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Déclarations Organes conventionnels

Discours d’ouverture d’Emmanuel DECAUX, Président du Comité des disparitions forcées à la Conférence internationale sur les enjeux d’une mise en oeuvre universelle et effective de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

15 Mai 2012

Paris, 15 mai 2012

Je voudrais me joindre aux paroles de bienvenue qui viennent d’être prononcées, notamment pour ceux et celles qui viennent de loin et parfois de très loin pour notre rencontre, témoignant ainsi de toute l’importance qu’ils attachent à la Convention sur les disparitions forcées.

Je tiens également adresser mes remerciements aux gouvernements français et argentin dont le soutien à cette Convention ne s’est jamais démenti, comme le montre ce co-parrainage tout à fait encourageant pour l’avenir. Nous vivons aujourd’hui un jour historique en France et c’est un beau symbole de la continuité de l’action diplomatique et de la politique juridique dans le domaine des droits de l’homme de voir la chaîne ininterrompue des initiatives et des efforts qui se sont relayés depuis près de 40 ans.

Comment ne pas souligner également le rôle crucial qu’ont eu les experts indépendants de la Sous-Commission des droits de l’homme des Nations Unies pour apporter des réponses à ces nouveaux défis, comme Nicole Questiaux et Louis Joinet, Leandro Despouy et Théo van Boven. Ils ont joué un rôle pionnier, en liaison étroite avec les ONG, pour encadrer les « circonstances exceptionnelles », pour lutter contre toutes les formes d’impunité et les caricatures de la justice militaire, pour affirmer le droit à la vérité et à la justice – « le droit de savoir » - et pour réparer les violations massives des droits de l’homme. Mais quel chemin pour passer d’une déclaration de soft law à un traité en bonne et due forme !

Nous savons que l’Histoire est tragique et face à tant de souffrances, tant de silences, tant d’attentes et tant d’angoisses, le temps des Etats peut sembler bien lent au regard du temps des hommes. Il y a 5 ans, presque jour pour jour, le Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire (CRDH) de l’Université Paris II a organisé à la faculté de droit, à l’initiative d’Olivier de Frouville, une première journée d’étude sur la Convention des disparitions forcées qui venait d’être ouverte à signature le 6 février 2007, au Quai d’Orsay. Nombre d’entre vous étaient déjà présents il y a 5 ans. Certains nous ont quitté depuis, je pense à Bernard Kessedjian et à Patricio Rice.

Depuis lors la Convention est entrée en vigueur le 23 décembre 2010, et le Comité des disparitions forcées (CED), qui a été élu en mai dernier, a déjà tenu ses deux premières sessions à Genève. Notre vice-présidente Suela Janina vient de représenter le CED à la conférence sur les femmes et les disparitions forcées organisée en avril à Addis Adeba par le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires (WGEID). De même une conférence sur la Convention a été également organisée le 25 avril à Berlin par l’Institut allemand des droits de l’homme avec des partenaires universitaires, grâce à notre collègue Rainer Huhle. Notre réunion de Paris s’inscrit donc dans toute une dynamique internationale. Je suis heureux de retrouver à Paris nombre de mes collègues et amis du CED. Nous avons reçu des messages chaleureux d’encouragement de la part des membres du CED retenus, à leur grand regret, par leurs fonctions. Nous avons déjà eu hier une journée de travail avec le président-rapporteur du WGEID, Olivier de Frouville, et des spécialistes du CICR ou des ONG, portant aussi bien sur les questions de fond que de méthodologie, qui a été tout à fait prometteuse.

Cinq ans après notre premier colloque du CRDH, nous avons voulu faire un point d’étape, dans un cadre élargi, pour aller plus loin. Nous avons en effet voulu fixer ce nouveau rendez-vous avec toutes les parties prenantes, les Etats, les organisations spécialisées et les ONG, en particulier les associations de familles de disparus – dont je salue, avec respect et émotion, la présence parmi nous. J’espère qu’à côté de nos sessions officielles nous pourrons organiser de manière régulière de telles rencontres. En tout cas, je tiens à redire au nom du Comité des disparitions forcées, combien nous sommes déterminés à travailler en toute responsabilité, en toute indépendance et impartialité, mais également avec un souci d’ouverture et de transparence, avec une grande disponibilité, en coopération étroite avec l’ensemble des parties prenantes.

