Skip to main content

Déclarations

Déclaration conjointe de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, Margaret Sekaggya et la Rapporteuse spéciale de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, Reine Alapini-Gansou, en conclusion de leur visite en Tunisie (27 septembre au 5 octobre 2012)

05 Octobre 2012

5 octobre 2012

Mesdames et Messieurs,

La Tunisie a subi des changements très significatifs depuis la Révolution qui a mis un terme au régime de Ben Ali le 14 janvier 2011. Toutes les personnes que nous avons rencontrées pendant notre visite ont souligné que le pays vit présentement une période transitionnelle. La transition a apporté certains défis sérieux auxquels le Gouvernement et la société tunisienne visent maintenant à faire face. Notre objectif pendant cette visite a été d’évaluer la situation des défenseurs des droits de l’homme dans le pays, et la déclaration qui suit contient nos observations et recommandations préliminaires. Un rapport final sera présenté par la Rapporteuse spéciale des Nations Unies au Conseil des droits de l’homme au mois de mars 2013. La Rapporteure spéciale de la Commission Africaine présentera son rapport final à la session de la Commission en avril 2013.

Nous aimerions féliciter le Gouvernement de la Tunisie de sa coopération pendant notre visite. Nous avons eu l’occasion de rencontrer la Présidente de la Commission des droits et des libertés au sein de l’Assemblée Nationale Constituante, le Ministre des Droits de l’Homme et de la Justice Transitoire, le Ministre de la Justice, le Ministre des Affaires Sociales, le Secrétaire d’Etat au Ministère des Finances, le Secrétaire d’Etat chargé des réformes au sein du Ministère de l’Intérieur et le Chef du Cabinet du Ministère des Affaires Etrangères. Nous avons rencontré le Président du Comité Supérieur des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales, l’institution nationale des droits de l’homme de la Tunisie. En plus, le Président de la Cour de Cassation et le Procureur Général près la Cour de Cassation ont partagé leurs expériences avec nous. En dehors de Tunis, nous avons visité Le Kef et Sidi Bouzid, où nous avons rencontré les Gouverneurs, des fonctionnaires supérieurs des municipalités ; les chefs de la police et de la Garde Nationale. Nous avons rencontré un large éventail de la société civile à Tunis, Jendouba, Le Kef et Sidi Bouzid durant notre visite. Nous sommes reconnaissantes au Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations Unies, bureau de Tunis, de leur soutien logistique et d’avoir facilité l’organisation des réunions. Nous aimerions remercier toutes les personnes qui ont pris le temps de nous rencontrer et partager leurs expériences précieuses et importantes.

La plupart des personnes que nous avons rencontrées durant la visite ont décrit une amélioration générale de la situation des défenseurs des droits de l’homme en comparaison à la situation d’avant la Révolution. Les défenseurs jouissent d’un degré plus élevé de libertés d’expression, liberté de réunion pacifique et d’association que durant l’ère de Ben Ali. Cependant, la sécurité est moins prévisible qu’auparavant, et le niveau de sécurité des défenseurs s’est détérioré à plusieurs endroits suite à l’exercice de leurs droits fondamentaux, y compris dans des zones urbaines hors de Tunis.

Nous sommes préoccupées que des femmes défenseures des droits de l’homme, des journalistes, des artistes, des universitaires, des syndicalistes et des membres d’organisations non gouvernementales aient subi des attaques physiques, des tentatives de meurtre, du harcèlement et des menaces après la Révolution dans différentes parties du pays. Dans bien des cas, les auteurs de ces actes sont des islamistes conservateurs, communément appelés des salafistes dans la région. Un manque de réponse de la part de la police est rapporté dans ces cas, ce qui a engendré un manque de confiance parmi les citoyens à son égard quant à sa capacité de les protéger de ces violations.

