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Femmes

À la suite d’un moratoire sur les MGF au Libéria, les victimes cherchent encore à obtenir justice

09 Juin 2022

Le combat d’une mère libérienne pour obtenir justice pour sa fille, qui a subi des mutilations génitales féminines (MGF), est à l’origine de l’interdiction récente de cette pratique dans le pays pour une durée de trois ans.

« Je suis tellement contente d’avoir retrouvé ma fille », a déclaré Deborah Parker.

Le 28 septembre 2021, sa fille, alors âgée de 15 ans, a été enlevée par des cheffes traditionnelles du Libéria, appelées zoes, et emmenée de Mount Barclay, une ville proche de la capitale Monrovia, à l’école de brousse Sande. C’est là qu’elle a été initiée de force dans la société secrète des zoes. Pour ces femmes, les mutilations génitales féminines (MGF) font partie de l’initiation.

Dès l’instant où sa fille a été enlevée, Deborah Parker a levé la voix, allant à l’encontre d’une règle communautaire tacite selon laquelle on ne doit pas parler de ces pratiques préjudiciables. Elle s’est adressée à la police, a frappé aux portes des bureaux gouvernementaux et a contacté plusieurs ONG, organisations internationales et présences de l’ONU au Libéria, dont le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), pour obtenir de l’aide.

Fatiguée d’attendre, elle a décidé le 10 novembre d’aller chercher sa fille, avec l’aide d’une ONG locale. Ayant appris que 42 filles, dont la sienne, avaient été déplacées de l’école de brousse Sande vers une autre ville, elle s’est rendue sur le nouveau site et a payé pour que sa fille soit libérée.

La campagne de Mme Parker pour dénoncer les zoes et les pratiques préjudiciables au Libéria n’a pas pris fin au moment où elle a retrouvé sa fille. Elle continue aujourd’hui de raconter les épreuves de sa fille et d’autres familles à la presse et à qui veut bien l’entendre. Elle s’est même rendue au Conseil conjoint des chefs coutumiers et des anciens du Libéria pour demander la fin des pratiques consistant à enlever des personnes pour les initier de force à des sociétés secrètes. De telles pratiques ne font pas partie de la culture libérienne, a-t-elle souligné.

Suite à la demande de Mme Parker auprès du bureau du HCDH au Libéria le 10 février 2022, plusieurs titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme ont adressé une communication au Gouvernement sur son cas. Dans cette communication, ces titulaires ont exprimé leur préoccupation concernant plusieurs violations des droits de sa fille, notamment ses droits à la vie, à l’intégrité physique, à la liberté et à ne pas être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En 2018, Ellen Johnson-Sirleaf, alors présidente du Libéria, a signé un décret interdisant les mutilations génitales féminines pour les filles de moins de 18 ans. Ce décret a été suivi d’une autre interdiction d’un an imposée en 2019 par des chefs coutumiers ayant signé la déclaration de Ganta, une déclaration de politique générale en sept points pour la suspension temporaire des activités des zoes. Lorsque la fille Deborah Parker a été enlevée de force, les protections légales contre les MGF n’étaient plus appliquées. Cependant, la campagne qu’elle a menée a probablement influencé le Gouvernement et le Conseil conjoint des chefs coutumiers et des anciens du Libéria, qui ont annoncé un moratoire de trois ans sur les MGF le 21 février 2022.

Uchenna Emelonye, Représentant du Libéria auprès du HCDH, a salué cette évolution.

« Le résultat final souhaité serait la promulgation d’une loi qui pénalise et abolit [les mutilations génitales féminines] au Libéria », a-t-il déclaré. « Il faut pour cela que le Parlement soit impliqué, et donc que les citoyens soient impliqués dans la demande de signature de la loi par le Président. »

M. Emelonye a souligné que Deborah Parker était devenue une figure forte de la lutte contre les MGF. Elle a elle-même été initiée à la société secrète Sande, mais elle est aujourd’hui l’une des rares femmes libériennes ayant dénoncé ce problème, malgré la pression de la société incitant à garder le silence.

« Sa voix a fait écho aux quatre coins du Libéria et à l’échelle internationale concernant l’impact et les effets des mutilations génitales féminines », a déclaré M. Emelonye. « C’est grâce à elle que la question des MGF peut être abordée et débattue, voire abolie. »

La Représentante du Libéria auprès d’ONU-Femmes, Comfort Lamptey, a déclaré qu’elle prévoyait la fin des MGF au Libéria. Selon elle, cela prendra du temps, mais les bases sont déjà posées.

« Il faut que davantage de femmes qui ont subi ces pratiques s’expriment et attestent de leurs effets néfastes », a-t-elle déclaré. « Tant que nous pouvons garantir qu’il existe d’autres moyens de subsistance pour les nombreuses femmes qui s’adonnent à ces pratiques, tant que nous investissons également dans une plus grande éducation des communautés autour des effets néfastes des MGF, et tant que nous pouvons également amener ceux qui défient l’interdiction à répondre de leurs actes devant la loi, je crois que nous pouvons à terme voir disparaître les MGF. »

Des victimes toujours en quête de réparation

Lorsque la fille de Deborah Parker a été emmenée dans la brousse, les zoes lui ont dit qu’elle devait leur verser de l’argent et apporter de la nourriture et d’autres fournitures tous les jours, ou sa fille ne serait pas nourrie. La société secrète a également demandé 45 USD pour la libération de sa fille. À ce jour, Mme Parker n’a toujours pas été remboursée ni obtenu une compensation pour les torts causés à sa fille.

À présent libérée, sa fille ne va plus à l’école, car sa mère ne peut plus payer les frais de scolarité en raison de l’argent qu’elle a dû donner aux zoes.

« D’un côté, j’ai obtenu justice, car ma fille est revenue. D’un autre côté, je n’ai pas obtenu justice parce que les femmes qui l’ont enlevée n’ont pas été poursuivies », a-t-elle déclaré. « Bien que [les autorités] aient dit qu’elles les obligeraient à me dédommager, je me bats toujours pour que ces femmes soient arrêtées et me remboursent. J’ai perdu le peu d’argent que j’avais. »
Deborah Parker reste vigilante, « pour les enfants qui sont encore dans la communauté, dont la vie est menacée à cause de la Sande », a-t-elle expliqué.

Elle estime qu’un moratoire de trois ans sur les MGF n’est pas suffisant. Elle appelle le Gouvernement du Libéria à prendre des mesures pour que les filles puissent aller à l’école sans craindre d’être kidnappées par les zoes.

« Le conseil que je peux donner aux parents qui traversent la même épreuve que moi, c’est de continuer le combat. Les personnes qui peuvent s’exprimer doivent le faire pour celles qui ne le peuvent pas », a-t-elle déclaré. « Personne ne doit abandonner tant que les choses n’auront pas changé. »