Déclarations Organes conventionnels
Discours de clôture de la 4ème session du Comité des disparitions forcées par M. Emmanuel Decaux, Président du Comité des disparitions forcées
19 avril 2013
Genève, 19 avril 2013
Pendant de longues et cruelles années une convention internationale sur les disparitions forcées a été une utopie, un rêve, un espoir « contre tout espoir» pour reprendre le titre des mémoires de Nadedja Mandelstam, Hope against Hope. Pendant des années encore, la convention a été un chantier, un projet mobilisant diplomates, juristes et militants, sur la base de la Déclaration de 1992, pour aboutir au traité adopté en 2006. Depuis son entrée en vigueur le 23 décembre 2010, la Convention est devenue une réalité juridique, une obligation pour les Etats parties, un objectif pour les Etats signataires, une référence pour l’ensemble des Etats membres des Nations Unies.
La résolution A/RES/67/280 du 20 décembre 2012 sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées – présentée l’année dernière par 89 parrains (A/C.3/67/L.53) et adoptée au consensus par l’Assemblée générale – traduit cet engagement fort de l’organisation internationale qui répond aux attentes de la société civile, notamment des ONG et des associations de victimes de disparitions forcées.
Cette magnifique salle XII du Palais des Nations – où fut adopté le projet de Convention – suffit à nous rappeler une douloureuse histoire qui nous oblige. Mais c’est également une belle histoire, faite aussi de larmes de joie, une épopée juridique qui a renversé tous les obstacles. Les noms et les visages se bousculent dans notre mémoire, avec la foule des anonymes et des ombres. C’est assez dire nos devoirs et nos responsabilités, en tant qu’experts indépendants, en tant pour que membres du Comité des disparitions forcées, pour répondre à toutes ces attentes et veiller à la pleine application la Convention, en assurant son efficacité et son rayonnement.
Mesdames, messieurs, mes chers collègues,
I - Un premier bilan collectif s’impose à nous. Cette 58° séance du Comité des disparitions forcées marque la fin d’un cycle de 2 ans. La première année a été une phase d’organisation pratique, avec l’adoption de méthodes de travail et l’élaboration des outils techniques traduisant concrètement les mécanismes de la Convention, à travers le règlement intérieur, des directives et des « formulaires » pour les appels urgents et les communications. Après cette très rapide période de mise en place, nous sommes entrés désormais dans une phase de mise en œuvre effective.
Cela concerne en premier lieu l’article 29, qui permet de dresser un indispensable état des lieux, comme cela a été indiqué dans mon discours d’ouverture. Deux rapports étatiques, celui de l’Uruguay et celui de la France, ont fait l’objet d’un dialogue constructif avec des délégations de haut niveau, particulièrement compétentes, qui par la précision des rapports et la densité des échanges ont créé un excellent précédent. Ce dialogue a été préparé et conduit par les co-rapporteurs pays, comme par l’ensemble des experts, de manière très professionnelle, avec le soutien sans faille du secrétariat à qui je tiens à exprimer – a titre personnel et au nom de chacun des membres du Comité – toute notre gratitude. La procédure a été menée en toute transparence, avec la consultation de la société civile – des contre-rapports ont été présentés – et la diffusion des séances en temps réel par web-cast, grâce à l’initiative de l’International Rehabilitation Council for Torture Victims (IRCT) qu’il faut également remercier. La procédure a également été menée en toute impartialité, en appliquant notre Règlement intérieur qui anticipait largement les « principes d’indépendance et d’impartialité d’Addis-Abeba », de manière particulièrement stricte.
D’ores et déjà, le processus de préparation est lancé pour les deux rapports suivants, celui de l’Argentine et celui de l’Espagne, qui seront examinés lors de notre 5° session, en novembre 2013. Nous avons mis en place les deux équipes de rapporteurs pays qui vont préparer la liste de thèmes (list of issues) à traiter en priorité et nous espérons que les traductions officielles des rapports qui, faut-il le rappeler, ont été remis en décembre 2012, seront disponibles dans les meilleurs délais.
