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Le Comité contre la torture examine le rapport du Mexique

26 Avril 2019

GENEVE (26 avril 2019) - Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par le Mexique sur les mesures prises par ce pays pour appliquer la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Présentant ce rapport, Mme Marta Delgado Peralta, Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l’homme au Secrétariat aux relations extérieures du Mexique, a notamment présenté la nouvelle loi générale sur la prévention et la sanction des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entrée en vigueur en 2017.  En matière de disparitions forcées, le nouveau Gouvernement du Mexique a relancé les travaux de l’organisme de recherche et les travaux de création d’un registre national, a poursuivi la cheffe de délégation.  D’autre part, les forces armées et de police suivent une formation continue sur la prévention de la torture et, en réponse aux préoccupations exprimées après la formation de la nouvelle Garde nationale mexicaine, il y a quelques semaines, le Gouvernement a signé un accord avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour des conseils et une assistance technique relatifs à la formation et au fonctionnement de cet organe conformément aux normes les plus élevées en matière de droits de l’homme.

Mme Delgado Peralta a également attiré l’attention sur la réforme du Code de justice militaire de juin 2014 par laquelle ont été exclus de la juridiction militaire les cas de victimes civiles de violations des droits de l’homme.  Quant à la figure de l’arraigo pénal, elle a souligné qu’il s’agissait d’une mesure de précaution et par conséquent temporaire, applicable uniquement pour des délits graves ou relevant de la criminalité organisée.  L’arraigo n’est utilisé qu’à titre exceptionnel; son usage s’est considérablement réduit ces dernières années, a assuré la cheffe de délégation.  En matière de disparitions forcées, le Gouvernement du Mexique a relancé les travaux du Système national de recherche mentionné dans la loi générale entrée en vigueur en 2017 et est en train de travailler à l’élaboration d’un protocole homologué de recherche et à l’intégration du registre national des personnes disparues, a-t-elle ajouté. 

Quatre mois après son entrée en fonctions, le nouveau Gouvernement est conscient des défis qu’il devra relever, a assuré Mme Delgado Peralta.  Pour éradiquer la torture, le Gouvernement entend collaborer avec toutes les parties concernées au Mexique, notamment avec le mécanisme national de prévention et la société civile, a-t-elle indiqué. 

L’imposante délégation mexicaine était également composée, entre autres, de M. Socorro Flores Liera, Représentant permanent du Mexique auprès des Nations Unies à Genève, ainsi que de nombreux représentants des Secrétariats aux affaires étrangères, à la défense nationale, et à la sécurité et la protection des citoyens; du parquet général; de la Commission exécutive d’aide aux victimes; de la Commission nationale pour la prévention et l’éradication de la violence envers les femmes; de la police fédérale mexicaine; et de l’institut national des migrations.

La délégation a répondu aux questions des membres du Comité concernant, notamment, la loi générale sur la prévention et la sanction des cas de torture; les plaintes pour torture et la procédure de saisine et d’enquête concernant de tels actes; l’affaire d’Ayotzinapa; l’inadmissibilité des aveux obtenus par la torture; la détention préventive; la figure juridique de l’arraigo; les registres de personnes détenues; les conditions carcérales; le traitement des migrants; ou encore la lutte contre la traite des êtres humains.

M. Diego Rodríguez-Pinzón, corapporteur pour l’examen du rapport du Mexique, a regretté que, pour l’instant, seuls deux des 32 États fédérés au Mexique aient transcrit dans leurs propres lois les dispositions de la loi générale mentionnée par la cheffe de la délégation.  Il a ainsi regretté que le programme national contre la torture, prévu par la loi générale, ne soit toujours pas appliqué et que fasse toujours défaut le budget pour créer, au niveau fédéral et dans les États fédérés, les parquets spécialisés dans les affaires de torture. 

