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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Déclaration du Haut Commissaire au séminaire international sur la lutte contre l'impunité en République centrafricaine

02 Septembre 2015

2 septembre 2015

Monsieur le Ministre,
Monsieur le Représentant Spécial du Secrétaire Général,
Excellences,
Chers collègues,

C’est avec un grand honneur que j’aborde ce séminaire portant sur la lutte contre l'impunité en République Centrafricaine, pays ayant une profonde et tragique connaissance de l’importance de ce sujet.

Comment pouvons-nous arrêter les manifestations systématiques de la violence qui ont brisé tant de vies? Comment pouvons-nous retisser un destin commun pour toutes les communautés, afin que chaque personne puisse regarder son voisin dans les yeux et y voir un être humain, et non un ennemi? Au même titre que toutes les personnes qui portent sur elles les cicatrices répétées de ces agressions, nous sommes conscients que sans réconciliation ni justice, les risques d’une reprise des violences sont élevés.

La culture de l’impunité prend forme dès lors que les crimes ne font pas l’objet d’enquêtes ou que les auteurs n’en sont pas tenus pour responsables. De tels échecs ont des conséquences importantes, particulièrement lorsqu’il s’agit des crimes les plus graves. Ils ne font qu’encourager des individus à continuer de commettre toujours plus de crimes. De plus, si les sentiments de la colère, de l’'injustice et de la peur, ressentis par les victimes, sont négligés ou ne sont pas reconnus, ils risquent de s’amplifier au sein des communautés. Transmis d’une génération à l’autre, ces sentiments resteront vifs, dans l’attente d’une occasion pour ressurgir au cours de futurs cycles de violence.

Nous devons tous aujourd’hui, garder à l’esprit la résolution 2149 du Conseil de Sécurité qui souligne le besoin urgent et impératif de mettre fin à l'impunité en RCA. La Commission d'Enquête a également constaté que l’omniprésence de la culture de l’impunité des violations passées en RCA, a grandement contribué aux manifestations les plus récentes de la violence et à l’effondrement progressif de l'État de droit. Je tiens aussi à souligner les recommandations formulées par l'Experte Indépendante sur la situation des droits de l'homme, notamment au regard de l’importance de continuer à travailler pour restaurer l'autorité de l'État et la sécurité dans tout le pays – et en particulier à renforcer les mécanismes de responsabilité.

Aujourd'hui, et tout au long de ce séminaire, les victimes et les survivants doivent être placés cœur de nos discussions. Se concentrer en priorité sur leurs besoins et intérêts, représente la clé d’un avenir paisible et prospère. Mon Bureau a travaillé dans beaucoup de pays qui se sont relevés de conflit, de crises institutionnelles, de tensions intercommunautaires, de contextes de pauvreté. Toutes ces expériences nous ont enseignées qu'il y a plus de chance de réconciliation et de paix durable que si toutes les communautés reconnaissent d’abord leur comportement passé envers d’autres communautés là ou ce comportement était discriminatoire et destructeur. Elles doivent aussi mettre en place des institutions dignes de confiance qui incarnent l’idée que chaque individu est un détenteur de droits.

Ce séminaire discutera des divers moyens de lutte contre l'impunité, incluant les mécanismes judiciaires et non judiciaires. Je salue cette diversité. La justice et la réconciliation ne peuvent être importées de l'extérieur. Pour aborder de façon adéquate l'héritage douloureux du passé et construire une vision partagée de l'avenir, il est important que le processus d’apaisement du pays soit conduit par l’ensemble des voix de la population centrafricaine, y compris celles des victimes déplacées en raison du conflit. En outre, l’ensemble des processus, qu’ils soient judiciaires ou non, doivent être mis en œuvre conformément aux normes juridiques internationales, eu égard aux violations graves des droits de l'homme et du droit international humanitaire, y compris de la violence sexuelle et de la violence contre les enfants.

Reconstruire l’unité d’une nation après un conflit exige un leadership politique fort et courageux. Le Forum de Bangui en mai et le Pacte Républicain adopté à l’issue de ce forum, représentent des étapes cruciales vers la paix durable, la justice et la réconciliation. Par-dessus tout, je salue l'engagement inscrit dans le Pacte de renforcer la protection des droits de l'homme de toute la population de RCA, sans aucune discrimination, en particulier et eu égard à la religion, l'appartenance ethnique ou le genre.


Le Pacte Républicain a souligné l'importance de juger les responsables des crimes épouvantables commis récemment en RCA et insiste sur la collaboration nécessaire de l’ensemble des parties prenantes nationales avec les juridictions nationales, la Cour Pénale Spéciale et la Cour Pénale Internationale.

