Déclarations Procédures spéciales
Observations préliminaires du Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique et d'association, Clément Nyaletsossi Voule, à l'issue de sa visite au Niger
16 décembre 2021
Prononcé par
Rapporteur spécial sur le droit de réunion pacifique et d'association
Lieu
Niamey
Je tiens d’abord à remercier le gouvernement de la République du Niger pour l’invitation faite à mon mandat de visiter le pays du 6 au 16 décembre 2021. Je viens de conclure cette visite et je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance au gouvernement, à toutes les institutions et entités étatiques, au bureau du Haut-commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à Niamey, à la société civile et aux autres acteurs impliqués dans la promotion et la protection des droits de l’homme pour leur accueil et disponibilité durant mon séjour.
Ma visite s’est effectuée dans un contexte de coopération du gouvernement, ce qui a favorisé des échanges constructifs avec les autorités auxquelles je sais gré de leur contribution pour m’avoir permis de mieux mesurer les conditions dans lesquelles les droits à la liberté de réunion pacifique et d'association sont actuellement garantis au Niger.
A Niamey, je me suis entretenu avec un nombre important d’autorités, telles que le Ministre de l’Intérieur, qui représentait aussi le Premier Ministre, le Ministre de la Justice, leMinistre de la Poste et des Nouvelles Technologies de l'Information, le Ministre de la Communication, les forces de l’ordre, les autorités judiciaires et le Président du Conseil de Ville (Maire) de Niamey. J’ai aussi eu l’opportunité d’effectuer une visite au Commissariat Nationale de la Police et à la prison de Niamey. A l’intérieur du pays, j’ai eu l’occasion de rencontrer le Gouverneur, le Président du Conseil de Ville (Maire) et les autorités judiciaires de Zinder.
J'ai également eu l'occasion de rencontrer des membres des institutions indépendantes, telles que la Commission Nationale des Droits Humains (CNDH), le Conseil Supérieur de la Communication (CSC), la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA) et les partis politiques de la majorité d’une part et de l’opposition d’autre part. Je me suis également entretenu avec les membres des représentations diplomatiques à Niamey.
Pendant la durée de ma visite, j'ai rencontré un grand nombre d’acteurs de la société civile représentant un large éventail de points de vue et de domaine d’intervention, d’intérêts et de besoins sociaux, politiques et économiques. J’ai pu constater la vivacité et l’enthousiasme de la vie associative tant dans la capitale que dans d'autres localités et que malgré la taille significative du Niger, de nombreuses organisations de la société civile parviennent à être présentes dans les huit (8) régions du pays.
J'adresse mes remerciements à toutes celles et à tous ceux qui ont pris le temps pour me rencontrer et me faire part de leurs expériences et témoignages. Le dynamisme, la diversité et la force de proposition de la société civile nigérienne sont parmi les points forts de ce pays, gage du succès de la promotion et de la protection des droits humains.
1. Le contexte politique et sécuritaire
L'invitation du gouvernement nigérien à mon mandat vient à une période importante dans l’histoire du pays après une transition relativement pacifique du pouvoir entre deux présidents élus.
Malgré des contestations pendant le processus électoral, les élections ont dans l’ensemble, permis au pays de franchir une étape fondamentale, qui donne aujourd’hui une opportunité aux autorités nigériennes et à la société civile d’approfondir les acquis dans le domaine des droits civils et politiques, notamment par rapport au droit de réunion pacifique et d'association. Ceci est d'autant plus une réussite si l’on considère le contexte actuel de grande instabilité politique dans la sous-région sahélienne.
Les discussions que j’ai entamées avec les autorités pendant ma visite m’ont donné un aperçu de la situation sécuritaire préoccupante sur le vaste territoire du Niger qui fait frontière avec sept pays, parmi lesquels certains États font face à une augmentation des attaques par des groupes armés extrémistes.
Malheureusement, le Niger n’est pas épargné par cette vague de violence, notamment dans l’ouest du pays où cette année, des attaques récurrentes ont eu comme conséquences la mort de centaines de civils et ont provoqué le déplacement interne de dizaines de milliers de personnes. Ceci dans un pays confronté déjà à des défis immenses pour de pauvreté et d’exclusion sociale d’une grande partie de sa population.
