Skip to main content

Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel : " 20 ans de protection. Célébrons le vingtième anniversaire de l’entrée en vigueur de cette Convention. "

01 Mars 2019

Intervenante principale : Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

1er mars 2019, Palais des Nations

Excellences,
Chers collègues et amis,

Je suis ravie d’être parmi vous aujourd’hui. 

Je soutenais la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel avant même de devenir Haute-Commissaire aux droits de l’homme. Comme de nombreux chefs d’État et de gouvernement dans le monde, j’ai pu constater son immense valeur. Il s’agit d’un effort collaboratif sans précédent entre l’ONU, les États et les organisations de la société civile, et d’un pilier clé du désarmement international et du droit humanitaire. Je croyais alors, et je crois encore aujourd’hui, que l’accent mis sur la protection, la dignité et les droits de chacun font de cette convention l’un des meilleurs exemples de multilatéralisme. 

Nous avons donc beaucoup à célébrer alors que nous revenons sur 20 ans de progrès : 164 États sont parties à la Convention, 53 millions de mines terrestres ont été détruites, de nombreuses opérations de déminage ont été menées avec succès, la production de mines terrestres a considérablement ralenti et leur commerce a pratiquement cessé, et l’accent est mis sur les survivants et leurs droits de l’homme. Nous savons aussi que grâce à cette Convention, d’innombrables personnes n’ont PAS perdu la vie et n’ont pas subi de changements dévastateurs.

Mais il reste encore beaucoup à faire. Selon un rapport datant d’octobre 2018, au moins 56 États et 4 autres zones contiendraient encore de nombreuses mines antipersonnel.

Les mines terrestres continuent de tuer, de brûler et de mutiler. Elles causent des handicaps permanents, notamment visuels et auditifs. Elles détruisent les moyens de subsistance, entravent l’accès à l’eau, empêchent l’acheminement de l’aide humanitaire, affectent les pratiques culturelles et font même obstacle au redressement économique national. 

Elles génèrent la peur. Elles poussent les gens à cesser d’utiliser les terres agricoles et les pâturages, les quais de pêche et les rizières. Ou pire encore, les circonstances de la vie quotidienne poussent les gens à continuer d’utiliser ces zones contaminées. C’est alors une sorte de sombre loterie où le fait de marcher quelques centimètres dans un sens ou dans l’autre peut faire toute la différence entre la vie et la mort, entre une bonne santé et des blessures horribles. 

Les enfants qui se rendent à l’école ou en reviennent à pied, qui jouent ou qui aident à l’élevage ou à l’agriculture, peuvent voir leur avenir changer en un instant. 

À cause des mines terrestres, les enfants nés dans la paix sont tués par la guerre. 

Excellences,

Ces mines violent les droits fondamentaux à la vie, à la liberté et à la sécurité. Elles violent les droits sociaux, économiques et culturels durant des années, souvent durant des décennies. Malgré tous les accomplissements des 20 dernières années, nous devons continuer à mettre fin à leur utilisation, leur stockage, leur production et leur transfert, et cette mission est cruciale d’un point de vue humanitaire et pour la défense des droits de l’homme. 

Mais avant d’explorer les obstacles changeants et importants au progrès, j’aimerais me pencher sur les leçons que nous pouvons tirer de tout ce que nous avons pu accomplir grâce à la Convention.

La Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel revêt une importance historique non seulement pour son impact positif, mais aussi pour la manière dont elle a vu le jour et pour son approche axée sur les droits de l’homme. 

Dès les premiers jours de la campagne en faveur de cette Convention, la société civile, les États partageant les mêmes idées, les organismes des Nations Unies et les organisations internationales, y compris le Comité international de la Croix-Rouge, ont insisté avec détermination pour que des mesures soient prises dans un contexte où un consensus international semblait incertain. Mais leur persévérance a payé.

En 1997, les rédacteurs de la Convention ont rassemblé le droit international des droits de l’homme, le droit humanitaire et le désarmement en un seul instrument – ce qui est une réalisation unique et extraordinaire. Elle a été promulguée deux ans plus tard.