Nous attendons beaucoup de la réunion d’aujourd’hui. La Convention est à un tournant décisif de son existence. Une véritable stratégie de ratification universelle et effective s’impose. Avec 32 ratifications et une soixantaine de signatures, la Convention est loin d’avoir réalisé tout son potentiel. Des signes sont bienvenus, comme les signatures du Bénin et de l’Indonésie en 2010, de la Mauritanie et de la Suisse en 2011, comme les ratifications de la Bosnie-Herzégovine et du Costa-Rica en 2012, ou encore la déclaration de l’article 31 par l‘Allemagne qui vient d’être décidée par le cabinet fédéral.

Ces quelques noms indiquent assez que tous les Etats sont concernés par la nouvelle Convention. Si la Convention est née des leçons du passé et de l’expérience de dictatures militaires, nul ne peut s’en sentir exonéré, y compris parmi les démocraties, comme l’expérience récente le prouve. La Convention a vocation à s’appliquer à l’ensemble des Etats tout en ne portant que les événements futurs, ce qui devrait faciliter sa large ratification. Ce n’est pas seulement un geste d’exemplarité et de solidarité de la ratifier, en renforçant la coopération entre Etats, c’est aussi une « assurance tous risques » pour l’avenir.

La Convention me semble combler en effet une lacune importante dans le réseau des traités internationaux, en situant à la charnière du droit des droits de l’homme et du droit international pénal. Elle vise tout à la fois « la » disparition forcée, en préconisant une élucidation immédiate des cas individuels, et « les » violations systématiques, avec une gamme de mesures proactives, d’enquête et de réaction, dont ne dispose pas le Groupe de travail, en dehors de ses fonctions humanitaires et de ses visites sur le terrain. Ce faisant, elle complète les mécanismes de prévention qu’exercent des organes conventionnels, avec de nouveaux outils de vigilance et d’alerte rapide. Elle met en place des mécanismes de protection, au terme d’une procédure contradictoire qui leur donne un caractère quasi-juridictionnel, en combinant les demandes urgentes « visant à chercher et à retrouver une personne disparue » qui peuvent être présentées par « toute personne ayant un intérêt légitime » en vertu de l’article 30 et les communications individuelles, conditionnées par la déclaration de l’article 31 qui peuvent elles-mêmes être assorties de mesures conservatoires et de mesures spécifiques de protection des familles et des témoins. Elle prévoit aussi le renforcement du dispositif pénal interne, faisant pleinement jouer le principe de complémentarité, mais aussi la mise en œuvre de la compétence universelle, tout en soulignant à l’article 5 que « la pratique généralisée ou systématique de la disparition forcée constitue un crime contre l’humanité», ce qui ouvre la voie à la saisine de la Cour pénale internationale.

La campagne de ratification que nous appelons aujourd’hui de nos voeux devrait mobiliser tous les acteurs, à commencer par le Secrétaire général des Nations Unies et le Haut- Commissariat pour les droits de l’homme, dans la perspective de la « journée des traités », mais aussi à travers les présences des Nations Unies sur le terrain et les programmes d’assistance technique dans des situations de sortie de crise et de consolidation de l’Etat de droit. L’ONU a un rôle clef à jouer, au même titre que le réseau des Institutions nationales des droits de l’homme, pour promouvoir la Convention au même titre que la Convention contre la torture de 1984, comme un mécanisme juridique de première urgence en matière de « sécurité humaine ». Les organisations régionales, l’OSCE, l’Union européenne, le Commonwealth et la Francophonie, ont aussi un rôle à jouer en matière de sensibilisation, et de transposition, en élaborant des outils pratiques, sur le modèle des « bonnes pratiques » en matière de législations internes, qui avaient été recensées par le Groupe de travail sur les disparitions forcées et involontaires.

