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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Faire respecter le principe de responsabilité face aux atrocités commises en Ukraine

27 Avril 2022

Ludmila Sadlova, 72 ans, se tient à côté de sa maison qui, selon elle, a été touchée par des roquettes le 12 mars, lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie à Ozera, dans la région de Kiev, en Ukraine, le 23 avril 2022

Prononcé par

Michelle Bachelet, Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme

À

Réunion organisée selon la formule Arria

Excellences,
Chers collègues,

Je remercie l’Albanie et la France d’avoir organisé le débat crucial et opportun d’aujourd’hui.

Pour reprendre les mots prononcés le 15 avril par une femme d’Irpin après l’incendie de sa maison : « Je suis triste pour notre maison, dans laquelle je suis née et j’ai vécu pendant toute ma vie. Mais je suis encore plus triste que toute l’histoire de notre famille ait été réduite en cendres. » 

L’établissement des responsabilités est la pierre angulaire du respect des droits de l’homme.

Pourtant, deux mois après l’attaque armée russe contre l’Ukraine, nous nous demandons qui sera tenu pour responsable, quand et comment.

Comme je l’ai indiqué au Conseil des droits de l’homme en mars dernier, les violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et les violations graves du droit humanitaire qui ont été commises, notamment en ce qui concerne le principe de distinction et l’interdiction des attaques indiscriminées, peuvent constituer des crimes de guerre.

Les victimes de ces violations et leurs familles doivent obtenir réparation. Elles doivent obtenir justice pour les préjudices et la tragédie qu’elles ont subis.

Et les efforts visant à réparer les violations commises doivent commencer dès maintenant.

Cela permet d’envoyer un message clair, à savoir que les violations du droit international ne resteront pas impunies, que les individus devront rendre des comptes et que les parties au conflit seront tenues responsables des faits internationalement illicites commis par leurs forces.

Pour que cela se produise, il faut suivre au moins quatre étapes essentielles.

Premièrement, la préservation complète de tous les types de preuves liées à des violations présumées du droit international humanitaire et du droit international des droits de l’homme, y compris les preuves numériques.

Deuxièmement, le traitement décent de toutes les dépouilles, y compris leur identification et leur inhumation en bonne et due forme, ainsi que l’examen médico-légal des corps pour établir la cause du décès.

Troisièmement, l’enregistrement effectif et complet de tous les décès liés au conflit, y compris les victimes civiles.

Et enfin, l’élaboration de politiques et de mécanismes complets pour offrir des recours et des réparations aux victimes de violations graves du droit international liées au conflit armé depuis le 24 février 2022, ainsi qu’à celles qui ont subi des préjudices depuis la mi-avril 2014. Cela inclut les familles des personnes tuées et blessées.

La responsabilité pénale individuelle pour les crimes de guerre qui auraient été commis en Ukraine devra être déterminée par un procès équitable devant une cour ou un tribunal, dans le plein respect des normes internationales en matière d’état de droit.

Cela est la principale obligation des parties au conflit.

La guerre se poursuit et s’intensifie, tout comme l’ampleur de la souffrance humaine. Nous sommes gravement préoccupés par l’augmentation du nombre de victimes civiles, les déplacements massifs et la destruction des biens de caractère civil.

À ce jour, le HCDH a relevé et confirmé 5 939 victimes civiles, dont 2 787 personnes tuées et 3 152 blessées.  Les chiffres réels sont considérablement plus élevés et le HCDH cherche à les établir.

La plupart de ces pertes ont été causées par l’utilisation d’armes explosives à large rayon d’action dans des zones peuplées, comme les tirs d’artillerie lourde, les missiles et les frappes aériennes.

L’ampleur considérable des violations des droits de l’homme à Boutcha a choqué l’Ukraine et le monde entier. Au cours d’une visite d’une journée, notre équipe a recueilli des informations concernant des homicides illicites – y compris l’exécution sommaire de 50 civils – principalement d’hommes, mais aussi de femmes et d’enfants. Nous continuons de donner suite à tous les signalements de violations commises à Boutcha, ainsi qu’à plus de 300 autres allégations de meurtres, notamment d’exécutions sommaires de civils dans plus de 30 localités des régions de Kiev, Tchernihiv, Kharkiv et Soumy, contrôlées par les forces armées russes à la fin du mois de février et en mars. Le HCDH a corroboré plus de 170 cas de détention arbitraire apparente et de disparition forcée de fonctionnaires, de journalistes et de militants dans les zones contrôlées par les forces armées russes. Le HCDH a également reçu des informations sur des allégations de détentions arbitraires et au secret par les forces ukrainiennes ou des personnes les soutenant.

Il examine aussi des dizaines d’allégations de violences sexuelles liées au conflit.

Le traitement des prisonniers de guerre par les parties au conflit est également très inquiétant. Des vidéos apparemment enregistrées par des combattants et mises en ligne montrent des actes d’intimidation et de torture, et même le meurtre de prisonniers de guerre.

La responsabilité de ces violations et le droit des victimes à un recours et à des réparations doivent être garantis.

Excellences,
Chers collègues,

Le HCDH s’engage à collaborer avec tous les acteurs qui œuvrent en faveur de l’établissement des responsabilités dans le cadre de leurs mandats et cadres respectifs. À cet égard, je salue la création de la Commission d’enquête internationale indépendante sur l’Ukraine, qui constitue une étape importante. Je tiens à insister sur le fait que tous les efforts menés doivent être coordonnés et placer les droits des victimes, y compris leur protection, au cœur de ces approches.

Néanmoins, cette volonté d’examiner ce qui se passe aujourd’hui ne servira à rien si nous ne nous engageons pas à prévenir les violations et les atrocités futures.

Nos efforts en faveur de la paix doivent être continus et sans faille.

En attendant, les parties au conflit doivent de toute urgence réévaluer les méthodes utilisées pour mener les hostilités. L’utilisation d’armes à large rayon d’action dans les zones peuplées doit cesser immédiatement. Les exécutions sommaires et autres homicides illicites, ainsi que les disparitions forcées doivent cesser sur le champ.

Le HCDH continuera son travail crucial de collecte d’informations sur les violations du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire. Pour garantir l’indépendance et l’impartialité de notre surveillance, nos spécialistes des droits de l’homme doivent avoir un accès libre et sans entrave à toutes les zones touchées en Ukraine, ainsi qu’un accès aux informations.

Cette guerre futile et insensée a déjà causé une tragédie humaine incommensurable.

Engageons-nous à y mettre un terme avant qu’il n’y ait plus de morts, plus de souffrances et plus de coupables à qui demander des comptes.