Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Pour éviter un nouveau cycle de violence, il faut s’attaquer aux causes profondes – Déclaration de Michelle Bachelet sur l’escalade de la violence à Gaza et dans le Territoire palestinien occupé
27 mai 2021
Session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme sur la détérioration de la situation des droits de l’homme dans le Territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est, déclaration de la Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme Michelle Bachelet
Vidéo : déclaration de Michelle Bachelet*
Genève, le 27 mai 2021
Madame la Présidente,
Les événements effroyables qui se déroulent à Gaza et dans le Territoire palestinien occupé ont une nouvelle fois conduit le Conseil à se réunir en session extraordinaire. Nous avons récemment été témoins de la plus grande escalade des hostilités depuis 2014.
Selon les chiffres vérifiés par le Haut-Commissariat, 242 Palestiniens, dont 63 enfants, ont été tués par les assauts des Forces de sécurité israéliennes sur Gaza. Des milliers d’autres ont été blessés et l’on estime que plus de 74 000 Palestiniens ont été déplacés. En Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, 28 Palestiniens, dont cinq enfants, ont été tués en date du 24 mai. Parallèlement, les roquettes ont été lancées par le Hamas et par d’autres groupes palestiniens armés, tuant dix citoyens et résidents israéliens, dont deux enfants, et forçant des milliers de personnes à s’abriter dans des refuges.
Cette escalade est directement liée aux manifestations qui se sont déroulées et à la violente riposte des forces de sécurité israéliennes qui a suivi, d’abord à Jérusalem-Est, avant de se répandre dans tout le Territoire palestinien occupé et en Israël.
La montée des tensions est due à deux problèmes principaux : les expulsions imminentes de familles palestiniennes et leur déplacement forcé dans le quartier de Sheikh Jarrah, dans Jérusalem-Est occupée, pour faire place aux colons ; et le déploiement des Forces de sécurité israéliennes devant la mosquée Al-Aqsa, bloquant l’accès à des milliers de fidèles durant les derniers jours du ramadan. À plusieurs reprises, les Forces de sécurité israéliennes ont fait usage de la force contre des manifestants pacifiques et des personnes qui priaient à l’intérieur de la mosquée Al Aqsa. Lorsque les manifestations se sont transformées en affrontements, ces mêmes forces ont également eu recours à un usage excessif de la force pour contrôler la foule, notamment par la violence physique, ce qui a attisé les tensions.
Madame la Présidente,
La dernière escalade de la violence entre Israël et la Palestine a débuté le 10 mai, lorsque le Hamas, les autorités de facto de la bande de Gaza, a demandé aux forces israéliennes de se retirer de l’enceinte d’Al Aqsa et de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. Cette demande n’a pas abouti, conduisant le Hamas et d’autres groupes armés à lancer une salve de roquettes vers Israël. Ces roquettes ont été lancées sans distinction entre cibles militaires et civiles, ce qui constitue une violation flagrante du droit international humanitaire. Durant onze jours d’hostilités avant le cessez-le-feu, de nombreuses roquettes ont tué et blessé des civils et ont considérablement endommagé des biens civils, dont des installations publiques, des maisons, des usines et d’autres structures civiles.
Israël a répondu par d’intenses frappes aériennes à Gaza, dont des bombardements, des tirs de missiles lancés par des avions de combat et des attaques par la mer. Bien qu’elles aient apparemment ciblé des membres de groupes armés et leurs infrastructures militaires, les attaques israéliennes ont fait de nombreux morts et blessés parmi les civils, ainsi que des destructions et des dommages à grande échelle sur des biens civils. Parmi ceux-ci figurent des bâtiments gouvernementaux, des maisons et des immeubles, des organisations humanitaires internationales, des installations médicales, des bureaux de médias et des routes permettant aux civils d’accéder à des services essentiels tels que les hôpitaux. Ces attaques ont causé leur destruction partielle ou totale. Malgré les affirmations d’Israël selon lesquelles plusieurs de ces bâtiments accueillaient des groupes armés ou étaient utilisés à des fins militaires, nous n’avons pas reçu de preuves à cet égard.
