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Discours Haut-Commissariat aux droits de l’homme

République centrafricaine : Les atrocités doivent cesser, dit Volker Türk

31 Mars 2023

Prononcé par

Volker Türk, Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme

À

52ème session du Conseil des droits de l'homme

A partir de

Dialogue de haut niveau sur la République centrafricaine

Lieu

Genève

Monsieur le Président,

Excellences,

Mesdames et Messieurs les délégués,

Il est rare qu'un pays avec un bilan en matière de droits humains si alarmant soit à ce point oublié par le reste du monde. La population de la République centrafricaine (RCA) endure une réalité quotidienne faite de flambées de violence imprévisibles, où la peur est utilisée comme une arme et où les traumatismes graves causés par des années de violence sont profonds.

Je crains fort que le cycle incessant de violences communautaires, religieuses et ethniques que la population centrafricaine ne connaît que trop bien ne s'aggrave encore, entraînant des revers majeurs pour les efforts de paix et de réconciliation.

Chaque jour, la population civile est victime d'abus de la part des groupes armés, des forces de défense et de sécurité et de personnel militaire et de sécurité privé.Les attaques ne font que s'intensifier et les arrestations et détentions illégales sont monnaie courante.

Les abus et les violations du droit international humanitaire et des droits humains continuent de se multiplier et ont augmenté au cours des deux derniers mois. Au cours de chaque trimestre de 2022, le nombre de victimes documenté par la division des droits de l’homme de la MINUSCA a été nettement plus élevé que le précédent - il a plus que doublé, passant de 564 au cours du premier trimestre à 1 300 au cours du dernier.

Selon les preuves dont dispose mon Bureau, les forces de défense et de sécurité et leurs alliés ont commis 58 % de ces violations au cours du dernier trimestre de 2022, qu’il s’agisse d’arrestations et de détentions illégales, de mauvais traitements et de tortures, de mutilations ou de meurtres. Elles ciblent spécifiquement les communautés peules et musulmanes, accusées ou soupçonnées d’être complices des groupes armés.

Au cours de la même période, nous estimons que les groupes armés signataires de l’accord de paix ont été responsables de 35% des abus documentés, affectant 28% des victimes. Ces abus consistaient principalement en la destruction et l’appropriation de biens, des meurtres et autres atteintes au droit à la vie, des enlèvements, des détentions, des mauvais traitements et des mutilations.

Comme l’a souligné un groupe d’experts indépendants des Nations unies en octobre dernier, le personnel militaire et de sécurité privécontinuent de harceler et d’intimider violemment les civils, y compris les casques bleus, les journalistes, les travailleurs humanitaires et les minorités. Ils ont également reçu des rapports faisant état de viols et de violences sexuelles à l'encontre de femmes, d'hommes et de jeunes filles.

Monsieur le Président,

Plusieurs incidents récents perpétrés par toutes les parties au conflit mettent en évidence l'ampleur et la gravité des violations. Le 28 octobre 2022, les Forces armées centrafricaines (FACA) et les forces de sécurité intérieure ont arbitrairement arrêté, détenu et extorqué 64 civils dans la zone de Bornour à Bria.

En décembre, mon Bureau a documenté deux cas de viols violents commis par ceux-là mêmes qui sont censés protéger les civils: le premier par un membre des forces armées dans la préfecture de Nana-Grébizi, et le second par un policier à Ippy dans la préfecture de Ouaka.

Toujours en décembre, près de Bakouma, dans la préfecture de Mbomou, des combattants de l'Union pour la paix en République centrafricaine, qui fait partie de la Coalition des patriotes pour le changement, ont tendu une embuscade à des civils, abattu cinq d'entre eux, en ont blessé d'autres et ont pillé tous leurs biens.

Plus récemment, en janvier 2023, dans la préfecture d'Ouham-Pendé, nous croyons savoir que le groupe armé « Retour, Récupération et Réhabilitation » a enlevé un éleveur peul et deux adolescents, qu'il a libérés quelques jours plus tard après le paiement d'une rançon.

Monsieur le Président,

Les enfants ne sont jamais épargnés par les ravages des conflits, et en RCA - où les enfants de moins de 14 ans représentent plus de 40 % de la population - leur vulnérabilité est particulièrement aiguë. Ils sont séparés de leurs parents, ce qui provoque des traumatismes indicibles. Ils n'ont pas d'abri adéquat et sont privés d'éducation. En République centrafricaine, plus d'un demi-million d'enfants âgés de 3 à 17 ans ne sont pas scolarisés ou risquent de devoir quitter l'école en raison d'un manque criant d'enseignants qualifiés et d'installations scolaires inadéquates.

