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Le Comité auditionne la société civile au sujet de la situation au Kirghizistan, au Pérou et en Arabie saodite
24 avril 2018
Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale
24 avril 2018
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a auditionné ce matin les représentants de la société civile au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale au Kirghizistan, au Pérou et en Arabie saoudite, soit les trois pays dont les rapports seront examinés cette semaine par les membres du Comité.
En ce qui concerne le Kirghizistan, la discussion a plus particulièrement porté sur la législation antidiscriminatoire et sur la définition de la discrimination dans le droit kirghize. Ont aussi été abordées la question des conséquences du conflit interethnique de 2010 et la situation des défenseurs des droits de l’homme.
Pour ce qui est du Pérou, les organisations ont condamné les discriminations à l’encontre des populations autochtones et des personnes d’ascendance africaine, tout en réclamant la reconnaissance de leur statut dans la Constitution. A également été regrettée la persistance de stéréotypes à l’encontre de ces populations, notamment dans les médias.
S'agissant de l’Arabie saoudite, la discussion s'est concentrée sur les discriminations à l’encontre des minorités et des travailleurs migrants.
Cet après-midi, à 15h, le Comité entamera l'examen du rapport du Kirghizistan, qu'il achèvera demain matin.
Audition de la société civile
S'agissant du Kirghizistan
Equal Rights Trust a expliqué avoir publié en 2016 une étude globale sur les discriminations et les inégalités au Kirghizistan dont les résultats ont montré que le pays rencontrait de multiples problèmes liés à l’ethnicité. Le pays a besoin d’une loi anti-discrimination spécifique, faute de quoi il ne pourra pas assumer ses responsabilités en matière de lutte contre les discriminations, car les dispositions constitutionnelles restent trop vagues et peu claires. Le Code pénal kirghize ne contient aucune définition de la discrimination, a d’autre part déploré l’ONG, ajoutant que les victimes de discrimination ne peuvent donc pas défendre leur cas devant les tribunaux. Les membres du Comité doivent, dans leurs recommandations, demander au Kirghizistan de mettre en place une législation spécifique concernant les discriminations, a insisté l’ONG.
ADC Memorial and Bir Duino a expliqué que les conséquences du conflit ethnique de 2010 se font toujours ressentir aujourd’hui au Kirghizistan. Les mesures prises suite à ce conflit pour restaurer l’unité nationale oppriment, en réalité, les minorités. L’enseignement n’est pas donné dans la langue des minorités et les représentants des minorités ethniques se sentent inutiles au Kirghizistan. C’est l’une des raisons de l’émigration massive des membres de ces minorités. D’autre part, les autorités judiciaires font du profilage ethnique dans le cadre de la lutte contre l’extrémisme. Les Ouzbeks représentent une grande proportion de la population et sont pourtant rarement représentés dans la police et dans le secteur de la justice. La justice n’a pas été restaurée pour les minorités depuis le conflit ethnique, a insisté l’ONG. La population ouzbèke perçoit très mal la généralisation de l’enseignement en langue kirghize dans le pays, ainsi que l’organisation des examens d’État dans cette seule langue. Le Kirghizistan doit élaborer une loi antidiscriminatoire interdisant toutes les discriminations et définissant clairement la notion de discrimination raciale, a ajouté l’ONG. L’Etat doit en outre garantir les droits linguistiques des minorités ethniques. Il faut par ailleurs rouvrir les affaires judiciaires liées au conflit de 2010, a estimé l’ONG.
Mme Khadicha Askarova a dénoncé les attaques à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme lors du conflit interethnique de 2010 et a plus particulièrement attiré l’attention sur le sort de son mari, qui a été torturé et est emprisonné depuis ces événements. Des dizaines de défenseurs des droits de l'homme ont été torturés et attendent aujourd’hui une révision de leur procès. Des défenseurs des droits de l'homme attendent aussi depuis des années de pouvoir retourner au Kirghizistan. La communauté internationale doit faire en sorte que le Kirghizistan libère les défenseurs des droits de l'homme.
Interbilim a attiré l’attention sur les discriminations à l’encontre des minorités ethniques au Kirghizistan. L’ONG a notamment dénoncé la destruction de maisons de membres de ces minorités, voire leur expropriation. Les membres des minorités n’ont pas la possibilité de se faire entendre ou de porter plainte en justice ; ils subissent des menaces et sont victimes de pression et d’actes d’intimidation de la part des autorités, a poursuivi l’ONG.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, un membre du Comité a fait part de son soutien à la femme du défenseur emprisonné au Kirghizistan, tout en s’enquérant des possibilités de grâce ou de libération pour motif humanitaire existantes dans le pays. Un expert a demandé si les persécutions à l’encontre des défenseurs des droits de l'homme étaient dues à leur travail ou à une discrimination raciale.