2. Initiatives encourageantes
Dans ce contexte de sécurité préoccupante, je félicite le Président de la République, son excellence Mohammed Bazoum, d’avoir démontré une volonté claire de rendre plus étroits les liens entre les autorités gouvernementales et la société civile. Son élection a été suivie par des initiatives en ce sens, parmi lesquelles l’instauration d’un dialogue entre les autorités publiques et la société civile pour trouver des voies et moyens de consolider la cohésion sociale face au terrorisme.
Je constate également qu’il y a une volonté de la part du Président de la République de renforcer la participation de la société civile nigérienne dans laquelle les citoyens sont actifs et informés. Pendant les réunions que j’ai eues avec la société civile, tant à Niamey qu'à Zinder, les interlocuteurs ont évoqué à plusieurs reprises leurs désirs de travailler avec les autorités dans un esprit de coopération.
J'ai été encouragé d’apprendre que simultanément à ma visite au Niger, le Président a réitéré cet engagement pour une démocratie participative dans un discours prononcé au Sommet sur la démocratie à New York dans lequel il a exprimé son attachement à la démocratie et à l’État de droit, points sur lesquels il s’est résolument engagé à travailler avec la société civile.
3. Défis
Les droits à la liberté́ de réunion pacifique et à la liberté́ d’association sont des composantes essentielles de la démocratie, car ils permettent aux femmes et hommes de tout âge d’exprimer leurs opinions politiques, de s’adonner à des activités littéraires et artistiques et à d’autres occupations culturelles, économiques et sociales, de pratiquer leur religion ou leur croyance, de former des syndicats et des coopératives, d’y adhérer et de choisir pour les représenter des dirigeants qui ont à rendre des comptes.
Défis sécuritaires
La République du Niger à l’instar de ses voisins du Sahel fait face depuis l’effondrement de la Libye à une poussée terroriste avec son lot d’insécurité dans plusieurs régions du pays. Les mesures prises par les autorités pour faire face à cette pression terroriste ont un impact sur la jouissance des libertés fondamentales, entre autres l’accès limité des organisations non-gouvernementales (ONG) à certaines régions du pays privant ainsi les communautés les plus vulnérables des services essentiels fournis par ces ONG. Aujourd’hui il est difficile d’emprunter la voie terrestre pour rejoindre les régions de l’intérieur sans une escorte militaire, ce qui n’est pas à la portée des organisations de la société civile.
Ce contexte d’attaque ou crainte d’attaque terroristes est souvent avancé comme principal justification des restrictions à la jouissance des libertés fondamentales en particulier le droit de réunion pacifique.
Les répercussions de la polarisation de la vie politique sur l’espace civique
L’élection présidentielle du 21 février 2021 et les manifestations publiques de contestation qui s’en sont suivies à contribuer à une polarisation de la vie politique dans le pays créant ainsi un déficit de confiance entre l’opposition et la majorité.
Cette situation expose aussi la société civile, accusée à tort ou à raison, de vouloir, à travers son action et plus particulièrement à travers les manifestations, déstabiliser le pouvoir en place. L’absence d’un dialogue politique entre la majorité et l’opposition depuis l’élection de février 2021 fait peser des risques énormes sur la jouissance des libertés fondamentales en particulier la liberté de réunion pacifique, d’opinion et d’expression, et de presse.
L’absence d’une opposition active et d’un cadre politique consensuel pour discuter des enjeux sécuritaires et sociaux du pays fait peser une menace sur l’espace démocratique et politique. On observe ainsi une tendance préoccupante visant à assimiler la société civile critique à l’encontre de l’action gouvernementale à l’opposition politique.
Pendant mes entretiens avec les parties prenantes, j’ai rappelé le rôle important que joue la société civile dans la construction et la consolidation de l’Etat de droit ainsi que la paix et le développement durable.
