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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Allocution d’ouverture par Zeid Ra’ad Al Hussein, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, lors d’une conférence de presse à l’occasion de sa mission en Éthiopie

L’Éthiopie et l’Union africaine

04 Mai 2017

Addis-Abeba, le 4 mai 2017

Je souhaiterais tout d’abord exprimer mes sincères remerciements au gouvernement éthiopien de son invitation en ce moment déterminant pour l’histoire du pays, de sa générosité, de son hospitalité et de son chaleureux accueil – en effet, j’ai reçu un tel accueil de la part de tous les acteurs intéressés ici présents, un accueil extraordinaire. Je le comprends comme l’envie des autorités de s’investir davantage dans la défense des droits de l’homme du peuple éthiopien.

Il y a 50 ans, l’Empereur Haile Selassie proclamait: «Nous cherchons un mode de vie dans lequel tous les hommes seront traités comme des êtres humains responsables, en mesure de prendre pleinement part aux affaires politiques de leur gouvernement; un mode de vie dans lequel l’ignorance et la pauvreté, sinon abolies, sont au moins l’exception et sont activement combattues; un mode de vie dans lequel les bénédictions et les bienfaits du monde moderne profiteront à tous, sans sacrifier tout ce qui, dans l’ancienne Éthiopie, était bon et utile à tous.»

Ma mission est d’aider le gouvernement éthiopien – et plus largement, les gouvernements du monde entier – à concrétiser cette vision.

Ces derniers jours, j’ai écouté attentivement de nombreux avis. J’ai eu l’honneur de rencontrer Son Excellence le Premier ministre Hailemariam Desalegn; l’honorable Abadula Gemeda, Président du Parlement; et Leurs Excellences le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Communication et le ministre adjoint de la Justice. J’ai également assisté à un exposé de la part du Président de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et ai été le témoin d’un dialogue animé entre les membres de l’opposition et des partis politiques au pouvoir. J’ai, ensuite rencontré des représentants de la société civile et ai visité le centre de détention provisoire de Kilinto où, avec mon équipe, nous nous sommes entretenus avec des responsables et des détenus.

J’ai également signé une lettre d’intention avec le gouvernement – qui constitue une grande avancée pour le HCDH – qui en temps opportun, permettra de renforcer le Bureau régional à Addis-Abeba, en apportant une capacité de soutien aux acteurs de toute la région, y compris en Éthiopie.

À l’Union africaine, j’ai eu le privilège de rencontrer Leurs Excellences Moussa Faki Mahamat, Président de la Commission de l’Union africaine; Smaïl Chergui, Commissaire pour la paix et la sécurité de la CUA; Madame Cessouma Minata Samate, Commissaire aux Affaires politiques de la CUA et d’autres décideurs importants. Ce fut pour moi une formidable occasion d’évoquer avec l’UA, au plus haut niveau, les priorités relatives aux droits de l’homme, au moment où la nouvelle direction définit sa vision et ses structures en vue de retombées positives pour l’ensemble du continent.

S’agissant tout d’abord de l’Éthiopie, de nombreuses choses m’ont paru dignes d’éloges, à commencer par les importantes contributions du pays à la paix et à la sécurité sur tout le continent africain et le remarquable accueil réservé à des millions de réfugiés. Au moment où, dans le monde entier, d’autres pays semblent tourner le dos aux réfugiés, l’exemple donné par l’Éthiopie suscite l’admiration. Au plan intérieur, des progrès très marquants ont été réalisés ces dernières années en matière de droits à l’éducation et à la santé, en créant des infrastructures nettement améliorées et en obtenant des résultats spectaculaires dans la lutte pour mettre fin à l’extrême pauvreté. Ce pays est confronté à de redoutables défis; l’Éthiopie moderne est née d’une longue période de dictature et l’actuel contexte de sécurité chez les pays voisins de la Somalie et du Soudan du Sud est extrêmement difficile.

