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Communiqués de presse Procédures spéciales

LE RAPPORTEUR SPECIAL SUR LA TORTURE TERMINE SA VISITE EN GUINEE EQUATORIAL

18 Novembre 2008



18 novembre 2008. Suite à sa mission en Guinée Equatoriale du 9 – 18 novembre 2008, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Manfred Nowak, a publié la déclaration suivante aujourd’hui :

“ J´aimerais exprimer mon appréciation au Gouvernement de la Guinée Equatoriale pour m´avoir invité à réaliser une mission d´établissement des faits dans ce pays. Cette invitation démontre que le Gouvernement de la Guinée Equatoriale est prêt à se soumette à une évaluation indépendante et objective de la situation de la torture et des mauvais traitements – des pratiques desquelles aucun pays n’est épargné.

Je remercie mes interlocuteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux à Malabo et à Bata. J´ai visité les prisons et les commissariats de la police et de la gendarmerie dans plusieurs villes sur l´Ile de Bioko et dans la région de Rio Muni. Une liste complète des réunions tenues et des lieux de détention visités est annexée à cette déclaration.

En général, la torture et les mauvais traitements se passent derrière des portes fermées. Pour cette raison, afin de pouvoir découvrir cette pratique, il est indispensable que je puisse effectuer des visites inopinées dans tous les lieux de détention et que je puisse mener des entretiens confidentiels avec les détenus.

Je remercie le Gouvernement pour la coopération qu’il m´a offerte avant et pendant cette visite. Néanmoins, je regrette que, je n´ai eu accès à aucun lieu de détention sous autorité militaire et que l´accès à d´autres institutions a été retardé voire refusé à plusieurs reprises, ce qui constitue une violation des modalités applicables à mes missions en tant que Rapporteur Spécial des Nations Unies.

Sur la base d´une analyse du système juridique, mes visites des lieux de détention, des entretiens avec des détenus, des preuves basées sur des analyses réalisées par un médecine légiste, et des réunions avec les autorités, des avocats et des représentants de la société civile, j´aimerais vous faire part des observations suivantes:


Actes de torture et mauvais traitements

(a) Garde à vue

J´ai constaté que la torture est pratiquée de manière systématique par la police contre les personnes qui refusent de « coopérer » - des détenus politiques ainsi que des personnes soupçonnées d´avoir commis des crimes de droit commun, en particulier dans les commissariats de Police à Bata et à Malabo. Il semble que la gendarmerie a moins fréquemment recours à la torture. Je n´étais pas en mesure de vérifier certaines allégations de torture commis par les militaires puisque l´accès aux installations militaires ne m´a pas été accordé.

Parmi les méthodes d´abus qui m´ont été rapportées et qui ont été confirmées par un médecin légiste ainsi que par des preuves découvertes dans les commissariats respectifs, j’ai constaté ce qui suit: des coups sur différentes parties du corps, mais souvent sur la plante des pieds et/ou sur les fesses avec des bâtons de police, avec des câbles solides en caoutchouc et avec des bâtons en bois; des décharges électriques provoqués par des câbles de démarrage de voiture attachés à diverses parties du corps par moyen de pinces, plusieurs formes de suspension avec pieds et mains attachés, (méthode « Ethiopienne » parmi d´autres), pendant des périodes prolongées. Pendant qu’ils sont suspendus, les détenus sont balancés et/ou frappés. En plus, des objets lourds, (batteries de voitures entre autres) sont placés sur le dos des détenus. Parfois on leur couvre les yeux avec un bandeau ou on les oblige à respirer la fumée d´une bougie. Dans la plupart des cas, la torture est appliquée afin de leur arracher des aveux ou des informations des détenus, mais parfois aussi pour les intimider et les punir ou pour leur extorquer de l´argent.

Je suis préoccupé par des possibles représailles contre des détenus qui ont parlé avec moi, en particulier dans les commissariats de la police à Malabo et à Bata. Le fait que l´accès à ces deux lieux de détention m´a été refusé quand j´y suis allé pour une visite de suivi renforce mes préoccupations.

