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Déclarations Procédures spéciales

Déclaration du Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans la lutte antiterroriste

12 Avril 2013

12 avril 2013

Burkina Faso: Un Expert de l’ONU lance un appel à l’ONU, à l’UE et à la communauté internationale pour qu’ils fournissent assistance technique, et matériel et d’autres formes d’aides pour protéger le Burkina Faso contre  les défis internes et externes de sécurité auxquels il fait face à la lumière du conflit au Mali et dans d’autres parties de la sous-région.

Introduction

Le Rapporteur spécial remercie le Gouvernement du Burkina Faso de l'avoir invité à effectuer une visite dans le pays en ce moment, et de la manière constructive et coopérative avec laquelle tous les représentants du gouvernement ont considéré la mission. Il salue en particulier la transparence dont ont fait preuve les Ministres et leurs fonctionnaires lors de leurs discussions avec lui, ce qui a permis un dialogue franc et ouvert sur la menace terroriste actuelle au Burkina Faso, et sur les mesures nécessaires à prendre pour lutter contre cette menace d’une manière qui soit compatible avec l'état de droit et la protection des droits de l'Homme.

Au cours de sa visite, le Rapporteur spécial a eu des entretiens fructueux avec le Premier Ministre, le Ministre des droits humains et de la promotion civique, le Ministre de l'Administration territoriale et de la sécurité, le ministre en charge des réformes politiques, et le Ministre de la Justice. Il a également rencontré le Procureur général, le Président de la cellule nationale du traitement des informations financières, la Haute Autorité pour le contrôle des armes, ainsi que des représentants de haut niveau de la Commission Nationale de lutte contre la prolifération des armes légères. Lors d'une visite à l'Assemblée Nationale, le Rapporteur spécial a rencontré le Président et le vice-Président de la Commission des Affaires Etrangères et de Défense et le Président de la Commission des droits de l'homme. Il a également rencontré le Vice-président et le rapporteur de la Commission nationale des droits de l'Homme, un organisme quasi-autonome qui a récemment reçu fondement législatif afin de se conformer aux Principes de Paris pour les institutions nationales des droits de l'homme.

Le Rapporteur spécial a également rencontré des avocats, des juges, des organisations non gouvernementales et des représentants de la communauté internationale, y compris l'Ambassadeur des Etats-Unis d'Amérique, l'Ambassadeur de France, et l'Ambassadeur et Chef de la délégation de la Mission de l'Union Européenne au Burkina Faso.

En outre, le Rapporteur spécial a effectué une visite à la Maison d'Arrêt et de Correction des Armées qui abrite les membres des forces armées et de la gendarmerie en détention provisoire ou condamnés pour des infractions militaires, y compris beaucoup de ceux actuellement en attente de procès pour des infractions liées à la mutinerie de l'armée d’avril 2011. Il a eu l'occasion de discuter des défis rencontrés par le personnel et les détenus, et s'est entretenu en privé avec quelques détenus. Il a également visité la Maison d'Arrêt et de Correction de Ouagadougou et il lui a été fait un compte rendu exhaustif des problèmes systémiques dans le système pénal du Burkina Faso.
Le Rapporteur spécial a également consulté l'ensemble des agences des Nations Unies opérant au Burkina Faso, y compris ceux qui participent à la gestion de l'afflux de réfugiés du conflit malien. Il tient à exprimer ses remerciements au Coordonnateur résident des Nations Unies au Burkina Faso pour avoir fourni un soutien logistique tout au long de sa mission.

Evaluation préliminaire

Le Burkina Faso est un pays enclavé situé au centre de l’Afrique de l'Ouest avec une population d'un peu plus de 17 millions, qui croît à un rythme de 3% par an. Le pays ne dispose pas de ressources naturelles considérables ou de base industrielle solide. Une grande partie de la population pratique une agriculture de subsistance. La principale culture de rente est le coton. Depuis 2004, il y a nettement moins de restrictions sur les investissements étrangers, ce qui a entraîné une augmentation de l'exploration et de l'exploitation minière de l'or, qui constitue à l’heure actuelle les principaux revenus d'exportation du pays.