La liberté de réunion pacifique
La liberté de réunion pacifique fait partie intégrante de l’ensemble des libertés acquises dans la Tunisie post-révolution. Le Gouvernement devrait être félicité pour ses efforts pour le respect du droit à se réunir et protester de façon pacifique, bien qu’il y ait récemment eu des interdictions de manifestations, notamment au centre de Tunis. Certaines manifestations ont fait l’objet de violence, prétendument à cause de contremanifestations de groupes présumés salafistes. La police a dans la plupart de ces cas été incapable de protéger les manifestants. Des individus exerçant leur droit de réunion pacifique ont été blessés et ont, dans certains cas, perdu la vie à cause d’actes de violence commis par des contremanifestants ou du fait d’un recours excessif à la force par la police et/ou par la Garde Nationale.

Selon nous, l’incident le plus sérieux pendant la période post-révolution est celui relatif à la commémoration de la Journée des Martyrs à Tunis en date du 9 avril 2012. A cette occasion, un nombre indéterminé d’individus ont été blessés, y compris des civils, et des rapports non confirmés font état de morts. Nous accueillons favorablement des informations indiquant qu’un comité a été établi par le Ministère de l’Intérieur afin d’enquêter les événements du 9 avril, mais nous regrettons qu’à ce jour, presque aucune information n’est disponible en ce qui concerne ses conclusions.

Des manifestations ont aussi été recensées hors de Tunis pendant la période post-révolution. A Sidi Bouzid, le berceau de la Révolution, environ 300 manifestations ont eu lieu cette année. En moyenne, cela constitue plus d’une manifestation par jour. Sidi Bouzid et d’autres régions au nord-ouest et au centre de la Tunisie continuent de faire face à des défis considérables s’agissant de la jouissance des droits économiques et sociaux, dans un contexte de frustrations importantes parmi les habitants qui, pour beaucoup, considèrent que leur situation ne s’est pas améliorée depuis la Révolution. Des investissements considérables auraient été alloués en vue d’améliorer l’infrastructure et la fourniture de services de bases et afin de combattre le chômage.

Nous sommes très préoccupées par des cas d’arrestations arbitraires et d’usage excessif de la force durant des manifestations dans les régions qui nous ont été communiqués. Nous nous inquiétons aussi des nombreuses allégations de torture de manifestants détenus ainsi que des rapports détaillant des conditions de détention précaires dans les prisons.

La liberté d’association
En ce qui concerne la liberté d’association, la Tunisie a introduit des changements législatifs depuis janvier 2011 qui rend son cadre légal, en grande partie,conforme aux standards internationaux. Nous accueillons ces développements avec bienveillance. Un nombre considérable de nouvelles ONG a été établi après la Révolution. Alors que beaucoup d’ONG possèdent une expertise considérable dans les domaines dans lesquels elles travaillent, un manque de coordination et absence de réseautage parmi les ONG est à relever. Ceci est important afin que la société civile puisse travailler de manière efficace. Nous avons également observé que beaucoup de nouvelles ONG ont des lacunes en termes de capacité organisationnelle. Nous aimerions souligner l’importance pour la société civile de travailler sur la base des principes des droits de l’homme, incluant l’égalité, la non-discrimination et l’universalité des droits de l’homme. Nous sommes toutefois préoccupées par le fait que, dans les zones hors de Tunis et particulièrement dans les zones rurales, une absence de société civile active serait absente.

Tandis que la prolifération d’organisations de la société civile est une indication claire que la liberté d’association est maintenant respectée, ce droit dépend d’autres droits, incluant le droit à l’égalité et à la non-discrimination. Durant la visite, nous avons reçu plusieurs rapports indiquant un traitement favorable envers des ONG perçues comme idéologiquement alignées aux positions du Gouvernement actuel.

La rédaction de la Constitution
La rédaction de la Constitution est un test réel de la vigueur et de l’ouverture des institutions publiques de la Tunisie pendant la période post révolutionnaire. Nous sommes satisfaites que l’Assemblée Nationale Constituante vise à adopter une approche basée sur le consensus dans le processus de rédaction de la Constitution, mais ces bonnes intentions doivent être traduites par des actes. L’Assemblée Constituante a enclenché un processus de consultation dans toutes les parties du pays. Elle a encouragé la soumission de propositions par l’entremise de divers moyens de communication. Ces mesures sont très louables.