Quel regard la société civile porte-t-elle sur les mesures prises par l’État kirghize pour prévenir les conflits interethniques, a demandé un expert ?
Un autre expert a souhaité en savoir davantage sur la possibilité de retrait de la citoyenneté kirghize dans le cadre de la législation antiterroriste. Il s’est en outre enquis des droits des travailleurs migrants, notamment pour ce qui est de l’accès à la santé et à l’éducation.
Une experte s’est enquise des discours de haine propagés par les autorités ou par des représentants politiques.
En réponse à ces questions, une représentante de la société civile a expliqué qu’il existe certes des mécanismes de prévention de la violence interethnique, mais qu’ils ne fonctionnent pas car le pays n’a pas assez d’argent pour les mettre en œuvre correctement. Les minorités ne savent pas à qui s’adresser et les structures ne leur permettent pas de s’exprimer dans leur langue, a-t-elle ajouté, déplorant que le médiateur ne prenne aucune mesure dans ce domaine. Elle a indiqué que la société civile menait un vaste travail de plaidoyer pour empêcher l’adoption de la loi sur le terrorisme, qui permettrait de retirer la citoyenneté à certains individus. La loi prévoit des conditions de détention très sévères pour les personnes condamnées pour terrorisme, a-t-elle souligné. Les organisations qui s’occupent de la défense des minorités ethniques sont régulièrement stigmatisées sur les réseaux sociaux et dans les médias, a-t-elle ajouté.
Une autre représentante de la société civile a expliqué que les défenseurs des droits de l’homme sont emprisonnés en raison de leur travail mais aussi par discrimination raciale, car beaucoup sont Ouzbeks. Elle a par ailleurs souligné qu’il y avait un problème de discrimination à l’encontre des Ouïgours en provenance de Chine. Elle a dénoncé la politique du « tout kirghize » menée par les autorités kirghizes au détriment des minorités.
Un représentant de la société civile a attiré l’attention sur la sous-représentation des Ouzbeks dans tous les domaines de la société kirghize, notamment au sein du pouvoir judiciaire, alors même que dans certaines régions du pays, les membres de cette communauté représentent plus de la moitié de la population.
S'agissant du Pérou
Center for Black Peruvian Women a expliqué que la population afro-péruvienne n’était pas reconnue par la Constitution du Pérou et souffrait de discriminations structurelles en raison de sa pauvreté extrême. Seuls 3,38% des Afro-péruviens terminent leurs études et la situation est encore pire et s’aggrave pour les femmes afro-péruviennes. Certains médias ne font que perpétuer et légitimer la discrimination à l’encontre de ces personnes en usant de stéréotypes. Les Afro-péruviens doivent être reconnus dans la Constitution, a insisté l’ONG. Il faut en outre mettre en place des normes de protection pour les victimes de discrimination raciale, a-t-elle ajouté. Tout appel à la violence ou à la discrimination à l’encontre de la population afro-péruvienne doit être sanctionné dans ce pays, a insisté l’ONG. La représentation politique des Afro-péruviens doit par ailleurs être garantie en mettant en place des quotas, a-t-elle ajouté. Quant aux écoles, elles doivent être améliorées pour assurer une instruction de qualité, a conclu l’ONG.
La représentante de CEDEMUNEP a souligné qu’elle avait été victime de discrimination raciale dans l’entreprise où elle travaille et qu’elle avait porté plainte en justice. Elle a expliqué avoir trouvé difficilement un avocat pour la défendre. Dans la pratique, le Pérou ne lutte pas contre les discriminations raciales, a-t-elle insisté, déplorant qu’il ne soit pas suffisamment accordé d’importance à ces faits et que le système judiciaire au Pérou soit trop faible pour lutter contre la discrimination raciale. Revenant à son cas particulier, elle a précisé qu’en première instance, le responsable de l’entreprise et le responsable des ressources humaines ont été condamnés ; mais l’affaire est encore en suspens car les deux condamnés ont fait appel de cette sentence. L’intervenante a déploré n’avoir pas pu récupérer son poste, ni reçu aucune indemnisation pour les faits subis. Le Comité doit recommander au Pérou de veiller à ce que les citoyens puissent porter plainte et obtenir justice rapidement.
Centro de Culturas Indígenas del Peru a regretté que les autorités péruviennes n’aient pas respecté les recommandations du Comité concernant les modifications à apporter au code de déontologie des médias, notamment pour ce qui est de la question des stéréotypes à l’encontre des minorités. Les médias continuent en effet de diffuser des stéréotypes concernant les personnes autochtones et les personnes d’ascendance africaine. Les stéréotypes persistent et sont enracinés dans la société, a insisté l’ONG. Le Comité doit inviter le Pérou à inclure dans les programmes d’enseignement la question du racisme et de la discrimination raciale. Le pays devrait aussi prévoir des formations à l’intention des fonctionnaires dans ce domaine.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi ces présentations, un membre du Comité s’est enquis des mesures prises par les autorités pour comptabiliser les personnes afro-péruviennes à l’occasion du prochain recensement de la population.
