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Déclarations Commission des droits de l'homme

Discours du Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères, Monsieur Louis MICHEL

25 Mars 2003



Commission des droits de l’homme
59ème session
25 mars 2003





Madame la Présidente,

Monsieur le Haut Commissaire,

Excellences,

Mesdames et Messieurs,


Je tiens tout d’abord à vous adresser, Madame la Présidente, mes meilleurs vœux de succès dans l’accomplissement de votre mission. Dans le contexte international actuel, la présidence de la Commission a une responsabilité particulière.

Je m’associe pleinement au discours prononcé par la Présidence en exercice de l’Union européenne.

Nombreux sont ceux et celles de par le monde qui aujourd’hui attendent légitimement de cette enceinte qu’elle joue son rôle, le rôle pour lequel elle a été créée, assurer la protection et la promotion des droits de l’homme.

Ill est toujours bon de revenir aux sources. Que sont, au fond, les droits de l’homme ?

Cette Commission ne mène pas en effet des débats théoriques ou simplement juridiques. Les questions qu’elle traite ont des conséquences concrètes, et convergent vers un objectif ultime : que chaque habitant sur notre planète vive dans des conditions minimales de dignité.

La question essentielle traitée ici n’est pas le jugement de certains Etats sur d’autres Etats, mais bien la mise en application de la responsabilité collective de la communauté internationale et de chacun de ses Etats membres en matière de droits de l’homme. Cette responsabilité n’incombe pas seulement à chaque Etat mais à tous les Etats. Seul l’Etat est dépositaire des moyens d’assurer la pleine jouissance des droits de l’homme par ses citoyens. La fonction première d’un Etat, en tant que puissance publique, est de protéger le plus vulnérable.

De ce point de vue, la Commission des droits de l’homme est un outil indispensable.

Elle joue un rôle de caisse de résonance des attentes et des espoirs des victimes des violations des droits de l’homme. Nous ne pouvons pas, nous ne devons pas décevoir cette attente.

Cette attente est simple car les droits de l’homme recouvrent en fait une notion évidente, élémentaire, assurer le respect de la dignité, protéger ce qui permet à une personne de vivre pleinement son « humanité ». Mais c’est également une exigence complexe car sa mise en oeuvre réclame la volonté politique d’octroyer les droits et libertés fondamentales à tous. Elle exige aussi la détermination d’y consacrer les moyens nécessaires.

Le premier pas à accomplir est essentiel, à savoir la reconnaissance de la violation. Sans cela, ni jugement, ni condamnation, ni réparation, ni réconciliation ne sont possibles. En un mot, l’impunité prévaudrait, ce qui est inacceptable.

Chaque année voit s’accroître le nombre d’Etats qui ratifient des conventions principales dans le domaine des droits de l’homme. Notre objectif est cependant une ratification universelle de ces instruments et nous devons en appeler aux Etats qui ne l’ont pas encore fait pour qu’ils franchissent la frontière qui les sépare encore de cette option volontariste.

Chaque année également s’accroît le nombre d’Etats lançant une invitation permanente pour recevoir la visite des rapporteurs spéciaux de la Commission, comme l’ont fait tous les Etats membres de l’Union européenne.

Ce nombre est cependant encore insuffisant. Du reste, il serait opportun que tous les Etats membres de cette Commission acceptent de lancer cette invitation permanente. Leur volonté politique de protéger et de promouvoir les droits de l’homme chez eux ne pourrait ainsi être contestée par personne. L’autorité de cette Commission en sortirait renforcée. Je soutiens les efforts du Haut Commissaire en ce sens.

Mais le rôle de la Commission des droits de l’homme des Nations unies ne s’arrête pas là. Elle doit également aider au renforcement de la capacité des Etats à assumer leurs obligations en matière de droits de l’homme. C’est ici que la coopération entre Etats ainsi qu’avec le Haut Commissariat aux droits de l’homme prend tout son sens.

Cette Commission ne peut être considérée comme une entité isolée, éloignée des préoccupations quotidiennes des citoyens. Cette Commission doit traduire des effets tangibles sur le terrain. L’approche pragmatique doit constituer la ligne directrice de nos délibérations.