Nous sommes préoccupées que le traitement différentiel de la société civile soit le plus apparent lors des consultations relatives à la rédaction de la Constitution. Le processus de rédaction est au centre de la conjoncture historique dans laquelle se trouve la Tunisie, et il est extrêmement important que celui-ci soit un processus ouvert et transparent, dans lequel toutes les parties de la société tunisienne puissent avoir un sentiment d’appartenance. Pourtant, il semble que le processus polarise la société civile, car le traitement des ONG présentant leurs avis ne serait pas égal. Nous aimerions rappeler les provisions de la Déclaration de l’ONU sur les Défenseurs des Droits de l’Homme, selon laquelle les individus et les associations exerçant un travail de défense des droits de l’homme ont le droit à la participation dans des affaires publiques sans discrimination.

Les intentions des Membres de l’Assemblée Nationale Constituante concernant la soumission de propositions reçues du public nous reste flou. Ceci serait notamment dû au manque de spécificité du mandat de l’Assemblée Constituante. Par exemple, les modalités de rédaction de la Constitution et les opinions qui doivent être prises en compte ne sont pas clairement stipulées. Certaines ONG ayant participé à une réunion de consultation il y a quelques semaines ont été informées que leurs soumissions ne seraient peut-être pas considérées par l’Assemblée, encore moins prises en compte. Nous nous inquiétons de tels propos, qui contredisent l’approche basée sur le consensus que le Gouvernement a explicitement soutenu. Le fait qu’un certain nombre d’ONG ait récemment décidé de boycotter le processus indique une tendance qui devrait profondément inquiéter l’Assemblée Constituante.

Il nous a également été communiqué que des ONG effectuant le suivi du processus de rédaction font face à des contraintes considérables. Des procès-verbaux des réunions des différentes commissions au sein de l’Assemblée Nationale Constituante ne sont pas publiés sur le site Web de l’Assemblée. Il est difficile d’obtenir les rapports des votes, les rapports thématiques, des soumissions analysées par les commissions ainsi que nombre d’autres informations qui devraient être disponibles au public afin d’assurer la transparence. Les raisons avancées pour ne pas publier plus d’informations comprennent le « manque de capacité » et les « contraintes budgétaires ». L’accès public à ces informations soulagerait certaines frustrations exprimées par les autorités face aux médias qu’ils caractérisent comme « sensationnalistes » et « spéculatifs ».

L’ébauche de la Constitution n’a pas encore été rendue publique, mais une ébauche préliminaire a circulé. A cet égard, nous aimerions soulever certains éléments et tendances qui nous ont été présentés lors de notre visite et qui pourraient avoir un impact sur la situation des défenseurs des droits de l’homme :

