Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme
25e Conférence des Parties Les accès aux voies de recours et les changements climatiques du point de vue des entreprises et des droits de l’homme
09 décembre 2019
Madrid, le 9 décembre 2019
Mme Tébar Less,
Chers participants,
Chers représentants de gouvernement,
Chers chefs d'entreprise,
Chers militants et collègues,
Je suis très heureuse d'aborder cette question essentielle avec vous tous.
Nous souhaitons tous une économie florissante qui fonctionne pour le peuple et la planète. Les entreprises réussissent le plus dans des conditions de stabilité, avec une économie saine, et des travailleurs et consommateurs éduqués et productifs. Ces conditions sont créées par des mesures qui respectent les droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Et elles sont gravement menacées par l'urgence climatique.
Les changements climatiques et la dégradation de l'environnement interfèrent directement et indirectement avec l'exercice de tous les droits de l'homme, notamment les droits à la vie, au logement, à l'eau et l'assainissement, à l'alimentation, à la santé, au développement, à l'égalité des genres et à un niveau de vie suffisant.
À court, moyen et long terme, la crise climatique génère également des risques physiques et financiers sur les opérations, les profits et la réputation des entreprises et des investisseurs dans chaque pays, et ces risques s'intensifieront.
Les opérations directes seront touchées, avec des coûts croissants liés aux dommages faits aux installations de production et de distribution – ainsi que les changements probables dans les systèmes juridiques et réglementaires. Les chaînes d'approvisionnement seront ébranlées et déstabilisées. Les clients en sentiront les effets. De profonds changements seront opérés sur les marchés pour vos marchandises. Les risques de réputation liés aux changements climatiques augmenteront pour chaque entreprise et organisme d'investissement, à mesure que davantage de personnes, de villes et de pays chercheront à établir les responsabilités liées aux dommages causés par les changements climatiques et qui les affectent.
Une récente étude menée par des chercheurs de l'Université de Cambridge estime que 7 % du PIB mondial est susceptible d'être anéanti d'ici la fin du siècle si les tendances climatiques actuelles continuent – et ce chiffre pourrait s'avérer être bien inférieur à la réalité. Selon une étude publiée récemment par Nature, des terres abritant actuellement quelque 150 millions de personnes seront « en permanence sous la ligne de marée haute » d'ici 30 ans – et il s'agit d'une estimation très prudente du nombre de personnes risquant d'être déplacées et privées de logement et de moyens de subsistance. Les estimations actuelles indiquent déjà que le climat et les catastrophes liées aux conditions météorologiques entraînent le déplacement de près de 20 millions de personnes chaque année.
Le monde a besoin que les entreprises et les investisseurs comprennent ces problèmes et évaluent de manière plus poussée les risques climatiques afin de mesurer et comprendre leur propre impact sur les droits de l'homme et l'environnement. Nous avons besoin d'une action bien plus urgente de la part des acteurs économiques, de manière à prévenir les dommages causés à l'environnement, défendre les droits de l'homme, lutter contre les inégalités et aider à trouver des solutions à cette situation d'urgence.
L'OCDE a fait un excellent travail pour encourager les entreprises, les investisseurs et les États à faire respecter les normes relatives à la conduite responsable des entreprises, conformément aux Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales, aux Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et à la Déclaration de principes tripartite de l'OIT sur les entreprises internationales et la politique sociale. Plusieurs acteurs commerciaux ici présents ont montré la voie à cet égard.
Mais je vous rappelle que l'extraction de combustibles fossiles a doublé ces 30 dernières années. Une recherche menée par le Carbon Disclosure Project a montré que 71 % des émissions industrielles mondiales de gaz à effet de serre sont produites par seulement 100 entités commerciales privées et publiques. Vingt-cinq d'entre elles représentent un peu plus de la moitié des émissions industrielles mondiales de gaz à effet de serre.
Certaines d'entre elles ont même été impliquées dans des efforts menés pour compromettre les conclusions scientifiques sur les risques climatiques liés au carbone, et ont milité activement contre les mesures indispensables prises par les gouvernements.
Toutefois, la responsabilité de mener des actions ne se limite pas à ces 25 producteurs de combustibles fossiles. Elle s'étend à toutes les principales entités commerciales et d'investissement, y compris celles qui sont détenues par l'État. Une telle action est dans leur propre intérêt. Les personnes qui sont déplacées et démunies n'achèteront pas de biens et de services. La crise climatique n'est pas l'environnement propice à la croissance et à la prospérité dont la plupart des entreprises ont besoin.
Permettez-moi de citer un document délivré par la banque suisse UBS le mois dernier, qui décrit les risques directs et indirects liés aux incidences des changements climatiques. « Les changements climatiques croissants (tels que la hausse des températures et les changements des régimes de précipitations) peuvent avoir un impact sur la production et la productivité économiques – tandis que les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent entraîner des dommages, des temps d'inactivité opérationnelle et la perte de production pour les actifs fixes, et d'éventuels changements de la valeur des biens. Ces phénomènes extrêmes, qui augmentent en fréquence et en intensité, attirent souvent plus l'attention car leurs impacts sont plus apparents. Toutefois, [...] ces changements croissants peuvent progressivement réduire les résultats financiers de groupes entiers d'emprunteurs. »
Les gouvernements ont été trop lents à réagir adéquatement à l'urgence climatique. Mais alors que cette dernière s'intensifie, une transition économique massive sera menée. De nombreuses technologies et sources d'énergie renouvelables seront utilisées. Les droits et les besoins de la population mondiale – et les résultats de toute entreprise – exigent que cette transition soit juste et se fasse autant que possible sans heurt. Et cette transition peut déboucher sur des possibilités commerciales – avec la hausse de la demande pour des produits et des services à faible émission, et permettre aux entreprises d'asseoir une solide réputation quant au respect des droits de l'homme.