M. Rodríguez-Pinzón a ensuite cité des rapports indiquant que la torture est pratiquée de manière endémique et en toute impunité par les forces de sécurité; or, seules quinze condamnations pour torture ont été prononcées depuis 2006, a-t-il fait observer.  Le Comité a également reçu des informations sur des violences physiques commises dans les institutions de santé, les hôpitaux psychiatriques, les centres de détention pour migrants et pour mineurs, a poursuivi le corapporteur.  Il a aussi reçu des informations faisant état de violence sexiste dans différents contextes, d’abus contre les personnes handicapées et les communautés autochtones, ainsi que d’un usage de la force publique dans les espaces publics ou privés – parmi de nombreuses autres situations dramatiques, comme la disparition forcée de 43 étudiants à Ayotzinapa.

M. Rodríguez-Pinzón a recommandé que les plaintes pour arrestation arbitraire fassent systématiquement l’objet d’enquête.  Le Comité, a-t-il ajouté, est très préoccupé que plus de 40% des personnes arrêtées ne fassent l’objet d’aucun ordre de détention. 

Pour sa part, M. Jens Modvig, Président du Comité et également corapporteur pour l’examen du rapport du Mexique, a notamment relevé que le nombre de crimes et délits autorisant la détention avant jugement a été multiplié par trois au Mexique.  La Commission nationale des droits de l’homme mexicaine indique que la moitié des prisons au Mexique sont gérées par des gangs (ce qu’elle appelle « l’administration autonome »), a ensuite constaté M. Modvig. 

M. Modvig a ensuite regretté que les autorités de police laissent les familles de personnes disparues mener leurs propres enquêtes sur les disparitions.  Il a en outre regretté que 34 personnes arrêtées dans le cadre de l’enquête sur la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa aient, elles-mêmes, été victimes de détention arbitraire et de torture.  M. Modvig a recommandé au Mexique de créer une institution indépendante de médecine légale, qui pourrait aussi contrôler les certificats médicaux établis par des experts lors de soupçons d’actes de torture commis sur des personnes détenues. 

Le corapporteur a par ailleurs déploré l’inefficacité du système officiel de protection des défenseurs des droits de l’homme. 

Le Comité adoptera ultérieurement, lors de séances à huis clos, ses observations finales sur le rapport du Mexique et les rendra publiques à l'issue de la session, le 17 mai prochain.

Lundi prochain, à partir de 10 heures, le Comité entamera l’examen du rapport de l’Allemagne (CAT/C/DEU/6). 

Présentation du rapport

Le Comité était saisi du septième rapport périodique du Mexique (CAT/C/MEX/7), établi sur la base d’une liste de points à traiter qui avait préalablement été soumise au pays par le Comité.

Présentant ce rapport, MME MARTA DELGADO PERALTA, Sous-Secrétaire aux affaires multilatérales et aux droits de l’homme auprès du Secrétariat aux relations extérieures du Mexique, a déclaré que le Mexique faisait actuellement l’expérience d’une profonde transformation, alors que le Gouvernement projette sur le pays une nouvelle vision dont le plein respect des droits de l’homme est un pilier fondamental.  La cheffe de la délégation mexicaine a assuré que son Gouvernement était conscient des préoccupations qui s’expriment au Mexique au sujet de la situation de groupes particulièrement vulnérables -comme les LGBTI, les femmes, les enfants, les personnes handicapées, les autochtones et les migrants, entre autres – ainsi qu’au sujet de la création de la nouvelle Garde nationale, des conditions dans lesquelles vivent les personnes privées de libertés, ou encore du manque de sanctions effectives contre les auteurs d’actes de torture.  Mme Delgado Peralta a par ailleurs rappelé que le Mexique est une fédération intégrée de quelque 32 États qui sont politiquement, juridiquement et administrativement souverains, ce qui ne va pas sans entraîner des difficultés du point de vue de la coordination et de l’homologation des politiques.  Le pays répond à ces difficultés en mettant en place des schémas normatifs d’application générale – tels que des réformes constitutionnelles structurelles ou des lois générales comme, précisément, la loi générale en matière de torture – qui sont d’application obligatoire pour les autorités fédérales comme pour celles des États (fédérés).