  • Il semble que les obligations de la Tunisie relatives au droit international ne rentrent en vigueur qu’à condition qu’elles ne contredisent pas la Constitution. Nous recommandons que la Constitution stipule que toute législation nationale doit être conforme aux normes internationales. Les défenseurs des droits de l’homme œuvrent, par définition, à assurer plus de respect pour les standards internationaux des droits de l’homme. Par conséquent, leur rôle serait sérieusement ébranlé si les dispositions actuelles restaient inchangées.
  • L’ébauche actuelle garantit la liberté de religion et de conscience, mais dans le même temps, indique que toute atteinte « au sacré » est criminalisée. Pourtant, le texte ne définit pas clairement ce qui constitue « le sacré », ce qui laisse un espace considérable à l’interprétation individuelle. Il risque d’être appliqué de façon abusive, ce qui mènera probablement à l’autocensure de la part des défenseurs des droits de l’homme, y compris des journalistes, des artistes et des universitaires.
  • De nombreux débats autour des références à la complémentarité des rôles des femmes et des hommes ont eu lieu depuis la publication de l’ébauche actuelle de la Constitution le 8 août 2012. Alors que les rédacteurs ne semblent pas voir de contradiction entre la terminologie de complémentarité, utilisé dans le texte, et la notion d’égalité, qui est soutenue dans d’autres parties de la Constitution, ils devraient s’inquiéter que beaucoup de Tunisiens craignent que ceci ne résulte en une méconnaissance et à une dégradation des droits des femmes. Nous sommes préoccupées par le fait que ce concept puisse créer une ambiguïté concernant l’égalité des femmes face aux hommes. Ceci pourrait être utilisé pour justifier des attaques et des actes de harcèlement contre des femmes défenseures des droits de l’homme par des factions de la société tunisienne qui pourraient estimer non approprié, pour une femme, de défendre les droits de l’homme de façon active. Aussi, la terminologie concernant la complémentarité entre les rôles des femmes et des hommes n’ajoute aucune garantie légale. A la lumière de ces observations, nous recommandons que toute terminologie liée à la complémentarité soit supprimée de la Constitution.
  • La Constitution devrait prévoir des dispositions générales garantissant les valeurs et les droits, incluant l’égalité, la non-discrimination, la dignité, et elle devrait s’appuyer sur l’universalité, l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’homme.

La Liberté d'expression
En ce qui concerne la liberté d'expression, nous avons noté que les défenseurs des droits de l'homme jouissent d'un degré beaucoup plus élevé de respect de ce droit par rapport à la période précédant la Révolution. Cependant, nous avons entendu un certain nombre de préoccupations selon lesquelles la liberté d'expression était en train d'être limitée. Nous avons relevé un certain nombre de conflits entre le gouvernement et la presse, dont le plus grave semble être le conflit au conglomérat Dar Assabah, où le gouvernement a nommé un Directeur Général que les employés ne croient pas être qualifié pour remplir ses fonctions. Cela a donné lieu à diverses manifestations par les salariés, y compris des sit-in et une grève de la faim observée par certains membres du personnel.

Lors de notre visite, nous avons trouvé que le secteur des médias avait besoin de réformes importantes afin de fonctionner efficacement dans le contexte de la période post révolutionnaire, et nous croyons que les décrets 115 et 116 assureront des développements favorables à cet égard. Un organe de régulation de l'information audiovisuelle est en cours de discussions depuis un certain temps. Un comité a été mis en place par le gouvernement pour fournir des recommandations sur les réformes qui n'auraient pas été suivies d'effet.

L'accès à l'information publique est un autre sujet de préoccupation. Le Décret 41, qui réglemente actuellement cette pratique, fait l’objet d'un certain nombre de restrictions qui ne sont pas autorisées en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme. L'article 16 du décret dispose que le Gouvernement peut interdire la publication de tout document jugé confidentiel. Cette disposition est trop large et laisse une place à l'interprétation, ce qui pourrait être utilisé pour limiter abusivement le droit à la liberté d'expression.

La Tunisie a une longue tradition de libertés à la fois artistiques et universitaires, et nous avons constaté que ceux qui exercent ces libertés dans la défense des droits de l'homme ont été attaqués par différents groupes de la société. Les arts et les universités sont des domaines qui ont traditionnellement été utilisés pour promouvoir les droits de l’homme. Par conséquent, ceci est très troublant pour nous. Les violations signalées incluent le harcèlement et les attaques sur des artistes, des universitaires et des membres d'ONG engagées dans la promotion des droits culturels ; elles font également mention de harcèlement judiciaire sur la base d’expressions culturelles et de projections de films, et de perturbation enregistrées dans certains événements culturels publics.

Le Gouvernement doit assurer la protection des acteurs dans les secteurs culturels et académiques afin de préserver le droit à la liberté d'opinion et d'expression des défenseurs des droits de l'homme dans ces domaines. Les cas dont nous avons été saisis montrent à nouveau la nécessité urgente d'une législation beaucoup plus claire sur la définition du blasphème.

