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Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale examine le rapport de l’Estonie
21 avril 2022
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale a examiné, hier et aujourd’hui, le rapport présenté par l’Estonie au titre de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Tout en remerciant l’Estonie pour la régularité avec laquelle elle soumet ses rapports au Comité et pour ses efforts aux fins de la mise en œuvre de la Convention, une experte s’est enquise des mesures prises par le pays pour lutter contre les discours de haine, notamment ceux portés par les acteurs politiques et en ligne, et a souhaité connaître les raisons de l’absence dans la législation estonienne de la notion de « crime de haine ». Cette experte a par ailleurs observé que le taux d’intégration scolaire parmi les enfants roms reste faible et que les objectifs du Gouvernement en la matière n’ont pas été atteints.
Le Comité est informé que les personnes d’origine asiatique font, en Estonie, l’objet de stigmatisations, qui se sont aggravées avec le début de la pandémie de COVID-19, a fait observer un membre du Comité.
Le Comité a été en outre été alerté par des pratiques de ségrégation linguistique, notamment dans l’enseignement et dans l’emploi, permise par la loi relative à langue et dont les non-Estoniens et les russophones estoniens sont notamment les premières victimes.
D’autres questions soulevées par les membres du Comité ont porté, entre autres, sur l’apatridie et sur les questions de nationalité. Il apparait que plus de la moitié des demandes de naturalisation sont rejetées en Estonie, a relevé un expert, avant de s’enquérir des motifs de ces rejets et de l’origine des personnes dont les demandes sont rejetées.
Présentant le rapport de son pays, Mme Katrin Saarsalu-Layachi, Représentante permanente de l’Estonie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, a notamment souligné que les restrictions et ajustements imposés dans le cadre de l’état d’urgence instauré entre le 12 mars et le 17 mai 2020 afin de lutter efficacement contre la pandémie de COVID-19 avaient été temporaires, légales, non discriminatoires, nécessaires à la protection de la santé publique et proportionnées au but légitime. Elle s’est ensuite dite heureuse d'annoncer que des progrès significatifs sont en train d’être accomplis pour réviser les articles pertinents du Code pénal relatifs au crime de haine. Bien que la législation n'ait pas encore été modifiée et que la mise en œuvre des recommandations du Comité continue de poser un défi, les amendements au Code pénal sont actuellement débattus au Parlement, a-t-elle indiqué.
Depuis 2019, a par ailleurs indiqué la Représentante permanente, le Chancelier de la justice s'est vu confier les fonctions de l'Institut national des droits de l'homme et cette institution nationale des droits de l’homme (INDH) a obtenu en décembre 2020 l’accréditation auprès de l’Alliance mondiale des INDH, avec le statut A [de pleine conformité aux Principes de Paris].
Mme Saarsalu-Layachi a ensuite fait valoir que l'Estonie a constamment pris des mesures politiques et juridiques pour promouvoir l’acquisition de la nationalité estonienne et réduire le nombre de personnes dont la nationalité est indéterminée. Elle a insisté sur la baisse constante de ce nombre, qui est passé de 32% [de la population] en 1992 à 4,9% en 2022.
Ces dernières semaines, a d’autre part précisé Mme Saarsalu-Layachi, plus de 30 000 réfugiés de guerre en provenance d’Ukraine sont arrivés en Estonie, ce qui représente environ 2 % de l'ensemble de la population estonienne. L'Estonie a chaleureusement accueilli les réfugiés de guerre en leur apportant toute l'assistance possible, afin qu'ils puissent s'installer en Estonie pour une période plus ou moins longue, si nécessaire, a-t-elle fait valoir.
La délégation estonienne était également composée, entre autres, de représentants du Ministère de l’intérieur ; du Ministère des affaires étrangères ; du Ministère de la justice ; du Ministère des affaires sociales ; du Ministère de l’éducation et de la recherche ; du Ministère de la culture ; et du Ministère de la défense.