L’action de la société civile n’a pas pour objectif la conquête du pourvoir mais de veiller à ce que les décisions et mesures prises par les gouvernants n’aient pas d’impact négatif sur les populations et surtout sur les couches les plus vulnérables. Ses critiques à l’encontre des décisions et mesures prises par les gouvernants ne doivent pas être assimilées à une opposition politique mais à une volonté d’apporter sa contribution pour rendre ces décisions meilleures.
Lorsque dans une société il n’existe pas de structures ou d’espaces permettant aux personnes de s’associer et de se mobiliser, les opinions et préférences de ceux et celles qui sont privilégié-e-s ou qui ont accès au pouvoir tendent à primer. L’action de la société civile vise ainsi, entre autres, à faire entendre la voix de celles et ceux qui n’ont pas accès au pouvoir et qui se sentent exclus et marginalisés.
Je regrette cette tendance visant à stigmatiser la société civile et à lui coller l’étiquette d’opposition politique lorsqu’elle manifeste son mécontentement sur les politiques publiques.
Outre le fait que le droit de former et d’adhérer à des partis politiques est consacré dans la constitution nigérienne, je rappelle aux autorités que le fait de s’exprimer sur les sujets politiques nationaux et internationaux, ne signifie pas une affiliation à un parti politique.
J’invite les autorités à voir l’action de la société civile comme un complément nécessaire et essentiel à l’action gouvernementale.
La lutte contre la corruption
Durant les entretiens que j’ai eus avec les différents acteurs, la corruption a été cités comme un mal qui gangrène la vie politique et économique du pays. Plusieurs manifestations organisées dans le pays ont eu entre autres comme revendication principale la lutte contre la corruption. Celle-ci a pour impact de priver le pays de ressources nécessaires pour lutter contre la pauvreté et invertir dans les programmes sociaux visant à réduire les inégalités.
Les autorités ont d’ailleurs pris conscience de la nécessité de lutter contre ce fléau en adoptant en 2016 la loi n°2016-44 du 06 décembre 2016 portant création de la Haute Autorité de Lutte contre la Corruption et les Infractions Assimilées (HALCIA). J’ai eu des échanges avec les premiers responsables de la HALCIA sur le travail de cette institution et de la prise en compte des appels populaires à la lutte contre la corruption. Je constate que malgré le travail d’investigation fait par la HALCIA, les résultats de ces actions restent invisibles surtout en ce qui concerne les poursuites judiciaires.
Le pays continue d’ailleurs de régresser en matière de lutte contre la corruption. Selon le classement de l’ONG Transparency International, le pays est passé ainsi de la 98ème place sur 123 en 2015 à la 123ème sur 179 en 2021 dans la lutte contre la corruption.
Il est indispensable que les autorités judiciaires et politiques prennent des mesures pour faciliter les poursuites judiciaires liées aux cas de corruption et les infractions associés.
Indépendance du système judiciaire
Dans mes réunions avec les différentes autorités judiciaires ainsi qu'avec les régisseurs de postes de détentions, il est flagrant que le système judiciaire et toute l’administration publique à cet égard manque des ressources humaines et de matériel, y compris la technologie nécessaire, afin de pouvoir exercer son mandat dans les délais impartis, et en bonne et due forme.
La lenteur de l’administration publique a pour effet – entre autres – que des milliers de personnes demeurent dans les centres de détentions sans avoir eu la possibilité de se présenter devant un juge. Je me permets d’attirer l’attention des autorités nigériennes sur la Résolution 43-173 de l’Assemblée Générale des Nations Unies qui fournit un Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ; en particulier le principe 11.1 qui dicte qu’ « Une personne ne sera pas maintenue en détention sans avoir la possibilité effective de se faire entendre sans délai par une autorité judiciaire ou autre. (…). ».
Par exemple, selon les chiffres fournis par le régisseur de la prison de Niamey, plus de 85% des personnes détenues sont des prévenus, c-est-à dire non-condamnés. J’exprime ma préoccupation concernant les groupes vulnérables comme les 101 mineurs parmi lesquels aucun n'est condamné, et concernant les 53 femmes détenues, dont seulement 9 ont été condamnées. En discutant avec quelques personnes détenues, je me suis rendu compte que la plupart d'entre elles ne connaissait même pas les motifs de leur détention.