Mme Delgado Peralta a ensuite indiqué que la loi générale sur la prévention et la sanction des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, entrée en vigueur en 2017, avait été élaborée compte tenu des conseils d’experts internationaux, notamment du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, ainsi que de la société civile.  La loi générale a homologué pour tout le pays les qualifications pénales de torture et autres traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants et les règles générales applicables aux enquêtes en la matière; elle répond en outre à une préoccupation exprimée par le Comité concernant la prévention de la torture, grâce notamment à la mise en œuvre d’un protocole normalisé assorti de mécanismes d'examen, au renforcement des parquets spéciaux et à la mise à jour du registre de détention administrative. 

La Convention contre la torture, en tant que traité international contenant des normes de droits de l'homme, occupe la place la plus élevée dans l’ordre juridique interne mexicain puisqu’il a le même rang que les normes constitutionnelles, a poursuivi la cheffe de la délégation. 

Mme Delgado Peralta a ensuite souligné qu’à partir de la réforme constitutionnelle opérée en 2011 en matière de droits de l'homme, les autorités civiles ont pu compter sur un cadre juridique suffisant et renforcé pour connaître des cas de violations présumées des droits de l'homme commises par du personnel militaire.  Elle a attiré l’attention sur la réforme du Code de justice militaire de juin 2014 par laquelle ont été exclus de la juridiction militaire les cas de victimes civiles de violations des droits de l’homme. 

Quant à la (notion juridique de) détention préventive, elle est régie par la Loi nationale de procédure pénale de 2017 et est soumise aux critères d’exceptionnalité et de présomption d’innocence, a poursuivi Mme Delgado Peralta, ajoutant qu’elle est prononcée par un juge et respecte les règles de régularité de la procédure.  La cheffe de la délégation a en outre souligné que la Cour suprême avait statué que les preuves obtenues sous la torture sont inadmissibles dans une procédure pénale et doivent être exclues lors des procès.  Quant à la figure de l’arraigo pénal, Mme Delgado Peralta a souligné qu’il s’agissait d’une mesure de précaution et par conséquent temporaire, applicable uniquement pour des délits graves ou relevant de la criminalité organisée.  L’arraigo n’est utilisé qu’à titre exceptionnel et ne saurait donner lieu à aucune mise au secret, à aucune intimidation ni à aucun acte de torture; son usage s’est considérablement réduit ces dernières années, a assuré la cheffe de la délégation, faisant état de 21 cas pour 2018 contre 83 pour 2015 et seulement 4 à ce jour pour 2019 « dans un pays comptant 120 millions d’habitants ». 

En matière de disparitions forcées, le Gouvernement du Mexique a relancé les travaux du Système national de recherche mentionné dans la loi générale entrée en vigueur en 2017 et est en train de travailler à l’élaboration d’un protocole homologué de recherche et à l’intégration du registre national des personnes disparues, a poursuivi Mme Delgado Peralta.  D’autre part, les forces armées et de police suivent une formation continue sur la prévention de la torture, a-t-elle indiqué. 

En réponse aux préoccupations exprimées après la formation de la Garde nationale il y a quelques semaines à peine, le Gouvernement mexicain a signé un accord avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour des conseils et une assistance technique relatifs à la formation et au fonctionnement de cet organe conformément aux normes les plus élevées en matière de droits de l’homme, a par ailleurs précisé Mme Delgado Peralta.

En ce qui concerne les plaintes et les condamnations pour violence sexiste, le Bureau du Procureur spécial chargé des crimes de violence contre les femmes et de traite des personnes a ouvert 2232 enquêtes préliminaires et dossiers d'enquête pour des actes de violence contre les femmes sur le plan fédéral – y compris des cas de violence familiale et des féminicides – de 2012 à décembre 2018, a fait savoir la cheffe de la délégation.  Elle a souligné que la Cour suprême du Mexique assimile la violence sexuelle à un acte de torture et que la déclaration de la victime constitue un élément de preuve fondamental, ayant une valeur prépondérante dans les procès relatifs aux crimes sexuels.  Entre janvier 2013 et novembre 2018, quelque 727 sentences ont été prononcées pour délit de traite; ont en outre été identifiées 8042 victimes potentielles de délits par modalité de traite.