Un expert s’est enquis des éventuels progrès enregistrés dans l’octroi d’un statut constitutionnel aux différents groupes ethniques vivant au Pérou. Quel est le sentiment de la société civile face aux rapports qui font état de graves violences à l’encontre des femmes, notamment autochtones, au Pérou, a-t-il demandé ?
Un expert a souhaité en savoir davantage sur la question de la propriété de la terre pour les personnes autochtones et d’ascendance africaine au Pérou.
Quelles mesures seraient efficaces pour davantage protéger les défenseurs des droits de l’homme dans le pays, a demandé un autre expert ?
En réponse à ces questions, une représentante de la société civile a expliqué que les organisations de la société civile avaient beaucoup travaillé sur la question de l’auto-identification – primordiale – des populations afro-péruviennes. Il est essentiel de pouvoir disposer de données administratives fiables sur cette question, afin d’être en mesure de se rendre compte des réalités, notamment dans les domaines de la santé et du logement. Il existe certes des politiques publiques concernant les populations autochtones, mais elles ne sont pas suffisamment appliquées ou ne sont pas assorties de ressources suffisantes pour permettre leur mise en œuvre correcte. Il y a une volonté de faire, mais dans la pratique, subsistent de nombreuses difficultés pour relever les défis liés aux populations autochtones, a insisté l’intervenante. Quant aux programmes scolaires, ils ne mentionnent pas les Afro-péruviens, a-t-elle regretté, faisant observer que pour les autorités péruviennes, il s’agit d’une population sans Histoire.
Une autre représentante de la société civile a fait observer que la loi antidiscriminatoire n’était absolument pas adaptée à la situation spécifique des discriminations que subissent les populations autochtones, faute de quoi il est impossible pour ces populations d’obtenir justice dans les cas de discrimination raciale.
Selon les critères actuellement en vigueur, a fait observer une ONG, est considérée comme autochtone une population qui vit dans la forêt ou qui n’a aucun contact avec la société extérieure ; or, cette définition est beaucoup trop restrictive, a estimé cette ONG.
S'agissant de l’Arabie saoudite
Americans for Democracy & Human Rights in Bahrain a expliqué que les normes en Arabie saoudite permettent encore les discriminations à l’encontre des minorités et des migrants. Les travailleurs migrants dépendent totalement de « parrains » qui ont le pouvoir d’annuler les visas de travail à tout moment. Les Arabes ou les Saoudiens d’ascendance africaine sont victimes de nombreuses discriminations, notamment dans le domaine de l’emploi ou du logement. Beaucoup sont employés comme travailleurs domestiques ou victimes de violences sexuelles. Le système de la kafala ne leur permet pas d’être libre de leur mouvement ou de se libérer de leur patron. L’Arabie saoudite doit prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger les travailleurs migrants, a conclu l’ONG.
Dans le cadre du dialogue qui a suivi cette présentation, un membre du Comité a demandé si le nouveau chef de l’État était disposé à prendre des mesures pour lutter contre le racisme.
Une experte s’est enquise de la législation régissant les travailleurs domestiques. Elle a voulu connaître le poids de la charia dans les décisions qui conduisent les migrants à être emprisonnés voire condamnés à mort. Cette même experte a voulu en savoir davantage sur la situation des minorités ethniques et religieuses en Arabie saoudite et sur les mesures qui étaient prises pour les intégrer dans la société. Elle a demandé si le système de kafala était véritablement aboli dans le pays.
Un expert a demandé des informations sur les étrangers condamnés à mort en Arabie saoudite et sur la situation des travailleurs migrants originaires du Qatar.
En réponse à ces questions, un représentant de la société civile a indiqué que si le chef de l’État saoudien s’est certes dit prêt à octroyer davantage de droits à la population saoudienne, notamment aux femmes, cette ouverture ne concerne pas les migrants. Les employeurs en Arabie saoudite profitent des lacunes juridiques pour utiliser les travailleurs migrants sans les rémunérer, poursuivi l’orateur. Les travailleurs migrants employés domestiques subissent des violations récurrentes de leurs droits, a-t-il insisté. Quant au recours à la charia, il laisse beaucoup de marge de manœuvre aux juges en raison de son interprétation assez large. En juin 2017, des mesures ont été prises pour obliger les travailleurs du Qatar à quitter l’Arabie saoudite en moins de 48 heures, a par ailleurs rappelé l’intervenant.
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