Déclarations et discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme
La Sous-Secrétaire générale Ilze Kehris informe le Conseil de sécurité sur la situation en Israël et dans le Territoire palestinien occupé
12 janvier 2024
Prononcé par
Ilze Brands Kehris, Sous-Secrétaire générale aux droits de l’homme
À
Conseil de sécurité des Nations Unies
Monsieur le Président,
Excellences,
C’est pour moi un honneur de m’adresser au Conseil de sécurité au nom du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme.
La situation dévastatrice et les immenses souffrances que nous observons à Gaza sont évitables et prévisibles, et ont fait l’objet d’avertissements depuis de nombreuses semaines.
L’horreur des attentats du 7 octobre, dont les auteurs doivent répondre de leurs actes, ne sera pas oubliée.
Pour la population palestinienne, la menace d’un déplacement forcé a un écho particulier : elle est gravée dans la conscience collective palestinienne en raison de la Nakba (« catastrophe ») de 1948, lorsque des millions de Palestiniens ont été chassés de chez eux.
Depuis le 7 octobre, environ 1,9 million de Palestiniens, soit près de 85 % de la population de Gaza, ont été déplacés, souvent à plusieurs reprises. Certains ont suivi les ordres d’Israël de quitter certaines zones, d’autres ont fui par crainte d’être également victimes de violences et de formes graves de privation en restant. Des familles ont été séparées, des dizaines de milliers de personnes ont été tuées et plusieurs milliers d’autres ont été gravement blessées ou sont toujours portées disparues.
Plus de 100 000 personnes ont également été déplacées à l’intérieur du pays, dans le sud d’Israël en raison du conflit à Gaza, ainsi que dans le nord. Israël aurait mis en place des dispositions pour leur déplacement dans des conditions satisfaisantes.
Excellences,
Ce qui s’est passé à Gaza n’est pas seulement une conséquence du conflit, mais le résultat direct de la manière dont les hostilités ont été menées.
Les déplacements massifs de population à Gaza ont commencé le 12 octobre lorsque les autorités israéliennes ont ordonné aux civils palestiniens vivant au nord du Wadi Gaza de quitter leurs maisons et de se diriger vers le sud.
Bien qu’Israël ait déclaré que ses ordres d’évacuation visaient à assurer la sécurité des civils palestiniens, il semble qu’il n’ait guère pris de dispositions pour garantir que ces réinstallations soient conformes au droit international, notamment en assurant l’accès à des services d’hygiène, de santé, de sécurité, de nutrition et d’hébergement appropriés et en prenant des mesures pour réduire au minimum le risque de séparation des familles. Ces évacuations forcées, qui ne remplissent pas les conditions nécessaires à la légalité, peuvent donc constituer un transfert forcé, qui est un crime de guerre.
En effet, ces ordres ont souvent été déroutants, exigeant des civils qu’ils se déplacent vers des « zones humanitaires » ou des « abris connus », malgré le fait que de nombreuses zones de ce type ont été frappées par la suite lors d’opérations militaires israéliennes et que les abris n’ont pas la capacité d’accueillir davantage de personnes.
Selon les informations recueillies par le HCDH, de nombreux civils ont cherché en vain des endroits à l’abri des bombardements massifs d’Israël et d’autres opérations militaires qui se poursuivent dans la bande de Gaza, y compris dans des lieux spécifiquement protégés par le droit international humanitaire, comme les hôpitaux et les écoles. L’ONU a recensé 319 personnes déplacées tuées et 1 135 blessées dans les seuls abris de l’UNRWA depuis le 7 octobre. Plus de 60 % des habitations ont été endommagées ou détruites dans la bande de Gaza.
Aucun endroit n’est sûr.
Outre le blocus qu’il impose depuis 17 ans, Israël manque à ses obligations, notamment en tant que puissance occupante, de faciliter l’entrée à Gaza d’une aide suffisante et de marchandises essentielles pour répondre aux besoins vitaux de la population civile. La distribution du peu d’aide disponible aux personnes les plus nécessiteuses (mères allaitantes, femmes enceintes, nourrissons et enfants, personnes âgées, personnes handicapées) est presque impossible. On estime que des centaines de milliers de personnes restent dans le nord de Gaza, où presque aucune aide humanitaire n’a été autorisée et où l’approvisionnement en eau reste coupé, forçant les gens à aller vers le sud, depuis le début du conflit.