La Belgique est convaincue que le nouveau Haut Commissaire M. Sergio Vieira de Mello sera à même de relever les défis qui l’attendent, notamment en ce qui concerne la mise en oeuvre des réformes qui lui ont été demandées par le Secrétaire général des Nations Unies, M. Kofi Annan.

Dans cette perspective je voudrais mettre l’accent sur sept combats décisifs aujourd’hui pour assurer une dignité minimale aux milliards d’êtres humains vivant sur notre planète.

Terrorisme, droits de l’homme et développement

Le combat contre le terrorisme est l’un de ceux-ci. Le terrorisme est la manifestation la plus odieuse de l’intolérance. Il exprime un mépris total pour la vie humaine. Dans un monde globalisé, le terrorisme représente une menace de plus en plus grande et de plus en plus complexe à maîtriser. La communauté internationale se doit d’y faire face avec détermination. La lutte contre le terrorisme est la responsabilité commune de tous les Etats. Elle ne peut produire des résultats tangibles que dans le cadre d’actions concertées au niveau international, en premier lieu dans le cadre des Nations Unies.

La Commission des droits de l’homme a, dans ce contexte, un rôle crucial à jouer pour garantir que l’action de la Communauté internationale contre le terrorisme soit conforme aux principes fondamentaux des droits de l’homme. Ce n’est que si elle respecte les droits de l’homme que la lutte contre le terrorisme aboutira à des résultats durables. La lutte contre le terrorisme ne peut justifier qu’on s’écarte des principes fondamentaux de l’Etat impartial, ou qu’elle soit utilisée pour empêcher le jeu démocratique normal dans un Etat de droit. La fin ne justifie pas tous les moyens.

Lutter contre les causes profondes du terrorisme concourt plus sûrement à renforcer les droits de l’homme. Nous ne pouvons éviter l’argument du terreau dont se nourrit le terrorisme. Ce terreau est d’ordre politique et économique. Cela implique donc de prendre en compte le maintien de la paix, le règlement des conflits les plus tenaces, un dialogue franc et ouvert entre les cultures et les civilisations. Cela implique aussi de prendre en compte le développement et la reconstruction économique et sociale.

Droits de l’homme et prévention des conflits

Des conflits ethniques entretenus par des fanatismes ou des propagandes ultra-nationalistes contraires aux droits de l’homme conduisent à la haine, à des actions armées, et à l’exécution d’actes qui relèvent parfois de crimes contre l’humanité ou du génocide. Ces drames jettent sur la route des milliers de réfugiés, au mépris de toutes les règles du droit international humanitaire. Ils deviennent souvent des enjeux, voire des objectifs militaires.

Tous les regards sont aujourd’hui tournés vers le Moyen-Orient et l’Irak. Je suis extrêmement déçu du fait que les initiatives prises pour assurer l’exécution de la résolution 1441 du Conseil de Sécurité par des voies pacifiques et diplomatiques n’aient pu être poursuivies jusqu’au bout. Je demeure convaincu que la voie diplomatique, par le biais des inspections au désarmement, pouvait conduire à l’objectif souhaité. Je pense qu’une opportunité a été manquée pour désarmer l’Irak de manière effective mais pacifique. Cette question affecte indiscutablement le crédit et l'efficience des Nations Unies. Cela doit nous inciter à la réflexion. Il nous faut consolider notre institution à tout prix.

Aujourd’hui, il faut veiller à ce que l’aide humanitaire arrive en temps et en lieu voulu, sous son égide. Il faudra aussi veiller à ce que l’Irak de demain soit un Etat de droit respectueux de la démocratie et du multipartisme, comme des droits de l’homme et des communautés. Ici aussi, le rôle des Nations Unies doit être central. Il ne serait pas souhaitable que la reconstruction se fasse sous une direction exclusive. La réimplication des Nations Unies dans la phase postconflit ne légitimise pas de mon point de vue une quelconque justification de l’intervention militaire.

Le continent africain n’est pas non plus épargné par les conflits. Et il ne faudrait pas, une fois de plus, que l’Afrique soit mise à l’arrière plan de nos préoccupations à cause du conflit irakien. La Belgique soutient les initiatives africaines qui visent à chercher des solutions pour rétablir, dans la région, la sécurité et la stabilité. Le respect des droits de l’homme constitue une des conditions essentielles à l’extinction des conflits qui déchirent la région.