Le Comité adoptera ultérieurement, à huis clos, ses observations finales sur le rapport de l’Estonie et les rendra publiques à l’issue de sa session, le 29 avril 2022.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l’examen du rapport du Kazakhstan (CERD/C/KAZ/8-10)
Examen du rapport de l’Estonie
Le Comité est saisi du document valant douzième et treizième rapports périodiques de l’Estonie (CERD/C/EST/12-13)
Présentation du rapport
MME KATRIN SAARSALU-LAYACHI, Représentante permanente de l’Estonie auprès de l’Office des Nations Unies à Genève, a commencé par présenter au Comité les récents développements survenus dans son pays. Elle a ainsi rappelé que les autorités estoniennes avaient instauré l’état d’urgence entre le 12 mars et le 17 mai 2020 afin de lutter efficacement contre la pandémie de COVID-19 qui venait de débuter. Les restrictions et ajustements alors imposés ont porté sur les libertés de mouvement et de rassemblement et sur l’enseignement à distance, a-t-elle précisé. Les heures d'ouverture des centres commerciaux ont été raccourcies et les visites dans les hôpitaux, les maisons de retraite et les centres de détention ont été limitées. Ces restrictions ont été réexaminées en permanence et progressivement assouplies. Elles étaient temporaires, légales, non discriminatoires, nécessaires à la protection de la santé publique et proportionnées au but légitime, a insisté la Représentante permanente. En 2021, au moins 265 affaires relatives à ces mesures restrictives ont été portées devant le tribunal administratif. Beaucoup d'entre elles concernent des cas où différentes formes de discrimination raciale ont été alléguées. Ce nombre témoigne que le public est conscient de ses droits et démontre l'efficacité des recours juridiques disponibles, a souligné Mme Saarsalu-Layachi.
Présentant le rapport à proprement parler, la Représentante permanente a présenté un certain nombre d’initiatives accomplies ou en cours de l’être, issues de précédentes recommandations du Comité. Elle s’est d’abord dite heureuse d'annoncer que des progrès significatifs sont en train d’être accomplis pour réviser les articles pertinents du Code pénal relatifs au crime de haine. Bien que la législation n'ait pas encore été modifiée et que la mise en œuvre des recommandations du Comité continue de poser un défi, les amendements au Code pénal sont actuellement débattus au Parlement, a-t-elle indiqué. Depuis 2019, le Chancelier de la justice s'est vu confier les fonctions de l'Institut national des droits de l'homme et cette institution nationale des droits de l’homme (INDH) a obtenu en décembre 2020 l’accréditation auprès de l’Alliance mondiale des INDH, avec le statut A [de pleine conformité aux Principes de Paris].
Mme Saarsalu-Layachi a ensuite rappelé que l'Estonie, en tant que membre élu du Conseil de sécurité, pour la première fois, pour la période 2020-2021, avait notamment placé parmi ses priorités, la participation pleine, égale et significative des femmes à toutes les étapes de la résolution des conflits, ainsi que la fin de l'impunité concernant la violence sexuelle dans les conflits. Depuis 2010, l'Estonie a adopté et mis en œuvre une succession de plans d'action nationaux au titre de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies sur « les femmes, la paix et la sécurité » ; le dernier plan d'action national pour la période 2020-2025 a été approuvé par le Gouvernement en mai 2021. La même année, l'Estonie a participé au troisième cycle de l'Examen périodique universel (EPU), au cours duquel 274 recommandations ont été formulées, dont 192 ont été acceptées. Plusieurs recommandations concernant les questions de non-discrimination ont été acceptées, a fait valoir la Représentante permanente.
Mme Saarsalu-Layachi a par ailleurs souligné que le droit international – y compris les droits de l’homme, les droits à l’égalité et l’interdiction de la discrimination raciale – s’applique dans le cyberespace et a assuré que, grâce à un écosystème numérique sûr, pratique et flexible, l'Estonie a atteint un niveau de transparence « sans précédent » en matière de gouvernance et a su instaurer une large confiance dans sa société numérique. A ce jour, 99 % des services publics sont disponibles en ligne 24 heures sur 24 et l'Estonie utilise y compris le vote électronique depuis 2005.
En plus des citoyens estoniens et des citoyens des États membres de l’Union européenne, les citoyens de pays non membres de l’Union européenne et les personnes de citoyenneté non définie résidant en Estonie avec un permis de résidence à long terme ou ayant le droit de résidence dans le pays peuvent voter lors des élections municipales, même s’ils ne peuvent être candidats.