Bien qu’Israël ait pris un certain nombre de précautions, notamment en lançant des alertes avant certaines attaques, les frappes aériennes dans cette zone densément peuplée ont fait de nombreux morts et blessés parmi les civils et causé une destruction généralisée des infrastructures civiles. De telles frappes soulèvent de sérieuses inquiétudes quant au respect par Israël des principes de distinction et de proportionnalité en vertu du droit international humanitaire. Si elles s’avèrent aveugles et disproportionnées quant à leur impact sur les civils et sur les biens de caractère civil, de telles attaques peuvent constituer des crimes de guerre.
Néanmoins, le fait d’avoir des ressources militaires dans des zones à forte densité ou de lancer des attaques depuis de telles zones constitue également une violation du droit international humanitaire. Quoi qu’il en soit, les agissements d’une partie ne permettent pas à l’autre partie de se soustraire à ses obligations au regard du droit international.
Contrairement aux civils israéliens, qui bénéficient de la protection du « Dôme de fer » et de forces militaires professionnelles, les civils palestiniens n’ont pratiquement aucune protection contre les frappes aériennes et les opérations militaires menées dans l’une des régions les plus peuplées au monde. Ils n’ont nulle part où se réfugier, en raison du blocus terrestre, aérien et maritime israélien en place depuis 14 ans. À cause de ce blocus, les Palestiniens de Gaza ont souffert de la dégradation des infrastructures et d’un accès réduit aux services de base, notamment de services de santé inadéquats et d’un système d’égouts délabré qui constitue une menace directe pour la santé et le bien-être de tous les civils qui y résident. L’incapacité du système de santé à répondre de manière globale à la COVID-19 lors de la récente recrudescence des cas a rendu cette détérioration particulièrement évidente. Pour obtenir des soins de santé appropriés, de nombreux Palestiniens sont contraints de se rendre à l’étranger, sous réserve de l’autorisation d’Israël, qui leur est souvent refusée.
Il ne fait aucun doute qu’Israël a le droit de défendre ses citoyens et ses résidents. Cependant, les Palestiniens ont aussi des droits. Les mêmes droits. Eux aussi ont le droit de vivre en sécurité et librement chez eux, en ayant accès à des services et des occasions adéquats et essentiels, et dans le respect de leur droit à la vie et à l’intégrité physique. La réalité de l’occupation fait qu’ils sont au contraire systématiquement privés des droits et libertés fondamentaux auxquels tout être humain a droit.
Madame la Présidente,
Dans le quartier de Sheikh Jarrah et dans d’autres quartiers de Jérusalem-Est, le risque d’expulsion demeure et continue d’alimenter les tensions. Ces expulsions doivent cesser, conformément aux obligations d’Israël en vertu du droit international. J’exhorte les autorités israéliennes à mettre fin immédiatement aux expulsions.
Si les pertes humaines et les destructions choquantes à Gaza ont, à juste titre, fait la une des journaux du monde entier, la situation alarmante en Cisjordanie est passée inaperçue pour beaucoup. Les tensions, les protestations et la violence, y compris l’usage intensif de la force par les Forces de sécurité israéliennes, ont atteint des niveaux inégalés depuis des années. Pour la seule journée du 14 mai, les Forces de sécurité israéliennes ont tué 10 Palestiniens au cours de manifestations et d’affrontements, soit le nombre le plus élevé en une journée en Cisjordanie depuis que les Nations Unies ont commencé à recueillir systématiquement ces chiffres en 2008.
Je suis aussi extrêmement préoccupée par les informations recueillies selon lesquelles des colons ont tiré des balles réelles sur des Palestiniens, dans certains cas aux côtés des Forces de sécurité israéliennes.
