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Déclarations Haut-Commissariat aux droits de l’homme

Séminaire sur la transition démocratique en Tunisie 17-19 mars 2011 : Allocution de Monsieur Bacre Ndiaye, Directeur de la Division du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et des procédures spéciales

17 Mars 2011

17 March 2011

Excellences,
Mesdames, Messieurs
Chèr(e)s participants

C’est pour moi un réel honneur de participer à cet important séminaire sur la transition démocratique en Tunisie. J’adresse mes sincères remerciements aux organisateurs d’avoir associé le Haut commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme à cet important évènement.

La question qui nous est posée aujourd’hui, « Comment garantir une transition démocratique » appellera de ma part quelques réflexions.

Il faut d’ores et déjà remarquer que la réussite de toute transition résulte d’une combinaison entre le respect et la mise en œuvre de grands principes - sans lesquels il ne peut y avoir de démocratie - et l’adaptation des moyens choisis au contexte national et historique propres. Il n’y a donc pas de formule magique mais davantage une nécessité de  gérer avec doigté un ensemble de problèmes théoriques et  pratiques inhérents à la réalité de chaque pays.

Nous pouvons ainsi distinguer deux phases de la transition démocratique, notamment : la phase de transition politique, qui désigne le passage du régime répressif au régime démocratique, et la phase de consolidation de la démocratie, durant laquelle le défi majeur consiste à  pérenniser le processus démocratique engagé dans la transition.

Mesdames, Messieurs,

Je viens de conduire  dans votre pays, du 26 janvier au 2 février dernier, avec une délégation du Haut commissariat, une mission qui a renforcé notre conviction que les droits de l’homme étaient à la source du combat du peuple tunisien pour la liberté, la dignité et la justice sociale et pour une ère nouvelle de respect des tous les droits de l’homme et de protection de tous contre la peur et le besoin.
Je vous renvoie au rapport de cette mission, disponible en date du 24 février 2011  notre site internet, pour une position plus élaborée du Haut Commissariat sur le thème de notre séminaire.

Nous n’avons pas manqué de souligner le rôle central que devraient avoir les droits de l’homme dans la construction de l’avenir de la Tunisie. Cette construction passe par la réduction drastique des inégalités d’ordre régional, social, de genre et entre générations.

Nous avons également été confortés par les indications claires d’une détermination de répondre à la volonté populaire et de mettre en place les mécanismes nécessaires pour assurer une rupture nette avec les injustices du passé et dégager une vision pour la nouvelle Tunisie. 

Les actions concrètes dans cette direction doivent être renforcées et institutionnalisées, afin qu’elles deviennent une caractéristique permanente de la société tunisienne, enfin libérée de la peur, de l’injustice et de la corruption.

La quête de dignité, la réalisation de tous les droits de l’homme et la poursuite de la justice sont toutes interdépendantes.  L’expérience tunisienne montre clairement que les citoyens et notamment les jeunes, attendent de l’Etat qu’il œuvre dans l’intérêt de tous - et pas seulement de quelques uns.  Ils souhaitent que leur Etat soutienne leur dignité et leurs valeurs, et qu’il adopte des lois, des politiques et des stratégies qui traduisent ces demandes en réalités vécues par tous. 

Ils attendent des processus transparents et participatifs qui leur permettent de faire entendre leurs voix et de faire prendre en compte leurs vues. Ils attendent des débats publics et inclusifs et un gouvernement responsable, qui lui rende compte, et fasse avancer les droits de l’homme et la justice sociale.  En d’autres termes, les Tunisiens demandent aujourd’hui la participation, l’equité, la responsabilité, et la justice. 

I. PARTICIPATION
La gouvernance démocratique que veut la Tunisie, celle qui, pour revenir au thème  de ce matin, sera à même de « garantir la transition démocratique », est celle qui est légitime et capable d’adaptation, représentative et participative, transparente et responsable, et fondée sur l’Etat de droit.

Cette gouvernance qui donne les moyens d’agir, tout en comportant des garde-fous qui permettant de prévenir les abus et d’améliorer la promotion et la protection des droits fondamentaux, ainsi que l’égalité des sexes et des chances,  l’équilibre régional et le respect de l’état de droit. C’est pourquoi il est important de saluer à sa juste valeur, les décisions récentes qui ont été prises visant la ratification d’importants instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. notamment le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture (qui autorise le Sous-Comité de la prévention de la torture de l’ONU à visiter les lieux de détention et à examiner le traitement des personnes qui y sont détenues) et des premier et deuxième protocoles facultatifs se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (qui prévoient l’examen de plaintes individuelles et l’abolition de la peine de mort, respectivement). En outre, la Tunisie a fait part au Conseil des Droits de l’Homme, de sa volonté d’inviter en permanence, tous les rapporteurs spéciaux à visiter le pays.