L'Estonie a constamment pris des mesures politiques et juridiques pour promouvoir l’acquisition de la nationalité estonienne et réduire le nombre de personnes dont la nationalité est indéterminée, a ensuite fait valoir Mme Saarsalu-Layachi, insistant sur la baisse constante de ce nombre, qui est passé de 32% [de la population] en 1992 à 4,9% en 2022. La formation à la Constitution et à la citoyenneté estoniennes est ouvertes aux résidents et aux nouveaux immigrants d’origines linguistiques et culturelles différentes, a-t-elle ajouté.
L’Estonie a une longue expérience en matière d'intégration horizontale, notamment parce qu'un tiers de sa population de 1 300 000 de personnes est issu de l'immigration. En Estonie, vivent des représentants de plus de 190 nationalités et minorités qui constituent environ 31 % de l'ensemble de la population totale du pays. L’objectif de l’intégration est d’assurer une société cohérente et tolérante pour chaque personne vivant en Estonie. Le dernier rapport de suivi de 2020 montre que les immigrés eux-mêmes considèrent que leur accès aux services de base en Estonie est « bon ». Environ 94% d'entre eux évaluent l'accès aux activités et procédures officielles comme « bon » et 90% évaluent l'accès aux forces de l'ordre et à la sécurité comme « bon ». Les nouveaux immigrants sont plus satisfaits que la moyenne de l'accès aux services d'assistance sociale et de soins (81%) et aux services du marché du travail (76%). Tous les résidents, quelle que soit leur origine nationale, soutiennent l'apprentissage de la langue estonienne dès le plus jeune âge. Le rapport indique que la plupart des nouveaux immigrants se sont bien intégrés dans la société, s’est réjouie la Représentante permanente.
Évoquant de nouveaux défis auxquels est confrontée la communauté internationale en 2022, Mme Saarsalu-Layachi a souligné que «l'agression militaire contre l'Ukraine perpétrée par les forces armées de la Fédération de Russie constitue une violation flagrante du droit international, y compris de la Charte des Nations Unies, que [l’Estonie a] condamnée dans les termes les plus fermes». « La Fédération de Russie cause d'horribles souffrances humaines en Ukraine et fait fuir des millions d'Ukrainiens de leur patrie », a-t-elle ajouté, avant d’indiquer que ces dernières semaines, plus de 30 000 réfugiés de guerre en provenance d’Ukraine sont arrivés en Estonie, ce qui représente environ 2 % de l'ensemble de la population estonienne. L'Estonie a chaleureusement accueilli les réfugiés de guerre en leur apportant toute l'assistance possible, afin qu'ils puissent s'installer en Estonie pour une période plus ou moins longue, si nécessaire. Cela a été fait en coopération entre le Gouvernement, les gouvernements locaux, la société civile, les donateurs nationaux et internationaux, en particulier le Comité international de la Croix-Rouge (CICR). L'Estonie a fourni une aide humanitaire à l'Ukraine à hauteur de plus de 13 millions d’euros et un habitant sur trois de l'Estonie a apporté sa contribution à cet effort commun. Une attention particulière est apportée à garantir un logement aux réfugiés de guerre, ainsi qu’à assurer l’accès égal des enfants à l’éducation, a précisé Mme Saarsalu-Layachi, assurant que l’Estonie veillera à ce que les enfants et les jeunes gens d’Ukraine puissent poursuivre leur éducation à tous les niveaux – du pré-primaire au supérieur.
La protection des droits des peuples autochtones est de longue date l’une des priorités de l'Estonie, a en outre souligné la Représentante permanente, rappelant que l'Estonie avait accueilli du 17 au 19 juin 2021 le huitième Congrès mondial des peuples finno-ougriens – qui sont linguistiquement proches des Estoniens. Mme Saarsalu-Layachi a souligné que l’Estonie surveille la situation des peuples finno-ougriens en Fédération de Russie et des Tatars de Crimée dans les territoires ukrainiens occupés. Elle soutient par ailleurs financièrement les activités du Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les peuples autochtones depuis 1996, de même que l'Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones depuis 2006. Elle appuie également la Décennie internationale des langues autochtones (2022-2032) et ses préparatifs. Le 6 mai prochain, Tallinn accueillera un événement d'ouverture de ladite Décennie, a conclu la Représentante permanente.
