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Déclarations

Allocution du Professeur Maurice GLÈLÈ AHANHANZO Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de Racisme, de la Discrimination Raciale, de la Xénophobie et de l’Intolérance qui y est associée

04 Septembre 2001



(à vérifier à l’audition)


Madame La Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs

Il m’est agréable de me trouver aujourd’hui parmi vous et avec vous. Je vous salue tous, représentants des Gouvernements, des Institutions Internationales, des Organisations non gouvernementales et de toute la société civile, accourus ici à Durban, pour la Conférence Mondiale sur le Racisme, la Discrimination, Raciale, la Xénophobie et l’Intolérance qui y est associée. Une seule chose nous rassemble : la reconnaissance, l’affirmation, la défense et la promotion de la dignité de la personne humaine, de l’être humain comme fin première de la société et de la communauté internationale. La Commission des droits de l’Homme a créé en 1993 un nouveau mandat sur “ les formes contemporaines du Racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée ”. Elle m’a confié ce mandat. Dans mon rapport préliminaire présenté devant l’auguste Commission, j’ai, à la session de mars 1994 suggéré qu’au terme des recherches et des enquêtes sur le terrain, l’on convoque une Conférence Mondiale, qui serait un lieu de rencontre et d’échanges sur la question du Racisme et de la discrimination raciale à laquelle les Nations-Unies ont déjà consacré deux décennies de réflexion et de lutte. Depuis toujours et aujourd’hui plus que jamais, le racisme apparaît comme l’un des plus graves fléaux de l’Humanité car il constitue la négation même de l’égale dignité de la personne humaine, que cette dignité se fonde sur la religion (source et souche abrahamique, judaïsme, christianisme et islam) ou bien sur la raison raisonnante (jus naturaliste).

A mon sens, la présente Conférence Mondiale offre à l’Humanité, (et à la Communauté internationale, à l’opinion publique internationale) l’occasion unique en ce début du 3ème millénaire, de se confronter à elle-même, aux démons qui hantent son passé, qui altèrent son présent et obscurcissent son futur.

Peuples et nations, Etats, Gouvernements, Communautés religieuses ou philosophiques et individus, société civile sont appelés à s’interroger sur les politiques de domination et d’exclusion, les massacres, les génocides, les ethnocides, les purifications ethniques qui, au long des siècles, ont marqué d’une tâche écarlate notre planète au nom de la supériorité des uns et la négation de l’altérité, le refus et le rejet de l’autre, avec l’intolérance rageuse et la violence bestiale qui les accompagnent.

Loin d’être un pur exercice de rhétorique, d’affrontements idéologico-philosophiques ou religieux où tendent à prévaloir les rapports de force, la Conférence de Durban devrait amener chacun à plonger humblement au tréfonds de son être pour se demander pourquoi l’acceptation de l’autre dans sa différence semble aussi insupportable au point de ne lui proposer au mieux que l’assimilation à sa propre nature ou culture, celle du dominant, ou bien son exclusion ou son élimination ? De cette introspection devraient jaillir les solutions qu’ensemble nous pouvons et devons trouver et qui se traduiront par des mesures concrètes pour lutter contre ce fléau dégradant et déshumanisant qu’est le racisme. Nous sommes ici pour être à l’écoute les uns des autres, dans un esprit de dialogue, de la palabre africaine en vue de trouver les solutions qui mobilisent tout le monde contre le racisme, et toutes les formes de discrimination raciale et contre la xénophobie. La question du racisme, vous le savez, Mesdames et Messieurs, se pose au passé, au présent et au futur. Il faut nous souvenir car l’Humanité ne peut avancer qu’en ayant reconnu les méfaits de son passé, ses errements afin de s’assumer réellement et de s’épanouir. Il faut un minimum de reconnaissance des faits qui ont existé et marqué notre histoire commune et une répentance pour que s’allège le poids du passé, et pour mieux construire le futur.

