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Être noire en Suisse

Image tirée de Je suis noires, avec Rachel M’Bon. © Akka Films

Pour Rachel M’Bon, être suisse consiste à trouver pratiquement chaque jour un moyen de prouver son appartenance à ce pays.

Elle se souvient d’une fois où, adolescente, elle s’est fait maîtrisée par trois policiers et arrêtée alors qu’elle se rendait dans le bâtiment où elle travaillait, ces policiers étant convaincus qu’elle était entrée par effraction, pour la simple raison qu’elle était noire.

« Je suis née en Suisse », indique la cinéaste. « Je me suis retrouvée plusieurs fois au commissariat, car je n’avais pas de papiers d’identité sur moi, alors que mes amis rentraient chez eux. Tout cela parce qu’ils n’étaient pas noirs. »

Bien qu’elle soit née et ait grandi en Suisse, cette femme d’ascendance africaine estime qu’elle n’a jamais vraiment réussi à trouver sa place. En raison de la neutralité qui caractérise le pays, de nombreux Suisses – et bien d’autres à travers le monde – réfutent l’idée que le racisme ou la discrimination puissent exister en Suisse, ajoute-t-elle.

« L’image de perfection de la Suisse doit être déconstruite, car elle exclut la possibilité de parler des personnes discriminées et nie également la possibilité de lutter contre cette histoire », déclare Rachel. « Il est très difficile de lutter contre le racisme lorsqu’il existe un déni généralisé de ce phénomène. »

Elle a souhaité montrer cette discrimination et la manière dont elle affecte non seulement sa vie, mais aussi celle d’autres femmes noires dans le pays. C’est alors que l’idée de Je suis noires est née : un documentaire qui montre les microagressions et les actes plus graves de discrimination dont font l’objet les femmes noires en Suisse.

« Je voulais trouver un moyen subtil de faire entendre les voix [des femmes noires] et de montrer aux citoyens suisses et d’ailleurs ce qui se passe ici, car le plus souvent on a l’impression que les problèmes de racisme ne concernent que les autres pays », explique-t-elle.

« La Suisse a par miracle réussi à éviter cette question dans la mesure où elle n’a pas de passé colonial », poursuit-elle. « [Ce film] a aussi pour objectif de montrer que la Suisse n’est pas étrangère au racisme, bien au contraire. »

Ce documentaire recueille des témoignages de femmes noires affectées par ces problèmes et engagées dans la lutte contre le racisme et la discrimination. Il montre également le combat de ces femmes pour se trouver et assumer leur identité dans une société qui les rend très conscientes de leur « altérité ».

« [Ce sont les femmes] qui sont toujours au bout de la chaîne, [représenter uniquement des femmes] était une façon de remédier à une négligence générale des voix des femmes », explique Rachel.

Le rapport du HCDH sur la justice et l’égalité raciales, publié en juillet 2021, contient un programme en quatre points pour mettre fin au racisme systémique et aux violations des droits de l’homme à l’encontre des Africains et des personnes d’ascendance africaine. Il appelle les États à cesser de nier le racisme et à commencer à le démanteler, à mettre fin à l’impunité et à établir un climat de confiance, à écouter les personnes d’ascendance africaine, leurs préoccupations et les solutions qu’elles apportent, et à affronter l’héritage du passé, en adoptant des mesures spéciales et en rendant une justice réparatrice.

Rachel M’Bon estime que ce film a commencé à faire bouger les choses. Les diverses projections de Je suis noires ont attiré un large public, dont des jeunes hommes blancs qui, après avoir vu le film, ont confié à Rachel avoir changé leur perception des femmes noires, et vouloir se rallier à la cause et lutter contre leurs propres préjugés.

« Certains se sont rendu compte de l’absurdité de leur comportement. C’est ce que j’ai voulu dépeindre à travers ce film, à savoir qu’au bout du compte, ce qui compte, c’est que nous sommes tous des êtres humains ».

La campagne Apprenez, parlez, agissez !, lancée par le HCDH en juillet 2022, est un appel mondial à une action concrète contre le racisme, la discrimination, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée. Ces problèmes et leurs effets ne sont pas nouveaux, leurs solutions non plus. Nous avons besoin d’actions : de la part des gouvernements, des institutions, des groupes et des individus, en particulier des jeunes.

« Nous ne pouvons pas attendre qu’une tragédie comme celle de George Floyd se produise chaque semaine pour réagir », affirme la cinéaste. « C’est pour ça que ces campagnes sont importantes. Pour moi, elles sont cruciales pour toucher les jeunes et les sensibiliser, car ils sont les adultes de demain. Il faut aussi que les politiciens adoptent une position claire. Il faut être capable de diffuser des messages et des informations au sein du pouvoir et dans la vie quotidienne, et de mettre en place petit à petit des stratégies qui aideront les gens à se rendre compte que tout le monde sera gagnant si nous trouvons des solutions qui permettent à toute une société de vivre sur un pied d’égalité. »

Une projection spéciale du documentaire Je suis noires, réalisé par Rachel M’Bon et Juliana Fanjul, est prévue le 20 septembre à 18 h 30 à Cinerama Empire, 71 Rue de Carouge, à Genève, dans le cadre de Ciné ONU.

Après la projection se tiendra un débat sur le thème « Démanteler le racisme systémique : apprenez, parlez, agissez ! » avec Rachel M’Bon, Mona Rishmawi, cheffe du Service de l’état de droit, de l’égalité et de la non-discrimination des Nations Unies, et Yvonne Apiyo Brändle-Amolo, parlementaire suisse, médiatrice interculturelle, productrice de films et artiste militante féministe. L’entrée est gratuite.