Commentaires et questions des membres du Comité
MME FAITH DIKELEDI PANSY TLAKULA, Rapporteuse du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport de l’Estonie, a remercié l’Estonie pour avoir soumis régulièrement ses rapports au Comité et a salué les efforts fournis par le pays pour mettre en œuvre la Convention.
Relevant ensuite que, selon ce qu’indique le rapport, trois organisations de la société civile ont participé au processus de rédaction de ce document, elle a souhaité connaître les critères qui ont présidé au choix de ces trois organisations.
L’experte s’est par ailleurs félicitée que le Chancelier de la Justice ait été accrédité en tant qu’institution nationale des droits de l’homme avec le statut A auprès de l’Alliance mondiale des institutions nationales des droits de l’homme (GANHRI, selon l’acronyme anglais), mais s’est enquise des mesures qui ont été prises pour le renforcer. Elle a également demandé des statistiques sur le nombre de plaintes pour faits de discrimination déposées devant le Commissaire chargé de l’égalité femmes-hommes et de l’égalité de traitement et sur les suites données à ces plaintes. En outre, quelles mesures ont-elles été prises pour faire connaître le travail de cette institution, a-t-elle demandé ?
L’Estonie a par ailleurs été invitée à présenter les mesures adoptées pour lutter contre les discours de haine, notamment ceux portés par les acteurs politiques et en ligne. Le pays envisage-t-il de ratifier le Protocole additionnel à la Convention [du Conseil de l’Europe] sur la cybercriminalité, relatif à l’incrimination d’actes de nature raciste et xénophobe commis par le biais de systèmes informatiques, a en outre demandé l’experte ? Elle a également demandé des explications sur les raisons de l’absence dans la législation estonienne de la notion de « crime de haine ».
Le Comité a également observé que le taux d’intégration scolaire parmi les enfants roms reste faible et que les objectifs du Gouvernement en la matière n’ont pas été atteints, a par la suite souligné Mme Tlakula, souhaitant savoir si les autorités estoniennes avaient cherché à en comprendre les raisons et avaient trouvé des solutions pour y remédier.
Le Comité a également reçu des rapports alarmants faisant état d’attaques contre les migrants et réfugiés depuis 2015. Y a-t-il des mesures pour lutter contre ces « comportements négatifs », a demandé l’experte ?
Mme Tlakula s’est ensuite enquise des intentions du Gouvernement pour ce qui est d’abroger ou d’amender les lois sur la langue et sur la nationalité. Elle a également souhaité savoir si l’Estonie envisageait de ratifier, notamment, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ; la Convention n°189 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur les travailleuses et travailleurs domestiques ; la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées ; ou encore les Conventions de 1954 et 1961 relatives au statut des apatrides et à la réduction des cas d'apatridie.
Il a par ailleurs été demandé à la délégation estonienne de fournir des informations statistiques détaillées sur le nombre de réfugiés venus d’Ukraine depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine ; sur le nombre de personnes apatrides ; et sur le nombre de personnes ayant demandé la nationalité estonienne qui l’ont obtenue, en particulier entre 2015 et 2021. Combien de personnes d’ascendance africaine vivent en Estonie et combien ont obtenu la nationalité estonienne, a-t-il également été demandé ?
Des informations ont aussi été demandées sur le plan d’intégration estonien ; sur la participation politique des minorités ethniques et sur leur taux d’emploi, notamment parmi la population rom ; ainsi que sur les activités entreprises dans le cadre de la mise en œuvre du Déclaration et du Plan d’action de Durban, et de la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine.
M. YEUNG SIK YUEN YEUNG KAM JOHN, corapporteur du groupe de travail chargé par le Comité d’examiner plus en détail le rapport, a relevé le manque de données statistiques, notamment en ce qui concerne les crimes de haine et le nombre de cas traduits en justice, et s’est interrogé sur les raisons de cette absence de données. L’expert a également demandé des détails sur les mesures prises pour sensibiliser à la Convention et à son application directe. Il a aussi relevé que la législation estonienne ne contient pas de définition du crime de haine et a voulu savoir pourquoi.
Le Comité est informé que les personnes d’origine asiatique font, en Estonie, l’objet de stigmatisations, qui se sont aggravées avec le début de la pandémie de COVID-19, a poursuivi M. Yeung Sik Yuen.
