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Déclarations Procédures spéciales

"Les réponses des États à la menace du Covid 19 ne doivent pas entraver les libertés de réunion et d'association" - Expert des Nations unies sur les droits aux libertés de réunion pacifique et d'association, M. Clément Voule

09 Avril 2020

GENÈVE (14 avril 2020) - La pandémie de COVID-19 a supposé des défis sans précédent pour les droits de l'homme dans le monde. «Je salue les efforts des gouvernements, des organisations internationales et de la société civile travaillant ensemble pour protéger le public de ce risque sanitaire. Là où les droits de l'homme servent de boussole, on se trouvera mieux lotis pour surmonter cette pandémie et renforcer la résilience pour l'avenir», a déclaré aujourd'hui Clément Voule, Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association.

«Aucun pays ni gouvernement ne peut résoudre seul la crise; les organisations de la société civile doivent être considérées comme des partenaires stratégiques dans la lutte contre la pandémie. Je suis donc préoccupé par les informations que j'ai reçues des consultations en ligne avec la société civile à travers le monde, suggérant plusieurs tendances et restrictions inquiétantes, y compris sur la capacité de la société civile à soutenir les mesures efficaces de réponse.» 

Des lois limitant les rassemblements publics ainsi que la liberté de circulation ont été adoptées dans de nombreux États. Les restrictions fondées sur des préoccupations de santé publique sont justifiées lorsqu'elles sont nécessaires et proportionnées compte tenu des circonstances. Malheureusement, les organisations de la société civile ont rarement été consultées lors de la conception ou de l'examen des mesures appropriées de réponse et, dans plusieurs cas, les processus par lesquels ces lois et règlements ont été adoptés ont été contestables. En outre, ces lois et règlements ont souvent été généraux et vagues, et peu a été fait pour assurer la diffusion généralisée et dans un délai convenable d'informations claires concernant ces nouvelles lois, ni pour garantir que les sanctions infligées sont proportionnées ou que leurs implications ont été pleinement prises en considération. Dans de nombreux cas, il semble que ces mesures sont appliquées de manière discriminatoire, les personnalités et groupes d'opposition, ainsi que les communautés vulnérables, constituant des cibles privilégiées. 

Les cas dans lesquels les gouvernements ont profité de la crise pour suspendre les droits garantis par la constitution, pour adopter des lois d'urgence radicales et pour statuer par décret sont des situations particulièrement inquiétantes, situations contre lesquelles plusieurs experts des Nations Unies en matière de droits de l'homme, dont le Rapporteur Spécial, ont déjà mis en garde (en anglais). Dans de nombreux cas, il semble que les mesures adoptées visent davantage à consolider le contrôle et à réprimer les figures de l’opposition qu'à assurer la santé publique. Également préoccupante, une tendance à la militarisation de la gestion des crises. Plusieurs États ont également reporté les dates prévues des élections, sans faire tout leur possible pour explorer des alternatives sûres au vote en personne.Les organisations de la société civile sont également confrontées à de nombreuses restrictions et limitations à leur travail. Dans certains États, de nouvelles associations ne sont pas enregistrées, lorsqu’elles ne sont pas en mesure de démontrer des règles internes adaptées à la situation de crise actuelle. Alors que les travailleurs de la société civile ont un rôle clé à jouer pour répondre à la crise et fournir un soutien aux populations vulnérables, leur capacité à jouer ce rôle a été limitée par des lois restrictives ainsi que par des pénuries de financement, elles-mêmes dues en partie à des restrictions d'accès au financement transfrontalier. En outre, le travail des membres de la société civile et d'autres travailleurs s'est trouvé limité par le manque d'accès aux équipements indispensables de protection individuelle. Dans cet ordre d’idées, sont particulièrement préoccupants les récits de cas de représailles subis par des représentants syndicaux pour avoir dénoncé des conditions dangereuses sur le lieu de travail. 