La Belgique se félicite ainsi du fait que le Haut Commissaire ait choisi de se rendre pour ses premières missions dans la région des Grands Lacs. Les progrès accomplis ces derniers mois aussi bien en République démocratique du Congo qu’au Burundi nourrissent l’espoir de voir la région renouer avec une perspective de paix durable. Même aujourd’hui la situation reste fragile. Avec l’accord global et inclusif de Prétoria, les responsables congolais ont ouvert la voie à un partage du pouvoir. En ce qui concerne les récentes violations des droits de l’homme, chaque partie est responsable pour le maintien de la sécurité et l’ordre dans les zones sous son contrôle. Une fois les institutions de transition mises en place, la Belgique redoublera d’efforts pour contribuer à la reconstruction d’un Etat de droit au Congo.

Mon pays continue également à soutenir le Burundi qui se trouve à mi-chemin d’une transition négociée. Des décisions difficiles doivent être prises par toute la classe politique pour sortir du cercle vicieux de la guerre civile. Comme le Haut Commissaire l’a fait à Bujumbura, nous devons lancer un appel à tous les belligérants pour qu’ils épargnent les populations civiles et qu’il soit mis fin à l’impunité qui prévaut actuellement.

Enfin, au Rwanda, la transition entre dans sa phase finale. Des élections auront lieu cette année. La Belgique encourage ce pays à franchir ces étapes cruciales menant à une période plus ouverte et plus démocratique. Elle l’a accompagné pendant ses années de reconstruction et de réconciliation, en particulier avec son appui au système judiciaire traditionnel. Elle continuera à le faire.

Droits économiques et sociaux, développement

Un troisième combat primordial est de trouver les moyens de réduire les disparités grandissantes entre les niveaux de vie des Etats et des individus.

Les droits de l’homme sont en effet indivisibles. Sans un minimum de sécurité d’existence, une personne ne peut accéder à la maîtrise et au plein exercice de ses droits civils et politiques. Sans le droit au travail, sans le droit à l’éducation, à l’alimentation, à la santé, au logement, à un environnement sain, il n’y a pas de réelle liberté.

La mondialisation, provoquée par l’internationalisation des activités économiques et le développement rapide des nouvelles technologies, est un phénomène irréversible. Elle génère des potentialités nouvelles mais entraîne aussi de nouveaux défis, notamment de nouveaux défis sociaux. Il est nécessaire de développer de nouvelles solidarités dans un environnement marqué, pour beaucoup, par la perte d’emplois, le développement de l’exclusion sociale et le développement des formes les plus dures de la pauvreté.

Autrefois considérés comme les parents pauvres du système moderne de protection des droits de l’homme, les droits économiques et sociaux bénéficient depuis quelques années d’une attention croissante dans les travaux de notre Commission.

Les diverses catégories des droits de l’homme entretiennent entre elles des rapports dynamiques, et cette dialectique illustre leur complémentarité et leur indivisibilité. Cette complémentarité doit se concrétiser si l’on veut réaliser un des objectifs majeurs de la Charte des Nations Unies, « favoriser le progrès social et instaurer les meilleures conditions de vie dans une liberté plus grande ». Une volonté politique d’agir dans ce sens contribuerait à enrichir la condition humaine.

Sa mise en oeuvre implique la mobilisation et la participation de l’ensemble des organes des Nations unies, y compris des organisations ou des agences financières internationales.

La Belgique a inscrit un ensemble de droits économiques et sociaux dans sa Constitution. Ses juridictions nationales, en cas de contentieux, se réfèrent aux normes du Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels qui sont directement applicables dans l’ordre juridique interne. Elle suit avec la plus grande attention les travaux des diverses instances qui ont été mises en place pour concrétiser ces droits. Elle appuiera, au cours de cette session, la création d’un groupe de travail qui sera chargé d’examiner les options qui s’offrent pour rendre ces droits justiciables dans le cadre d’un Protocole facultatif au Pacte sur les droits économiques, sociaux et culturels.

Lutte contre le racisme

Lors de la conférence de Durban, beaucoup de raisons de rejeter l'autre ont été identifiées. Mais la Communauté internationale s'est résolument prononcée pour une humanité unie, riche de ses diversités. C'est la raison pour laquelle cette conférence constitue notre référence commune. Et ses résultats sont le bien commun de tous. Il est donc essentiel que son suivi soit réalisé dans la même approche. Car seul un suivi global et consensuel sera à même d’assurer une mise en oeuvre efficace des engagements pris lors de cette Conférence. J'espère donc que cette session permettra d’assurer un suivi de la Conférence agréé par tous afin que les efforts consentis par toutes les parties à Durban ne l'aient pas été en vain.

