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Coup de projecteur sur les droits de l’homme des migrants au lendemain de l’évacuation du camp de Calais

16 Décembre 2016

" Quand les gardes-frontières kenyans ont essayé de m’abattre, je me suis enfui en courant dans les bois. Puis, en Turquie, j’ai été jeté en prison après avoir été arrêté par les autorités alors que j’essayais de passer en Grèce. J’espère à présent rejoindre le Royaume-Uni, " raconte Frezghy, 29 ans, debout devant une tente dans un camp de fortune pour migrants situé dans la campagne du nord de la France.

Nichées dans une zone boisée à environ 70 kilomètres de la ville portuaire française de Calais, deux rangées de tentes plantées sur un terrain boueux accueillent Frezghy et une centaine d’hommes et de femmes issus principalement d’Érythrée, d’Éthiopie et du Soudan. Il s’agit de l’une des innombrables implantations informelles où les migrants ont trouvé refuge dans le pays.

Refusant de donner son nom complet, Frezghy fait partie des 3 000 migrants du camp de Calais qui ont choisi de se soustraire au processus d’enregistrement officiel, depuis que les autorités ont démantelé le camp de Calais en octobre 2016. Près de 5 600 personnes ont été transférées vers 450 abris temporaires et centres d’accueil dans toute la France, où ils peuvent déposer une demande d’asile. Comme ses compagnons, il a choisi ce site en raison de son emplacement idéal près d’un relais routier où il espère pouvoir monter à bord de l’un des camions à destination de l’Angleterre.

Frezghy relate un périple qui a commencé par un passage frontalier nocturne entre son pays natal, l’Érythrée, et l’Éthiopie, afin d’échapper au service national militaire obligatoire. Une enquête récente de l’ONU sur les droits de l’homme a conclu que le service national soumet de nombreux conscrits à un service à vie représentant une forme d’esclavage moderne. " J’aime mon pays, mais je ne peux pas rester militaire toute ma vie, " ajoute Frezghy. Après s’être enfui en Éthiopie, Frezghy a survécu à plusieurs passages de frontière – au Kenya, en Ouganda, au Sud Soudan, aux Émirats arabes unis, en Turquie, en Grèce, en Albanie, au Monténégro, en Serbie, en Hongrie, en Autriche, en Slovénie, en Italie et maintenant, sept ans plus tard, en France.

Cette histoire a été racontée maintes fois par des migrants qui ont réchappé à des voyages périlleux, fuyant la guerre, les persécutions, la pauvreté, la discrimination et d’autres situations qui mettent en danger leur sécurité et leurs droits. Ils sont nombreux à espérer achever la dernière étape de leur voyage, en quittant le littoral du nord de la France pour le Royaume-Uni, via la Manche.

" Comme nous l’avons déjà constaté dans d’autres pays européens, il existe en France une faille dans le régime de protection pour les migrants et les réfugiés en transit qui cherchent refuge et asile le long des frontières, " a déclaré Pia Oberoi, conseillère pour la migration au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. " Nous sommes particulièrement inquiets du sort des personnes qui ont quitté la "jungle" de Calais, qui se cachent et se retrouvent dans ce genre de situation précaire avec un accès limité à la protection et aux services essentiels. "

Évacuation du camp de Calais

Madame Oberoi a participé à une mission d’observation des droits de l’homme diligentée par l’ONU en France, du 16 au 19 novembre 2016, afin d’évaluer la situation des migrants et des réfugiés au regard des droits de l’homme, au lendemain de la fermeture du camp de Calais.  La mission a visité un certain nombre de camps autour de Calais où on leur a fait part de préoccupations concernant l’accès limité des migrants à l’information et à l’assistance juridique, lors du démantèlement du camp.

" Nous sommes très préoccupés par les témoignages que nous avons entendus de la part des migrants et de la société civile concernant l’absence de procédures régulières pendant l’évacuation du camp de Calais, le manque d’accès à l’assistance juridique et le défaut général d’informations des migrants sur leur point de chute et sur leurs droits dans le cadre de leur demande d’asile, " relate Madame Oberoi.