La crise a également été utilisée pour limiter dans une large mesure l'accès à l'information. Plusieurs États ont adopté de nouvelles mesures condamnant la propagation de «fausses nouvelles» ou ont de plus en plus recours à des dispositions législatives similaires déjà en place, pendant que des personnes dénonçant la crise ont été mises en garde, détenues ou expulsées. L'accès à Internet est particulièrement crucial en temps de crise; les restrictions existantes et nouvelles à l'accès à Internet, ou la censure de certains sites web et de certaines formes d'information, sont donc particulièrement préoccupantes pendant cette période.Face à l'urgence actuelle de santé publique, le Rapporteur Spécial sur la liberté de réunion pacifique et d'association voudrait rappeler aux États la nécessité de répondre d'une manière conforme à leurs obligations en matière de droits de l'homme. En particulier, le Rapporteur Spécial tient à souligner dix principes clés

Premier principe: garantir que les nouvelles mesures juridiques respectent les droits de l'homme. Il est essentiel que le processus et le contenu de toute nouvelle mesure adoptée soient conformes aux obligations en matière de droits de l'homme. Des consultations avec la société civile devraient avoir lieu, si possible, avant l'adoption de nouvelles mesures. Lorsque de nouvelles lois ou réglementations sont adoptées, toute limitation des droits imposés doit être conforme aux principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité. Il est inadmissible de déclarer des restrictions générales aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales. Des exemptions devraient être prévues pour les acteurs de la société civile, en particulier ceux qui surveillent le respect des droits de l'homme, les syndicats, les services sociaux fournissant une aide humanitaire et les journalistes couvrant la gestion de la crise. Les informations sur toute nouvelle mesure adoptée doivent être largement diffusées et traduites dans les langues locales et autochtones, et un délai approprié doit être accordé au public pour qu'il se familiarise avec ces lois avant d'imposer des sanctions pénales. En aucun cas, les lois ou réglementations ne peuvent être appliquées de manière discriminatoire, et les informations expliquant comment les nouvelles mesures sont mises en œuvre doivent être rendues publiques et facilement consultables par tous. Un contrôle et un examen indépendants des mesures prises pendant la crise devraient être garantis, afin d'assurer tout au long de la crise une application non discriminatoire de la loi, conforme aux droits. Dans tous les cas, en outre, il est essentiel que les sanctions appliquées ne soient pas disproportionnées, qu’elles ne contribuent pas elles-mêmes à la propagation de la maladie et qu’elles tiennent compte des aléas du moment, y compris le fonctionnement réduit des systèmes judiciaires et les difficultés financières rencontrées par beaucoup. 

Deuxième: veiller à ce que l'urgence de santé publique ne soit pas utilisée comme prétexte pour des atteintes aux droits. Il est impératif que la crise ne soit pas utilisée comme prétexte pour étouffer les droits en général ou les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association en particulier. La crise ne justifie ni le recours à une force excessive lors de la dispersion des assemblées ni l'imposition de sanctions disproportionnées, comme l'a souligné (pdf en anglais) le Rapporteur Spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires. Les États ont l'obligation d'informer le Secrétaire Général des Nations Unies si et quand un état d'urgence a été déclaré ainsi que de toute dérogation aux droits qui en résulte, ceux-ci doivent eux-mêmes être conformes aux Principes de Syracuse (pdf en anglais). Il est essentiel que toutes les restrictions imposées soient levées et que la pleine jouissance du droit à la liberté de réunion et d'association pacifiques soit rétablie lorsque l'urgence de santé publique causée par le Covid-19 prend fin. À cet égard, les États devraient incorporer des clauses de caducité dans tous les états d'urgence ou lois adoptés en relation avec la crise actuelle, garantissant leur expiration automatique une fois l'urgence de santé publique terminée. Il est en outre particulièrement important, dans le contexte d'une crise, que les garde-fous et contrepoids que constituent les pouvoirs judiciaires et parlementaires soient renforcés, afin d'éviter que l'exécutif dispose d'un pouvoir vaste et excessif, et d'assurer ainsi un contrôle de l'exercice arbitraire du pouvoir exécutif. 

Troisième: La démocratie ne peut pas être différée indéfiniment. Le Rapporteur Spécial reconnaît que la conception d'approches électorales appropriées dans le contexte de la pandémie mondiale actuelle est complexe et qu'il n'y a pas de solutions de facilité. Les restrictions imposées aux réunions dans de nombreux pays nuisent à la capacité des individus à faire campagne et à participer à des rassemblements, à mener des campagnes de sensibilisation et à surveiller les processus électoraux. La capacité de la société civile à dialoguer avec les candidats ou avec le grand public en périodes électorales est également limitée. Compte tenu de ces circonstances difficiles, il est d'autant plus important, comme souligné ci-dessous, que la liberté d'expression soit respectée et que les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association en ligne soient pleinement garantis. En outre, les États devraient assurer la transparence de leurs processus décisionnels en période électorale et consulter la société civile pour déterminer les approches appropriées. Bien que des restrictions au vote en personne puissent être nécessaires dans certains cas, les États devraient prendre toutes les mesures possibles pour assurer le déroulement des élections en temps voulu, y compris en utilisant des procédures alternatives de vote telles que les bulletins de vote postal. Dans tous les cas, l'intégrité des processus électoraux doit être garantie. 