Dans le cadre de la transition vers une économie verte, la présence et le soutien de toutes les parties prenantes sont nécessaires pour veiller à ce que la restructuration économique et industrielle devienne un puissant moteur pour la croissance inclusive, la création d'emplois et l'élimination de la pauvreté – et qu'elle n'aggrave pas les inégalités, qui peuvent à leur tour plonger davantage de personnes dans la misère.
Assurer une transition juste est crucial, car si le processus de transition n'est pas juste, alors ses résultats ne seront pas justes non plus. La priorité doit être donnée à des politiques sociales pour atténuer les difficultés liées aux changements industriels et économiques et lutter contre ces dernières – y compris grâce à des mesures telles que l'instauration de transports publics à faible ou zéro émission, à mesure que les pays font la transition vers les énergies renouvelables.
Une transition juste peut favoriser l'inclusion sociale et donner à la population un sentiment de sécurité dans un monde en rapide évolution.
Il doit être clair que le statu quo n'est pas une option. La semaine dernière, le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme et les déchets dangereux du Conseil des droits de l'homme a fait remarquer que depuis la catastrophe chimique de Bhopal en 1984, « chaque cas qui s'est présenté a illustré l'incapacité de l'industrie chimique à respecter les droits de l'homme à la vie et à jouir du meilleur état de santé possible [...]. L'industrie chimique illustre bien la faiblesse des normes volontaires concernant les droits de l'homme et le besoin urgent d'exigences fortes ayant force juridique. »
Je note également que, dans une affaire récente concernant l'usage nocif de pesticides au Paraguay, le Comité chargé du suivi de la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques a créé un précédent important – établissant qu'en vertu du droit international des droits de l'homme, les États doivent mener des enquêtes sur les dommages environnementaux, sanctionner les responsables et offrir des réparations aux victimes.
Les politiques de diligence voulue en matière de droits de l'homme devraient être pratique courante dans l'industrie pétrochimique, comme dans tous les autres secteurs commerciaux. Le monde a besoin que les gouvernements s'engagent davantage en adoptant des mesures variées, notamment une législation stricte pour faire respecter le droit à un environnement sûr et sain ; des règlements qui nécessitent des actions fondées sur des principes de la part des entités commerciales et administratives ; des mesures fiscales appropriées ; et des mesures d'incitation.
Ces lois et règlements doivent s'étendent également aux organismes publics et aux transactions des gouvernements avec les entreprises. Ils doivent aussi montrer clairement que les actions doivent être concrètes : les entreprises ne devraient pas être en mesure d'effacer l'ardoise avec certaines méthodes superficielles d'écoblanchiment. Je me félicite de l'évolution vers des mesures obligatoires, certains pays envisageant ou exigeant à présent des politiques de diligence voulue en matière de droits de l'homme, comprenant l'identification, la prévention et l'atténuation des risques pour les droits de l'homme liés aux changements climatiques.
Partout dans le monde, les populations et les communautés sont déjà dans les rues – et ont recours à des actions en justice stratégiques – pour exiger la justice climatique. Et ces mouvements ne peuvent que croître. Tous ceux qui sont touchés par les changements climatiques ont le droit de prendre part au dialogue social et à des prises de décision plus efficaces, y compris en ce qui concerne les activités des entreprises et l'impact des projets de développement – dont beaucoup sont financés par des investisseurs publics et privés.
Ils ont également un droit de recours. Les peuples et les gouvernements cherchent de plus en plus à tenir les entreprises responsables de leur contribution à la crise climatique. En outre, toutes les entreprises qui ont contribué aux changements climatiques devraient prévoir des mesures de réparation ou collaborer à leur mise en œuvre. Toutefois, nous constatons une résistance considérable, et des représailles – des actes de violence et même des meurtres ; des campagnes massives de calomnie en ligne ; et des procès-bâillons, qui peuvent imposer des coûts intolérables à ceux qui cherchent à établir les responsabilités pour les dommages causés. Nous entendrons certains de ces récits de la part de nos intervenants aujourd'hui. Je tiens à souligner que nous avons tous l'obligation de protéger ceux qui cherchent à obtenir justice contre toute forme de représailles et de préjudice, et nous devons saluer leur contribution à notre bien-être collectif.
Le Programme de développement durable à l'horizon 2030 est un plan d'action transparent, universel et déjà accepté pour guider les gouvernements et les entreprises à lutter contre les changements climatiques. Les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, et les directives spécifiques aux principaux secteurs d'activité, forment une véritable feuille de route. En outre, l'organe collectif du droit international des droits de l'homme constitue un cadre d'action précis et détaillé qui respecte la dignité humaine, y compris dans les situations de crise. Le Forum des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l'homme a décrit le mois dernier un certain nombre de recommandations sur des actions possibles à l'avenir – notamment le renforcement de la consultation, la participation, la diligence voulue en matière de droits de l'homme et les mécanismes indépendants de réclamation. Ces éléments doivent être au cœur de toutes les mesures que nous prenons pour lutter contre les changements climatiques, y compris ici à la CCNUCC, en vertu des mécanismes de coopération internationale établis par l'article 6 de l'Accord de Paris.
Chers participants,
La Déclaration universelle des droits de l'homme reconnaît que tous les États et tous les acteurs concernés doivent respecter et protéger la dignité humaine, l'égalité et les droits de tous les êtres humains. Dans le cadre de cette urgence climatique à laquelle nous devons faire face, il est temps pour chaque entreprise et chaque État de s'engager en faveur des droits de l'homme.
Je vous remercie et je me réjouis de la discussion qui va suivre.