Le Burkina Faso a de longues frontières avec un certain nombre d'États touchés par les conflits ces dernières années, y compris la Côte d'Ivoire, le Mali et le Niger. Son PIB est d'environ 24,03 milliards dollars américains. Selon le rapport de développement humain du PNUD 2013, environ 45% de la population vit avec un revenu en dessous du seuil de pauvreté de la Banque mondiale. Le taux le plus élevé de chômage est observé parmi les jeunes de la classe d’âge de 18-25 ans. Environ 60% de la population est musulmane, le reste étant constitué de catholiques (20%), animistes (15%) et de protestants (5%). La population compte plus de 60 groupes ethniques et il y a plus de 120 langues parlées. La langue officielle est le français.

Malgré l'apparente vulnérabilité géographique du Burkina Faso, le pays n'a pas encore souffert de graves conflits armés internes ou d’actes de terrorisme. Tous ceux qui ont parlé au Rapporteur spécial ont attribué cela à la longue histoire du pays de promotion de la tolérance et du dialogue entre les religions, une tradition qui est décrite comme inhérente à la conscience nationale. Le taux de mariage interreligieux et interethnique est élevé, et il est fréquent pour des enfants d'une certaine religion de fréquenter des écoles dirigées par des organisations religieuses d’une autre religion que la leur. Le peuple du Burkina Faso attache une grande importance au principe de respect des croyances et des cultures alternatives. Cela transparait dans la politique du gouvernement au plus haut niveau. En avril 2011, par exemple, le Ministère des Droits Humains a publié sa Stratégie Nationale de promotion d’une culture de la Tolérance et de la Paix au Burkina Faso ; et en janvier 2012, le Ministère a publié son Manuel de Prévention et de Gestion des Conflits Entre Agriculteurs et Éleveurs, en vue de la résolution des litiges historiques relatifs à l'utilisation des terres dans les zones rurales.

Depuis le début des années 1990, la présidence du Burkina Faso servi de médiateur dans les différends et conflits armés régionaux entre et au sein des États de la région, en facilitant les négociations de paix dans une variété de situations, y compris les conflits impliquant le peuple Touareg de la sous-région. Plus récemment, en 2012, le Président et le Ministre des Affaires Etrangères ont joué un rôle central dans les efforts déployés par la CEDEAO pour arbitrer le conflit dans le nord du Mali, accueillant les négociations entre le gouvernement et les factions rebelles à Ouagadougou. Au cours de ce processus, le Président a fait une distinction claire entre les forces rebelles nationales telles que le MLNA et les insurgés islamistes extérieurs au Mali tels que le MUJAO. Suite à l'intervention militaire française au Mali en janvier 2013, le Burkina Faso a fourni un contingent de 750 soldats en contribution à la force de la CEDEAO opérant dans le pays.

Certains interlocuteurs ont estimé que cela pourrait représenter une menace de représailles contre le Burkina Faso par le MUJAO, Ansar Dine ou AQMI, et ont remarqué qu'au moins un groupe avait déjà annoncé son intention de lancer une attaque de représailles contre un certain nombre de grandes villes dans différentes parties de la sous-région, y compris Ouagadougou. Des sources gouvernementales ont toutefois souligné que les renseignements au niveau national et les mesures de sécurité, dans la capitale et dans le reste du Burkina Faso, ont été considérablement renforcés depuis janvier 2013 et estiment que la menace d'une attaque terroriste planifiée externe est actuellement bien contenue.