Après avoir décrit la récente réforme du système de justice pénale au Mexique, Mme Delgado Peralta a fait état d’études qui laissent apparaître que cette réforme avait entraîné une réduction de 6% du nombre de personnes détenues signalant avoir fait l’expérience d’une quelconque forme de mauvais traitement voire, parfois, de torture. 

La loi générale déjà mentionnée prévoit des peines très strictes contre les auteurs de torture; la torture y est qualifiée comme un délit imprescriptible et cette loi prévoit la responsabilité du supérieur hiérarchique ainsi que la création de parquets spécialisés et autonomes pour poursuivre ce crime, a-t-elle fait savoir.  Entre-temps, une loi organique adoptée à la fin de 2018 est venue affranchir le parquet général de la République de la tutelle du pouvoir exécutif, a-t-elle précisé.

Quatre mois après son entrée en fonctions, le nouveau Gouvernement est conscient des défis qu’il devra relever, a assuré Mme Delgado Peralta.  Pour éradiquer la torture, le Gouvernement entend collaborer avec toutes les parties concernées au Mexique, notamment avec le mécanisme national de prévention et la société civile, a-t-elle conclu. 

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. DIEGO RODRÍGUEZ-PINZÓN, corapporteur pour l’examen du rapport du Mexique, a remercié la délégation pour les informations fournies concernant les sanctions prévues par la loi générale sur la prévention et la sanction des cas de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et s’est réjoui que cette loi énonce l’imprescriptibilité des actes de torture.  L’expert a toutefois regretté que, pour l’heure, seuls deux des 32 États fédérés du Mexique aient transcrit dans leurs propres lois les dispositions de la loi générale.  Il ne suffit pas d’adopter des lois; encore faut-il appliquer effectivement leurs dispositions, a-t-il souligné.  Il a ainsi regretté que le programme national contre la torture, prévu par la loi générale, ne soit toujours pas appliqué et que fasse toujours défaut le budget pour créer, au niveau fédéral et dans les États fédérés, les parquets spécialisés dans les affaires de torture. 

M. Rodríguez-Pinzón a ensuite cité des rapports indiquant que la torture est pratiquée de manière endémique et en toute impunité par les forces de sécurité; or, seules quinze condamnations pour torture ont été prononcées depuis 2006, a-t-il fait observer. 

Le Comité a également reçu des informations sur des violences physiques commises dans les institutions de santé, les hôpitaux psychiatriques, les centres de détention pour migrants et pour mineurs, a poursuivi le corapporteur.  Il a aussi reçu des informations faisant état de violence sexiste dans différents contextes, d’abus contre les personnes handicapées et les communautés autochtones, ainsi que d’un usage de la force publique dans les espaces publics ou privés – parmi de nombreuses autres situations dramatiques, comme la disparition forcée de 43 étudiants à Ayotzinapa.

M. Rodríguez-Pinzón a recommandé que les plaintes pour arrestation arbitraire fassent systématiquement l’objet d’enquête.  Le Comité, a-t-il ajouté, est très préoccupé que plus de 40% des personnes arrêtées ne fassent l’objet d’aucun ordre de détention.  Il a demandé dans quelle mesure les justiciables bénéficiaient de toutes les garanties procédurales, s’agissant notamment de l’accès à un avocat de la défense, et a fait observer que, trop souvent, les personnes arrêtées sont placées au secret dès le début de leur détention.  D’autres questions de l’expert ont porté sur la synchronisation des registres de détention utilisés au niveau fédéral et au niveau des États fédérés.

Le corapporteur a constaté avec satisfaction que l’arraigo – concept juridique qui autorise les gardes à vue de quarante jours dans le cadre d’enquêtes sur la grande criminalité – était beaucoup moins souvent appliqué depuis quelques années.  Mais la seule existence de ce concept dans la loi fait planer une menace sur la protection des droits fondamentaux des justiciables, a-t-il estimé. 

M. Rodríguez-Pinzón a posé d’autres questions relatives à la détention préventive et à l’efficacité du mécanisme national de prévention de la torture.  Il a recommandé au Mexique d’appliquer dès que possible le Protocole d’Istanbul (manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). 