Cette situation peut entrainer une érosion de la confiance des citoyens dans leur système judiciaire.
J’ai été informé durant ma visite à la prison civile de Niamey que toutes les personnes détenues à la suite des différentes manifestations publiques ont été libérées.
La pauvreté et l’exclusion sociale
La pauvreté accentue le mécontentement au sein de la population et surtout des couches les plus vulnérables qui n’ont pas accès à l’eau, l’éducation, l’alimentation, et aux autres besoins de base. Selon le classement mondial du développement humain du PNUD en 2019, le Niger arrive en dernière position.
J’ai été informé que parmi les causes poussant la population à manifester figurent la question de la répartition des ressources naturelles et l’accès aux besoins de base.
Malgré la volonté du nouveau pouvoir de s’attaquer à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale à travers la mise en place du Programme Sectoriel de l'Éducation et de la Formation (PSEF) et du Plan de Développement Economique et Social (PDES), les résultats tardent à venir.
4. La liberté de réunion pacifique
Le Niger est un Etat partie au Pacte International relatif aux droits civils et politiques, qu'il a ratifié le 07 mars 1986, et qui protège les droits sur la liberté de réunion pacifique et d’association dans ses articles 21 et 22.
Le droit à la liberté de réunion pacifique est un droit garanti par la Constitution, notamment dans les articles 15 et 32 de la Constitution de la 7ème République du 25 novembre 2010.
La loi n°2004-45 du 08 juin 2004, est le principal texte juridique régissant les manifestations sur la voie publique. D’après les échanges que j’ai eus avec les autorités locales et celles de la capitale, les partis politiques et les représentant-e-s de la société civile, je regrette de constater que ce qui a été prévu comme un régime de déclaration par la loi, se traduit en pratique en un régime d'autorisation.
Selon la loi, toute sorte de manifestation doit être déclarée dans un délais entre cinq (5) et quinze (15) jours auprès des mairies locales qui pour leur part doivent transmettre la déclaration dans un délai de 72 heures auprès des préfets ou des gouvernorats. Si ces derniers considèrent que la manifestation projetée peut avoir de graves effets sur l’ordre public, les mairies locales peuvent les interdire à travers un arrêté d’interdictions dans un délai de 48 heures (avant la manifestation projétée).
J’ai réitéré dans les réunions avec les autorités et les forces de l’ordre les dispositions internationales, spécialement l’Observation Générale n°37 du Comité des droits de l’homme des Nations Unies sur le droit de réunion pacifique, lesquelles constatent que si des interdictions de manifestations peuvent exister, cela ne signifie pas qu’à l’inverse, une autorisation est requise pour exercer son droit à la liberté de réunion pacifique.
Les mêmes dispositions internationales des droits humains prévoient que dans un cas de défaut de notification préalable, cela ne justifie pas la dispersion du rassemblement, et n'exonère en rien l’Etat de son obligation d’encadrer les manifestations afin de garantir la protection des participant-e-s.
Je reconnais que l’Etat nigérien respecte généralement les délais mentionnés précédemment. Cependant, ceux-ci ne sont pas suffisants afin de permettre aux organisateurs d'épuiser les recours judiciaires pour faire appel des arrêtés d’interdiction. Ceci se traduit souvent par le refus d'accepter les appels interjetés contre des décisions notifiées au dernier moment, ne permettant pas aux organisateurs d’informer les manifestants potentiels de l’interdiction en vigueur.
De plus, les interdictions des manifestations doivent être strictement régies par les principes de légalité, de nécessité et de proportionnalité.
De ce fait, les interdictions doivent représenter des mesures temporaires et exceptionnelles. Je déplore vivement le fait qu’au Niger les interdictions des rassemblements pacifiques ne sont pas exceptionnelles, mais systématiques depuis plusieurs années, avec comme justification le « trouble à l’ordre public » ou « crainte de trouble à l’ordre public ». Si la loi de juin 2004 prévoit la protection de l’ordre public, elle ne donne pas une définition précise de cette notion.