L’expert a souhaité savoir s’il y avait en Estonie un droit à la liberté d’expression qui autorise les discours de haine et de discrimination. En outre, compte tenu des nombreuses critiques qui pèsent sur l’article 151 du Code pénal, pourquoi ce dernier n’a-t-il pas encore été amendé jusqu’ici, s’est interrogé le corapporteur ?
L’expert a ensuite indiqué que le Comité avait été informé que depuis les élections parlementaires de 2019, le climat s’était tendu avec des organisations de la société civile, qui ont subi des attaques ou ont vu leur financement prendre fin. Un parti politique ayant comme slogan « Blacks go back » a par ailleurs été intégré à la coalition gouvernementale, a-t-il observé. Le Comité a été en outre été alerté par des pratiques de ségrégation linguistique, notamment dans l’enseignement et dans l’emploi, permise par la loi relative à langue et dont les non-Estoniens et les russophones estoniens sont notamment les premières victimes.
M. GUN KUT, Rapporteur pour le suivi des observations finales, a tenu à féliciter l’Estonie, qui a présenté son rapport intérimaire dans les délais impartis, à savoir un an après la transmission des observations finales issues de l’examen du précédent rapport. Il a ajouté que les questions restées en suspens lors du précédent examen ont été abordées dans le rapport intérimaire.
Les autres membres du Comité ont également souhaité disposer de davantage de chiffres sur différents points. Un expert s’est demandé comment l’Estonie intègre les personnes handicapées dans l’armée et le service militaire. De plus, alors qu’il apparait que plus de la moitié des demandes de naturalisation sont rejetées en Estonie, cet expert a voulu avoir des détails sur les motifs de ces rejets et sur l’origine des personnes dont les demandes sont rejetées.
Il a également été remarqué que la délégation affirme que les non-Estoniens peuvent voter, mais ne peuvent être élus ni occuper certains postes, y compris des postes à responsabilité dans les entreprises privées, en violation de l’article 5 de la Convention. Quels sont les motifs de telles discriminations, a-t-il été demandé ?
S’agissant des discours de haine, une experte a souhaité connaître la manière dont l’Estonie appréhende cette question à l’aune de la liberté d’expression.
Un expert a dit ne pas bien comprendre le concept de « citoyenneté indéterminée » et a observé qu’avec un taux représentant 5,7% de la population totale, le nombre de « personnes de citoyenneté indéterminée » est plus important que celui des personnes ayant une autre nationalité, selon le paragraphe 121 du rapport. Que recouvre exactement ce concept et qui sont ces « personnes de citoyenneté indéterminée », a demandé l’expert ?
Réponses de la délégation
S’agissant des ONG ayant participé au processus d’élaboration du rapport estonien, la délégation a expliqué que les trois organisations choisies sont celles qui couvrent un champ étendu dans le domaine des droits de l’homme et qui ont une grande expérience en la matière. Bien qu’invitées à participer à ce processus, plusieurs ONG n’ont pas souhaité y prendre part, certaines par manque de ressources appropriées pour ce faire.
La Loi relative à l’égalité de traitement fournit déjà une large protection en matière d’interdiction de la discrimination ; elle est cependant en cours de révision afin d’étendre la protection légale contre la discrimination en ajoutant notamment l’âge, le handicap, la religion ou la conviction, ou encore l’orientation sexuelle au nombre des motifs de discrimination prohibés. Les amendements ont été approuvés par le Gouvernement et sont actuellement débattus au Parlement, a indiqué la délégation, précisant qu’ils ont déjà été adoptés en première lecture.
Le Commissaire chargé de l’égalité femmes-hommes et de l’égalité de traitement peut recevoir des plaintes et accompagne toute personne qui a subi des discriminations, a fait valoir la délégation. Les plaintes peuvent être déposées de manière anonyme, en personne ou en ligne, a-t-elle précisé. Des conseils au téléphone ou sur les réseaux sociaux sont également disponibles.
