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Nous devons trouver comment démanteler le monstre

Photo de Tenoch Huerta, acteur et activiste anti-raciste. © Juan Luis Lemus

Un nom a suffi pour que Tenoch Huerta prenne conscience non seulement du caractère insidieux du racisme, mais aussi du fait qu’il avait été conditionné à l’accepter.

« Le point de rupture a été lorsque ma nièce, qui avait six ans à l’époque et qui est de la même couleur de peau que moi, a été victime de fortes discriminations à l’école », a-t-il confié. « Ils l’appelaient la negra (la fille noire), mais ils ne le faisaient pas avec affection ».

Dans son enfance, la famille de M. Huerta l’appelait negrito (petit garçon noir), mais il s’agissait d’un surnom affectueux, a-t-il précisé. Il a depuis compris que ce surnom pouvait aussi blesser, lorsqu’il est utilisé comme une insulte. Sa nièce a changé d’école et est plus heureuse. Et M. Huerta a commencé à repenser sa relation avec les mots, en particulier les mots à connotation raciale, et ce qu’il pourrait faire à leur sujet.

« Beaucoup de choses se sont produites, une accumulation d’expériences, de connaissance, de réflexions », a-t-il déclaré. « C’est un processus douloureux de se rendre compte que vous avez non seulement subi de la violence, mais que vous l’avez aussi exercée. Dans mon cas, ce fut plus douloureux de reconnaitre que je l’ai exercée que reconnaitre que j’en ai été victime ».

Aujourd’hui internationalement connu pour avoir joué le rôle de Namor dans la superproduction hollywoodienne Wakanda Forever, M. Huerta est un militant antiraciste qui utilise ses plateformes médiatiques pour discuter des diverses manifestations du racisme et de la discrimination raciale, les dénoncer et parler des moyens de les combattre.

Au Mexique, M. Huerta fait partie d’une organisation nommée Poder Prieto (le pouvoir des personnes à la peau foncée), qui se concentre sur quatre domaines : la représentation, les pratiques sociales, l’information et la formation, et le droit. M. Huerta travaille dans le domaine de la représentation et est convaincu que la façon dont les personnes à la peau foncée sont représentées influence la façon dont elles sont traitées au quotidien. Le mot prieto est habituellement une expression péjorative visant les personnes de couleur au Mexique. Mais l’organisation de M. Huerta cherche à réhabiliter le terme en éliminant les connotations raciales et classistes qui l’entourent.

« Le droit d’être qui nous sommes »

« L’antiracisme n’est pas nouveau », a rappelé M. Huerta.

« [L’antiracisme] est né il y a 500 ans, lorsque les gens ont résisté à l’invasion du colonialisme », a-t-il ajouté. « Il portait d’autres noms, défense du territoire, défense de l’identité, défense de la langue, mais, au final, il s’agissait de la même chose : défendre le droit d’être qui nous sommes ».

Selon M. Huerta, le racisme et la discrimination sont tellement ancrés dans la société mexicaine qu’il est parfois difficile de les reconnaître et les affronter.

« En général, celui qui vous discrimine le plus est un membre de votre famille », a-t-il confié. « C’est votre grand-mère qui vous dit que vous devez ‘améliorer’ la race », en épousant une personne au teint plus clair. « Vous tenez cela des personnes que vous aimez le plus et vous le transmettez, c’est pourquoi il devient si douloureux de l’accepter ».

M. Huerta a reconnu qu’il lui a fallu des années pour comprendre pleinement le racisme inhérent à son éducation et à sa culture, pour l’accepter, et pour embrasser son identité et travailler quotidiennement à combattre son conditionnement culturel.

« [Devenir antiraciste] est un processus de réconciliation. C’est lent, c’est douloureux. Mais une fois que c’est fait, on se sent bien », a poursuivi M. Huerta. « Ces processus nous aident à exercer notre droit d’être heureux ».

« Beaucoup de mélanine sur l’écran »

La carrière d’acteur de M. Huerta a commencé en 2006 au Mexique où il tourna dans plusieurs films et séries télévisées jusqu’à ce qu’il décroche le rôle principal dans Días de Gloria (2011), réalisé par Everardo Gout. Ce même réalisateur lui confie, en 2021, le rôle principal du cinquième volet de la franchise hollywoodienne The Purge, intitulé The Forever Purge. Ce rôle ajoute à la notoriété régionale de M. Huerta, obtenue grâce à son rôle dans la série Narcos Mexico (2018). Puis est venu Wakanda Forever.

Selon M. Huerta, au Mexique, les acteurs au teint foncé étaient toujours cantonnés à des rôles de voleurs, de personnes vivant dans la pauvreté, de criminels, etc., sans que leurs personnages ne soient développés ou n’aient d’influence sur l’intrigue.