De plus, l’arrêté n°0010/MP/CVN/SG du 12 janvier 2017 portant interdiction des marches et meetings les jours ouvrables et en soirée, représente une autre limitation permanente au droit à la liberté de réunion pacifique. Dans la pratique, cela signifie que les manifestations peuvent juste avoir lieu 1-2 jours par semaine, depuis quatre (4) ans. Cette interdiction contredit l’essence des rassemblements pacifiques, consistant à exprimer auprès des institutions gouvernementales les mécontentements de la société, ce qui ne produit pas le même effet quand les manifestant-e-s se retrouvent devant des institutions gouvernementales fermées durant les jours non-ouvrables
En outre, des interdictions des rassemblements ne sont pas appliquées comme des mesures temporaires mais permanentes au Niger. A cet égard, on évoque souvent l’Etat sécuritaire et la menace du terrorisme du Sahel dans sa totalité. Si je peux comprendre la situation dans son ensemble, notamment, les déploiements des forces anti-terroristes dans les régions, je ne peux que souligner que la participation civique et l’exercice des libertés fondamentales sont des pièces maîtresses de cette même lutte.
En effet, en l’état actuel, les citoyens peuvent contribuer avec leurs idées, leurs opinions et leurs expressions de dissidence. J’insiste sur le fait que la cohésion sociale est l’une des « armes » les plus effectives dans cette lutte, et que l’Etat nigérien est dans l’obligation de garantir cette plateforme d’expression, notamment à travers les manifestations pacifiques.
J’ai reçu des témoignages des différentes couches de la société relevant que lorsqu’une manifestation n’est pas interdite, elle se déroule généralement d’une manière pacifique. De plus, j’ai reçu des informations faisant état de dialogues par le passé entre les autorités et les organisateurs sur les mesures à prendre pour l’encadrement des manifestations. Ce dialogue est une autre garantie du déroulement pacifique des manifestations projetées.
L’Etat d’urgence sanitaire dans le contexte de la pandémie de la COVID-19 et les mesures prises par l’Etat, pour lutter contre celle-ci, tels que les couvre-feux, ont limité dans son essence les libertés fondamentales protégées par la Constitution nigérienne. Je réitère que la participation civique est une des clés pour mettre fin ensemble à la propagation de la pandémie de la COVID19.
A cet égard, j’ai reçu des allégations de détentions pour non-conformité au couvre-feu. Ces détentions ont augmenté significativement dans le contexte électoral récent du pays, notamment entre la fin de l’année 2020 et mars 2021, et concernent des manifestants pacifiques, activistes, défenseurs des droits humains, dirigeants politiques et journalistes qui couvraient les rassemblements.
Comme je l’ai mentionné au début de mon allocution, j’ai eu l’occasion de visiter le Commissariat Central de Police de Niamey, ainsi que la Prison Civile de Niamey, deux endroits parmi d'autres où les manifestant-e-s et journalistes sont généralement gardés et détenues.
J’exprime ma préoccupation quant aux conditions de détentions précaires dues à la surpopulation de ces centres, et en conséquence, l’inévitable détention de personnes en détention provisoire, parmi la grande majorité des prisonnier-e-s et comme déjà mentionnée auparavant.
En conclusion, il existe un grand écart entre la loi 2004 et la pratique observée, ainsi que sa conformité avec les standards internationaux des droits humains, dont je préciserai les détails dans mon rapport complet auprès du Conseil des Droits de l’Homme prochainement. Néanmoins, je souligne ma disponibilité pour fournir des conseils techniques, notamment dans le cadre de la révision de la loi en question.
5. La liberté d’association
Le droit à la liberté d’association est un droit consacré dans la Constitution de la 7ème République du 25 novembre de 2010. L’article 9 de la Constitution prévoit différents types d’associations, tels que, les partis politiques, les syndicats et les organisations non-gouvernementales.