L'indépendance de la justice
Nous avons reçu des informations inquiétantes indiquant un manque d'indépendance et d'impartialité du système judiciaire, ce qui porte atteinte à la fois à l'efficacité de l'administration de la justice et au rôle potentiel des juges en tant que défenseurs des droits de l'homme. L'absence d'un organe de régulation ayant pouvoir disciplinaire et de nomination des juges constitue une lacune grave pour l'indépendance du pouvoir judiciaire. En revanche, les juges et leurs associations ont participé activement à la rédaction de la Constitution. Nous félicitons la Commission de législation générale de l'Assemblée Nationale Constituante pour ses efforts dans ce domaine. Cependant, les défis auxquels fait face le système judiciaire sont importants, et le Gouvernement doit s'engager dans un processus de consultation avec les juges pour résoudre les problèmes et s'assurer que les nominations soient faites sur une base non discriminatoire.

L’Institution nationale des droits de l’homme
Nous regrettons que lors de notre visite, nous ayons reçu des rapports indiquant que le Comité supérieur des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CSDHLF) est dans l’incapacité de s'acquitter efficacement de ses fonctions essentielles en sa qualité d’institution nationale des droits de l'homme en Tunisie. La création du Ministère des droits de l'homme et de la justice transitionnelle est un développement positif pour remplir la responsabilité de l'État pour surveiller et protéger les droits de l'homme. Toutefois, nous tenons à souligner que la responsabilité institutionnelle de la surveillance des droits de l'homme devrait également entrer dans le champ d'une entité indépendante du gouvernement. Cette faiblesse institutionnelle génère un manque de crédibilité dans le système national de protection des droits de l'homme. Le gouvernement nous a assuré qu'une nouvelle loi est en cours de finalisation visant à consacrer le mandat du CSDHLF en droit.

Le recours effectif pour ceux qui se sont mobilisés pour les droits de l'homme pendant la Révolution
Enfin, nous tenons à rendre hommage à ceux qui ont payé de leur vie et ceux qui ont été blessés au cours de la Révolution pour avoir défendu les droits de l'homme et la dignité humaine. Lors de notre visite, nous avons rencontré quelques-unes des victimes, ainsi que des membres des familles qui ont perdu leurs proches. Beaucoup de ces personnes vivent dans des conditions précaires.

A ce jour, la plupart d'entre eux n'ont pas reçu une réparation effective de la part du gouvernement. A cet égard, nous sommes préoccupés des informations reçues selon lesquelles la plupart des victimes et de leurs familles n'a pas obtenu de réparation effective, ni de compensation juste et adéquate, y compris en ce qui concerne leur accès aux soins.

Recommandations
Eu égard aux éléments cités ci-dessus, nous tenons à formuler quelques recommandations préliminaires. Les recommandations finales apparaîtront dans nos rapports respectifs au Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et à la Commission Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples.

Au Gouvernement :