Alors que les autorités françaises ont affirmé avoir distribué des prospectus aux habitants du camp de Calais pour les informer sur leur transfert, la mission de l’ONU a quant à elle été informée du manque de transparence sur l’emplacement des centres d’accueil vers lesquels les migrants ont été déplacés et des conditions et services qui y sont assurés. Les autorités gouvernementales ont également fait remarquer que des journalistes accrédités et des représentants d’ONG étaient présents au cours du démantèlement. Cependant, un certain nombre d’avocats défenseurs des droits de l’homme et d’associations de la société civile ont indiqué s’être vu refuser ou limiter l’accès au camp pendant l’évacuation. Selon eux, cette situation empêchait les migrants de bénéficier des informations nécessaires et d’une assistance juridique, médicale et sociale.

Enfants non accompagnés

Dans un centre d’accueil pour enfants non accompagnés transférés du camp de Calais: Qasim, 16 ans, de Kunduz en Afghanistan, décrit sa fuite dans le coffre d’une voiture devant une attaque des Talibans. " J’ai quitté mon pays à cause des guerres incessantes. Un nuit alors qu’on dormait, les Talibans sont arrivés et se sont mis à tirer dans toute la ville, " raconte Qasim. Qasim étant l’aîné des trois frères de la famille, son père l’a désigné pour tenter l’aventure vers l’Angleterre et rejoindre un oncle déjà installé là-bas.  Après avoir survécu, seul, à un périple d’une année – d’Afghanistan en Iran, puis en Turquie, Grèce, ancienne République yougoslave de Macédoine, Serbie, Hongrie et Allemagne – Qasim est arrivé, il y a six mois, dans le camp de Calais, à deux pas de sa destination finale.

L’équipe du Haut-Commissariat des droits de l’homme qui a rencontré Qasim et les autres garçons du centre d’accueil a constaté qu’ils étaient peu informés de leur sort et du devenir de leur demande d’asile en Angleterre. Ils n’avaient reçu aucune explication et étaient dans l’attente d’une procédure qu’ils ne comprenaient pas, " a précisé Madame Oberoi. " Nous sommes très inquiets car, concrètement, aucun tuteur n’a été désigné pour s’occuper des enfants. "

Les garçons installés au centre d’accueil ont informé l’équipe que quatre de leurs amis avaient décidé de quitter le centre, quelques jours à peine après leur arrivée, pour se cacher dans la campagne environnante, malgré le temps glacial.

L’équipe du Haut-Commissariat a enjoint aux autorités françaises de mettre en œuvre des dispositions relatives à la protection des enfants, de désigner des tuteurs pour les enfants migrants non accompagnés et de garantir que tous les migrants bénéficient d’un réel accès aux soins médicaux et psychosociaux, à l’assistance juridique et à l’information concernant leurs droits.

" Nous comprenons les difficultés qu’entraine cette situation, mais nous sommes préoccupés par le fait que les personnes vulnérables souffrent en raison d’un manque de stratégie efficace de protection des migrants et des demandeurs d’asile, " ajoute Madame Oberoi. " Au contraire, ce à quoi nous assistons, c’est-à-dire la volonté de disperser les personnes et ainsi d’escamoter le problème, ajoute à notre inquiétude. "

Il fait froid, humide, la pluie menace, alors que la nuit tombe sur le campement boueux où Frezghy et ses amis sont blottis dans leur tente. Autour d’un thé, il est question de savoir qui tentera sa chance cette nuit pour se glisser discrètement à bord de l’un des camions en route vers le Royaume-Uni et prendre le risque de traverser une nouvelle frontière.

" J’espère pouvoir rejoindre l’Angleterre ou tout autre pays prêt à m’accueillir, " conclut Frezghy en s’éloignant, la voix cassée.

16 décembre 2016

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