M. Rodríguez-Pinzón s’est également enquis de l’ampleur du problème de la traite des êtres humains et de la prise en charge des victimes.  Il a voulu savoir si l’État mexicain s’était doté des outils juridiques et des règlements pertinents dans ce domaine. 

Le Comité, a dit le corapporteur, est préoccupé par les informations fournies dans le rapport relativement à l’article 3 de la Convention (refoulement ou extradition d’une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.) Il s’est enquis des garanties juridiques et réglementaires offertes aux personnes expulsées du Mexique vers des pays tiers, en particulier les États-Unis.  L’expert a en outre voulu savoir si le mécanisme national de prévention pouvait visiter les centres de détention de migrants.

D’autres questions de l’expert ont porté sur le fonctionnement de l’institution nationale de droits de l’homme; sur la répression de la violence envers les femmes, y compris les féminicides commis à Ciudad Juarez; sur la possibilité pour les tribunaux mexicains de poursuivre des actes de torture commis dans des pays tiers; et sur l’efficacité de la formation dispensée aux fonctionnaires en matière de prévention de la torture. 

Le corapporteur a par la suite insisté sur le fait que l’éradication de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, si elle est un objectif louable et de longue haleine, doit aussi faire l’objet de mesures à court terme.  En particulier, il est important que les plus hautes autorités du pays condamnent publiquement et sans ambiguïté la torture, ce qui a aussi pour effet de valider les efforts consentis dans ce domaine par la société civile, a souligné M. Rodríguez-Pinzón.

M. JENS MODVIG, Président du Comité et corapporteur pour l’examen du rapport du Mexique, a rappelé que, selon l’article 11 de la Convention, les États sont tenus de procéder à une « surveillance systématique sur les règles, instructions, méthodes et pratiques d'interrogatoire et sur les dispositions concernant la garde et le traitement des personnes arrêtées, détenues ou emprisonnées de quelque façon que ce soit sur tout territoire sous [leur] juridiction, en vue d'éviter tout cas de torture ».  M. Modvig s’est dit déçu par le manque d’informations, dans le rapport, au sujet de cette surveillance systématique; il a demandé comment le Mexique allait respecter cette obligation dans le contexte de la création d’une nouvelle force de sécurité: la Garde nationale.

D’autre part, M. Modvig a demandé des précisions sur les taux d’occupation des différentes prisons au Mexique (établissements fédéraux ou étatiques).  Le nombre de crimes et délits autorisant la détention avant jugement a été multiplié par trois, a-t-il par ailleurs relevé, se demandant si cela ne contribuait pas à la surpopulation carcérale constatée par certaines sources.  La Commission nationale des droits de l’homme mexicaine indique que la moitié des prisons au Mexique sont gérées par des gangs (ce qu’elle appelle « l’administration autonome »), a ensuite constaté M. Modvig, se demandant en quoi les mesures prises par le Gouvernement – et décrites aux paragraphes 92 à 95 du rapport – pourraient améliorer la situation à cet égard. 

M. Modvig a demandé d’autres explications sur le régime d’enfermement dans les « cellules de sécurité » des prisons mexicaines; sur la fréquence des actes de violence entre détenus; et sur le nombre et les causes de décès de personnes détenues.  M. Modvig a relevé à ce propos que plusieurs dizaines de détenus sont décédés, depuis quelques années, lors d’émeutes dans les prisons mexicaines.  Il a regretté que le Mexique ne collecte pas de statistiques sur ce problème.  Le corapporteur a ensuite fait observer que, selon une étude récente sur la corruption au Mexique, 87% des détenus auraient donné de l’argent à leurs gardiens pour en obtenir divers avantages. 