Aujourd’hui, elle est non seulement l’une des conventions sur le désarmement les plus ratifiées, mais elle a également permis d’instaurer la conviction durable que l’emploi des mines terrestres ne peut se justifier et que ces dernières ne devraient jamais être utilisées. En résumé, elle a changé les attitudes à l’échelle mondiale     ainsi que le droit international.

Plus encore, elle a montré sans ambiguïté comment une convention internationale peut aboutir à un plus grand respect et à une meilleure protection des droits fondamentaux. Son approche fondée sur les droits de l’homme est un élément clé de son héritage. C’est l’une des premières conventions à avoir reconnu les droits des survivants handicapés. Elle reconnaît que les défis auxquels ils sont confrontés doivent être abordés sous l’angle des droits de l’homme et oblige les États à fournir l’assistance dont ils ont besoin. 

Cette perspective a joué un rôle important dans les négociations qui ont suivi concernant la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Les deux conventions ont un objectif commun, celui de reconnaître la pleine inclusion et la participation effective de toutes les personnes handicapées à la vie sociale, culturelle, économique et politique de leurs communautés.

Les mesures spécifiques prévues dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées aident également les États à comprendre leurs obligations précises en vertu de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel, notamment la garantie de l’accès des survivants aux soins de santé, à la réadaptation, à l’emploi, à la protection sociale et à l’éducation, et le respect des principes fondamentaux d’inclusion et de participation. 

Cette symbiose entre les deux conventions a permis de faire progresser les droits de l’homme de toutes les personnes handicapées. Elle montre également que les droits de l’homme peuvent être au cœur même d’instruments internationaux complexes. 

Chers collègues et amis,

Aujourd’hui, nous célébrons cet héritage : non seulement une action mondiale efficace contre les mines terrestres, mais aussi une immense contribution aux droits de l’homme et aux droits des personnes handicapées.

Mais effectivement, il nous reste encore beaucoup de travail. Certains des progrès réalisés au cours des deux dernières décennies risquent d’être contrebalancés par une augmentation très préoccupante de l’emploi de d’engins explosifs par des groupes non étatiques, souvent sous la forme d’engins explosifs improvisés. Ces pratiques ont été signalées dans au moins huit pays : l’Afghanistan, la Colombie, l’Inde, le Myanmar, le Nigéria, le Pakistan, la Thaïlande et le Yémen. Rien qu’en Afghanistan, entre 2008 et 2016, des engins explosifs improvisés à plateau de pression ont tué 2 111 civils et en ont blessé plus de 2 500 autres.

Il est également profondément regrettable qu’une poignée d’États puissent continuer à fabriquer et à commercialiser des mines terrestres, que d’autres aient refusé d’exclure leur fabrication à l’avenir, et que certains États n’aient toujours pas ratifié la Convention et conservent d’énormes stocks de ces armes dévastatrices. 

Le Myanmar, qui n’est pas partie à la Convention, est le seul État pour lequel l’emploi de nouvelles mines terrestres a été confirmé. Ce pays a utilisé des mines antipersonnel très récemment, entre octobre 2017 et octobre 2018, selon l’Observatoire des mines. Nous savons également que la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur le Myanmar, qui rend compte en détail des victimes des mines terrestres depuis août 2011, a trouvé des preuves raisonnables permettant de conclure que l’armée a posé des mines dans les régions frontalières et dans le nord de l’État rakhine, avec pour conséquence prévue ou prévisible de blesser ou tuer des civils rohingya en fuite vers le Bangladesh. La Mission a également conclu par les mots suivants : " Il semble probable que de nouvelles mines antipersonnel aient été placées dans les zones frontalières dans le cadre d’une stratégie délibérée et planifiée visant à dissuader les réfugiés rohingya de tenter de retourner au Myanmar. 

Chers collègues et amis,

Aucun État – qu’il soit ou non partie à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel – ne peut justifier l’emploi de ces armes. Elles frappent sans discrimination et de manière disproportionnée. Leur utilisation viole le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire, et n’est jamais acceptable par aucun État, ni par aucun acteur non étatique.

Les mines terrestres ne font pas la distinction entre les combattants et les civils. Entre 70 et 85 % des personnes touchées sont des civils : enfants et adultes, travailleurs humanitaires et Casques bleus, démineurs et journalistes.