La première obligation des droits de l’Homme de tout État est de protéger la vie et la sécurité physique de ses citoyens, y compris les citoyens et tous ceux qui relèvent de sa compétence territoriale. Le Gouvernement attache une très grande importance à cette obligation et reconnaît à juste titre que cette obligation implique une évaluation minutieuse des menaces de sécurité internes et externes, et nécessite que l’État s'attaque non seulement aux manifestations du terrorisme, mais aussi à ses causes profondes.

Suite à la dernière visite du Directeur Exécutif de Lutte contre le terrorisme du Conseil de Sécurité, le Burkina Faso a adopté la Loi n ° 060-2009 du 17 décembre 2009 relative à la répression d’Actes de Terrorisme et la Loi n ° 061-2009 du 17 décembre 2009, relative à la Lutte Contre le Financement du Terrorisme. L'ancienne loi définit et interdit les actes de terrorisme au Burkina Faso. Il adopte une définition du terrorisme qui correspond grosso modo aux normes internationales, même si l'infraction de l'association de malfaiteurs, qui découle de la loi française, a, dans certains pays, été utilisée pour poursuivre les individus ayant un lien ténu avec des terroristes présumés. Toutefois, comme aucun individu n'a à ce jour été arrêté ou inculpé au Burkina Faso pour toute infraction dans le cadre de la législation antiterroriste de 2009, il n'existe aucune preuve à ce jour suggérant que cette infraction dans son sens très large a été ou serait, mal utilisée, par les autorités. La loi prévoit également une série d'infractions terroristes liées à l'aviation civile, la navigation maritime, les plates-formes fixes et les transports en commun, les infractions contre des personnes protégées au niveau international, les enlèvements, les infractions liées à l'utilisation de matières dangereuses, et des actes relatifs à la fourniture d'un appui matériel au terrorisme, y compris la fourniture d'armes à des fins de terrorisme, et le recrutement ou la formation d’individus dans le cadre des activités terroristes. La loi prévoit une série de sanctions pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement à vie.

La loi de 2009 sur le financement du terrorisme a été conçue pour donner effet à la résolution 1373 du Conseil de Sécurité des Nations Unies et aux obligations du Burkina Faso en vertu de la Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme, du 9 décembre 1999. À ce jour, le gouvernement a signés et ratifiés 12 des 16 instruments anti-terroristes internationaux. Ceux qui restent à être signé et ratifié sont la Convention de 2005 pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, l'amendement de 2005 lié à la protection physique contre les matières nucléaires, le Protocole de 2005 de la Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de la navigation maritime, et le Protocole de 2005 de la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental.

Des sources gouvernementales ont fourni au Rapporteur spécial une évaluation réaliste et transparente des menaces externes et internes auxquelles le Burkina Faso est confronté. Comme dans le premier cas, la sécurité des frontières du pays est un sujet de préoccupation très important pour le gouvernement. La frontière avec le Mali a une longueur de 1200 kilomètres et n'est pas marquée par une frontière physique naturelle ou artificielle. La moitié de la frontière entre la Burkina Faso et le Mali est en contact directe avec la zone de conflit direct dans le nord du Mali. La frontière dans son ensemble est très poreuse et difficile à sécuriser. L'armée burkinabé est forte de 10.000 personnes, mais plus de 2.000 soldats sont actuellement engagés dans des opérations militaires dans d'autres Etats comme le Soudan, la Guinée Bissau et le Mali, mettant à rude épreuve les ressources militaires burkinabè.

En réponse à l'existence de menaces extérieures sur ses frontières, le gouvernement a créé une brigade de force antiterroriste, et a positionné 1.000 soldats (armée et gendarmerie spécialisée) dans la partie nord de la frontière avec le Mali. Il n’y a eu jusqu'à présent qu'un petit nombre de cas d'incidents transfrontaliers dans le Nord, y compris l'enlèvement de deux ressortissants français qui ont emmenés à l’intérieur du Mali où ils ont été exécutés. Il y a toujours le risque que des groupes comme AQMI et le MUJAO puissent pénétrer le Burkina Faso à partir du Mali et du Niger et procèdent à des enlèvements et à des attaques similaires dans le Sahel.