Quatrième: assurer une participation inclusive. La citoyenneté active est essentielle en temps de crise. La société civile doit être considérée comme un partenaire essentiel des gouvernements dans leurs réponses à la crise actuelle, en termes d'aide à l'élaboration de politiques inclusives, de diffusion d'informations, de mise en place d'approches communes et coopératives et de soutien social aux communautés vulnérables. Les États doivent veiller à ce que le droit à la liberté d'association soit pleinement respecté, y compris en enregistrant les associations sans contrainte et en veillant à ce que les organisations de la société civile puissent mener des activités de plaidoyer en toute liberté, y compris au niveau international. Les États devraient également soutenir la participation des organisations de la société civile à la conception et à la mise en œuvre de stratégies efficaces de santé publique. Les États devraient fournir un soutien financier aux organisations de la société civile apportant un soutien social vital, en particulier les organisations qui soutiennent et défendent les personnes handicapées et les communautés vulnérables. Les États doivent veiller à ce que la capacité de ces organisations à accéder aux communautés qu’elles servent ne soit pas limitée de manière inappropriée. En outre, la crise ne doit pas être utilisée pour empêcher les organisations de la société civile, les avocats de la défense et les journalistes d'entreprendre ce travail crucial qu'est celui du contrôle de la police, des prisons, des centres de détention pour migrants ainsi que d'autres éléments faisant partie des procédures judiciaires de l'État. 

Cinquième: garantir la liberté d'association et de réunion en ligne. Les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association s'appliquent en ligne comme il en est de même hors ligne. En cette période de restriction des réunions physiques, il est d'autant plus nécessaire que l'accès à Internet et son utilisation soient garantis. En plus de s'abstenir de restrictions telles que les coupures d'Internet ou la censure en ligne, les États devraient prendre des mesures pour garantir que l'accès à Internet s'étende à l'ensemble de la population mondiale et qu'il soit abordable. Dans le cadre des organisations de la société civile en particulier, les États devraient veiller à ce qu'elles puissent compléter leurs enregistrements en ligne et devraient leur donner la possibilité de participer, via des forums en ligne, à l'élaboration des politiques. Dans tous les cas, garantir les droits de réunion pacifique et d’association en ligne exige que les droits des individus à la vie privée soient pleinement respectés et protégés. 

Sixième: protéger le droit à la liberté d'association et de réunion sur le lieu du travail. Le droit à la liberté d'association s'étend au droit de former des syndicats et d'autres formes d'association sur le lieu de travail, et le droit à la liberté de réunion pacifique s'étend au droit de grève (en anglais). La crise souligne la nécessité d’avoir sur le lieu de travail des mesures de protection et des règles qui garantissent le droit à la santé de tous les employés. En aucun cas, les employés ne peuvent être licenciés pour s'être organisés en syndicat, ni pour s’être exprimés sur la nécessité d'améliorer la protection et la sécurité sur leur lieu de travail. 

Septième: la liberté d'expression doit être garantie. Le droit des acteurs de la société civile, y compris les journalistes et les défenseurs des droits de l'homme, à rechercher, recevoir et diffuser librement des idées et des informations, que ce soit concernant la crise et sa gestion ou d'autres sujets, doit être garanti. Les lois pénalisant les «fausses nouvelles» telles quelles, lois qui traînent une mauvaise réputation d’abus, à savoir celle d’être mises en vigueur pour cibler les défenseurs des droits de l'homme, doivent être évitées en particulier. 