S’agissant du nombre de plaintes, la délégation a indiqué que quatre plaintes relatives à la race et à la couleur de peau ont été déposées en 2019, dont deux relatives à des contrats de bail. Après enquêtes, aucune discrimination n’a été avérée dans ces affaires. En 2020, deux plaintes ont été déposées pour des contenus à caractère raciste dans la presse. Contactés par le Commissaire, les comités de rédaction des journaux concernés ont retiré les écrits visés par ces plaintes. Il n’y a eu aucune plainte en 2021 en lien avec la race ou la couleur de peau. Par ailleurs, 23 plaintes ont été déposées en 2019 pour discrimination fondée sur la nationalité ou l’origine ethnique, contre 15 pour 2020 et 2021.
Pour ce qui est du budget de fonctionnement, les fonds alloués au Commissaire à partir du budget de l’État augmentent « faiblement, mais régulièrement », a indiqué la délégation. L’institution a ainsi reçu du Gouvernement une enveloppe de 502 000 € en 2020, contre 503 471€ en 2021 et 510 582€ en 2022. Mais le Commissaire peut aussi solliciter d’autres contributions auprès de différentes sources pour différents projets. Au final, son budget a été en 2020 de 791 822€ et de 902 492€ en 2021. Il dispose en outre d’un personnel composé de sept personnes.
S’agissant du Chancelier de Justice, il a un statut constitutionnel d’organe indépendant et est nommé par le Parlement, sur proposition du Président, pour un mandat de sept ans renouvelable, a expliqué la délégation. Le Chancelier de Justice a par ailleurs les mêmes droits que ceux d’un ministre du Gouvernement. Il peut participer aux sessions de travail du Parlement et y prendre la parole et il défend sa ligne budgétaire devant le Parlement. Par ailleurs, le Chancelier de Justice est une personnalité très connue en Estonie. C’est actuellement une universitaire qui passe régulièrement dans les médias, a précisé la délégation.
En ce qui concerne le service militaire, il est obligatoire pour les hommes estoniens et facultatif pour les femmes, mais l’on ne peut exclure personne, a souligné la délégation. Si quelqu’un souhaite intégrer l’armée, il doit en avoir la possibilité, mais aussi les capacités : toute conscription est soumise à un avis de la commission médicale, qui détermine si la personne est apte ou non, ou si elle est apte uniquement pour certains postes ou à certaines conditions – et c’est d’ailleurs ainsi que les personnes handicapées sont incluses dans l’armée. La loi ne permet pas de contrôler le handicap des conscrits, car la Commission médicale n’évalue que la capacité de la personne à s’acquitter de telle ou telle tâche, a insisté la délégation, expliquant de ce fait qu’elle ne peut pas donner le nombre de personnes handicapées dans les forces militaires.
S’agissant des droits des étrangers, les non-ressortissants peuvent en effet voter aux élections locales, mais ils ne peuvent pas s’y présenter comme candidats ni occuper des postes de fonctionnaires. Cela est dû à la Constitution qui stipule que l’exercice de l’autorité publique ne peut être confié qu’à des ressortissants estoniens, ce que n’a pas contesté la Cour constitutionnelle.
S’agissant des discours d’incitation à la haine et des crimes de haine, la délégation a indiqué qu’à ce jour, six projets de loi ont tenté de modifier la législation en la matière. Le débat se poursuit, notamment avec le nouveau Gouvernement élu en 2021, qui a prévu, dans son programme de travail, de modifier le Code pénal s’agissant de l’incrimination du crime de haine. Mais les considérations politiques comptent aussi : il faut notamment trouver une large coalition, le meilleur libellé possible et éviter des considérations trop larges. Le Parlement est devenu plus ouvert à cette question, mais il n’y a toujours pas de consensus, a indiqué la délégation.
La délégation a par la suite souligné que tout acte de violence commis à l’encontre d’une personne, quelle que soit son origine, est puni par la loi. La tenue de réunions publiques dont l’objectif est de tenir des discours de haine est aussi pénalement sanctionnée.
La délégation a par ailleurs reconnu qu’il n’y a pas dans le pays de loi distincte sur la cybercriminalité. « Ce n’est pas la tradition estonienne », a-t-elle expliqué, soulignant toutefois que des campagnes sont lancées pour avertir sur les dangers en ligne.