La pleine participation, active et sans entrave de la société civile, exercée par des moyens démocratiques et non violents, est tout aussi essentielle pour qu’un gouvernement démocratique reste réceptif aux besoins et aux souhaits des populations, notamment lors des élections.

L’enjeu est de faire en sorte que la démocratie soit un processus irréversible et de s’assurer que tous les membres de la société, en particulier la jeunesse, bénéficient du processus de démocratisation et soient à même d’y participer pleinement. La démocratie, le développement et le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales  sont interdépendants et concourent au même objectif.

Cette Tunisie démocratique sera une société ouverte et transparente qui encourage la production, la recherche et la diffusion d’informations en toute liberté. Elle doit de ce fait procéder à toutes les réformes juridiques nécessaires pour garantir la liberté de tous les types de médias – presse, radiodiffusion, télédiffusion et Internet. Mais également, à protéger les individus, les organisations et les institutions contre les abus.

Elle doit veiller à ce que la société civile participe effectivement aux institutions et processus locaux, nationaux et internationaux, en particulier en créant les conditions d’un dialogue et de consultations réguliers et constructifs avec les organisations de la société civile.
Il y’a un véritable défi à répondre aux attentes, sans pour autant recourir au populisme.

Cette Tunisie nouvelle se doit d’être une société ouverte à tous, qui autorise et garantisse l’accès et la participation de ses citoyens aux procédures nationales de prise de décisions, en particulier par l’adaptation des institutions démocratiques, le renforcement de la démocratie représentative, l’élaboration de politiques de développement ainsi que les systèmes parlementaire et électoral. Elle doit encourager la pleine participation des femmes au processus électoral et œuvrer à l’accroissement de leur représentation à tous les niveaux, y compris dans le corps législatif.

A cet égard le Haut Commissariat aux droits de l’homme salue les efforts en cours visant : la mise en œuvre de réformes électorales avec la participation des partis politiques et d’autres parties prenantes de la société civile, pour faire prévaloir le principe de la tenue d’élections libres, périodiques et régulières ; au renforcement du système électoral qui veille à l’indépendance des corps électoraux, en faisant contrôler les campagnes et processus électoraux par des observateurs  indépendants.

Le Haut Commissariat salue également les efforts visant à favoriser l’émergence d’un système qui crée des conditions, notamment un cadre juridique solide, qui favorise la mise en place de partis politiques répondant aux intérêts de la société ainsi que leur participation, notamment celle des jeunes, à la vie politique, aux élections et à la représentation. Un système qui veille à renforcer la démocratie au niveau local  et également à l’élargissement de la base électorale en sorte que toutes les parties prenantes de la société, y compris les citoyens résidant à l’étranger, participent aux élections.

II. EQUITE
La Tunisie démocratique en construction doit être une société juste et responsable qui ne peut tolérer la pauvreté ni l’arbitraire. Elle doit s’attacher à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité des chances. Elle doit entre autres choses promouvoir un développement durable et une croissance économique dont tous les Tunisiens bénéficieront ; assurer la sécurité des personnes et le développement humain, et un système éducatif qui ne débouche pas sur le chômage, surtout pour les femmes et les jeunes.

Un système démocratique et fondé sur les droits de l’homme doit tenir compte des intérêts et des préoccupations des membres des minorités eet autres groupes vulnérables, notamment  les enfants, les personnes âgées et les personnes handicapées. Qui favorise l’enseignement des valeurs et de la culture démocratiques et informe ses membres de leurs droits et libertés démocratiques.

III. RESPONSABILITE ET JUSTICE
Mesdames, Messieurs,
la Tunisie démocratique se doit de défendre et protéger les droits et les libertés de tous ses membres, notamment en mettant à leur disposition des voies de recours en cas de violation de leurs droits et d’abus de pouvoir, à faire traduire en justice, indépendamment de son statut ou de son titre, toute personne qui se rendrait coupable de violations des droits de l’homme ou d’abus de pouvoir ou de fonds publics, dans le respect des principes internationaux d’un procès équitable, notamment le respect des droits de la défense et de la garantie de juges indépendants et compétents, et enfin ; assurer un système carcéral plus humain fondé sur le respect des normes internationales en la matière.

Les débats de la session précédente m’offrent l’opportunité avant de terminer mon propos, d’évoquer la question des archives, en cela qu’ils permettent la réalisation de plusieurs droits. En effet, les documents qui témoignent de violations de droits de l’Homme doivent être conservés, et c’est pour quoi il est nécessaire de souligner le rôle essentiel des archives dans les transitions politiques. Il est important voire urgent, de geler les processus d’élimination de documents publics, ceux notamment qui témoignent de la violation de droits de l’Homme doivent être disponibles pour l’exercice de ces droits en démocratie.