M. Modvig a regretté que le rapport n’apporte pas de réponses aux questions du Comité s’agissant du nombre de plaintes déposées au Mexique pour torture ou mauvais traitements et des suites données à ces plaintes.  Le Comité a cependant été informé que la Commission nationale des droits de l’homme avait reçu, de 2013 à janvier 2019, 285 plaintes pour torture et 3239 plaintes pour mauvais traitements.  Au sujet de neuf plaintes pour torture et de neuf plaintes pour mauvais traitements, la Commission a jugé qu’une violation grave avait été commise, a relevé M. Modvig: il a voulu savoir si des enquêtes avaient eu lieu et si des sanctions avaient été prononcées à ce propos. 

M. Modvig a ensuite regretté que les autorités de police laissent les familles de personnes disparues mener leurs propres enquêtes sur les disparitions.  Il a en outre regretté que 34 personnes arrêtées dans le cadre de l’enquête sur la disparition forcée des 43 étudiants d’Ayotzinapa aient, elles-mêmes, été victimes de détention arbitraire et de torture. 

M. Modvig a recommandé au Mexique de créer une institution indépendante de médecine légale, qui pourrait aussi contrôler les certificats médicaux établis par des experts lors de soupçons d’actes de torture commis sur des personnes détenues.  Le corapporteur a en effet regretté que les certificats établis actuellement ne répondent pas aux normes du Protocole d’Istanbul.

M. Modvig a par ailleurs déploré que l’obtention d’aveux par le moyen de la torture semble être monnaie courante au Mexique et qu’il revienne à la victime de démontrer que torture il y a eu. 

Le corapporteur a également regretté que le système officiel de protection des défenseurs des droits de l’homme soit inefficace. 

M. Modvig a prié la délégation de commenter l’absence de résultats dans les enquêtes ayant fait suite aux meurtres, en 2013, de MM. Herón Sixto López, Alberto López Bello, Arturo Hernández Cardona, Félix Rafael Bandera Román et Ángel Román Ramírez.  Il s’est également enquis de l’avancement de l’enquête portant sur la disparition forcée de 23 personnes à Nuevo Laredo, dans l’État de Tamaulipas; M. Modvig a regretté que tant la Marine mexicaine – probablement impliquée dans ces disparitions – que le procureur aient tardé à répondre aux questions du juge chargé de l’enquête.

Le corapporteur a par la suite souhaité savoir si le Mexique entendait retirer aux forces armées leur rôle de maintien de l’ordre. 

Une autre experte du Comité a regretté le manque d’informations, dans le rapport, au sujet de la protection accordée par le Mexique aux personnes en quête de protection internationale.  Elle a demandé combien de demandes d’asile le Mexique avait acceptées et à combien d’expulsions il avait procédé et vers quels pays. 

D’autres questions des membres du Comité sur ce sujet ont porté sur les accords d’extradition passés par le Mexique avait des pays tiers; sur la détention préventive des migrants en tant que mesure « de routine »; et sur la détection des victimes de torture ou de mauvais traitements parmi les requérants d’asile. 

Une experte s’est pour sa part inquiétée du maintien en détention préventive, pendant des semaines voire des mois, de mineurs en conflit avec la loi.  Elle a voulu savoir si des programmes de réinsertion des jeunes délinquants existent au Mexique. 

Réponses de la délégation

Répondant aux questions sur l’administration de la justice, la délégation a d’abord précisé que la loi générale sur la torture s’appliquait sur l’ensemble du territoire mexicain, même si tous les 32 États fédérés ne l’ont pas retranscrite dans leur propre législation.  Elle a fait état de l’organisation d’un séminaire à Mexico City afin de coordonner l’application de la loi générale sur le territoire mexicain. 

La délégation a ensuite précisé que la création d’un registre d’écrou centralisé constituerait un élément central de la lutte contre la torture.  La loi portant création de cet outil devrait être adoptée d’ici à la fin du mois de juin.  L’accès à l’information sur les détenus sera garanti à toutes les parties qui y ont un intérêt légitime, a précisé la délégation.

Le Gouvernement fédéral est conscient du fait que la torture est un fait grave, a poursuivi la délégation, avant d’ajouter que ce problème ne correspondait pas à une politique délibérée dans le pays.  Le nombre de plaintes pour actes de torture a reculé, à l’échelle fédérale, de 90% entre 2016 et 2018 (passant de 360 à 40 plaintes), a fait valoir la délégation.  Le Gouvernement actuel ne permettra pas que le pouvoir agisse dans l’impunité, a-t-elle assuré.