Il y a également eu un certain nombre d'incursions frontalières sporadiques et jusqu'à présent, cela reste relativement mineur de la part des insurgés maliens sur le territoire du Burkina Faso le long des sections sud de la frontière. Il n'existe aucune preuve que l'un de ces groupes ait jusqu'ici établi une base opérationnelle sur le territoire du Burkina Faso, mais la nécessité d'un soutien international pour surveiller la frontière est urgente et impérative. La partie sud de la frontière avec le Mali est mal protégée, et dépend de postes frontière intermittents avec des agents en poste, avec des patrouilles terrestres et une quantité limitée d'appui aérien de la Force aérienne du Burkina Faso.

De manière globale, la sécurité des frontières représente une vulnérabilité considérable pour le pays. Le gouvernement a bénéficié d’aide bilatérale pour appuyer ses efforts de sécurisation de la frontière, mais cela a été largement confiné au renforcement des capacités, de la formation et de la fourniture d'une quantité limitée d'équipement. Le gouvernement estime que l'aide internationale est essentielle pour le maintien de la sécurité des frontières. Des sources de sécurité gouvernementales ont souligné au Rapporteur spécial que, pour garantir la protection de la population l'armée avait besoin de matériel supplémentaire et d'autres soutiens, y compris, en particulier, les équipements de communication, d'observation, de radars ainsi que d'autres véhicules.

Lors de sa rencontre avec la Commission Nationale de Lutte contre la Prolifération des Armes Légères, il a été rapporté au Rapporteur spécial que la mauvaise sécurisation des frontières constituait un obstacle majeur à la répression du trafic d'armes et du maintien de la sécurité. La Commission estime qu'il y a environ deux millions d'armes illégales légères en circulation à l’intérieur du Burkina Faso, y compris des armes automatiques et des missiles légers. Pour un pays avec une population d'un peu plus de 17 millions d’habitants, ceci représente une menace importante pour la sécurité et la preuve de la poursuite d’un trafic transfrontalier d'armes. Avant le conflit au Mali, la Commission estime que le trafic intérieur représente un problème important, avec 39% des armes en provenance du Ghana, 6% du Mali, et 19% de la Côte d'Ivoire. Une initiative récente visant à surveiller et à réprimer le trafic d'armes à travers la frontière malienne depuis le début du conflit a dû être abandonnée en raison du manque de fonds. La Commission travaille avec un certain nombre d'organisations qui encouragent le contrôle des armements, y compris Amnesty International, à modifier le Traité sur le Commerce des Armes des Nations Unies récemment adopté. Cependant, les membres principaux de la Commission ont souligné au Rapporteur spécial qu’une meilleure sécurité des frontières est essentielle à en vue de supprimer la proliferation et le trafic transfrontalier d'armes légères pouvant être utilisées à des fins de conflit armé.

En raison du conflit au Mali, le Burkina Faso accueille environ 48.000 réfugiés qui ont fui les combats et vivent actuellement dans des camps de réfugiés proches de la frontière nord, notamment Mentao et Ferriho ainsi que dans la Province du Kadiogo. Le gouvernement a pris beaucoup de soin de fouiller les réfugiés et de les désarmer avant de les admettre dans les camps de réfugiés. Néanmoins, le Rapporteur spécial a été informé de l’existence d'un nombre important d'anciens combattants liés à Ansar Dine et d'autres groupes impliqués dans le conflit au Mali parmi les réfugiés à l'intérieur de ses frontières, qui sont organisés en groupes identifiables. Les fonctionnaires du gouvernement maintiennent une surveillance étroite sur ces groupes et individus afin de les identifier et de prévenir les risques de sécurité qui peuvent découler de leur présence sur le territoire du Burkina Faso.

