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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Réunion spéciale du Comité contre le terrorisme avec les organisations internationales, régionales et sous-régionales sur " la coopération judiciaire et policière en matière de lutte contre le terrorisme en vertu de la Résolution n° 2322 du Conseil de sécurité (2016) et d’autres résolutions pertinentes du Conseil "

Apporter une réponse coordonnée au terrorisme

21 Juin 2017

Déclaration d’Andrew Gilmour, Sous-Secrétaire général aux droits de l’homme

New York, le 21 juin 2017

Excellences,

Merci de m’avoir invité à me joindre à vous dans cette démarche en vue d’apporter au terrorisme une réponse bien coordonnée et fondée sur l’État de droit. Ce genre de réunion des Nations Unies peut concrètement changer les choses, selon moi.

L’ampleur et la complexité du terrorisme ont considérablement évolué ces dernières années. La responsabilité des institutions policières et judiciaires dans la prévention des attentats terroristes et la poursuite de leurs auteurs est intimidante et la nécessité d’une coopération internationale efficace s’impose plus que jamais.

L’expérience de ces 15 dernières années a démontré à quel point le respect des droits de l’homme est indispensable à ces efforts. Tout en exécrant au plus haut point les crimes et la cruauté des terroristes, nous ne devons pas ignorer les graves violations commises par certains gouvernements dans la lutte contre le terrorisme. Au nombre de celles-ci, les pratiques les plus monstrueuses de l’après 11 septembre tels que le transfert de suspects dans des conditions irrégulières; l’utilisation de centres de détention secrets; l’extradition de suspects vers des pays où ils risquent d’être soumis à la torture; le recours à des techniques d’interrogatoire, supervisées par des psychologues, généralement considérées comme des actes de torture et décrites de manière inquiétante dans un article détaillé du New York Times consacré aux interrogatoires de la CIA, paru ce jour.

Nous ne devons jamais oublier – comme le font malheureusement trop de gouvernements – que la torture est complètement illégale, immorale et, chose étonnante, inefficace.  Comme maintes et maintes études l’ont démontré, c’est parce que les gens qui sont soumis à un tel traitement ne diront absolument rien – que ce soit vrai ou faux – pour mettre fin aux souffrances infernales qui leur sont infligées.  C’est pourquoi la glorification actuelle de la torture dans certains milieux haut placés est profondément inquiétante. 

Ces pratiques ont depuis lors été rejetées au motif qu’elles sont à la fois illégales et contre-productives. Et pourtant, leur dénonciation et leur condamnation n’ont pas donné lieu à des poursuites systématiques ni permis de rendre justice aux victimes. Ce mépris pour les droits de l’homme, associé à l’incapacité à garantir que les auteurs de violations de la loi seront poursuivis, a eu des conséquences à long terme sur la capacité des États à prétendre respecter l’État de droit et à demander des comptes aux autres pays en cas de violation.

Nous devons être vigilants à ne pas répéter les erreurs du passé et être attentifs à maintenir une sécurité durable – pas seulement la dimension éthique – conséquences de pratiques qui ne respectent pas les droits de l’homme. De fait, la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme doit s’appuyer sur les droits de l’homme si elle veut avoir une chance d’être efficace à long terme.

Comme l’a dit le Haut-Commissaire Zeid dans ses remarques liminaires au Conseil des droits de l’homme, il a tout juste deux semaines: «La lutte contre le terrorisme doit être menée avec intelligence, c’est-à-dire qu’elle doit préserver les droits fondamentaux de tous. Souvenez-vous: pour chaque citoyen illégalement détenu en vertu d’une loi contre le terrorisme approximative, et humilié, abusé ou torturé, ce n’est pas simplement un individu qui nourrira des griefs contre les autorités, mais aussi la majorité de sa famille. Envoyez un innocent en prison, et vous risquez de mettre six ou sept membres de sa famille dans les mains de l’opposition, dont quelques-uns iront sans doute plus loin.»

Il y a deux autres avantages particuliers à garantir que la coopération policière internationale soit respectueuse des droits de l’homme, que je souhaiterais souligner.

Le premier avantage est que l’harmonisation de la législation et de la politique anti-terroristes avec les normes relatives aux droits de l’homme favorise la traduction en justice et la condamnation légale des personnes qui ont commis des actes terroristes. Ce qui contribue à la cohérence juridique entre les juridictions nationales et, en conséquence, facilite la coopération internationale.

Autrement dit, le point de départ d’une coopération policière internationale efficace doit consister en lois et en mesures anti-terroristes qui soient cohérentes avec les normes relatives aux droits de l’homme et respectueuses du principe de légalité.
Le deuxième point concerne les risques pour les droits de l’homme qui découlent de la collaboration accrue entre les services de police et les agences de renseignement dans le contexte de la lutte anti-terrorisme.

L’échange accru d’informations entre les services de police et les agences de renseignement dans différentes juridictions a augmenté les risques, par exemple, que ces renseignements aient pu être obtenus par des moyens illégaux. Avec pour corollaire, de nouvelles implications en termes de transparence.

En outre, les nouvelles technologies ont favorisé les pratiques de surveillance intrusives et transnationales ainsi que le recueil et le stockage de données personnelles découlant des communications numériques. Alors que la surveillance numérique peut effectivement être nécessaire pour des motifs légitimes de police et de renseignement, elle a également été utilisée par certains États pour cibler des opposants politiques, surveiller, et avoir accès aux informations globales relatives à des personnes et à des communautés particulières. Ces pratiques peuvent avoir une incidence sur toute une gamme de droits de l’homme.

Tout aussi important, il devrait y avoir une disposition explicite dans les accords de coopération internationale indiquant que les obligations juridiques internationales des parties – notamment leurs obligations en matière de droits de l’homme – sont prioritaires. Cela est particulièrement important lorsque des renseignements personnels sur des groupes vulnérables, tels que les demandeurs d’asile et les réfugiés, sont partagés par-delà les frontières.

Faire en sorte que la législation des États, les procédures, les pratiques et les mesures politiques pénales et administratives soient respectueuses des droits constitue, par conséquent, la pierre angulaire d’une collaboration efficace entre États. Seules ces approches – mises en œuvre de concert avec l’exercice des droits économiques, sociaux et culturels et le respect des principes d’égalité et de non-discrimination – permettent de s’attaquer aux conditions sous-jacentes qui conduisent à l’extrémisme violent.

En somme, mon propos est d’inviter à tirer les enseignements des expériences répétées du passé et de veiller à ce que la coopération internationale contribue à prévenir les actes de terrorisme, à rendre justice aux victimes et à faciliter la difficile tâche de l’application de la loi grâce au respect formel des valeurs partagées inscrites dans le cadre international des droits de l’homme.

Après tout, la lutte contre le terrorisme est un combat pour défendre les valeurs de la démocratie et des droits de l’homme – et non pour les fragiliser. Bien trop souvent, nous avons tendance à l’oublier.  Au résultat, immanquablement, les gouvernements luttent contre le fléau du terrorisme d’une manière qui, de fait, multiplie le nombre de terroristes et non l’inverse. C’est nous tous qui seront de plus en plus souvent appelés à payer le coût de l’oubli de cette vérité fondamentale.

Merci.

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