Madame la Présidente,
Le troisième aspect concernant les graves violations des droits de l’homme de ces dernières semaines est la situation à l’intérieur d’Israël, où l’on a assisté à des scènes sans précédent d’affrontements, de violence collective et d’émeutes entre des citoyens palestiniens d’Israël et des groupes d’ultra-droite, renforcés par des colons israéliens. Les tentatives d’attaques collectives contre certains individus dans les villes mixtes de Bat-Yam, de Jaffa et d’Acre, ainsi que les attaques menées contre certains lieux de culte et du patrimoine culturel, perpétrées par les deux parties, sont particulièrement préoccupantes. Je suis très inquiète au sujet de certaines informations selon lesquelles la police israélienne n’est pas intervenue pour offrir une protection adéquate aux citoyens palestiniens d’Israël contre ces attaques, et a souvent eu recours à un usage excessif de la force pour contrôler les manifestants palestiniens.
Je salue le cessez-le-feu du 21 mai, mais il est évident que si l’on ne s’attaque pas aux causes profondes de cette violence, ce ne sera malheureusement qu’une question de temps avant que le prochain cycle de violence ne commence, apportant son nouveau lot de douleurs et de souffrances pour les civils de tous bords. Il est impératif de mettre en place un processus de paix sincère et inclusif pour s’attaquer à ces causes profondes et mettre fin à l’occupation. Dans tout processus de ce type et pour tout accord qui en découle, le respect et la protection des droits de l’homme doivent être des principes fondamentaux, y compris lorsqu’il s’agit d’établir les responsabilités pour les violations et les atteintes aux droits de l’homme commis dans le passé. Ce n’est que lorsque les droits de l’homme sont pleinement respectés et protégés que la confiance peut commencer à s’instaurer entre les différentes communautés et qu’une paix durable et juste peut être établie.
En attendant, je réitère mon appel au Hamas et à tous les groupes armés pour qu’ils s’abstiennent de tout usage indiscriminé de roquettes et de mortiers, pour lequel l’établissement des responsabilités est impératif. Par ailleurs, j’exhorte une fois de plus Israël à garantir le principe de responsabilité conformément à ses obligations en vertu du droit international humanitaire et relatif aux droits de l’homme. Cela comprend des enquêtes impartiales et indépendantes sur les mesures prises durant cette escalade. En tant que puissance occupante au regard du droit international, Israël se doit de protéger la population de la Cisjordanie, de Jérusalem-Est et de Gaza, et de garantir son bien-être. Les droits à la vie, à la sécurité et à la liberté de réunion et d’expression des Palestiniens doivent être respectés.
Enfin, les enfants morts et blessés durant cette escalade sont une honte pour nous tous. Face à ces cycles récurrents de conflits, nous ne devons pas oublier leurs souffrances et leur mort, ni celles de tout autre civil. Peu importe combien la route a été longue, « interminable » ne devrait pas être un terme acceptable.
Dans le monde entier, l’année 2021 est censée être une année de reprise. Et avant tout, une chance de reconstruire en mieux.
À Gaza en particulier, reconstruire est évidemment urgent. Les gens ont besoin d’un logement, d’une école, d’un hôpital opérationnel, d’un approvisionnement en électricité stable, d’un accès à l’eau potable et à l’assainissement. Tous ces éléments sont fondamentaux pour la pleine jouissance des droits économiques, sociaux et culturels, qui ont également été si gravement violés lors du récent conflit.
Pour reconstruire sa vie, il est également indispensable de reconstruire des moyens de subsistance durables. Une reconstruction de Gaza centrée sur la population, qui respecte les droits de l’homme de ses citoyens, est un élément essentiel pour une paix et un avenir durables.
J’espère sincèrement que ce sera la dernière fois que le Conseil aura besoin d’une telle session spéciale.
Je vous remercie, Madame la Présidente.