(b) Prisons

J´ai été saisi de nombreuses allégations de châtiments corporels, une pratique courante dans les prisons de Bata et de Black Beach à Malabo, appliquée par les gardes de prison devant les autres prisonniers. Néanmoins, je me félicite d´apprendre que les châtiments corporels ne s´appliquent plus depuis plusieurs mois dans la prison de Evinayong.


Conditions de détention

a) Garde à vue par la police/gendarmerie

Avec l´exception du commissariat de police à Bata, de construction récente, les lieux de garde à vue sont dans un état déplorable. Les cellules sont sales, humides et manquent d´installations sanitaires et de matelas. En principe, la nourriture est fournie par la famille ou par d´autres prisonniers, l´accès à de l´eau pour boire et pour se laver est extrêmement limité; en général, les détenus ne sont pas autorisés à utiliser les toilettes, mais sont obligés de se servir de bouteilles et de sacs en plastique pour leurs besoin; ils n´ont pas de possibilités de sortir pour des exercices et n´ont pas accès aux soins médicaux. Je suis également très préoccupé par des allégations de violence entre les détenus, Souvent cette situation est toléré par les autorités.

Beaucoup d´individus sont détenus en garde à vue au-delà du délai de 72 heures stipulé par la loi, parfois même plusieurs mois, circonstance qui exacerbe la situation et correspond à un traitement inhumain et dégradant.

b) Prisons

En général, les prisons sont assez spacieuses, quoique dans une aile de la prison de Black Beach et dans la prison de Bata les détenus doivent partager des lits pendant des périodes de pointe.
Une préoccupation majeure en ce qui concerne la prison de Black Beach est le fait que les visites sont interdites (à l´exception de quelques prisonniers). Je souhaite souligner que le contact avec le monde extérieur est un élément clé pour assurer une réhabilitation et réintégration réussie aux détenus comme stipulé par l´Article 10 du Pacte des Droits Civils et Politiques.

Dans toutes les prisons j´ai reçu de nombreuses plaintes concernant la nourriture, qui est insuffisante si elle n´est pas complétée par les familles des détenus. En dépit du fait que dans la prison de Black Beach les médecins de service peuvent traiter des problèmes de santé de moindre gravité, l´accès au soins médicaux et aux médicaments est extrêmement limité, et dans les prisons de Bata et Evinayong il n´y a aucun accès. Les maladies sérieuses ne sont en général pas traitées si le détenu n’a pas les moyens de payer.

Le fait que certains prisonniers politiques sont détenus en isolation pour de longues périodes allant jusqu’à quatre ans sans pouvoir sortir pour faire des exercices physiques pendant une heure par jour comme prévu par les normes internationales minima est problématique. En plus, les pieds des détenus sont attachés par des chaînes pratiquement 24 heures par jour. La détention prolongée en isolation et l´utilisation de chaînes constitue un traitement inhumain.

Des allégations concernant des personnes détenues incommunicado et dans des lieux secrets me sont parvenues de différentes sources, mais je n`ai pas pu les vérifier à cause d´un manque d´accès.

c) Groupes vulnérables

Je suis particulièrement préoccupé par le fait que les immigrés en détention en vue de refoulement restent souvent en garde à vue pendant de longues périodes, sans accès à la nourriture et/ou à de l’eau parce qu´ils n´ont pas de familles qui peuvent leur apporter un soutien.
Leur possibilités de contacter les représentations consulaires de leurs pays sont limitées. J´ai également reçu des allégations crédibles selon lesquelles les immigrés courent un risque élevé d´être soumis à des pratiques discriminatoires et parfois même à des abus physiques par d´autres détenus avec l´accord tacite de la police.