Le Rapporteur spécial note que, même si le conflit au Mali n'a pas encore débordé sur le territoire du Burkina Faso, il y a un risque que cela arrive. Le Burkina Faso a besoin d'un soutien et d’une assistance internationale afin d'être en mesure de garantir la sécurité de la frontière et la sécurité de ses citoyens et d'autres personnes sur son territoire. Alors que le premier besoin est celui d'un soutien dans le cadre de la sécurité des frontières, certains interlocuteurs ont suggéré qu’une formation sur l'amélioration des systèmes de renseignement serait également utile. À l'heure actuelle, il semble que tout signalement d'activité anormale est remonté au niveau ministériel. Plusieurs de ces rapports se révèlent dénués de fond, avec un détournement des ressources en conséquence. Il a été suggéré par un interlocuteur qu’il serait utile que l’aide internationale introduise la systématisation de l'évaluation du renseignement afin que les rapports de menace les plus fiables seulement soient transmis au niveau ministériel. Encore une fois, cela souligne la nécessité d'un soutien international supplémentaire.

En ce qui concerne les risques internes, le pilier I de la Stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme de l’ONU, plus récemment réaffirmé par l'Assemblée générale en Juin 2012 souligne que des conditions propices à la propagation du terrorisme viennent non seulement de conflits régionaux de longue durée tels que ceux existants dans le Sahel, mais aussi d’exclusions sociales, politiques, économiques et éducatives, de lacunes dans la bonne gouvernance, et de la persistance de violations des droits de l'Homme.

Au Burkina Faso, la pauvreté, ainsi que l'inégalité apparente sont sources de frustration, comme en témoignent les troubles civils et la mutinerie de l'armée en 2011. Les représentants de la société civile ont informé le Rapporteur spécial que les couches défavorisées perçoivent la richesse générée par l'exploitation minière comme inégalement répartie et pense que les conflits fonciers ont généré un sentiment de frustration, et qu'il peut y avoir des signes de plus en plus visibles de mécontentement politique et d’agitation.

Objectivement, le problème fondamental est celui de la pauvreté. Ces dernières années, le PIB a augmenté à un taux de croissance d'environ 5% par an, tandis que la croissance démographique a été de l'ordre de 3%. Certains considèrent qu’une croissance de ce niveau aurait dû se traduire au moins par une réduction significative du niveau de pauvreté absolue qui est en fait resté relativement statique. D'autre part, le Premier Ministre a informé le Rapporteur spécial d'une récente initiative de création d’emplois dans laquelle 10 milliards de francs CFA avaient été alloués pour la création de 60000 nouveaux emplois. Tous les interlocuteurs ont convenu, toutefois, qu'il existe des preuves d'insatisfaction et de frustration sociale croissante, en particulier parmi les jeunes, qui ont le potentiel de mener à la radicalisation et, même, à l'extrémisme violent.

Le Rapporteur spécial a été informé de quelques incidents mineurs, mais sans précédent, incidents dont certains ont suggéré qu’ils pouvaient être des «signes avant-coureurs» indiquant l'émergence de l'intolérance religieuse dans certains secteurs de la société. Les exemples cités lors de discussions avec le Rapporteur spécial incluent des menaces qui auraient été proférées envers un Imam à la suite d'une rencontre avec un archevêque catholique d’Ouagadougou, ce qui s'inscrit dans un processus continu de dialogue interreligieux entre les chefs religieux. De plus il y’a un incident au cours duquel un certain nombre de familles musulmanes avaient retiré leurs enfants de l'école chrétienne pour protester contre le fait qu'un emblème religieux (une croix) avait été introduit dans l'uniforme de l'école. Il apparaît aux yeux du Rapporteur spécial que ces incidents ont fait l’objet d’une attention disproportionnée dans les médias et parmi les classes politiques à Ouagadougou en raison de l'importance que les burkinabé attachent à la tradition de la tolérance religieuse et à la coopération interconfessionnelle. Néanmoins, le fait- même que ces incidents aient attiré tant d'attention est une preuve de l’apparente fragilité et vulnérabilité sociale.