L’exercice de ce droit est régulé par l’Ordonnance n° 84-06 du 1er mars 1984. Dans les échanges avec les représentant-e-s de la société civile et les différentes associations, il m’est apparu évident que cette législation est obsolète et ne répond pas au climat politique et social actuel du Niger.
Même si l’Ordonnance prévoit un régime de déclaration, l’article 4 dans sa formulation actuelle instaure un régime d’autorisation en prévoyant que « le Ministre de l’intérieur se prononcera par arrêté sur l’autorisation ou par simple notification sur le refus d’autorisation ». Cet article est clairement en contradiction avec le Pacte International relatifs aux droits civils et politiques qui garantit la liberté de former des associations.
Le mandat du rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et d’association a noté que les procédures en matière d’enregistrement des organisations de la société civile doivent être transparentes, accessibles, non discriminatoires, rapides et peu coûteuses.
Lors de mes réunions, j’ai pu constater que la pratique de l’Ordonnance ne se conforme pas aux standards internationaux en matière d’enregistrement des associations. En effet, à plusieurs occasions, j’ai été informé de délais de reconnaissance des associations pouvant prendre de deux (2) à dix (10) ans.
Les associations les plus affectées paraissent être les organes de presse, spécialement ceux en ligne. Par exemple, l’Association des Blogueurs pour une Citoyenneté Active (ABCA) a dû attendre cinq (5) ans afin de recevoir son arrêté de reconnaissance.
Je note que l’article 41 de l’Ordonnance prévoit un fonds d’aide à la presse. Le Conseil Supérieur de la Communication ainsi que différentes entreprises de presse, m’ont confirmé dans les réunions que j’ai eues avec eux que ces fonds sont effectivement affectés à cette aide. C’est une bonne pratique que j’encourage.
Le Ministère de l’Intérieur qui est en charge de l’enregistrement des organisations nous a informé qu’il y a plus de 4,000 associations enregistrées au Niger. Je me réjouis de ce nombre important d’associations qui participent dans divers domaines de la vie sociale du pays.
Je réitère de nouveau ma disponibilité à fournir une assistance technique afin de réviser cette Ordonnance et la rendre conforme aux standards internationaux.
Dans l’analyse du cadre législatif et dans mes échanges avec différents acteurs des médias et de la presse, j’ai pu constater que la presse, spécialement celle en ligne n’est pas protégée par une loi.
L’Ordonnance n°2010-35 du 04 juin 2010 dépénalise les délits de presse, alors que la Loi n°2019-33 du 03 juillet 2019 – aussi connue comme la loi sur la cybercriminalité –, non seulement les pénalise de nouveau mais ne fait aucune distinction entre les différents acteurs lorsqu’elle pénalise toute sorte d’action « (…) qui se commette au moyen ou sur réseau de télécommunications ou un système d’information ».
De plus, il m'a été communiqué que l’un des principaux buts de la loi sur la cybercriminalité était de limiter les incitations à la haine, surtout ethnique, en ligne ce qui est légitime. Aussi je note la volonté des autorités nigériennes de s’attaquer aux problèmes de discrimination raciales, ethniques et religieuses, d’appels à la haine dans un domaine médiatique relativement nouveau. Cependant la loi sur la cybercriminalité contient des manquements et n’est pas pleinement conforme aux standards internationaux pertinents dans ce domaine.
Je suis préoccupé par les allégations faisant état l’emprisonnement des journalistes en ligne, mais aussi des blogueurs et des citoyens actifs sur les réseaux sociaux sur la base de cette loi. Je suis surpris, que dans certains cas, les personnes condamnées ou en détention provisoires se retrouvent même dans la prison de haute-sécurité du Niger. Je déplore le fait que des journalistes et professionnels des médias aient été arrêtés dans l’exercice légitime de leur métier sur la base d’une loi qui ne fait pas de distinction entre la presse en ligne et une simple publication en ligne.
Par conséquent, j’invite l’Etat nigérien à se référer au rapport de l’ancien Rapporteur Spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d’opinion et d’expression sur la règlementation des « discours haineux » en ligne, présenté devant l’Assemblée Générale des Nations Unies en octobre de 2019.