Huitième: la participation de la société civile aux institutions multilatérales doit être garantie. L'ONU et les autres institutions multilatérales devraient prendre des mesures pour garantir que les organisations de la société civile puissent continuer à participer à toutes les décisions politiques, y compris celles liées à la riposte au COVID-19, et en particulier dans le cas des partenariats public-privé. Celles-ci devraient également continuer à mettre à disposition des émissions et des images d'archives des séances publiques des organes des Nations Unies relatifs aux droits de l'homme ainsi que d'autres réunions, et, si possible, devraient faciliter la participation de la société civile par liaison vidéo. En l'absence de réunions physiques, les agences et organes des Nations Unies devraient entreprendre une communication proactive envers les organisations de la société civile, en n'oubliant pas de faire adapter les réunions et les consultations en ligne aux besoins de sécurité des défenseurs des droits de l'homme et aux défis de l'exercice de la liberté d'association en ligne. Les Équipes de Pays des Nations Unies sont particulièrement importantes en ce moment, et leur engagement avec la société civile en rapport avec les mesures de riposte au COVID-19 ainsi qu'avec les droits de l'homme devrait être renforcé, à la fois pour garantir l'efficacité des partenariats et des interventions ONU / gouvernement, et pour surveiller des possibles restrictions à l'encontre de la société civile dans le cadre de la COVID-19. 

Neuvième: la solidarité internationale est plus que jamais nécessaire. Les restrictions financières limitent fortement la capacité de la société civile à contribuer à la réponse face à la crise de la COVID-19. Même avant la crise, l’accès de la société civile au financement était limité par des lois restreignant le soutien transfrontalier. Les États devraient abroger les lois qui restreignent indûment la capacité de la société civile à accéder au financement, notamment le financement international. Dans la mesure du possible, en outre, les États devraient fournir un soutien financier et d'autres formes de soutien aux organisations de la société civile, et devraient reconnaître le rôle clé que jouent de nombreuses organisations de la société civile pour assurer la santé publique dans son ensemble. 

Dixième principe: répercussions futures du COVID-19 et réponse aux appels populaires à une réforme. Enfin, le Rapporteur Spécial voudrait faire observer que l'année qui a précédé la crise actuelle a été marquée par une vague de protestations sans précédent dans le monde. Même si les demandes et les préoccupations des manifestants différaient d'un endroit à l'autre, les manifestants ont toujours appelé à une gouvernance plus démocratique, un plus grand respect des droits de l'homme, une égalité accrue, la fin de l'austérité ainsi qu’à des mesures significatives pour lutter contre le changement climatique et la corruption généralisée. Il est peu probable que la crise actuelle atténue ces exigences; la récession économique causée par la crise, combinée à des mesures financières qui renforcent les inégalités, ne fera qu’exacerber les causes sous-jacentes. Il est vital dans ce contexte que les réponses des États à la crise tiennent pleinement compte des demandes des citoyens et que les États prennent des mesures pour adopter des structures de gouvernance plus démocratiques, pour renforcer la protection et la réalisation des droits, pour réduire les inégalités et pour assurer que la transition à des sources d'énergie plus vertes et plus durables reçoive un soutien et une attention accrus. 

CONCLUSIONS

M. Clément Nyaletsossi Voule, du Togo, a été nommé en mars 2018 Rapporteur spécial desNations Unies sur le droit de réunion pacifique et d'association. Il est avocat et travaille actuellement à Genève dans le domaine des droits de l'homme. Il est chercheur associé à l'Académie de Genève des Droits de l'Homme et du Droit Humanitaire. Avant sa nomination, il a dirigé les travaux du Service International pour les Droits de l'Homme (SIDH / ISHR). M. Voule a également été Secrétaire Général de la Coalition togolaise des Défenseurs des Droits de l'Homme, responsable de campagne pour la Coalition pour la Cour Pénale Internationale togolaise et Secrétaire Général de la section d'Amnesty International au Togo. Depuis 2011, M. Voule est membre expert du Groupe de travail sur les Industries Extractives, l'Environnement et les Violations des Droits de l'Homme de la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples. 

Les Rapporteurs Spéciaux font partie de ce qu'on appelle les Procédures Spéciales du Conseil des Droits de l'Homme. Les Procédures Spéciales(en anglais), le plus grand corps d'experts indépendants du système des droits de l'homme des Nations Unies, est le nom générique des mécanismes indépendants d'établissement des faits et de suivi du Conseil qui traitent soit de situations spécifiques du pays, soit de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des Procédures Spéciales travaillent sur une base volontaire; ils ne font pas partie du personnel des Nations Unies et ne reçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou organisation et agissent à titre individuel. 

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