Quant à l’arraigo, a-t-il été précisé, cette mesure n’est appliquée que dans le cadre des enquêtes sur la criminalité organisée.  Cette mesure, comme il a été déjà dit, est de moins en moins souvent appliquée au Mexique, a insisté la délégation.

La délégation a ensuite décrit la procédure de saisine et d’enquête qui s’applique en cas de flagrant délit de torture.  Cette procédure comprend notamment l’établissement de certificats médicaux, pour établir les faits.  Toutes les mesures visent, d’une part à prendre en charge rapidement les victimes; et, d’autre part, à assurer la collecte des éléments de preuve pour faciliter le travail des autorités de poursuite, a précisé la délégation.  Les autorités ont pour objectif de simplifier la saisine des autorités responsables en cas de torture ou de mauvais traitements imputables à des fonctionnaires, a ajouté la délégation.  C’est pourquoi il est devenu possible de déposer plainte en ligne, 24 heures sur 24 et tous les jours de l’année.

La délégation a assuré que son Gouvernement était conscient de l’importance de l’indépendance des médecins chargés de procéder à l’examen des personnes détenues pour déceler des actes de torture et de l’importance qu’il y a à suivre, dans ce domaine, les lignes directrices du Protocole d’Istanbul.  Les médecins et psychologues reçoivent une formation spécialisée dans ce domaine. 

Après avoir décrit les activités, aux niveaux fédéral et local, des procureurs spécialisés dans le délit de traite des personnes, la délégation a précisé que l’action du Gouvernement dans ce domaine portait – notamment – sur la prévention, sur la prise en charge et sur les réparations, ainsi que sur la formation des fonctionnaires concernés; le Gouvernement collabore aussi avec les pays voisins, dans un cadre tant régional que bilatéral.  Dans ce domaine également, les pouvoirs publics s’efforcent de faciliter le dépôt de plainte, a ajouté la délégation.

La délégation a aussi informé le Comité de ce que le Gouvernement était en train d’élaborer une définition officielle de la torture sexuelle, en vue d’ériger cette pratique en un délit autonome.

Dans l’enquête sur l’affaire d’Ayotzinapa, des experts indépendants sont actuellement chargés de déterminer si des actes de torture ont été commis, a par ailleurs indiqué la délégation, avant d’assurer que le cas échéant, les coupables seraient poursuivis au pénal.  Les autorités ont créé une commission chargée d’aider les familles des victimes à connaître la vérité sur cette affaire, a-t-elle ajouté.  Cette commission se réunit chaque mois et se réunira jusqu’à ce que justice soit rendue dans cette « déplorable affaire ».

S’agissant des conditions de détention, la délégation a assuré que les prisons fédérales n’étaient plus en situation de surpopulation depuis 2015.  Elle a décrit les services sanitaires offerts aux personnes détenues, ainsi que la supervision exercée par la Commission nationale des droits de l’homme, laquelle est notamment chargée de réaliser, chaque année, une enquête sur les conditions de détention.

Quelque 1400 mineurs en conflit avec la loi sont internés et les exigences du droit international en la matière sont respectées, a en outre indiqué la délégation. 

La délégation a aussi assuré que les autorités avaient réussi à éliminer l’«administration autonome» des lieux de détention.  Elle a indiqué que la dernière mutinerie dans une prison mexicaine remontait à 2013.  Elle a ajouté qu’entre 2013 et 2018, 220 personnes détenues étaient décédées dans les pénitenciers fédéraux et que, pendant le même temps, 2531 détenus étaient décédés dans les centres pénitentiaires des entités fédérées.

Cent quarante-six médecins et 114 psychologues sont compétents pour évaluer les risques de torture sur des personnes détenues, a-t-il en outre été précisé.

S’agissant des garanties procédurales, le justiciable sans avocat se voit désigner un conseil commis d’office, a fait valoir la délégation, avant d’ajouter que chaque personne détenue a droit à un certain temps de contact humain par jour. 