Enfin, il a été porté à ma connaissance qu’un avant - projet de loi visant à protéger le journalisme en ligne est en cours d’élaboration et sera soumis prochainement au gouvernement. J’encourage cette initiative et invite le gouvernement à accélérer le processus de son adoption en impliquant la société civile et plus particulièrement les journalistes et blogueurs.
6. Recommandations
Le Rapporteur spécial souhaite faire les recommandations préliminaires suivantes :
- Créer les conditions d’un dialogue sincère entre l’opposition et la majorité afin de préserver les acquis démocratiques du pays
- Poursuivre le dialogue en cours entre les autorités et la société civile afin de créer les conditions propices pour la jouissance des libertés publiques et plus particulièrement les droits de réunion pacifique et d’association
- Doter le système judiciaire et pénitentiaires des ressources nécessaires afin de réduire le nombre des personnes détenues non-condamnées, et assurer l’indépendance de ces systèmes
- Combattre la corruption en veillant à ce que des dossiers pendants puissent connaître une suite judiciaire
- Mettre en place et opérationnalisée la Commission Nationale de Contrôle des Interceptions de Sécurité (CNCIS)
Liberté de réunion pacifique
- Amender la loi de 2004-45 du 08 juin 2014 régissant les manifestations sur la voie publique pour s’assurer de sa conformité aux standards internationaux
- Mettre à disposition les forces de l’ordre pour l’encadrement des manifestations pacifiques en collaboration avec les organisateurs afin d’éviter toute infiltration pouvant aboutir à des atteintes et violences contre les personnes et les biens
- Renforcer les capacités des forces de l’ordre dans la gestion et la facilitation des manifestations pacifiques conformément aux bonnes pratiques.
- Abroger l’arrêté n°0010/MP/CVN/SG du 12 janvier 2017 de la Mairie de Niamey portant interdiction des marches et meetings les jours ouvrables et en soirée
- S’assurer qu’en cas exceptionnel d’interdiction d’une manifestation pacifique projetée, l’arrêté d’interdiction soit notifié aux organisateurs dans un délai raisonnable leur permettant d’exercer tout leur droit à un recours judiciaire
La liberté d’association
A l’endroit du gouvernement
- Amender l’Ordonnance n°84-06 du 1er mars 1984 qui détermine le régime des associations au Niger, afin de garantir l’inclusion des différents types d’associations et assurer sa conformité avec les standards internationaux des droits de l’homme
- Réviser la loi n°2019-33 du 03 juillet 2019 connu comme la loi sur la cybercriminalité afin de dépénaliser les expressions et opinions effectuées en ligne, en particulier du journalisme en ligne
- Améliorer le processus de délivrance des arrêtés de reconnaissance des ONG pour éviter les lenteurs administratives et les délais non raisonnables de délivrance préjudiciables à certaines ONG. L’Etat devrait éviter un traitement discriminatoire basé sur le domaine d’intervention de l’ONG
- Accélérer l’adoption du projet de loi sur la protection et la reconnaissance des défenseurs des droits humains conformément aux standards internationaux pertinents et aux engagements pris par le pays durant son examen périodique universel de 2021
A l’endroit des organisations de la société civile
- Mettre en place des programmes de renforcement de capacité des acteurs de la société civile sur la connaissance des textes internationaux des droits de l’homme et le monitoring des violations des droits de l’homme.
- Renforcer le réseautage pour accroitre son action à l’endroit des communautés
A l’endroit de la communauté internationale
- Soutenir le pays dans ses efforts de réduction de la pauvreté, de la lutte contre le terrorisme et la corruption
- Soutenir les initiatives visant à renforcer l’espace civique dans le pays
- Renforcer son soutien au travail de la société civile et en mettant un accent particulier sur celle qui opère au niveau des communautés les plus défavorisées et n’ayant pas généralement accès au financement étranger
Note : les remarques, conclusions et recommandations contenues dans cette déclaration préliminaire seront détaillées dans le rapport final qui sera présenté au Conseil des Droits de l’Homme en 2022 durant sa 50ème session
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