  • Le Gouvernement devrait définir clairement sa politique concernant la protection des droits de l’homme et communiquer clairement à la population les mesures entreprises à cette fin.
  • Le Gouvernement devrait reconnaître en public le rôle essentiel que jouent les défenseurs des droits de l’homme, en particulier pendant cette période transitionnelle, et assurer leur protection de façon efficace, conformément à l’article 12 de la Déclaration sur les Défenseurs des Droits de l’Homme.
  • L’impunité des violations des droits de l’homme devrait être abordée en priorité. Le Gouvernement devrait assurer que des enquêtes promptes et impartiales soient menées. Les auteurs devraient être rapidement présentés devant la justice.
  • Le Ministère de l’Intérieur devrait mettre en œuvre des réformes et améliorer la réactivité de la police et la possibilité de mettre celle-ci en accusation. Nous suggérons que le Gouvernement mette en œuvre ces mesures sans délai, en particulier en zones urbaines. Des enquêtes promptes et impartiales dans les cas d’attaques allégués contre des défenseurs des droits de l’homme devraient être initiées en priorité.
  • Les allégations d’usage excessif de la force et d’arrestations arbitraires durant des manifestations devraient faire l’objet d’enquêtes dans toutes les parties du pays. Les événements à Tunis du 9 avril 2012 doivent faire l’objet d’enquêtes de façon prompte et impartiale. Les autorités devraient fournir des efforts afin que les auteurs soient traduits en justice sans délai.
  • Les autorités locales et le Ministère de l’Intérieur devraient s’assurer que toutes allégations de torture de personnes détenues fassent l’objet d’enquêtes de façon urgente et que les auteurs soient tenus pour responsables.
  • Conformément aux recommandations du Rapporteur spécial de l’ONU sur la torture suite à sa visite en Tunisie l’année dernière, le Gouvernement devrait déployer des efforts sérieux afin d’éliminer la torture pendant des arrestations, en détention et dans les prisons. Les auteurs devraient être tenus pour responsables. L’établissement d’un mécanisme national de prévention, qui est présentement en cours, devrait respecter les standards internationaux pertinents.
  • Le Gouvernement devrait assurer à l’Assemblée Nationale Constituante des ressources financières et humaines suffisantes afin de publier toutes les informations pertinentes sur la rédaction de la Constitution au public de manière efficace et dans les délais.
  • Les femmes défenseures des droits de l’homme devraient être autorisées à travailler dans un contexte propice et être protégées par le Gouvernement lorsqu’elles sont harcelées ou menacées.
  • En tant que ministère responsable de la médiation des conflits professionnels, y compris dans le secteur des médias, le Ministère des Affaires Sociales devrait trouver une solution au différend opposant le gouvernement au Journal Dar Assabah dans les meilleurs délais possibles, le but ultime étant d'assurer l'indépendance du conglomérat.
  • Afin de permettre à la presse d’être en mesure de fonctionner librement, les décrets 115 et 116 devraient être mis en œuvre par le gouvernement sans plus tarder afin de faire avancer des réformes du secteur des médias et d'assurer un plus grand respect au droit à la liberté d'expression.
  • Le gouvernement devrait mettre en place, de toute urgence, un organe de régulation sur les communications audiovisuelles et s'assurer qu'il y ait une large représentation des médias et de la société civile, et que cet organe soit indépendant du gouvernement. Nous pensons que cela préviendra les conflits et les polémiques actuellement observés entre le gouvernement et les médias dans le pays.
  • Les réglementations relatives à l'accès à l'information, notamment le décret 41, devraient être révisées afin de s'assurer qu'il soit en conformité avec les normes internationales.
  • Le gouvernement devrait s'engager dans un processus de consultation avec les juges pour résoudre les problèmes et s'assurer que les nominations des juges soient faites sur une base non discriminatoire. Les réformes visant à garantir l'indépendance du pouvoir judiciaire devraient être élaborées et mises en œuvre en temps opportun.
  • Le gouvernement devrait mettre en place, de toute urgence, un organe de réglementation chargé des nominations et de la discipline des juges, qui est indépendant du gouvernement en vue de renforcer l'indépendance et la crédibilité de l'appareil judiciaire.
  • Le gouvernement devrait s’assurer du mandat du CSDHLF comme l'institution nationale des droits de l'homme, et que ce soit en conformité avec les Principes de Paris, y compris en ce qui concerne la dotation en personnel et en ressources adéquates, l'indépendance complète vis-à-vis du gouvernement, et un processus de consultation avec les organisations de la société civile de différents domaines se rapportant à la nomination des membres de cette institution.
  • Le processus de recours effectif pour les familles des personnes tuées pendant la Révolution et aux personnes qui ont été blessées devrait être accéléré comme une question de priorité. Une réparation adéquate doit être fournie sur une base non discriminatoire, y compris l'accès à des services médicaux et de réadaptation pour les personnes et les familles.
  • Les violations commises pendant la Révolution doivent être documentées d'une manière rapide et impartiale, et les coupables doivent être traduits en justice dans le respect des normes internationales relatives au procès équitable.
  • Le gouvernement devrait garantir le respect des droits économiques et sociaux grâce à des investissements dans les secteurs pertinents. Il faut aider les ONG travaillant sur les questions des femmes et des enfants, à cette fin, notamment dans les zones rurales et les zones urbaines à l'extérieur de Tunis.

