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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Sommet de Nairobi du FNUAP sur la CIPD 25 : accélérer les promesses Faire le suivi des ressources et des engagements pris dans le domaine de la santé et des droits en matière de sexualité et de procréation

13 novembre 2019

Déclaration de Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

Nairobi, le 13 novembre 2019

Mesdames et messieurs les ministres,

Excellences,

Chers collègues et amis,

Je suis heureuse de participer à cette discussion, qui à mon avis est cruciale pour l'avenir de la CIPD.  

La clarté dans le suivi des engagements – et des ressources déployées pour la réalisation de ces engagements – est essentielle pour réaliser n'importe quelle mission. Dans le cas de la CIPD, la mission dont nous parlons est fondamentale pour la vie de milliards de femmes et de jeunes filles.

Il ne s'agit pas seulement de s'engager à fournir des services importants : il s'agit de notre obligation de faire des droits de l'homme une réalité. Il s'agit de passer d'activités bénévoles et caritatives, à la création d'un environnement dans lequel les femmes et les filles se voient donner les moyens d'exiger et de réclamer tous leurs droits en tant qu'êtres humains.

Trop souvent, nous avons vu des engagements volontaires fragiliser les efforts menés dans le domaine de la santé et des droits en matière de sexualité et de procréation, et privilégier les priorités politiques de certains au détriment des droits de l'homme de tous. Les droits de l'homme exigent une approche globale.

Les différentes parties prenantes prétendent souvent privilégier les droits des jeunes – mais elles sont parfois réticentes à défendre une éducation sexuelle complète, qui fournit aux jeunes les informations dont ils ont besoin pour faire les bons choix et protéger leur santé.

Même dans les cas où la priorité devrait être donnée aux questions relatives à la santé maternelle, nous voyons bien que les femmes ne peuvent pas accéder à des services d'avortement sécurisé – ce qui les oblige à recourir à des avortements non sécurisés, entraînant des risques pour la santé, voire la mort.

Les droits de l'homme ont également un impact important sur l'allocation des ressources. Par exemple, chacun doit pouvoir bénéficier, sans discrimination, d'un niveau minimum de soins de santé sexuelle et procréative – ce niveau devant ensuite progresser de manière à garantir une couverture plus complète.

L'attention explicite portée sur les groupes les plus marginalisés de la société exige des décideurs qu'ils s'attaquent aux difficultés financières rencontrées par ces groupes, ainsi qu'à la discrimination qui les empêche d'avancer – notamment le racisme, le sexisme, l'homophobie, la discrimination contre les personnes handicapées et la xénophobie.

Les droits de l'homme exigent également de faire respecter le principe de responsabilité. Lorsque les individus ont des droits – et non pas seulement des besoins – ils peuvent exiger que les décideurs et d'autres acteurs respectent leurs obligations. Cela implique le droit d'identifier dans quelle mesure certaines politiques ou lois ne respectent pas les exigences relatives aux droits de l'homme, et le droit d'adopter des mesures correctives. Cela peut inclure des questions de responsabilité individuelle, mais il s'agit toujours d'identifier et de corriger des obstacles structurels et systémiques.

Aujourd'hui, nous assistons au déploiement d'efforts organisés pour faire reculer les progrès réalisés dans le domaine des droits de la femme, et en particulier concernant la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation.

Ces questions ont fait partie intégrante du programme de la CIPD, et ce dès le départ. En effet, les progrès que nous avons pu constater dans la mise en œuvre du programme de la CIPD au cours des 25 dernières années ont permis de faire des avancées considérables dans le domaine des droits des femmes et des filles.

Nous devons rester fermes – et nous devons aller de l'avant. Il est temps de concentrer notre attention sur le programme inachevé de la CIPD. Il est temps de reconnaître que nous avons besoin d'une approche fondée sur les droits de l'homme plus explicite, capable de tenir les gouvernements, et nous-mêmes responsables de réaliser les promesses faites au Caire.

Chaque jour, plus de 800 femmes et jeunes filles meurent de causes évitables durant la grossesse ou l'accouchement. Les femmes qui ne souhaitent pas devenir enceintes sont privées de l'accès à des méthodes modernes de contraception. Le VIH/sida est à la hausse chez les jeunes. Et encore aujourd'hui, des femmes et des filles se retrouvent forcées, faute d'alternatives, à subir environ 25 millions d'avortements non sécurisés – l'une des principales causes de mortalité maternelle.