Cependant, leur impact n’est pas le même pour tous les groupes de la société. J’aimerais souligner quelques-unes de ces questions, ainsi que la responsabilité des États d’y répondre.

Par exemple, les hommes sont plus susceptibles que les femmes d’être blessés par des mines terrestres et peuvent être exclus de leur communauté s’ils ne sont pas en mesure de remplir leurs rôles traditionnels. Les femmes survivantes sont plus susceptibles d’être abandonnées si elles ne peuvent plus accomplir leurs tâches conventionnelles au sein de la famille ; elles sont également moins susceptibles d’avoir accès aux services de santé ou à un travail décent, ce qui les expose à un risque accru de pauvreté. Les responsabilités des États dans ce domaine sont claires : ils doivent lutter contre toute discrimination fondée sur le sexe et garantir des politiques d’égalité et d’inclusion pour toutes les personnes handicapées.

Les enfants survivants sont exclus du système éducatif de manière disproportionnée car les écoles ne leur sont plus accessibles ; ils peuvent même être placés de force dans des institutions car leur famille manque d’information et de soutien. Là encore, les États ont une voie très claire à suivre en matière de droits de l’homme : ils doivent garantir une éducation inclusive pour tous les enfants handicapés et veiller à ce que leur droit de participer activement à la vie de la communauté soit respecté.

L’impact est également disproportionné pour les survivants des zones rurales, où les services de santé et de réadaptation peuvent ne pas être disponibles : les États devront investir dans des services communautaires dans ces domaines pour lutter contre ces inégalités. 

En fait, il se peut que le nombre de personnes tuées ou blessées dans les zones reculées ne soit jamais consigné, ce qui signifie que les survivants n’ont pas accès aux ressources dont ils ont besoin et que l’ampleur du problème n’est pas mesurée de manière adéquate. Des données ventilées sont essentielles pour résoudre ces problèmes, comme c’est le cas pour beaucoup d’autres questions relatives aux droits de l’homme et au développement, et là encore cette responsabilité incombe aux États.

Enfin, malgré les graves conséquences financières, de nombreux survivants se voient privés du soutien dont ils ont besoin en raison de politiques gouvernementales qui fusionnent la protection sociale et les programmes de réparation. Les États doivent fournir des réparations ET une sécurité sociale égale pour s’en prémunir. 

Excellences, 

J’exhorte tous les États à honorer leurs obligations d’assurer l’inclusion et l’égalité des survivants, conformément à la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel et à la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Je suis ravie que le Haut-Commissariat joue également un rôle direct dans la lutte contre certains des pires effets des mines terrestres, notamment la protection des droits des personnes handicapées, la lutte contre la discrimination à leur égard et l’aide à la mise en œuvre de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. 

Il rend également compte régulièrement de l’emploi d’engins explosifs dans des pays comme l’Afghanistan, l’Iraq, la Somalie, la Syrie et le Yémen, et appuie les mécanismes d’enquête indépendants qui ont documenté l’emploi et les effets de ces terribles armes.

Chers collègues et amis,

Nous tous présents dans cette salle aujourd’hui partageons la même volonté de mettre fin à ces violations des droits de l’homme et à ces abus, que ce soit au niveau international ou sur le terrain dans les champs de mines. Nous abordons les 20 prochaines années de la Convention avec un engagement renouvelé envers toutes ses dispositions et avec la volonté de faire en sorte que tous les survivants puissent jouir pleinement de leurs droits de l’homme et de leurs libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les autres. 

Cette Convention peut sauver des vies, restaurer la dignité humaine et donner à tous les êtres humains les moyens de vivre une vie pleine et productive. 

C’est une histoire positive en matière de droits de l’homme et un exemple typique du pouvoir de transformation de la passion, de la persuasion et du partenariat. 

Mais le plus grand héritage de la Convention sur l’interdiction des mines antipersonnel est peut-être qu’elle nous met au défi de rêver. Elle nous enseigne que ce qui est impossible aujourd’hui peut être la réalité de demain ; que les violations " normalisées  des droits de l’homme d’aujourd’hui peuvent être le comportement stigmatisé de demain. J’espère que cette Convention inspirera tous nos efforts pour garantir tous les droits de l’homme à tous les peuples du monde.

Merci.