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La faiblesse de la protection des civils par l'État menace l'existence du Mali - selon un expert de l'ONU
06 août 2021
BAMAKO (6 août 2021) - La violence se répand si rapidement au Mali qu'elle met en péril la survie même de l'État, a déclaré l'expert des Nations Unies sur les droits de l'homme dans le pays à la fin d'une visite officielle de 11 jours au cours de laquelle il a été informé d'une augmentation des exécutions extrajudiciaires, d'autres homicides, des enlèvements de civils et de viols collectifs de femmes.
"Nous sommes très préoccupés par la détérioration grave et continue de la sécurité qui a dépassé un seuil critique", a déclaré Alioune Tine, expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l'homme au Mali.
"Un État affaibli et impuissant, qui assume difficilement son rôle régalien de protection des populations civiles face aux groupes armés qui essaiment dans tout le pays", a-t-il déclaré. « Il est grave de constater que les populations civiles subissent aussi des violences de la part des Forces de Défense et de Sécurité Maliennes (FDSM) censées les protéger ».
M. Tine a déclaré que certaines personnes rencontrées lors de sa visite ont exprimé de sérieux doutes sur la volonté politique des autorités maliennes de prendre des mesures concrètes pour garantir la sécurité des populations civiles, en particulier dans les régions les plus touchées par la crise et les conflits.
"Cela doit absolument changer", a-t-il déclaré. « Il faut un sursaut national et une volonté inébranlable des autorités maliennes, avec le soutien actif de leurs partenaires, pour restaurer l’autorité de l’Etat et assurer la protection des populations civiles. »
M. Tine s'est dit gravement préoccupée par la dégradation rapide et continue de la sécurité créée par la défaillance des institutions de l'État et qui donne lieu à des attaques tous azimuts contre les populations civiles par des groupes armés tels que la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM), l'État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d'autres qui consolident leur contrôle sur des zones dans le nord et le centre du pays. Ils s'étendent également aux régions méridionales du Mali, et la violence communautaire augmente dans le centre du pays.
Les populations civiles du nord (régions de Gao, Menaka et Tombouctou), du centre (régions de Bandiagara, Douentza, Mopti et Ségou) et du sud (régions de Koutiala, San et Sikasso) subissent des violations de leurs droits humains fondamentaux et atteintes à ces droits et sont même tués. La détérioration du respect des droits de l'homme s'inscrit dans un contexte d'impunité généralisée des auteurs de ces violations and atteintes.
L'opération de maintien de la paix des Nations unies, la MINUSMA, a recensé au moins 43 exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires commises par les Forces de Défense et de Sécurité Maliennes (FDSM) entre le 1er avril et le 30 juin 2021.
L'augmentation des atteintes aux droits de l’homme commises par les groupes armés et les milices communautaires est encore pire, le total des six premiers mois de cette année, soit 258 cas, représentant déjà 88 % du nombre de cas signalés pour toute l'année 2020.
Les enlèvements sont également en hausse spectaculaire. Au cours des seuls six premiers mois de cette année, la MINUSMA a documenté 435 enlèvements – cinq fois plus que pour toute l'année 2019.
Les ravisseurs sont principalement les groupes armés et les milices communautaires du centre du Mali, notamment la milice Da Na Ambassagou, mais aussi des groupes armés tels que la Jama'at Nusrat al-Islam wal Muslimin (JNIM) et d'autres groupes similaires.
Les viols collectifs et autres violences à l'encontre des femmes sont en augmentation, tout comme les attaques contre les « esclaves », un problème que l'expert indépendant a souligné le mois dernier.
Lors des rencontres avec les autorités maliennes, Tine a fait part de ses sérieuses préoccupations quant à la détérioration continue de la situation des droits de l'homme. Les autorités maliennes se sont engagées à prendre des mesures concrètes pour répondre à ses préoccupations et améliorer la situation des droits de l'homme.
« Nous invitons donc les autorités maliennes à honorer leurs engagements », a déclaré Tine. « Cela permettra de rassurer et de restaurer la confiance des populations civiles et des nombreux interlocuteurs face aux institutions de l’Etat. Une priorité absolue doit être réservée par les autorités au traitement de la question préoccupante de l’impunité au Mali.
Tine a rencontré le Premier Ministre, le Ministre des affaires étrangères et de la Coopération internationale, le Ministre de la Défense et des anciens combattants, le Ministre de la justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux, le Ministre de la Refondation de l’Etat chargé des relations avec les institutions, le ministre de la Réconciliation, de la Paix et de la Cohésion nationale, chargé de l'Accord pour la paix et la réconciliation nationale, le président de la Commission nationale des droits de l'homme et les autorités judiciaires.
« Nous avons pu rencontrer l'ancien président Bah N'Daw et l'ancien Premier ministre Moctar Ouane qui sont toujours en résidence surveillée » a déclaré Tine. « Nous avons discuté avec les autorités maliennes sur le caractère illégal de cette situation et la nécessité d’y mettre fin dans les meilleurs délais. Nous avons pris bonne note des dispositions concrètes prises par les autorités maliennes allant dans le sens d’une prochaine libération ».
L’Expert a également discuté avec les autorités sur le décès en détention dans des conditions non encore élucidées de l'individu arrêté pour tentative d'assassinat du Président de la Transition, le Colonel Assimi Goïta. « Nous demandons aux autorités maliennes d’ouvrir d'une enquête approfondie, rapide et impartiale conformément aux obligations internationales pertinentes du Mali en matière des droits humains ».
Il a également rencontré les organisations de la société civile, y compris celles des personnes atteintes d’albinisme et des personnes vivant avec un handicap, les organisations de la société civile et les associations de victimes de l'esclavage par ascendance et les associations luttant contre cette pratique, les organisations non gouvernementales, des représentants du corps diplomatique, les agences, fonds et programmes des Nations Unies ainsi que le Représentant Spécial du Secrétaire General des Nations Unies et Chef de la MINUSMA.
Il s'est également rendu dans la région de Gao, où il a rencontré les autorités locales, les associations de femmes et les agences des Nations unies.
À l'issue de sa visite, Tine a publié une déclaration et soumettra un rapport complet au Conseil des droits de l'homme en mars 2022.
FIN
M. Alioune Tine (Sénégal) a pris ses fonctions d’expert indépendant sur la situation des droits de l’homme au Mali le 1er mai 2018. Le mandat d'expert indépendant a été renouvelé par le Conseil des droits de l'homme le 24 mars 2021 pour une période d'un an afin d'aider le gouvernement du Mali dans ses actions de promotion et de protection des droits de l'homme et dans la mise en œuvre des recommandations formulées dans les résolutions du Conseil. M. Tine a été membre fondateur et président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (RADDHO) et coordinateur du Forum des ONG africaines lors de la Conférence mondiale contre le racisme en 2000. Entre 2014 et 2018, M. Tine a été le directeur régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Ouest et du Centre. Il a publié de nombreux articles et études sur la littérature et les droits de l'homme.
Les Experts indépendants font partie de ce qu’on appelle les procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme. Le terme « procédures spéciales », qui désigne le plus grand corps d’experts indépendants au sein du système onusien des droits de l’homme, est généralement attribué aux mécanismes indépendants d’enquête et de supervision mis en place par le Conseil des droits de l’homme afin de traiter de la situation spécifique d’un pays ou de questions thématiques dans toutes les régions du monde. Les experts des procédures spéciales travaillent bénévolement ; ils n’appartiennent pas au personnel de l’ONU et ne perçoivent pas de salaire pour leur travail. Ils sont indépendants de tout gouvernement ou de toute organisation et exercent leurs fonctions à titre individuel.
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