Les archives en effet permettent aux victimes, entre autres, de réaliser leurs droits à connaître les responsables de violation des droits de l’Homme, leur droit à être disculpé et réhabilité, de connaître le sort des proches ayant disparu pendant les périodes de répression, de connaître les données existantes sur eux dans les archives de la répression, leur droit à la recherche historique et scientifique, au dédommagement et à la réparation des torts subis et à la restitution des biens confisqués.

Il est nécessaire de ce point de vue que les archives des organismes propres au régime répressif, y compris celles des partis totalitaires qui les ont soutenus, soient soumises à la législation démocratique et rester sous le contrôle des nouvelles autorités démocratiques.

Cette ambition exige la localisation et le recensement des archives des organismes publics impliqués dans les violations des droits de l’Homme, des mesures doivent être prises également, pour encourager la localisation, la protection et le traitement archivistique des fonds documentaires produits par les organisations des droits de l’Homme et les mouvements d’opposition aux régimes répressifs. Il faudrait également faire largement connaître l’existence des archives témoignant de violations des droits de l’Homme.

Tout aussi important que la mise en valeur des archives produites par les organismes répressifs, il faut également souligner l’importance de conserver les témoignages produits par les victimes elles-mêmes ou leurs associations. Malgré leur volume modeste, comparé à la gigantesque machine répressive des polices politiques, leur valeur, tant dans les actions  judiciaires que dans les processus connus comme ceux de la « récupération de la mémoire historique », est devenue incontestable.

Aborder ainsi la problématique de l’organisation, la conservation et l’utilisation des documents relatifs aux violations des droits de l’Homme sous la dictature, nécessitera une connaissance très ample des institutions qui ont produit les fonds documentaires issus de ces pratiques répressives, une analyse des institutions publiques, des caractéristiques de la genèse et du traitement des documents liés à la violation massive des droits de l’Homme : les archives intégrées dans les sous-ensembles d’archives des Services de Sécurité de l’État, les archives des tribunaux, les archives du régime carcéral, les archives militaires, et les archives des forces de l’ordre.

Il faudra également étudier la pratique documentaire des organismes qui se consacrent à la défense des droits de l’Homme ou à la dénonciation de leurs violations, ce que nous pourrions regrouper sous la dénomination générique d’archives de la société civile, parmi lesquelles se trouvent  les archives des organisations de défense des victimes, les archives des partis, des syndicats et des associations d’opposants clandestins ou en exil et les organismes de défense des droits de l’Homme: institutions religieuses, collectifs de juristes et d’avocats, organisations civiques. Ces ensembles documentaires se sont avérés être une source essentielle, et parfois unique, pour la connaissance du passé, ainsi qu’une alternative dans la constitution de preuves permettant de demander des comptes aux responsables des violations des droits de l’homme, et de disposer d’un outil pour exiger des réparations. 

Mesdames, Messieurs,

IV. SOUTIEN DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE ET DU HCDH
Vous conviendrez avec moi que la tâche est considérable et ardue, et c’est pourquoi un soutien technique, politique et financier de la communauté internationale est nécessaire.  Ce soutien devrait être en harmonie avec les aspirations du peuple tunisien en matière de droits de l’homme, favoriser ces aspirations et être aligné sur les efforts qu’il déploie pour édifier un état à la fois inclusif, responsable et équitable.

Le Haut-commissariat aux droits de l’homme que je représente ici, s’est engagé à travailler à vos côtés, dans ses domaines de compétence et dans le cadre de son mandat, afin que la transition démocratique tunisienne soit une réussite. Cela me donne l’occasion d’annoncer que le HCDH ouvrira très prochainement, à la demande du gouvernement, appuyé par la société civile et encouragé par le système des Nations Unies, un bureau à Tunis.

De par notre mandat, nous avons développé une expertise technique dans divers secteurs, visant à soutenir et accompagner les pays en transition démocratique. Je ne serai pas exhaustif mais permettez moi d’en citer quelques uns. Je veux parler entre autres de l’assistance que le Haut commissariat peut fournir en matière : - de consultations nationales sur la justice en période de transition, - de mise en place d’institutions nationales des droits de l’homme-  , -, de la lutte contre l’impunité, - du droit à la vérité, du criblage (ou vetting), d- e la réforme du secteur de la sécurité, - de l’administration de la justice et bien d’autres domaines telles que la formation des observateurs électoraux nationaux, l’élaboration de code de bonne conduite pour les acteurs politiques, l’élaboration de codes éthiques ou déontologiques pour les médias voire de conseils techniques quant à la préservation et la gestion des archives de l’ancien régime répressif, autant d’éléments qui ont une réelle pertinence dans le processus démocratique en cours et dont l’actualité n’est plus à démontrer.

Nul doute que le nouveau Bureau que nous allons ouvrir en Tunisie ainsi que les différentes équipes du siège à Genève, ne ménageront aucun effort pour vous accompagner dans votre entreprise historique.

Je vous remercie.

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