Des producteurs, des réalisateurs, des cinéastes ont dit à M. Huerta que la représentation juste des personnes de couleur dans les films était un défi difficile à relever. Il a répondu que ce n’était pas vrai.

La représentation est devenue une question inutilement problématique,

a-t-il affirmé.

Il a cité en exemple le casting d’une femme noire pour jouer le rôle d’Ariel dans une nouvelle version filmée de La Petite Sirène. Le tollé suscité par ce choix est venu en grande partie de personnes de plus de 40 ans, qui ont déclaré que ce casting avait « ruiné leur enfance », a expliqué M. Huerta. Mais les moins de 40 ans étaient, pour la plupart, ravis du choix.

« [La résistance à la représentation diversifiée sur les écrans] vient de certaines générations qui ont été éduquées et standardisées par un certain un type de discours », a-t-il déclaré. « Par exemple, il y a un agent [au Mexique] qui dit que les gens ne veulent voir que des belles personnes [à l’écran] et que seules les personnes blanches sont belles ».

Mais M. Huerta a rétorqué que cela est manifestement faux. Wakanda Forever a battu des records au box-office, rapportant 760 millions de dollars américains lors de sa quatrième semaine en salles et étant bien parti pour dépasser le milliard de dollars.

« Il y avait beaucoup de mélanine à l'écran », a-t-il souligné. « Alors d’où vient l’idée que les gens ne veulent pas voir de personnes au teint foncé ? Ce film prouve que ce n’est pas vrai. C’est normal que les gens veuillent se reconnaitre [à l’écran] ».

Qui raconte l’histoire ?

Si la représentation à l’écran est importante, ce sont les personnes qui se cachent derrière les histoires racontées qui portent le récit, a poursuivi M. Huerta. Dans Wakanda Forever, il a largement contribué à faire en sorte que la culture maya (qui a inspiré la culture du groupe auquel appartient son personnage) soit correctement représentée grâce à un contrôle rigoureux effectué par des experts universitaires et culturels.

« Ils ont embauché des Mayas qui parlent le maya et qui sont des universitaires brillants. Ils les ont engagés et ces-derniers ont apporté leurs connaissances académiques pour dire 'voilà comment étaient [les Mayas]', et leurs connaissances de la vie quotidienne pour dire 'voilà comment nous sommes'. C’est pourquoi le film a résisté à toutes les analyses sur la représentation des personnages, parce que ce sont ses propres habitants qui ont construit leur espace », a-t-il expliqué.

Selon M. Huerta, la couleur de la peau du conteur n’est pas le seul élément à prendre en compte puisque « réduire [la problématique] à la couleur de la peau est aussi une erreur, parce que si soudain vous avez un type qui a le teint foncé mais qui a été éduqué dans des écoles pour les élites, et qui se comporte et s’identifie à la blanchité - ce qui n’a rien à voir avec la couleur de la peau, mais avec la façon de penser - cela ne sert à rien qu’il soit là. Il doit venir des mêmes endroits que la plupart des gens ».

« Comment démanteler le monstre »

En 2022, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a lancé la campagne « Apprenez, parlez, agissez! », qui vise à accroitre la sensibilisation quant au racisme, à la xénophobie, à la discrimination raciale et à aux autres formes d’intolérance, en partant du principe que les problèmes sont connus et que les solutions le sont aussi, mais qu’il faut des actions concrètes à tous les niveaux : à la maison, à l’école, dans les institutions, dans le secteur privé, etc.

M. Huerta estime qu’il y a eu des progrès dans la lutte contre le racisme ; il est convaincu qu’il y a des actions très concrètes qui peuvent être menées, aux niveaux personnel et institutionnel, en matière de politiques publiques, d’initiative privée, ou encore au sein des organisations de la société civile.

« Je suis très heureux que maintenant, à la moindre provocation, les gens sur les réseaux sociaux disent : 'c’est du racisme à cause de ceci et de cela'. Je me sens très optimiste pour les nouvelles générations », a-t-il déclaré.

« Six ans après que ma nièce a reçu ces attaques, je me réjouis de vivre dans un pays qui en parle déjà, qui le reconnaît déjà, au moins, maintenant nous devons trouver comment démanteler le monstre ».

Et pour les jeunes qui se débattent avec des problèmes liés à la race, à la couleur de leur peau ou à d’autres formes de discrimination, M. Huerta lance ce message.

« Quand tu te regardes et que tu vois ton reflet, pense qu’il n’y a rien qui cloche chez toi, mais plutôt que ce sont les yeux qui te regardent qui ont un problème ».