Alors que des incidents comme ceux-ci ont provoqué un malaise, et sont étroitement surveillés par le gouvernement et la société civile, le Rapporteur spécial est d'accord avec la plupart des interlocuteurs qu'ils ne constituent pas une preuve d’un changement perceptible d'attitude dans toutes les sections de la population en direction de l'intolérance religieuse ou de la radicalisation. L'attention qui leur est accordée est pourrait plutôt être considérée comme une preuve de la sensibilité de la population, du gouvernement et des médias aux signes d'intolérance. En outre, le gouvernement poursuit un programme actif de coopération interconfessionnelle. Selon la Constitution, les Institutions de l'Etat se sont engagées à la laïcité (article 31), mais la liberté de pensée et la pluralité de religion sont garanties (article 7). En septembre 2012, le Ministère des Relations avec les Institutions et des Réformes Politiques a parrainé un forum de dialogue entre leaders religieux visant à examiner la relation entre les institutions religieuses et l'État, et la promotion de la tolérance et de la compréhension entre eux.

Le Rapporteur spécial a été informé qu'au cours de la dernière année, un certain nombre d'imams et d’experts religieux de l'extérieur de la sous-région étaient entrés au Burkina Faso à des fins religieuses et avaient prêché dans les mosquées locales. Le gouvernement surveille leurs activités et leurs prédications et il est convaincu qu’aucun n'a encore franchi la ligne de la rhétorique inflammatoire liée à l'incitation aux actes de violence.

Il y a un consensus entre tous les interlocuteurs que la tradition burkinabé de tolérance interconfessionnelle, de dialogue et de consolidation de la paix représente une défense importante contre la montée de l'extrémisme religieux violent, et qu'il n'y avait actuellement aucune preuve d'une tendance significative dans ce sens. D'autre part, tous les interlocuteurs sont également d’accord qu’au vue de la pauvreté, l'exclusion sociale et éducative, et la frustration, combinées à la présence de groupes armés et d’idéologues qui opèrent dans la région, il n y a pas lieu de faire montre de complaisance. Le gouvernement est très conscient de la nécessité de répondre aux préoccupations sociales et d’améliorer la gouvernance locale, mais est fortement limité par la marge des ressources économiques et autres.

Les violations de droits de l’Homme les plus visibles et persistantes au Burkina Faso affectent ceux qui sont privés de leur liberté. Il y a des allégations persistantes de torture et de mauvais traitements infligés par la gendarmerie pendant la phase de détention dans une maison d'arrêt avant les premières comparutions devant les tribunaux. Le Rapporteur spécial n'a pas entendu de témoignage direct de tels incidents au cours de sa visite, mais il prend note que la question fera partie de l'examen EPU du pays par le Conseil des droits de l'Homme plus tard ce mois-ci.

Le Rapporteur spécial a toutefois pu voir et entendre lui-même des témoignages sur les conditions de détention dans les prisons militaires et civiles. La population carcérale totale est de l'ordre de 5 660 prisonniers, dont environ 160 prisonniers militaires détenus à la suite de leur implication présumée dans la mutinerie de l'armée en 2011 (ce qui aurait été motivé par les inégalités constatées dans la rémunération et les conditions de travail, plutôt que par des considérations politiques plus générales).

Lors de sa visite à la prison militaire à Ouagadougou (Maison d'Arrêt et de Correction Militaire d’Ouagadougou), il a été rapporté au Rapporteur spécial qu'il y a une grave pénurie de soutien et de fournitures médicales pour les prisonniers malades. Il a également été informé que la majorité des personnes détenues à la suite de la mutinerie sont en détention provisoire depuis plus de deux ans, et n'ont toujours pas de date fixée pour leur procès. Les conditions de détention sont extrêmement basiques, mais le moral parmi les prisonniers semble être généralement satisfaisant et les relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire paraissent aimables et polis. Le Rapporteur spécial a mené un certain nombre d'entretiens privés et confidentiels avec des détenus, mais aucun n’a signalé de mauvais traitements ou formulé de plainte au sujet de leurs conditions de détention, si ce n’est l'absence de traitement médical et la durée de la détention avant jugement.