Plus de 90 % de la population souffre aujourd’hui d’une insécurité alimentaire aiguë et beaucoup sont au bord d’une famine d’origine humaine évitable. Nous rappelons qu’il est interdit d’utiliser contre les personnes civiles la famine comme méthode de combat.
Le nombre inacceptable de victimes civiles, la destruction presque totale des infrastructures civiles essentielles, le déplacement d’un pourcentage écrasant de la population et les conditions humanitaires abominables dans lesquelles 2,2 millions de personnes sont contraintes d’endurer suscitent de très vives inquiétudes quant à la commission potentielle de crimes de guerre, tandis que le risque d’autres violations graves, voire d’atrocités, est réel.
La perspective d’une famine et d’une maladie généralisées, alors que les Palestiniens sont entassés dans les plus petites parcelles de la bande de Gaza le long de la frontière égyptienne, dans des lieux surpeuplés et des conditions humanitaires désastreuses, avec une aide insuffisante et un effondrement de la fourniture des services de base, tandis que le centre de Gaza et Khan Younis restent soumis à des bombardements aériens soutenus, accroît cumulativement les risques de nouveaux déplacements massifs à une échelle de plus en plus large, potentiellement même au-delà des frontières de Gaza. Face à une population en quête de sécurité, c’est un risque auquel le Conseil doit être attentif.
Comme le HCDH l’a récemment signalé, depuis le 7 octobre, la violence des colons israéliens et du personnel de sécurité israélien a aussi considérablement augmenté en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, entraînant le déplacement de nombreuses communautés dans un environnement de plus en plus coercitif, ce qui pourrait constituer un transfert forcé. Ces faits se produisent dans un contexte marqué par l’augmentation massive du recours à la force par les forces de sécurité israéliennes, par la détention de milliers de Palestiniens et par d’importantes restrictions à la liberté de circulation. Le risque d’une extension et d’une intensification du conflit en Cisjordanie ne peut être exclu.
Les déclarations incendiaires de certains dirigeants israéliens en faveur d’une réinstallation permanente des Palestiniens à l’étranger ont renforcé la crainte que les Palestiniens soient délibérément chassés de Gaza et ne puissent pas y revenir. Cela ne doit pas être permis.
Le droit des Palestiniens à rentrer chez eux doit être garanti de manière absolue, même si des couloirs humanitaires sont ouverts pour permettre aux Palestiniens, en particulier aux malades, aux personnes handicapées, aux personnes âgées, aux femmes enceintes et aux enfants, de fuir notamment vers Israël et la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est. En tant que puissance occupante, Israël doit soutenir leur retour en rétablissant les services essentiels et en facilitant la reconstruction nécessaire de Gaza, surtout étant donné l’ampleur des destructions et la présence de restes explosifs de guerre en quantité sans précédent, qui causent des obstacles pratiques majeurs au retour à court terme de la plupart des personnes déjà déplacées.
Excellences, nous avons besoin d’un cessez-le-feu immédiat pour des raisons humanitaires et au nom des droits humains, ainsi que de la libération inconditionnelle de tous les otages, première étape indispensable vers une solution durable. La protection des civils doit être une priorité et ces derniers doivent pouvoir se mettre à l’abri et accéder à une assistance vitale, où qu’ils se trouvent. La violence des colons en Cisjordanie doit être condamnée, le principe de responsabilité doit être respecté et les colonies doivent prendre fin.
Nous devons également nous tourner vers l’avenir. Cette violence actuelle s’inscrit dans le contexte de décennies de violations des droits humains. Pour trouver une solution durable à cette crise, il faut s’attaquer à ses causes profondes, ce qui implique de rendre compte des violations commises le 7 octobre, depuis cette date et au cours des nombreuses années qui l’ont précédée. Garantir la justice et veiller à ce que les droits de tous les peuples, tant des Palestiniens que des Israéliens, soient respectés et protégés est la seule base sur laquelle une paix durable peut être construite.
Merci, Monsieur le Président.