De l’avis de tous, y compris les premiers intéressés, je crois pouvoir dire que cet exercice difficile a été mené de façon exemplaire, avec un travail juridique en profondeur, comme il convient pour un instrument technique particulièrement riche. Je me réjouis notamment que plusieurs missions permanentes aient été présentes pendant ces séances publiques afin de se préparer à la présentation de leurs propres rapports. Nous espérons qu’une dynamique vertueuse a été lancée, afin d’éviter tout retard indu dans l’examen des rapports étatiques. Nous avons décidé d’écrire aux Etats parties pour leur rappeler les échéances précises fixées par la Convention. Nous envisagerons, le moment venu, les modalités pratiques d’un examen de la situation d’un pays en l’absence de rapport étatique.
Cela est encore plus nécessaire lorsque le Comité est saisi d’informations crédibles sur des disparitions forcées survenues depuis l’entrée en vigueur de la Convention, qu’il s’agisse d’appels urgents dans le cadre de l’article 30 ou de démarches d’ONG ou de coalitions d’ONG invoquant des atteintes graves à la Convention, conformément à l’article 33. Ces mécanismes sont des dispositifs d’alerte jouant aussi bien à l’échelle individuelle – pour retrouver en toute urgence une personne portée disparue – que de manière systémique, en impliquant de réformes internes de grande ampleur. Le Comité est déterminé à exercer son rôle de vigilance, en toute discrétion et confidentialité, privilégiant les moyens de la diplomatie, pour obtenir la pleine coopération des Etats concernés, dans l’objectif commun d’une application pleine et entière de la Convention.
Le Comité a également eu l’occasion, lors de cette session, de renforcer ses relations avec la société civile. Nous venons d’adopter un projet de document méthodologique qui va être mis en ligne pour une large consultation publique, afin d’obtenir les commentaires des organisations concernées, avant révision éventuelle et adoption définitive du texte à notre prochaine session. De même nous avons lancé un chantier parallèle pour préciser nos relations futures avec les INDH, après une séance de travail avec le représentant du CIC. Nous avons désigné en notre sein un rapporteur pour faire l’inventaire des bonnes pratiques et finaliser ce document qui sera discuté lors de notre 5° session.
Enfin nous avons réfléchi aux thèmes de nos débats futurs, en préparation de notre rencontre annuelle avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires et à cet égard nous tenons à nous féliciter d’une coopération étroite avec le Groupe de travail, et notamment son président-rapporteur. Dans le même esprit, la présence hier dans cette salle de la présidente du CEDAW a permis d’esquisser des rapprochements entre les deux Comités, dans la logique de la récente observation générale du GTWEID sur les femmes et les disparitions forcées dont notre collègue Mme Suela Janina a suivi la genèse. Nous veillerons à développer de tels liens avec l’ensemble des organes conventionnels, en particulier le Comité des droits de l’homme et le CAT avec qui des contacts prometteurs ont déjà été établis.
Mesdames, messieurs,
II - Un temps fort de cette session a été notre réunion de travail avec les deux co-facilitateurs en charge de la résolution 66/254 de l’Assemblée générale, l’ambassadeur Greta Gunnarsdottir et l’ambassadeur Desra Percaya, venus à Genève pour des consultations avec le Haut-Commissariat et avec les organes de traités, en attendant la réunion annuelle des présidents de Comité qui aura lieu à New York, fin mai, à un moment crucial. Nos relations avec l’Assemblée générale sont prévues par la Convention qui est un traité à vocation universelle, adopté sous les auspices des Nations Unies. La Convention spécifie qu’un rapport annuel est présenté à l’Assemblée générale, faisant le bilan de nos activités, et nous donne – de manière tout à fait originale par rapport aux autres organes conventionnels – la possibilité de saisir l’Assemblée générale en vertu de l’article 34, face à une situation de violation systématique.
Notre réunion a été l’occasion de rappeler, au nom du Comité des disparitions forcées, que nous étions particulièrement attachés à l’indépendance des experts, en vertu même des traités constitutifs. Cette exigence va de pair avec le souci de mettre en œuvre de manière effective, efficace et transparente la Convention, en pleine coopération avec toutes les parties prenantes, les Etats parties comme les représentants de la société civile, notamment les ONG et les associations de familles de disparus qui sont expressément visées par l’article 24 de la Convention. Pour un instrument victim-oriented comme le nôtre, le contact direct et confiant avec les ONG et notamment les organisations de terrain est irremplaçable.