Laissez-moi ici apprécier les décisions courageuses prises par les autorités de transition pour demander dans un premier temps à la Cour Pénale Internationale d'ouvrir une enquête sur les crimes présumés commis depuis 2012 et d’affirmer leur volonté de coopérer avec la CPI. Je souhaiterais également saluer l'adoption récente de la loi établissant la Cour Pénale Spéciale chargée d’examiner les violations sérieuses des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises depuis 2003, avec la participation de magistrats internationaux. Je souhaite que cette juridiction soit rapidement opérationnelle. J'encourage toutes les parties prenantes, nationales et internationales à soutenir tous les efforts visant à renforcer le fonctionnement des institutions judiciaires compétentes en RCA.

L'engagement d'adopter une clause constitutionnelle rejetant toute amnistie pour des crimes contre l'humanité, crimes de guerre et crime de génocide, doit aussi être souligné. Personne ne doit être à l’abri d’enquêtes et des poursuites pour de tels crimes, quelle que soit leur fonction.

Ceci s’applique aussi aux acteurs internationaux. Personne n'est au-dessus de la loi. Bien que ceci ne soit pas le sujet de nos discussions aujourd'hui, je tiens à souligner que l'ONU prend très au sérieux la nécessité de mener les enquêtes et de poursuivre le cas échéant toute allégation de violence ou abus commis par un personnel des Nations Unies dans l’exercice de ses fonctions. Comme le Secrétaire Général, je suis consterné par les allégations reprochées aux soldats du maintien de la paix. Ceci est absolument inacceptable. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour protéger la population de la RCA et les préserver du danger.

Les violations se commettent dans le secret et l'obscurité. La clarté est la première étape du rétablissement de la justice et des droits. Le Pacte Républicain inclut l’engagement important de mettre en place des processus de justice transitionnelle tels qu’une commission de vérité, réconciliation et réparations. Les survivants doivent bénéficier d’un espace au sein duquel le récit de leurs histoires sera écouté et protégé - un espace qui reconnaît entièrement la valeur et la dignité des personnes victimes des abus commis. Examiner, reconnaitre et comprendre le passé douloureux, sont des étapes cruciales à la cicatrisation des blessures. Il s’agit également de l’assurance que de telles blessures ne seront pas infligées de nouveau.

En établissant des programmes de justice transitionnelle, il est important que le processus détaillé de consultations nationales ait lieu, impliquant en particulier les victimes et les survivants, issus de toutes les communautés, à travers tout le pays. Ceci renforcera l’implication nationale. Une attention particulière doit être donnée aux voix des femmes et à leurs droits. Les nombreuses populations déplacées doivent aussi être entendues. Étant donné que de nombreux enfants de la RCA ont été privés de services fondamentaux, directement visés, ou forcés à participer ou à être témoins d’atrocités, les systèmes de justice transitionnelle doivent s’assurer que les préoccupations des enfants occupent une place prioritaire dans ces processus.

Mais bien que le récit de la vérité et les consultations soient essentiels, seuls, ils ne suffisent pas. Le système de justice doit pouvoir mener des enquêtes et condamner les auteurs des atrocités. Cette responsabilité individuelle est un facteur important de réduction de la dangereuse perception qu'une communauté est collectivement responsable de la violence commise. Si les poursuites sont impossibles – en raison de l’influence exercée sur juges et les procureurs, ou de l’incapacité de protéger les témoins et les victimes - alors le risque d’endommager profondément l'espoir de la réconciliation dans tout le pays est grand. La paix et la justice doivent impérativement se renforcer mutuellement. L’impunité génère des sentiments de cynisme et de méfiance envers les systèmes juridiques et politiques et élève l'idée parmi les populations que les armes restent un moyen de se prémunir d’éventuelles futures atrocités.

Pour construire un avenir commun, sur la base d’un passé divisé, tout en reconstruisant les relations brisées entre les communautés, ce pays doit s’attaquer à l’ensemble des déséquilibres structurels. Des recommandations concrètes ont été discutées et détaillées à travers le Pacte Républicain. Garantir la justice pour les torts causés aux victimes sera un pas gigantesque vers l'assurance que les populations de la République Centrafricaine pourront vivre ensemble dans l'honneur, la dignité et l'égalité. Il est essentiel que les divers processus s’insèrent dans une approche coordonnée, afin de renforcer l'architecture entière de l'état de droit. Le rétablissement des institutions et d’un gouvernement efficaces, comprenant un système judiciaire national intègre, indépendant et impartial, basé sur l'état de droit et la protection de droits de l'homme, est essentiel pour la stabilité à long terme de la RCA.

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