Ces faits ne sont pas acceptables. Ils ne sont pas inévitables. Ils sont ancrés dans l'inégalité, la discrimination et le refus d'accepter les droits des femmes et des filles à prendre des décisions concernant leur propre corps et leur vie. Ils sont le résultat de mesures politiques et d'omissions. Et cette situation doit changer.

Des groupes de la société civile ont pris des mesures décisives pour impliquer les mécanismes internationaux des droits de l'homme dans le renforcement des responsabilités des États, et pour contribuer aux mouvements nationaux pour le changement. Par exemple, dans le cadre de la célèbre affaire Alyne da Silva Pimentel c. Brésil en 2011, le Comité pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes a constaté qu'un décès maternel constituait une violation des droits de l'homme, et a identifié les formes croisées de discrimination qui ont contribué à cette issue tragique. Cette décision a abouti à des réformes importantes au Brésil, bien que de davantage de mesures soient nécessaires pour assurer la pleine mise en œuvre des recommandations du Comité.

En 2014, le Comité a estimé qu'une interdiction municipale sur les formes modernes de contraception à Manille, aux Philippines, constituait une violation grave et systématique de la Convention. Cette décision a contribué à la réforme de la loi philippine sur la santé procréative.

Ne serait-ce que le mois dernier, la Haute Cour de Tanzanie a confirmé une décision fondée sur les normes relatives aux droits de l'homme et interdisant le mariage des enfants.

Dans d'autres régions, le principe de responsabilité envers les droits de l'homme a été défendu grâce à la mobilisation sociale – comme en Irlande, où les militants sont descendus dans la rue et organisé avec succès un référendum pour exiger du gouvernement qu'il libéralise les lois très strictes sur l'avortement. Ces mesures ont été soutenues par des appels lancés aux mécanismes internationaux des droits de l'homme, qui n'ont cessé de demander une réforme de la loi sur l'avortement.

Il n'est pas toujours facile de faire des progrès vers l'établissement de responsabilités dans le domaine de la santé et des droits en matière de sexualité et de procréation. Nous faisons parfois deux pas en avant et un pas en arrière. Lorsque nous constatons des progrès, ils sont toujours attribuables à l'action de partenaires multiples et diversifiés.  Les gouvernements, les législateurs, les mécanismes des droits de l'homme et l'ONU jouent un rôle important.

Par-dessus tout, la société civile est indispensable. Les défenseuses des droits de la personne doivent souvent militer pendant des décennies, surmonter des échecs et même faire face à la violence et aux menaces. Elles courent des risques immenses, particulièrement lorsque leur travail est axé sur l'égalité des sexes, la sexualité et les droits en matière de santé sexuelle et procréative. Mais leurs efforts servent à établir graduellement une passerelle vers l'égalité pour toutes les sociétés, et permettent de briser les stéréotypes préjudiciables. Nous pouvons les aider à créer cette passerelle.

C'est non seulement possible, mais aussi indispensable.

Les défenseuses des droits de la personne ont insisté en 1994 pour que les droits de l'homme soient au cœur de la CIPD, et elles continuent aujourd'hui. Les engagements que nous prendrons durant ce sommet doivent réaffirmer cette vérité fondamentale.

Nous savons ce à quoi l'égalité doit ressembler. Les normes internationales, élaborées et ratifiées par les États, stipulent les mesures nécessaires. Mais il nous reste à ancrer une culture des droits de l'homme dans le cœur et les esprits de beaucoup de décideurs, afin d'obtenir des politiques durables et humaines.

Nous devons lever les résistances envers la santé et les droits en matière de sexualité et de procréation, qui sont une partie essentielle de la législation relative aux droits de l'homme et du programme d'action de la CIPD. La santé et les droits en matière de sexualité et de procréation sont des droits de l'homme. Ils ne sont pas de nouveaux droits, et ils ne sont pas facultatifs. Ils font partie intégrante de toute une gamme de traités juridiquement contraignants à l'échelle internationale.

Le droit à l'autonomie, qui est au cœur de ces droits, implique des questions très personnelles telles que quand, comment et avec qui une personne choisit d'avoir des relations sexuelles ; si, quand, et avec qui choisit-on de se marier ; si, quand, comment et avec qui choisit-on d'avoir des enfants ; et comment nous choisissons d'exprimer notre genre et notre sexualité.

Ce sont des questions importantes et vitales pour nous tous. Ensemble, et en restant solidaires, nous pouvons défendre les droits de chaque femme ou jeune fille, et tenir la promesse faite au Caire.

Merci.