S’agissant des questions de nationalité, la délégation a notamment indiqué que des personnes se sont vu refuser la naturalisation estonienne parce qu’elles avaient enfreint la loi pénale et avaient été condamnées à des peines de prison de plus d’un an, avaient commis des crimes internationaux ou avaient travaillé pour des armées étrangères. Elle a assuré que la politique de citoyenneté adoptée par le pays est parfaitement conforme au droit international, y compris aux Conventions relatives à l’apatridie [auxquelles le pays n’est pas partie, ndlr]. Toute personne qui souhaite acquérir la nationalité estonienne peut demander sa naturalisation par le biais des procédures existantes, a insisté la délégation, avant d’assurer que le pays respecte pleinement le principe de non-refoulement.
Concernant la politique linguistique estonienne, la délégation a notamment souligné qu’il n’y avait pas de limitations faites aux minorités nationales en ce qui concerne l’utilisation de leur langue, les exigences de maîtrise de la langue estonienne ne restreignant en rien l’usage des autres langues. Il existe des critères minima de connaissance de la langue estonienne pour tout agent public afin qu’il puisse s’acquitter correctement de ses fonctions, dans l’intérêt public, et plus le poste est élevé, plus l’exigence en termes de maîtrise de la langue estonienne est élevée.
Les usagers, quant à eux, peuvent utiliser une autre langue que l’estonien ; les informations dans les communautés russophones sont communiquées dans les langues russe et estonienne et si nécessaire en langue anglaise. Le Ministère de l’éducation travaille avec plus de 60 langues, a ajouté la délégation, précisant qu’environ 11% des parents préfèrent que l’enseignement scolaire de leurs enfants se fasse en langue russe.
S’agissant des réfugiés ukrainiens, 11 000 enfants en provenance d’Ukraine sont arrivés en Estonie ces derniers mois. Environ 47% d’entre eux sont déjà inscrits dans les écoles et, dans ce contexte, le Gouvernement estonien cherche à recruter des enseignants et assistants parlant l’ukrainien, l’idée restant que si ces enfants demeurent plus de deux ans en Estonie, ils finissent par être intégrés au système scolaire classique.
En ce qui concerne les Roms, la délégation a notamment indiqué que 27% des enfants roms vivant en Estonie étaient scolarisés et que leur taux de scolarisation était en hausse.
L’Estonie appuie en outre la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine. L’Estonie reconnaît cependant ne pas avoir organisé d’événement spécifique autour de la Décennie, mais elle s’est engagée à réaliser, avec ses partenaires africains, les objectifs du développement durable. Elle coopère activement avec les pays africains, notamment dans les domaines du renforcement des capacités, de l’autonomisation des femmes ou de la formation, a indiqué la délégation. L’Estonie accueille en outre 2700 étudiants d’Afrique noire, dont 918 venus du Nigéria. En outre 32 personnes d’ascendance africaine ont obtenu la nationalité estonienne, a précisé la délégation.
Remarques de conclusion
MME TLAKULA a salué la coopération dont l’Estonie a fait preuve durant ce dialogue, mais a souligné que les questions de l’apatridie, de la maîtrise de la langue estonienne et de la législation relative aux crimes de haine continuent de préoccuper le Comité.
MME SAARSALU-LAYACHI a remercié le Comité pour ce dialogue et a assuré que sa délégation répondrait par écrit aux questions restées en suspens. Les observations finales du Comité sont très attendues ; elles seront traduites en estonien et transmises à la population, a-t-elle ajouté. La question du crime de haine continue de faire l’objet d’un examen de la part des autorités, mais elle exige un consensus, a tenu à réaffirmer la Représentante permanente. L’Estonie continue de promouvoir l’acquisition de la citoyenneté estonienne et œuvre à réduire le nombre de personnes de citoyenneté indéterminée. L’Estonie continue également de former ses agents aux principes des droits de l’homme, y compris pour ce qui est de la non-discrimination et le pays s’efforce aussi de trouver un équilibre afin de ne pas nuire aux droits linguistiques des minorités tout en maintenant sa langue nationale. Le pays estime que la maîtrise de la langue estonienne est indispensable à tout agent afin qu’il puisse s’acquitter efficacement de ses fonctions, a insisté la Représentante permanente. La délégation estonienne comprend que des améliorations législatives sont nécessaires pour appliquer pleinement la Convention, a-t-elle conclu, soulignant que la lutte contre la discrimination est un processus dynamique et continu.
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