Au fil des ans, l’Éthiopie a adhéré à sept des neuf traités fondamentaux relatifs aux droits de l’homme, s’engageant à protéger les droits de son peuple – un engagement qu’illustrent également de nombreux articles de sa constitution. À l’instar de nombreux autres pays, le principal défi est de traduire cet engagement dans les faits et, même si certaines réalisations sont remarquables, d’autres engagements sont en souffrance. Nous sommes prêts à aider à combler progressivement ces lacunes.

Je pense que les troubles qui ont éclaté en novembre 2015 et en août 2016 soulignent la nécessité d’adaptations politiques soigneusement préparées et suivies afin de tirer parti des impressionnantes réussites du pays et de les concrétiser pleinement. La Commission éthiopienne des droits de l’homme a indiqué dans quelle mesure les manifestations dans les régions d’Oromia et d’Amhara traduisaient le mécontentement de la population à l’égard de la gestion locale, engendrant une profonde frustration chez de nombreuses personnes, ce qui m’a été confirmé par les hauts responsables de l’État. Et ce n’est pas à moi de dire si ces frustrations ont pu faire l’objet de manipulations politiques. Ce qui ne faisait aucun doute, en revanche, était l’inquiétude manifeste de nombreux citoyens ordinaires, comme le démontrent les chiffres. La Commission éthiopienne des droits de l’homme a fait état du meurtre d’au moins 669 personnes entre août 2016 et mars 2017. Entre autres points, la Commission a fait preuve de courage en recommandant que le personnel chargé de la sécurité qui aurait fait usage de la force de manière excessive soit traduit en justice. Le Premier ministre m’a en outre assuré qu’il serait donné suite, en temps opportun, aux recommandations formulées dans le rapport de la Commission.

Je me réjouis des deux enquêtes distinctes menées par la Commission éthiopienne des droits de l’homme sur les soulèvements et les interventions des forces de sécurité. Et je ne peux qu’encourager cet organisme à poursuivre sa démarche vers une plus grande indépendance. Mon équipe n’a pas été autorisée à se rendre dans les régions concernées pour vérifier les faits par nous-mêmes. Par conséquent, nous ne sommes pas en mesure de corroborer ou de confirmer les conclusions de la Commission éthiopienne des droits de l’homme.

Bien que j’aie grandement bénéficié des exposés du cabinet du ministre de la Justice, le nombre extrêmement élevé d’arrestations – plus de 26000 – laisse entendre qu’il est peu probable que les garanties de l’État de droit aient été respectées dans chaque cas. Je pense que mes collaborateurs devraient être autorisés à accéder aux régions touchées et je renouvelle ma demande afin de pouvoir évaluer la situation et déterminer l’aide supplémentaire qu’il convient d’accorder aux autorités, notamment au personnel judiciaire. Dans l’intervalle, nous étudierons le dernier rapport de la Commission éthiopienne des droits de l’homme et j’espère revenir en Éthiopie l’année prochaine pour évaluer les progrès réalisés sur cette question.

Je suis convaincu que les droits économiques, sociaux et culturels sont indissociables des droits civils et politiques: si un ensemble de droits progresse pendant que d’autres droits ne bénéficient pas de l’attention voulue, la pression sociale qui en résulte peut avoir des conséquences dramatiques. J’encourage le gouvernement, qui m’a invité à venir, à consacrer plus d’efforts pour instaurer un espace démocratique élargi, plus stable et plus ouvert pour tous ses concitoyens.

Comme je l’ai dit à plusieurs reprises depuis que je suis en fonction, l’incapacité à défendre les libertés fondamentales et l’État de droit se traduit toujours par un coût démesuré en aval. La répression de la voix et des droits du peuple est préjudiciable à l’ordre public; elle contribue à aviver les tensions, les soupçons et la défiance vis-à-vis du gouvernement – et finalement, cette répression peut conduire à la violence. Quand les gouvernements défendent les droits à la liberté d’information, d’expression, de réunion pacifique et d’association – y compris le droit de manifester pacifiquement pour défendre des opinions critiques – ils construisent les fondations d’une société plus solide et plus confiante.