Dans les prisons ainsi que dans les locaux de détention des commissariats de police et de gendarmerie, les femmes et les enfants, ne sont pas sépares des hommes, et par conséquent sont extrêmement vulnérables à la violence sexuelle et à d´autres formes d´abus, ce qui constitue une violation manifeste des normes internationales.

Le dysfonctionnement de l’administration de la justice

Le contexte qui donne lieu à une situation où la torture est pratiquée sans relâche est caractérisé par le dysfonctionnement de l’administration de la justice et par l’absence d´un état de droit. Les facteurs qui contribuent à cette situation sont les suivants:

Le manque d´un système de justice indépendant;
La corruption endémique;
La détention arbitraire est fréquente et la procédure de habeas corpus n´est absolument pas efficace;
Les fonctions et compétences des différentes unités des forces de l´ordre ne sont pas clairement définies; les forces de l´ordre sont militarisées et de fait exercent un contrôle sur le système de justice;
Les condamnations s´appuient fréquemment sur des preuves obtenues sous la torture, ce qui pousse la police à extorquer des aveux;
En dépit de la Loi 6/2006 sur la prévention et la sanction de la torture, l’impunité est quasi totale; a l’exception d’une femme policière, qui a été condamnée à une peine de prison de sept mois pour un cas de torture avec des conséquences mortelles, aucun auteur présumé de torture n’a été traduit en justice. Au contraire, des officiers dont on sait qu’ils ont régulièrement recours à la torture, poursuivent leurs carrières dans la police/gendarmerie.
J’ai été profondément surpris de constater que, dans de nombreux cas, les victimes de torture tombent dans un cercle vicieux de « re-victimisation ». Contrairement aux normes internationales, ils se trouvent dans un vide juridique, qui, allant de paire avec les conséquences physiques et psychologiques des mauvais traitements et l’absence de tout mécanisme de réhabilitation et réparation, débouche sur une souffrance permanente qui pourrait constituer un traitement inhumain.

Recommandations

Afin que la Guinée Equatoriale puisse se conformer aux obligations qui découlent des normes internationales des droits de l’homme et de sa constitution, une réforme institutionnelle et législative profonde, est nécessaire, créant des organes d´application de la loi qui reposent sur un état de droit, un système de justice indépendant et des mécanismes de suivi et des mécanismes responsables de surveillance pour combattre la torture de manière efficace.

Je recommande à la communauté internationale, ainsi qu´aux entreprises trans-nationales, d´assurer que dans leur coopération au développement et leurs activités commerciales, elles ne deviennent pas complices avec les violations de droits de l´homme commises par les autorités. Selon mon évaluation, à moins qu´un plan général établissant un système de justice soit adopté et mis en œuvre, tout projet d´envergure limitée ne serait guère utile.

Je soumettrai un rapport écrit complet comprenant mes conclusions et mes recommandations détaillées au Gouvernement de le Guinée Equatoriale avant de le présenter au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies.



M. Nowak a été nommé Rapporteur spécial le 1 décembre 2004. Il est indépendant et agit à titre individuel. La Commission des Droits de l’Homme avait nommé le premier Rapporteur Spécial sur la torture en 1985. Le mandat, récemment renouvelé par le Conseil de Droit de l’Homme, couvre tous les pays membres de l’ONU, y compris ceux qui n’ont pas ratifié la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

M. Nowak a été membre du Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires ; expert du dispositif spécial concernant les personnes disparues sur le territoire de l’Ex-Yugoslavie ; expert indépendant chargé d'étudier le cadre international actuel en matière pénale et de droits de l'homme pour la protection des personnes contre les disparitions forcées ou involontaires et juge à la Chambre des Droits de l’Homme de Bosnie-Herzégovine. Il est professeur de droit constitutionnel et des droits de l’homme à l’Université de Vienne et directeur de l’Institut Ludwig Boltzmann des Droits de l’Homme.

Pour obtenir des informations supplémentaires sur le mandat du Rapporteur spécial, visitez: http://www.ohchr.org/english/issues/torture/rapporteur/index.htm

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