Grâce à un changement dans les méthodes d’instruction pénale, le Mexique a considérablement réduit le nombre des délits autorisant d’en placer l’auteur présumé en détention préventive, a souligné la délégation. 

Le mécanisme national de protection des défenseurs des droits de l’homme et des journalistes est appuyé par un « conseil citoyen » composé de représentants de la société civile, a d’autre part indiqué la délégation.  Le Bureau du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Mexico City est invité aux réunions du conseil d’administration de ce mécanisme, a-t-elle ajouté, avant de préciser que le Haut-Commissariat a été chargé d’évaluer l’efficacité dudit mécanisme. 

La délégation a indiqué que MM. Herón López, López Bello, Hernández Cardona, Bandera Román, Román Ramírez, mentionnés par le Président du Comité en tant que corapporteur, n’avaient pas été couverts par ce mécanisme. 

La délégation a ensuite fait savoir que la Commission nationale chargée d’éradiquer la violence contre les femmes avait ouvert, en 2014, une antenne à Ciudad Juarez: cette présence et les mesures prises par ailleurs font que l’on ne recense plus de féminicides dans cette ville à l’heure actuelle, a assuré la délégation.  Cependant, le Gouvernement fédéral n’entend pas minimiser la violence contre les femmes au Mexique, a-t-elle par la suite assuré.  La délégation a en outre précisé que l’on avait compté dans tout le Mexique, entre 2015 et 2019, un total de 2745 féminicides et que 709 sentences avaient été prononcées entre 2011 et 2017, réparties entre 573 condamnations et 136 acquittements.

La délégation a ensuite assuré le Comité que le Mexique respectait strictement le principe de non-refoulement énoncé à l’article 3 de la Convention.  Elle a précisé que chaque expulsion d’une personne était soumise à une procédure établie et à un jugement qui peut faire l’objet d’un recours.  D’autre part, le mécanisme national de prévention de la torture est habilité à visiter les centres de rétention de migrants («estaciones migratorias») où sont hébergés les requérants d’asile, a précisé la délégation.  Face à des flux migratoires inhabituels, les autorités mexicaines s’efforcent – avec l’aide des partenaires internationaux comme le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) – de répondre aux besoins de base des migrants dans tous les domaines, notamment pour ce qui est du logement et de la prise en charge des enfants. 

La délégation a réitéré que la juridiction militaire ne pouvait plus être saisie d’affaires dont les victimes sont des civils.  Elle a en outre fourni des précisions au sujet de la formation dispensée aux membres de forces armées en matière de prévention de la torture et a fait savoir qu’en avril dernier, le Mexique avait passé un accord avec le Haut-Commissariat aux droits de l'homme pour évaluer les méthodes de formation appliquées. 

La Garde nationale est un corps de police totalement civil, a tenu à préciser la délégation.  Elle a dit comprendre les préoccupations exprimées s’agissant des rôles de maintien de l’ordre confiés aux forces armées.  Mais, a-t-elle ajouté, à ce stade, et en attendant que les États fédérés et les autorités locales se dotent de leurs propres forces de sécurité, ce serait une erreur de retirer l’armée de certains « points chauds » du territoire.

Remarques de conclusion

MME DELGADO PERALTA s’est félicitée de l’occasion qui a été donnée à sa délégation de répondre aux questions et préoccupations du Comité.  La cheffe de la délégation a admis que le Mexique devrait améliorer les méthodes d’interrogatoire utilisées par les forces de sécurité et les institutions judiciaires.  Mais il n’en demeure pas moins que le Gouvernement tout comme le Président de la République sont tout à fait opposés à la torture, a-t-elle assuré.  Elle a insisté sur le fait que la population mexicaine est lasse de l’impunité: c’est pourquoi le nouveau Gouvernement entend œuvrer à une transformation des mentalités qui soit propice au plein respect de l’état de droit, a-t-elle indiqué. 

M. MODVIG a souligné que la délégation disposait de quelques jours pour communiquer, par écrit, des compléments de réponses aux questions posées par les experts.

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