Il faut donc connaître, reconnaître et enseigner, en les fustigeant, tous les crimes qui ont été commis contre l’Humanité afin qu’ils ne se reproduisent plus sous quelque forme que ce soit. Tous nous devons nous écrier "Plus jamais ça" ! Toutes les Communautés humaines commémorent leur passé, soit pour le glorifier, soit pour ne pas le répéter. Alors pourquoi se souvient-on ici et refuse-t-on de se souvenir là ? La proposition qui est faite aux uns d’oublier le passé est injuste au regard des victimes et de leurs descendances, comme l’illustrent mes rapports généraux annuels devant la Commission des droits de l’Homme et l’Assemblée Générale des Nations Unies et mes rapports de mission sur le terrain depuis 1994 (rapports sur les Etats-Unis d’Amérique, (1994), le Brésil (1995), Allemagne (1995) ; France (1995) ; Royaume-Uni (1995) ; Colombie (1996) Koweit (1996) ; Afrique du Sud (1997) ; République Tchèque, Roumanie, Hongrie (2000) ) tous disponibles sur le site Internet du Haut Commissariat aux Droits de l’Homme dans les langues de travail des Nations Unies. Cette proposition, dis-je, peut-être vécue comme le prolongement de la négation de l’humanité des autres, pourtant leurs semblables, alors même que par la Déclaration Universelle des droits de l’homme et les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme élaborés et adoptés dans le cadre des Nations-Unies et ailleurs nous proclamons notre adhésion à l’égale dignité de l’homme. Cette négation a débouché ici sur l’esclavage et la traite négrière transatlantique (commerce triangulaire), transocéan-Indien, et trans-saharienne, là-bas sur des génocides et des ethnocides, tandis que se poursuivent sous nos yeux, souvent dans l’indifférence et des massacres de populations qui ne revendiquent que la simple reconnaissance de leur dignité d’homme et l’égalité des droits. Pourquoi répare-t-on ici et refuse-t-on de réparer là ? Comment peut-on se réclamer de l’égale dignité de la personne humaine tout en s’accommodant de la discrimination raciale structurelle persistante dont sont encore victimes les descendants d’esclaves, les populations autochtones et les aborigènes?

On peut être surpris des hésitations avec lesquelles l’Humanité aborde ses méfaits et regretter que ce siècle féru de progrès technologiques ne se caractérise point par un égal progrès éthique ou moral, un progrès de la conscience qui permette à chacun de nous d’être solidaire des autres, de se reconnaître dans leurs malheurs et de les aider à les surmonter par le pardon, en toute humilité ou simplicité, la compassion voire la réparation ne serait-ce que morale, au lieu de les traiter comme des sous-hommes ou des morts jetés dans l’oubli, comme ledit le psalmiste.

Les clés du présent et du futur reposent entre nos mains. Si en ce nouveau siècle plein de promesses, la Communauté internationale n’est pas en mesure de s’élever au-dessus d’une conception sélective de la condition humaine, alors je crains que tout l’édifice des droits de l’Homme si laborieusement érigé à travers l’histoire et au prix du sang, de la misère et de la pauvreté, s’écroule du fait de notre incapacité à appréhender l’égale dignité de la personne humaine en tout temps et partout. Les droits de l’Homme existent depuis l’apparition de l’Homme ; ils lui sont consubstantiels, et partant inhérents ; ils se développent en s’enrichissant et en s’épanouissant à travers l’histoire de l’Humanité.

C’est pourquoi je me permets d’évoquer et de ressusciter le passé pour mieux plaider le présent et préparer le futur.

A travers la mise en œuvre de mon mandat sur le Racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance qui y est associée, il m’est apparu que le racisme est un phénomène rémanent avec des manifestations récurrentes, produit de l’ignorance de l’autre. En dehors de ses formes classiques que sont l’esclavage, la traite négrière, le massacre et la marginalisation des minorités, des populations autochtones et des Roma, Tziganes ou les gens du voyage, les victimes du système des Castes, en Afrique et en Asie (intouchables ou dalits), l’apartheid de triste mémoire, le racisme, qui n’épargne aucun peuple ni aucune région du monde, même s’il est plus accentué là plus qu’ailleurs, emprunte des formes subtiles et complexes, s’exprime, par exemple à travers les moyens technologiques les plus sophistiqués en particulier par Internet. Il est terrible de constater qu’il existe encore des sites Web sur lesquels on procède aux ventes aux enchères d’objets nazis ! On assiste à la résurgence de l’antisémitisme, de l’expression de sentiments anti-arabe, de la xénophobie. On observe également la résurgence des tendances et partis de l’extrême-droite et du révisionnisme ainsi que la surexploitation politique et la manipulation de l’ethnie, la discrimination raciale dans l’application de la peine de mort et la lutte contre la drogue, et le racisme environnemental.

Il faut résolument réagir contre ce développement inquiétant du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie. C’est pourquoi, il convient de saluer les efforts entrepris par certains gouvernements et des organisations de la société civile pour lutter contre ce fléau.