Au niveau national, le plan d'action belge mettant en oeuvre le programme d’action de la Conférence de Durban est en bonne voie. En outre, deux lois adoptées à la fin du mois de janvier sont également venues renforcer l'arsenal judiciaire permettant de lutter contre le racisme et la discrimination.

Sur le plan régional, la Belgique s'est proposée pour accueillir et financer le séminaire régional sur la mise en oeuvre de Durban qui sera organisé par le Haut Commissariat aux droits de l'homme. Je me réjouis de l'opportunité qui nous sera ainsi offerte d’apporter notre contribution à la mise en œuvre régionale de la Conférence. Ce sera également une opportunité pour aborder les préoccupations spécifiques à notre région en ce qui concerne le racisme et les discriminations. Et je prendrai l’initiative au niveau européen pour qu’un signe d’encouragement soit envoyé au groupe africain.

L’égalité des hommes et des femmes

La Belgique soutient pleinement la politique des Nations Unies visant à mettre en oeuvre une perspective d’égalité des genres dans toutes les politiques menées tant au sein de l’Onu qu’au sein de ses Etats membres. Veiller à ce que toute politique menée n’ait pas un impact discriminant sur l’un ou l’autre genre, féminin ou masculin, est en effet la condition de départ pour qu’une égalité réelle existe sur le terrain entre les hommes et les femmes.

La Belgique est particulièrement concernée par la situation des femmes dans le monde. Elles sont victimes de violences et de graves discriminations dans de nombreuses parties de la planète. Parce qu’elles vivent de près ou au quotidien les causes des conflits dont elles sont victimes, les femmes ont un rôle crucial à jouer dans leur prévention et leur résolution. La Belgique encourage une participation des femmes à la résolution des conflits et à la construction de la paix.

La défense et la promotion des droits de l’enfant

Le respect ou le non-respect de la dignité des enfants aujourd’hui influera largement sur leur capacité future à participer activement à la vie démocratique de leur pays ou au renforcement de celle-ci. Ceci est donc plus que jamais un combat vital.
La Convention des droits de l’enfant constitue la base normative essentielle à la reconnaissance des droits de l’enfant. Elle est l’instrument de référence pour garantir leur mise en oeuvre. La Belgique en a inscrit le fondement et le principe dans sa Constitution.

Les droits de l’enfant partout dans le monde sont encore trop souvent violés, bafoués. Le scandale des enfants-soldats, des enfants exploités sexuellement, des enfants au travail, des enfants affamés, est révoltant. Cette réalité est indigne de nos sociétés aujourd’hui. De mon point de vue nous avons à ce propos un devoir d'ingérence.

La liberté d’expression est un droit humain qui vaut aussi pour eux. Je suis convaincu que recueillir leur avis et être à l’écoute de leur perception du monde améliore la prise de décisions qui ont une incidence sur leur vie. Cela favorise aussi leur application.

Lutte contre l’impunité

Enfin, un combat capital pour l’avenir de l’humanité est celui de la lutte contre l’impunité, en particulier pour les crimes les plus graves. Je me réjouis de l’existence de la Cour pénale internationale dont la cérémonie inaugurale vient d’avoir lieu à La Haye.

En complément à la responsabilité des Etats, elle remplira un rôle-clef. Elle contribuera bien sûr à assurer le respect du droit, le maintien de la paix et le renforcement de la sécurité internationale. Mais elle jouera aussi un rôle fondamental en matière de prévention. Chacun sait maintenant que tout crime contre l’humanité, tout crime de génocide, tout crime de guerre commis aujourd’hui est susceptible d’être traité un jour à la Cour pénale internationale. Ce seul élément est un levier pour plus de justice et plus de paix dans le monde.

Si nous réussissons à mener tous ces combats ensemble, avec détermination, en dialoguant franchement et de manière constructive, je suis convaincu que nous parviendrons à bâtir un socle commun de valeurs humaines universelles, et universellement respectées.

Je vous remercie.

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