Il faut souhaiter que les «amis de la Convention » redoublent d’efforts pour la faire connaître et la faire reconnaître, partout dans le monde. Au-delà d’un bilan purement chiffré, le succès de la nouvelle Convention passe, à mes yeux, par trois grandes priorités :

- D’abord, sur le plan interne, l’application de la Convention implique l’adoption d’un cadre juridique renforcé qui prenne en compte la disparition forcée en tant que crime spécifique, tout en s’en tenant à la stricte définition de la Convention, sans diluer l’obligation juridique qui pèse sur l’Etat en se référant à un élément intentionnel face aux éléments objectifs de la définition donnée par l’article 2 de la Convention. Il est également souhaitable que tous les Etats s’engagent sans réserve et fassent les déclarations facultatives prévues à l’article 31 et à l’article 32. La présentation des premiers rapports étatiques, prévue avant l’échéance du 20 décembre 2012, « within two years » précise la version anglaise, sera l’occasion d’une mise à plat de l’ensemble des situations nationales devant le Comité des disparitions forcées. Les Etats parties doivent être aux rendez-vous et se montrer exemplaires dans l’application systématique de la Convention et le respect du calendrier fixé par la Convention, sans entrer dans le cercle vicieux des retards que peuvent connaitre d’autres comités.

- Comme je l’ai souvent dit notre premier objectif était d’être « en ordre de marche », avec des outils techniques permettant le bon fonctionnement du Comité, qu’il s’agisse du règlement de procédure, des directives pour la présentation des rapports étatiques et des formulaires pour les demandes urgentes ou pour les communications individuelles. Nous avons adoptés tous ces documents lors de nos deux premières sessions. Ils sont ou seront bientôt disponibles dans toutes les langues officielles sur le site des Nations Unies. Désormais le Comité doit se consacrer aux questions de fond, il doit interpréter et appliquer la Convention, ce qui implique qu’elle soit mieux connue. Tout un travail d’information et d’actualisation du site des Nations Unies, en utilisant les ressources d’internet, reste à faire, mais nous avons aussi besoin de relais de terrain à travers le monde pour faire connaître les virtualités de la Convention aux personnes les plus vulnérables. Le rôle des ONG est irremplaçable non seulement pour saisir le Comité – la Convention utilise sciemment le terme de « personne », là où le Protocole facultatif du Pacte sur les droits civils et politiques parlait de « particulier » – et pour jouer le rôle d’amicus curiae, mais également pour l’informer de « renseignements crédibles » et « d’indications fondées » pour nourrir la mise en œuvre éventuelle des articles 33 et 34.

- Enfin dans le cadre international, il convient de créer une synergie harmonieuse entre les mécanismes complémentaires que sont et que resteront longtemps le CED et le WGEID. Nos fonctions ne doivent pas se confondre, elles doivent s’additionner et non se soustraire. Le Groupe de travail, sur la base de la Déclaration de 1992, qui est visée au préambule de la Convention, nous apporte notamment un acquis précieux d’observations générales et d’interprétation de principe qui a contribué au développement du droit international général. Dans un autre contexte, la Cour international de Justice a évoqué l’impératif de cohérence qui pèse dans l’interprétation des normes parallèles, en affichant un souci de la sécurité juridique des Etats mais aussi des victimes. Le fait que l’Assemblée générale associe désormais dans un même débat le président du CED et le président-rapporteur du WGEID est un signe fort de cette obligation de moyen mais aussi de résultat qui nous revient en partage. De même, la journée mondiale des disparitions forcées, désormais marquée le 30 août de chaque année, doit être une occasion solennelle pour parler d’une seule voix, avec un message fort.

C’est assez dire que les membres du Comité attendent beaucoup de nos travaux. Nous avons tous ensemble une dynamique collective à créer, une stratégie commune à lancer, une convention universelle à respecter et à faire respecter. Un traité à faire vivre en pensant à tous ceux qui sont morts et qui sont tellement présents, comme à tous ceux que nous pouvons et que nous devons sauver.

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