Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
Le Haut-Commissaire souligne le « mépris insidieux pour la vie humaine » au Soudan
01 mars 2024
Prononcé par
Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme
À
Cinquante-cinquième session du Conseil des droits de l’homme – Dialogue interactif renforcé sur le Soudan
Madame la Vice-Présidente,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les délégués,
La crise au Soudan est une tragédie qui semble être tombée dans le brouillard de l’amnésie mondiale.
Depuis près de onze mois, les Forces armées soudanaises et les Forces d’appui rapide, ainsi que les groupes qui leur sont affiliés, se livrent à un conflit impitoyable et insensé.
Ils ont tué des milliers de personnes, sans aucun remords, semble-t-il.
Ils ont instauré un climat de terreur absolue, forçant des millions de personnes à fuir.
Ils ont laissé souffrir celles et ceux qui ne pouvaient ou ne voulaient pas s’échapper, en détruisant les services médicaux et en bloquant l’aide humanitaire.
Ils ont systématiquement agi en toute impunité et sans être tenus responsables face aux multiples violations commises, continuant ainsi de bloquer les pourparlers et les négociations qui permettraient d’instaurer la paix, la sécurité et la dignité dont le peuple soudanais a tant besoin.
Le rapport présenté au Conseil met en lumière de nombreuses violations flagrantes du droit international des droits de l’homme commises par les parties belligérantes au Soudan entre avril et décembre 2023. Il décrit également en détail des violations graves du droit international humanitaire, qui nécessitent une enquête et l’établissement des responsabilités. Nombre de ces violations pourraient constituer des crimes de guerre ou d’autres atrocités.
La crise actuelle au Soudan continue d’être marquée par un mépris insidieux pour la vie humaine.
En l’espace de 11 mois, au moins 14 600 personnes ont été tuées et 26 000 autres blessées. Les chiffres réels sont sans aucun doute bien plus élevés. Le bilan englobe des milliers de civils, dont de nombreux enfants et femmes. Un grand nombre de travailleurs humanitaires et d’agents de santé ont également perdu la vie alors qu’ils travaillaient sous le feu de l’ennemi pour venir en aide aux personnes dans le besoin.
L’usage de tactiques agressives a amplement été démontré.
Les attaques multiples et aveugles contre des zones et bâtiments résidentiels.
Les armes à large rayon d’impact utilisées à partir d’avions de chasse, de drones et de chars, même dans les zones urbaines densément peuplées.
La destruction d’infrastructures civiles essentielles à la survie quotidienne, comme les hôpitaux et les écoles, qui aura des effets durables sur l’accès à la santé et à l’éducation pendant de nombreuses années.
Madame la Vice-Présidente,
Dans la guerre au Soudan, l’artillerie lourde n’est qu’un élément de l’arsenal utilisé.
La violence sexuelle en tant qu’arme de guerre, y compris le viol, est une caractéristique déterminante, et méprisable, de cette crise depuis le début.
Depuis que le conflit a éclaté en avril dernier, le HCDH a recensé 60 incidents de violences sexuelles liées au conflit, impliquant au moins 120 victimes dans tout le pays, en grande majorité des femmes et des filles. Ces chiffres sont malheureusement très en deçà de la réalité. Des hommes portant l’uniforme des Forces d’appui rapide et des hommes armés affiliés à ce groupe seraient responsables de 81 % des incidents enregistrés.
Le HCDH a reçu des rapports inquiétants faisant état de meurtres à motivation ethnique, y compris des décapitations dans le Kordofan septentrional, et d’incidents dans diverses régions, y compris l’État de Khartoum, le Darfour occidental et l’État d’Al Jazirah. Le HCDH assurera le suivi avec les autorités soudanaises pour garantir que ces allégations fassent l’objet d’une enquête et que les auteurs soient tenus responsables de leurs actes.
Je suis également très inquiet quant au sort des milliers de civils détenus arbitrairement par les deux parties et leurs affiliés, et des centaines de personnes qui ont disparu. Il s’agit de militants politiques, de défenseurs des droits humains, de membres des comités de résistance, de partisans présumés de l’une des parties belligérantes et de bien d’autres individus. Nombre d’entre eux auraient été torturés et beaucoup sont morts des suites de leurs blessures.
