impliquées dans des violations des droits de l’homme peuvent et devraient être tenues responsables de leurs actes.
J’espère également qu’à l’avenir, il pourra y avoir d’enquêtes plus poussées sur les liens qui pourraient exister entre des entreprises et des groupes armés pouvant se servir d’atteintes aux droits de l’homme, notamment de violences sexuelles, pour intimider les communautés ou les chasser de leurs terres. Il doit être clair que les personnes et les entreprises, telles que des multinationales, qui tirent profit des actes de violence commis par les groupes armés ou s’y associent, pourraient être jugées pénalement responsables.
Je me félicite de la promulgation d’un décret provincial au Sud-Kivu protégeant les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes et, dans l’attente de l’adoption d’une loi nationale, j’encourage d’autres provinces à promulguer de tels décrets.
J’ai également demandé aux autorités du Nord-Kivu de coordonner avec les acteurs humanitaires en ce qui concerne la fermeture des sites accueillant des personnes déplacées à l’intérieur de leur pays, afin qu’elles n’exacerbent pas les vulnérabilités existantes ou n’en créent pas de nouvelles.
Je salue par ailleurs l’accueil d’environ 25 000 réfugiés venant du Burundi ces derniers mois. Dans une époque de crise migratoire, c’est une leçon pour bien des pays plus riches qui font preuve de beaucoup moins de compassion.
En fin de compte, seul le Gouvernement de la RDC peut agir pour façonner l’avenir de ce pays. Moi-même et mes collègues de l’ONU nous nous tenons prêts à appuyer toute mesure destinée à mettre la RDC sur la voie de plus grandes libertés, et à en faire une société plus respectueuse de l’égalité et de la primauté du droit. Il est important de ne pas oublier les femmes qui constituent la moitié de la société et qui souffrent de discriminations généralisées. Nous ne devons pas non plus oublier les droits de ceux qui sont particulièrement vulnérables: les personnes vivant avec handicap, les personnes âgées, les enfants et les personnes vivant avec l'albinisme, entre autres. Ce pays jouit d'une abondance impressionnante et son peuple est confronté à d'importantes souffrances. C'est une grande nation. Son peuple a exactement les mêmes droits que tout autre peuple dans le monde – notamment le droit de se faire entendre et de participer aux décisions.
Je vous remercie pour votre accueil et j'aimerais saluer en particulier le travail exceptionnel et dévoué de mon équipe.
FIN
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