Ici en Éthiopie, dans un paysage de croissance économique rapide, soudaine et spectaculaire, il semble indispensable de réserver un espace civique élargi plus libre avec une plus grande latitude pour les opinions critiques ou divergentes vis-à-vis du processus de décision. Tous les gouvernements doivent être rappelés à leurs devoirs par des médias indépendants et par l’action essentielle de la société civile et des militants des droits de l’homme. Je suis convaincu que le gouvernement éthiopien fera le constat que son investissement le plus important et le plus productif concerne les droits des citoyens, car il contribue à bâtir des sociétés solides et sûres.

Au cours de mes discussions, j’ai été informé de l’existence de lois et de mesures politiques qui, apparemment, limitent sévèrement les droits à la liberté d’expression, d’information, d’association et de réunion pacifique et la surveillance indépendante des droits de l’homme. Je suis préoccupé par cette série d’enjeux essentiels. La Proclamation sur les organisations caritatives et les associations, les lois sur la lutte contre le terrorisme et sur les médias, par exemple, ne semblent pas conformes aux normes légales internationales et doivent donc être réformées. Je crains également qu’une définition trop large du terrorisme soit utilisée à mauvais escient contre les journalistes, les blogueurs et les membres des partis d’opposition. Comme je l’ai dit dans plusieurs pays, si la lutte contre le terrorisme sert de prétexte fallacieux pour s’en prendre aux prétendus dissidents, cela ne fait qu’alimenter les revendications et, à terme, affaiblir l’État.

Au final, seul le gouvernement éthiopien est en mesure d’agir pour modeler l’avenir de ce pays. Au moment où les défis ne manquent pas, notamment la tragédie de la sécheresse, mes collègues et moi-même aux Nations Unies sommes disposés à aider l’Éthiopie. L’Éthiopie est un grand pays. Son peuple jouit exactement des mêmes droits que tous les autres peuples du monde. Et c’est un pays qui dispose de formidables atouts – notamment, et ce n’est pas le moindre, le dynamisme et la créativité de son peuple. Si l’Éthiopie peut donner un nouvel élan à la défense des droits de l’homme et faire confiance à son peuple, le pays pourra donner naissance à une société forte et soudée qui profitera vraiment à tous. Si elle trébuche, la méfiance et les revendications vont progresser et se traduire par des conséquences négatives considérables pour les perspectives de développement et le bien-être de la population.

Concernant l’Union africaine, j’ai été très heureux de participer à plusieurs discussions d’une grande portée avec les principaux acteurs du changement. L’UA participe de plus en plus activement à la lutte contre les violations des droits de l’homme en nommant ses propres experts des droits de l’homme au titre des procédures spéciales et en déployant des équipes afin de surveiller et d’établir des rapports à propos des domaines déjà critiques ou nouveaux où se produisent des violations. Nous sommes tous conscients que, dans le climat actuel, cette mesure préventive de l’UA, seule et conjointement avec les Nations Unies, devra être renforcée et déployée plus résolument afin d’empêcher que les situations d’abus d’autorité n’escaladent en véritable crise des droits de l’homme. En outre, alors que l’UA et les Nations Unies approfondissent leur partenariat, notamment par la signature, le mois dernier, d’un accord-cadre visant à renforcer la coopération sur les questions relatives à la paix et à la sécurité, il est essentiel qu’elles axent davantage leurs efforts sur les droits de l’homme pour prévenir et désamorcer les conflits.

Le Haut-Commissariat considère qu’il est primordial de soutenir le département paix et sécurité de l’UA au moment où il renforce ses moyens en matière de droits de l’homme dans le cadre des opérations de paix de l’UA, ainsi que dans son action pour l’alerte précoce, la médiation, le déploiement d’observateurs des droits de l’homme, la consolidation de la paix, la prévention de l’extrémisme violent et la surveillance des élections. Nos deux organisations sont convenues d’engager un dialogue annuel sur les droits de l’homme dans les nombreux domaines où nous partageons une vision commune et un sentiment d’urgence; j’en attends de nouveaux progrès.

Je vous remercie tous de votre accueil et je rends un hommage tout particulier à mon équipe.

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