Je suis consterné par l’appel de plus en plus pressant à armer les civils, y compris les enfants. Le HCDH a récemment reçu des informations selon lesquelles les Forces d’appui rapide auraient recruté des centaines d’enfants comme combattants au Darfour et que les Forces armées soudanaises auraient fait de même dans l’est du Soudan. Ces pratiques constituent une violation flagrante du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, auquel le Soudan est partie.
Les rapports faisant état d’une mobilisation des civils eux-mêmes dans le cadre du nouveau mouvement de résistance armée populaire sont également inquiétants. Il est à craindre que cela n’aboutisse à la formation d’une milice civile armée sans contrôle défini, ce qui augmenterait les risques de voir le Soudan entrer dans la spirale d’une guerre civile prolongée.
Madame la Vice-Présidente,
Le Soudan est devenu un véritable cauchemar.
Près de la moitié de la population, soit 25 millions de personnes, a désespérément besoin d’une aide alimentaire et médicale. Environ 80 % des hôpitaux ont été mis hors service.
Le refus apparemment délibéré d’accorder aux organismes humanitaires un accès sûr et sans entrave au Soudan constitue une violation grave du droit international et peut être assimilé à un crime de guerre. J’appelle une fois de plus les parties belligérantes à respecter leurs obligations juridiques en ouvrant sans délai des couloirs humanitaires avant que d’autres vies ne soient perdues.
Avec plus de huit millions de personnes contraintes de fuir à l’intérieur du Soudan et vers les pays voisins, cette crise bouleverse le pays et menace profondément la paix, la sécurité et les conditions humanitaires dans toute la région.
Madame la Vice-Présidente,
Comme je l’ai déjà souligné, il s’agit d’une guerre caractérisée par une impunité généralisée et une responsabilité très limitée face aux violations et aux abus commis.
À ce jour, les Forces d’appui rapide n’ont pas tenu leur promesse de coopérer avec la mission internationale d’établissement des faits sur le Soudan créée par ce Conseil en octobre de l’année dernière, et les autorités soudanaises continuent de s’opposer à toute collaboration. Je demande instamment à toutes les parties au conflit de prendre des mesures immédiates pour coopérer avec la mission d’établissement des faits et aux États Membres, en particulier aux pays voisins du Soudan, de soutenir son travail essentiel.
J’ai bien peur qu’il y ait à l’heure actuelle un énorme vide à combler pour instaurer un dialogue efficace en vue de mettre fin à cette guerre. J’encourage tous les États influents à accroître la pression sur les deux parties et leurs affiliés pour qu’ils négocient une solution pacifique à cette catastrophe, et pour qu’ils poursuivent et maintiennent un cessez-le-feu.
La communauté internationale a également un rôle essentiel à jouer pour atténuer les immenses souffrances humaines endurées par le peuple soudanais. Je regrette que moins de 4 % du plan de réponse humanitaire du Soudan ait été financé jusqu’à présent, ce qui affecte sérieusement la capacité des organismes humanitaires à répondre à cette crise. Je demande instamment aux États Membres de respecter immédiatement leurs engagements financiers.
Je me suis rendu au Soudan en novembre 2022. Ce fut ma première visite dans un pays en tant que Haut-Commissaire. J’ai entendu des récits empreints de souffrance et de deuil, mais aussi beaucoup de récits d’espoir.
J’ai bien peur que cet espoir soit désormais brisé.
Des décennies de troubles et de répression au Soudan ont précédé cette crise, mais rien n’a préparé le peuple soudanais au niveau de souffrance auquel il est confronté aujourd’hui.
Les parties belligérantes doivent accepter sur le champ de revenir à la paix. Les personnes responsables des horribles violations des droits humains et des atteintes à ces droits doivent sans plus tarder répondre de leurs actes. Et la communauté internationale doit immédiatement recentrer son attention sur cette crise déplorable avant qu’elle ne s’enfonce encore plus dans le chaos.
L’avenir du peuple soudanais en dépend.
Merci.
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