Toutefois, la situation dans le système pénitentiaire civil est radicalement différente et les conditions sont tout à fait insuffisantes. Le Rapporteur spécial s'est rendu à la Maison d'Arrêt et de Correction d’Ouagadougou, a inspecté les lieux, et a parlé très longuement avec la Direction qui a été transparente et franche dans l’expression de ses préoccupations au sujet des conditions dans lesquelles les prisonniers sont détenus. Le Rapporteur spécial a été impressionné par le professionnalisme, les soins et l'engagement de la Direction, y compris le Directeur régional du district d’Ouagadougou qui est responsable de la supervision des 16 prisons. Il est apparu clairement que le personnel s'efforce de faire de son mieux pour offrir un environnement constructif et sain pour les prisonniers, et est frustré par son incapacité à garantir des conditions de détention humaines.

L'établissement abrite actuellement 1 281 prisonniers, dont des hommes, des femmes et des jeunes. Le Rapporteur spécial a appris que les établissements pour hommes adultes étaient actuellement environ 250% de surcapacité, avec dans beaucoup plus de six personnes par cellule. L'assainissement est extrêmement médiocre, et les infrastructures physiques de la prison sont visiblement dans un état de délabrement. Le Rapporteur spécial a été informé de l’absence quasi-totale de médicaments pour le traitement d'infections ou de maladies qui, en raison de la surpopulation et du mauvais assainissement, est monnaie courante. L'infirmerie est un bâtiment vide sans personnels médicales ou Equipment médical et la direction de la prison est très préoccupé par les répercussions sur la santé des détenus. La prison n'avait qu'un seul pick-up en état de marche pour le transport de prisonniers au tribunal ou à l'hôpital, pick-up prêté par le Ministère de la Justice. Les autorités dépendent fortement des dons et de soutien de mouvements catholiques et d'autres organismes de bienfaisance religieux pour faire fonctionner les services de base. Il a été rapporté au Rapporteur spécial que les conditions de la MACO sont typiques de la plupart des prisons du Burkina Faso. Il considère que ces conditions de détention équivalent à un traitement inhumain et dégradant, et souligne la nécessité impérieuse d'une action urgente.

Le deuxième jour de sa visite, le Rapporteur spécial a discuté de la situation avec le Ministre des Droits Humains qui a pleinement reconnu l'ampleur du problème et a souligné que cela pouvait être partiellement atténué par la construction de nouvelles prisons. Lors de sa rencontre avec le Premier Ministre vers la fin de sa visite, le Rapporteur spécial a appris que le Ministre des Droits Humains a présenté une proposition pour la création d'une Commission chargée d'examiner les solutions à la crise dans le système carcéral, proposition qui avait été approuvée la veille par le Conseil des Ministres et le Président. Le Rapporteur spécial se félicite de cette initiative et souligne le caractère urgent d’une telle commission. Il recommande que la Commission examine des solutions qui impliquent un changement dans la détention judiciaire et dans la politique de détermination de la peine. Trouver une solution à cette grave crise est une responsabilité conjointe du gouvernement et du pouvoir judiciaire et cela ne peut être résolu que par un partenariat entre les deux. A la MACO, environ 40% des personnes en détention provisoire sont en attente de leur procès. Un moyen immédiat d'atténuer la crise serait d’envisager pour toute personne en détention provisoire avant le procès pour une infraction non violente urgemment une libération conditionnelle. Dans un court ou moyen terme, cependant, la solution doit se trouver dans un examen complet de la politique de détermination de la peine afin de faire en sorte que le système judiciaire n’impose pas de peines d'emprisonnement pour lesquelles le gouvernement est incapable de les faire purger dans des conditions humaines.

