Déclarations Procédures spéciales
Déclaration lors de la conférence de presse de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour le droit à l’alimentation, Hilal Elver, à l'issue de sa visite au Maroc* (5-12 octobre 2015)
12 octobre 2015
Rabat, 12 octobre 2015
Chers journalistes, Mesdames et Messieurs,
Je m’adresse à vous aujourd'hui à la conclusion de ma visite officielle au Maroc, que j’ai effectuée du 5 au 12 octobre 2015 à l'invitation du Gouvernement pour faire une évaluation de l’état de réalisation du Droit à l’alimentation dans le pays, un droit qui est reconnu dans le droit international. La déclaration suivante présente mes conclusions et recommandations préliminaires sur la base des informations recueillies lors de ma visite. Mon rapport final sera présenté au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies en mars 2016.
Tout d'abord je tiens à remercier le Gouvernement du Maroc pour l'invitation. Je suis très heureuse de la pleine coopération dont j’ai pu bénéficier tout au long de la visite. Pendant mon séjour, j’ai rencontré divers représentants des départements gouvernementaux concernés, ainsi que des représentants des instances nationales pour la protection des Droits de l’Homme, des organisations internationales, des universités, des agences de développement ainsi que des organisations de la société civile. J’ai également visité une sélection de projets agricoles et des coopératives à Agadir et Midelt.
Au cours des dernières années, le Maroc a entamé plusieurs réformes importantes, en particulier l'adoption d'une nouvelle Constitution en 2011. La nouvelle Constitution comporte des dispositions fermes en termes de protection des Droits de l'Homme et jette les bases d'une croissance économique plus inclusive. Je salue les efforts importants qui ont été entrepris à cet égard et je plaide pour que le Droit à l'alimentation soit explicitement reconnu dans la Constitution. L'élaboration d'une loi-cadre nationale sur le Droit à l'alimentation viendrait compléter les réformes et assurer leur mise en œuvre au niveau national. La ratification du Protocole facultatif relatif aux Droits économiques, sociaux et culturels assurerait une garantie pour la protection du Droit à l’alimentation.
Globalement, j’ai constaté que le Maroc dispose d'un large éventail de politiques et de stratégies bien formulées et bien intentionnées qui sont compatibles avec les normes internationales concernant le Droit à l'alimentation. Cependant, des lacunes dans la mise en œuvre, combinées à un manque de coordination entre les organismes concernés ont entravé les progrès à cet égard. Le développement d'une stratégie nationale sur le Droit à une alimentation adéquate avec des objectifs clairs à atteindre selon un calendrier préétabli ; accompagnée par des plans de mise en œuvre efficaces pour chaque région, ainsi que les moyens budgétaires et fiscaux nécessaires pour assurer leur mise en œuvre devrait être une priorité. Un renforcement des mécanismes de responsabilité et de transparence est aussi envisageable.
Le développement de certaines réformes économiques et sociales cruciales a contribué de manière significative à un accomplissement louable du Maroc dans la réduction de l'extrême pauvreté (de 16% à 6% depuis 2010) et l'élimination de la faim. Les progrès importants qui ont été accomplis dans la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement sont en grande partie le résultat de l'Initiative Nationale pour le Développement Humain (INDH), ce qui en soi est un programme bien structuré et complet. J’ai été particulièrement impressionnée par le succès des coopératives de femmes que j’ai rencontrées, qui bénéficient économiquement de cette initiative et qui progressent dans leur autonomisation. Cependant j’ai noté des disparités structurelles dans la mise en œuvre, et des lacunes dans les infrastructures nécessaires. Je voudrais donc encourager de nouveaux efforts pour faire en sorte que des projets soient mis en œuvre dans toutes les régions, tout en accordant une attention particulière à ceux qui vivent dans des zones reculées et aux groupes vulnérables. Un soutien financier supplémentaire serait aussi nécessaire pour accompagner ces projets.
L'agriculture est l'épine dorsale de l'économie car elle contribue à 18% du produit intérieur brut et fournit de l'emploi à environ 40% de la population active. Le Plan Maroc Vert de 2008 a considérablement renforcé le secteur agricole en favorisant l'intégration de l'agriculture dans les marchés internationaux et en aidant le secteur à atteindre la croissance. Le Plan Vert a eu un résultat positif en termes de bénéfices potentiels dans le secteur coopératif de production, transformation et commercialisation des produits locaux. Cependant, j’ai également noté que le manque de services publics de coordination, les contraintes environnementales ainsi que les lacunes pour assurer une consultation efficace avec les populations locales ont entravé les progrès dans certaines régions. Des efforts devraient être faits pour assurer que le Plan bénéficie à tous ceux qui sont particulièrement ciblés par le Pilier II, y compris les petits cultivateurs et les agriculteurs familiaux. L’infrastructure devrait être améliorée dans les régions éloignées pour assurer un meilleur accès aux marchés et pour attirer des investissements dans les zones rurales, tandis que les projets qui ciblent les femmes et les jeunes agriculteurs devraient être encouragés. Les processus de suivi et d'évaluation existants devraient également être renforcés pour assurer la transparence, la non-discrimination et la participation de toutes les parties concernées.
La désertification et la sécheresse potentiellement croissante en raison du changement climatique auront un impact considérable sur l'agriculture au cours des années à venir. Le Maroc est situé dans un écosystème fragile avec une riche biodiversité. Les politiques d'adaptation décrites dans le Plan Maroc Vert sont importants et des précautions doivent être prises pour veiller à ce que l'agriculture à grande échelle et l'agriculture intensive prévues dans le Pilier I ne drainent pas des ressources telles que l'eau douce et ne conduisent pas à la dégradation des terres. L’agro écologie devrait également être intégrée dans des projets futurs comme un moyen de protéger la biodiversité, les ressources environnementales, le maintien de l'égalité sociale, et une agriculture en mesure de mitiger les effets du changement climatique. L'utilisation intensive des engrais devrait également être évitée. Des efforts devraient être faits pour veiller à ce qu’un équilibre soit maintenu dans la mise en œuvre des projets à travers le Piliers I et le Pilier II.
J’ai également visité Dakhla au Sahara occidental le 10 Octobre, où j’ai vu plusieurs projets agricoles et halieutiques, ainsi qu’une coopérative féminine. L’industrie de la pêche est un secteur important, orienté vers l'exportation. Alors que les règlements internationaux sont observés, des précautions particulières doivent être prises pour assurer la protection des petits pêcheurs. Bien que des efforts importants soient déployés par les autorités pour développer les infrastructures et même si beaucoup de monde bénéficie des projets développés, la croissance économique n’est pas à la portée de tout le monde. Des efforts supplémentaires devraient être faits afin d'assurer que les bienfaits des projets soient diffusés d’une manière plus égalitaire. Les projets qui sont développés doivent être inclusifs et s’adresser aux individus les plus vulnérables.
Les observations et recommandations du Rapporteur Spécial figureront dans son rapport final, qui sera présenté au Conseil des Droits de l'Homme de l'ONU en mars 2016.
FIN
* La Rapporteuse spéciale s’est rendu à Dakhla, Sahara occidental, le 10 octobre 2015. Elle s’y est rendue en tant que titulaire de mandat indépendant et sa visite ne doit pas être interprétée comme l’expression d’une quelconque opinion concernant le statut actuel ou futur du territoire non autonome du Sahara occidental.