Le manque de soins de santé a conduit à des taux de mortalité infantile parmi les plus élevés du continent africain, où un enfant sur dix mourra avant d'atteindre son cinquième anniversaire.

Les enfants sont recrutés par des groupes armés et ils sont détenus arbitrairement.

Et les enfants, en particulier les filles, sont soumis à des actes déplorables de violence sexuelle liés aux conflits.

L'année dernière, la division des droits de l’homme a recensé 647 enfants victimes de violations des droits de l'enfant, dont la majorité concernait l'utilisation d'enfants dans le conflit armé, les atteintes à leur intégrité physique et à leur liberté, les détentions arbitraires et les violences sexuelles liées au conflit.

Je demande au gouvernement d'adopter d'urgence des mesures pratiques pour prévenir ces violations graves et de fournir des soins complets aux victimes. L'exploitation économique des enfants, ainsi que leur traite, sont des crimes graves qui doivent être traités immédiatement.

J'encourage également le gouvernement à mettre en œuvre le code de protection de l'enfant (loi n° 20.014 du 15 juin 2020) conformément aux dispositions de la Constitution, ainsi qu'à ses obligations internationales énoncées notamment dans la Convention relative aux droits de l'enfant, ses protocoles facultatifs concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés et la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, respectivement, et la Charte africaine des droits et du bien-être de l'enfant.

Monsieur le Président,

L'impunité généralisée - y compris l'absence d'autorités judiciaires et l'absence d'un système judiciaire opérationnel - reste pour le pays l'un des plus grands obstacles à surmonter.

À cela s'ajoutent un contexte sécuritaire extrêmement fragile, une pauvreté extrême, un manque chronique de financement et des disparités régionales.

Des progrès ont été accomplis, notamment grâce aux enquêtes menées dans quatorze affaires par la Cour pénale spéciale. Celle-ci a rendu son premier verdict le 31 octobre de l'année dernière, déclarant trois anciens membres d'un groupe armé coupables de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. La session criminelle de février-mars de la Cour d'appel de Bangui s'est récemment achevée, mettant en jugement 32 individus du groupe armé Anti-balakas pour des violences commises en 2017 à Bangassou et dans d'autres communautés du sud-est du pays. Vingt-huit d'entre eux ont été reconnus coupables et condamnés. En outre, la Commission centrafricaine vérité, justice, réparation et réconciliation (CVJRR) a mené des actions de formation et de sensibilisation et a désormais établi des antennes dans six villes.

Mais les lacunes du système judiciaire demeurent.

La Cour d'appel de Bambari, destinée à traiter les cas de violations des droits humains et d'abus, n'a pas encore commencé ses sessions criminelles. Et la majorité des tribunaux mis en place il y a six ans pour juger les militaires soupçonnés d'avoir commis des violations des droits humains ne sont toujours pas opérationnels.

Monsieur le Président,

Je salue les efforts déployés par les autorités centrafricaines pour renforcer le cadre de protection des droits humains, notamment la création d'une nouvelle équipe de direction pour la Commission nationale des droits humains et des libertés fondamentales.

Mais il reste encore beaucoup à faire pour remédier aux conséquences catastrophiques d'un conflit intense et aux abus choquants qui se produisent jour après jour.

J'appelle toutes les parties à mettre un terme à ces atrocités. Les autorités ont la responsabilité d'assurer une meilleure protection des civils et de demander des comptes à tous les auteurs de ces actes.

Le lancement et le fonctionnement de tous les tribunaux pénaux et autres, conformément aux normes internationales, sont essentiels et doivent être accélérés. Les autorités doivent également soutenir pleinement les institutions de justice transitionnelle, en particulier la Cour pénale spéciale et la CVJRR, afin qu'elles puissent mener à bien leur mission.

Je demande également au gouvernement d'investir massivement dans les systèmes de santé et d'éducation.

Et pour les millions de personnes déplacées à l'intérieur du pays en particulier, il est de la plus haute importance que le gouvernement leur garantisse un abri adéquat et de la nourriture, ainsi qu'un accès à l'eau potable et à des installations sanitaires.

Il n'existe pas de solutions simples pour faire face à la complexité de la violence en RCA et à ses conséquences profondes. Les situations intenables exigent des réponses urgentes et décisives. Je compte sur la communauté internationale pour apporter son aide et veiller à ce que le peuple centrafricain dispose du soutien et des ressources dont il a besoin pour reconstruire sa vie.

Merci Monsieur le Président.

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