Nos vives félicitations et nos encouragements vont au Gouvernement Sud-Africain, qui suite à notre rapport de mission en Afrique du Sud en 1997 dans lequel nous avons souligné la xénophobie montante, a tenu une conférence nationale sur le racisme et adopté une série de mesures pour lutter contre la xénophobie et les formes récurrentes du racisme et de la discrimination raciale ainsi qu’un plan d’action contre la xénophobie et a entrepris une campagne pour une meilleure tolérance à l’égard des étrangers. Le Gouvernement Sud-Africain a également adopté un nouveau dispositif législatif afin de renforcer l’égalité par des mesures “ d’affirmative action ” pour remédier, prévenir et réprimer la discrimination raciale dans ses différentes manifestations.

Et comment ne pas saluer les mesures salutaires qui ont été adoptées par l’Union Européenne le 6 juin 2000, à savoir une directive luttant contre toutes les discriminations fondées sur la race ou l’origine ethnique. Cette directive antiraciste prolonge les recommandations du traité d’Amsterdam contre les discriminations. Elle couvre non seulement le monde du travail mais également tous les aspects de la vie quotidienne, de l’école aux transports en passant par la protection sociale.

En bref, nous devons ici à Durban réaffirmer que le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie, produit de la pensée archaïque en un siècle qui se veut post-moderne et féru de technologies globalisantes dans une “ planète-village ” dont certains quartiers sont interdits au plus grand nombre, ne sont point des phénomènes révolus que notre monde peut ignorer ou nier s’il veut poursuivre sa marche en avant en Humanité. Le projet qui anime certains de marginaliser par ignorance l’autre en raison de son appartenance ethnique ou raciale, par le discours ou des pratiques discriminatoires doit être dénoncé sans compromis.

Il me semble que le combat contre la discrimination raciale doit se mener :

a) sous l’angle de l’éducation aux droits de l’homme et de la promotion des aspects positifs de la diversité raciale et culturelle qui incite au respect de la différence de l’autre, en donnant des exemples positifs de coexistence harmonieuse entre races ou ethnies différentes, le multiculturalisme par la tolérance et l’acceptation de l’autre ;

b) sous l’angle de la répression pénale (adoption par tous les Etats d’une loi antiraciste sur le modèle de la Législation nationale type servant de ligne directrice aux Etats pour l’adoption et le développement de lois interdisant la discrimination raciale, élaborée par les Nations -Unies ;

c) par la mise en place de mesures d’ordre économique et social en faveur des populations et personnes qui, du fait de pratiques discriminatoires présentes ou passées, sont marginalisées et condamnées à la pauvreté et à vivre en sous-hommes. Je voudrais donc suggérer, comme je l’ai déjà fait dans mon rapport à propos de la Colombie en 1996, que l’on réfléchisse à la création d’un Fonds en dépôt, de lutte contre la pauvreté, destiné à financer en priorité les plans de développement des pays qui s’engagent résolument dans la lutte contre le racisme, la discrimination raciale et la xénophobie, et que chaque pays concerné adopte un plan national d’intégration économique et social des minorités (ethniques ou nationales), des populations autochtones et Aborigènes ou des migrants qu’il fera connaître au Haut commissariat aux droits de l’Homme. Il faudrait par ailleurs envisager la mise en place d’un mécanisme de suivi de la Conférence Mondiale.

Madame La Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

C’est en s’attaquant de front, par le dialogue et la palabre africaine tant aux aspects idéologiques et politiques du racisme, de la discrimination raciale, de la xénophobie et de l’intolérance qui y est associée, qu’à leur traduction sur le plan économique et social que l’on peut espérer, par l’éducation au quotidien, débarrasser notre planète de ces fléaux au cours du nouveau siècle que nous avons amorcé. Il n’est point interdit d’espérer, car l’espoir fait vivre et l’on ne doit pas désespérer de l’Homme toujours capable de se surpasser en bien.

Je ne saurais terminer sans exprimer toute ma gratitude au Haut Commissariat aux droits de l’homme, aux organes et mécanismes de protection et de promotion des droits de l’homme, a mes collègues les Rapporteurs Spéciaux, aux Institutions spécialisées qui, sur le terrain m’ont apporté leur concours dans l’exécution de mon mandat, aux Gouvernements qui m’ont invité, accueilli chez eux et donné suite à mes recommandations, ainsi qu’aux ONGs, dont la coopération active à été fort appréciable.

Je vous remercie de votre attention.

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