A l’Assemblée Nationale Constituante :

  • L’Assemblée Nationale Constituante devrait développer une stratégie claire quant à la manière de traiter la soumission de propositions du public dans le processus de rédaction de la nouvelle Constitution. La stratégie devrait être basée sur des critères transparents qui devraient être appliqués de façon cohérente.
  • L’Assemblée Nationale Constituante devrait informer le public de manière proactive sur le processus de rédaction afin d’assurer la transparence et ainsi que l’appropriation du texte par la population. Toute documentation pertinente devrait être publiée sur le site Web de l’Assemblée.
  • La Constitution devrait contenir des dispositions générales garantissant les valeurs et les droits, y compris l’égalité, la non-discrimination, la dignité, ainsi que l’universalité, l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’homme.
  • La Constitution devrait déclarer que toute législation nationale doit être conforme aux standards internationaux.
  • La criminalisation d’atteintes au « sacré » devrait être supprimée du projet de Constitution, faute de définition claire de la notion du « sacré » et d’accord sur le « sens du sacré ».
  • Des références à la complémentarité des rôles des femmes et des hommes dans la Constitution devraient être supprimées dans la mesure où ceci risque de créer des ambiguïtés quant au statut des femmes en Tunisie et concernant l’égalité dont elles ont joui depuis des décennies, conformément au droit international des droits de l’homme.

Aux défenseurs des droits de l’homme :

  • Les défenseurs des droits de l’homme devraient renforcer leur capacité et travailler ensemble au moyen de réseaux. Afin que la société civile soit efficace, elle devrait travailler en synergie et selon les principes des droits de l’homme.
  • Les défenseurs des droits de l’homme devraient étendre leurs activités aux zones rurales et aux zones urbaines hors de Tunis.
  • La société civile devrait entreprendre des formations en droits de l’homme, qui incluraient l’utilisation des mécanismes régionaux et internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme.

A la communauté internationale :

  • La communauté internationale devrait continuer de soutenir la Tunisie dans le processus de démocratisation afin d’éviter un recul de la Révolution, en particulier dans les domaines des droits de l’homme, de la justice transitionnelle, des réformes et du renforcement des capacités de la police afin qu’ils puissent assurer la sécurité et la protection des citoyens, des réformes judiciaires, et du renforcement des compétences des médias.
  • La communauté internationale devrait continuer à fournir un soutien à la République Tunisienne afin de renforcer la société civile en général, et hors de Tunis et dans les zones rurales en particulier.

A toutes les parties prenantes :

  • Toutes les parties prenantes devraient se familiariser avec les dispositions de la Déclaration des Nations Unies sur les Défenseurs des Droits de l’Homme.
  • Des efforts devraient continuer afin de promouvoir auprès du public le civisme, l’esprit de dialogue et la coopération dans la société.
  • Toutes manifestations et réunions devraient être pacifiques. Les citoyens ne devraient pas perpétrer la violence et devraient agir conformément aux dispositions de la loi quand ils mènent leurs activités.
  • Des efforts devraient être déployés par toutes les parties prenantes afin d’assurer une culture de respect des droits de l’homme et de soutien de l’état de droit.

Tel que mentionné ci-avant, ces observations et recommandations constitueront la base des rapports que nous présenterons au Conseil des droits de l’homme de l’ONU et à la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

Nous vous remercions de votre attention.

VOIR CETTE PAGE EN :