Nous avons également souligné la spécificité de la Convention qui est un traité moderne, particulièrement sophistiqué et novateur, « un traité du XXI° siècle », à la charnière du droit international des droits de l’homme et du droit international pénal. Cette approche spécialisée de problèmes complexes est, nous semble-t-il, un gage d’efficacité et de réactivité, tout en assurant une cohérence et une continuité à nos travaux. Nous sommes en effet très soucieux de contribuer à la sécurité juridique pour les Etats comme pour les victimes, grâce aux garanties concrètes offertes par la Convention.
C’est la seule limite, selon nous, aux efforts d’harmonisation, qu’il s’agisse du système souple des rapports de l’article 29 ou de l’examen des communications individuelles de l’article 31, dans le cadre d’une procédure contradictoire et confidentielle qui nous revient en propre et que nous ne saurions déléguer ou sous-traiter à un « pool » de rapporteurs. Nous sommes au contraire tout à fait disposés à tous les efforts visant en amont une réflexion générale pour harmoniser les conditions de recevabilité – notion d’intérêt à agir, d’épuisement des voies de recours internes, de recours « de même nature », etc – et en aval pour renforcer le suivi des « constatations » des différents comités, comme l’avait suggéré lui-même le Comité des droits de l’homme, lors des consultations de Dublin II.
Mais le cadre juridique ambitieux de la Convention des disparitions forcées, fondé sur des engagements longuement négociés et assumés en toute connaissance de cause, implique d’adapter les moyens disponibles aux missions essentielles que les Etats parties nous ont confiées. L’article 26 §.7 précise que « le Secrétaire général de l’ONU met à la disposition du Comité le personnel et les moyens matériels qui lui sont nécessaires pour s’acquitter efficacement de ses fonctions ». Nous saluons le soutien du Secrétariat particulièrement efficace, compétent et dévoué, ainsi que l’appui de tout le Haut-Commissariat, mais très vite le Comité va atteindre ses limites et nécessiter des moyens supplémentaires, avec des sessions plus longues et des agents plus nombreux.
De même le Comité a fait des efforts remarquables pour avoir des « sessions vertes », avec une clef USB, sans impression de documents internes, et en utilisant le web-cast pour la présentation des rapports étatiques, comme je l’ai dit, mais la question des traductions se pose de manière cruciale pour permettre en temps continu à tous les experts de travailler sur un pied d’égalité. Il y a là deux verrous pratiques au bon développement du Comité qui doit pouvoir travailler tout au long de l’année sur des questions cruciales, sans être freiné ou paralysé par des blocages purement techniques.
Mes chers collègues,
Qu’il me soit permis de terminer ce cycle de 2 ans sur une note plus personnelle et de dire que la confiance, renouvelée il y a encore un instant, que vous m‘avez faite en me chargeant de la présidence du Comité est un immense honneur pour moi. J’ai été particulièrement sensible à l’engagement collectif, au soutien permanent et à l’amitié de chacun d’entre vous, experts et membres du secrétariat.
Depuis deux ans, nous avons agi tous ensemble dans un même but, pas seulement pendant nos brèves sessions, mais de manière continue et proactive, en anticipant sur les événements, en nous projetant avec enthousiasme vers l’avenir. Je crois que nous pouvons être légitiment fier du chemin accompli, même si beaucoup reste à faire pour que le rêve des pionniers devienne une réalité humaine, partout dans le monde, grâce à une ratification universelle et une application effective de la Convention contre les disparitions forcées.
Nous parlons souvent de manière familière de « notre » Convention, mais nous n’en sommes pas les propriétaires, nous en sommes seulement les dépositaires, nous inscrivant dans une longue chaine d’efforts. Nous avons pris le relais, et à notre tour, avec la simple satisfaction du devoir accompli et l’exigence du travail bien fait, nous avons continué à tracer la piste. « D’abord continuer, ensuite commencer », disait William James. Pendant ces deux années, nous avons su continuer et nous avons pu commencer. Encore merci à tous.