Conclusions et recommandations provisoires

A la fin de sa visite, le Rapporteur spécial a déclaré:

«Le Burkina Faso a jusqu'ici échappé à la menace d'une attaque terroriste, la propagation des conflits armés à travers les frontières, et l'émergence de l'intolérance religieuse, la radicalisation et l'extrémisme violent parmi sa population. Mais il reste vulnérable à toutes ces menaces en raison de sa proximité géographique avec le conflit dans le nord du Mali, de la longueur et de l'insécurité de ses frontières avec le Mali et le Niger, l'instabilité économique du pays et de son manque de ressources naturelles, et de tensions politiques et sociales qui ont été observées ces dernières années, en particulier parmi la population des jeunes de 18-25 ans qui détient le plus haut niveau de chômage, et le fait que près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté.

Le pays s’est jusqu'ici engagé dans des négociations de paix et à une coexistence pacifique au sein d'une sous-région qui a été entraînée dans des conflits dans les pays voisins, y compris la Côte d'Ivoire, le Niger et le Mali, et a servi de négociateur pour la paix dans la plupart des grands conflits de la région. Ceci est largement dû à une longue tradition profondément ancrée de tolérance religieuse et ethnique, de dialogue et la coopération entre ses habitants.

Il serait cependant naïf de penser que le pays n'est pas exposé à un risque. Il est essentiel qu’un État vulnérable dans un tel endroit, géographiquement exposé, ait les outils à sa disposition pour assurer la sécurité de ses frontières, pour assurer la sécurité des investissements étrangers essentiels à son développement, et pour résoudre les problèmes économiques, sociaux, politiques et relatifs aux droits de l’homme qui peuvent si facilement devenir des conditions propices à la propagation du terrorisme, tel que prévu dans le pilier I de la Stratégie mondiale de lutte contre le terrorisme.

Le Burkina Faso a toujours été bénéficiaire d'une aide au développement considérable de la part de l'étranger. Pour la période de cinq ans de 2008 à 2013, l'UE a fourni 700 millions d’Euros d'aide au développement. Le budget de l'UE pour la période de 2014 à 2019 est actuellement à l'étude. La crise économique dans la zone euro et les mesures d'austérité qui ont été introduites dans de nombreux Etats européens constituent une menace pour les budgets d'aide internationale. Toutefois, le Rapporteur spécial invite l'UE et les autres bailleurs de fonds internationaux, de maintenir et d'accroître le soutien international pour le Burkina Faso. Cette aide devrait être ciblée sur les mesures qui contribuent à la stabilité et à assurer la justice sociale, la protection des frontières du pays, la réduction de la pauvreté, la résolution de la crise dans le système pénal, la protection et la protection de droits de l’homme et la promotion de l'investissement étranger et la création d'emplois et de richesse.

Le Burkina Faso joue un rôle essentiel dans la promotion de la paix et du dialogue dans la sous-région. Il occupera presque certainement une position importante de médiateur dans les négociations à venir concernant l'avenir du Mali, et contribuera de manière significative au maintien de tout accord qui aura été conclu. Dans l'exercice de ce rôle, le Burkina Faso aura besoin du soutien actif de l’ONU, de ses agences et de l'Envoyé spécial du Secrétaire général pour le Sahel.

Toute attaque terroriste majeure sur des infrastructures ou à la sécurité du Burkina Faso saperait la cohésion sociale dans le pays, entraverait les investissements étrangers, et déstabiliserait davantage la région. La communauté internationale doit veiller à ce que le matériel et les autres ressources nécessaires pour protéger ce petit Etat paisible, de menaces à la fois internes et externes, soient disponibles comme priorité régionale. "

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