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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité contre la torture examine le rapport de la Suisse

05 août 2015

4 août 2015

Le Comité contre la torture a examiné, hier matin et cet après-midi, le rapport présenté par la Suisse sur les mesures prises par le pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

Le rapport a été présenté par M. Bernardo Stadelmann, Vice-Directeur de l'Office fédéral de la justice, dépendant du Département fédéral de justice et police. Le chef de la délégation suisse a souligné l'engagement sans relâche de la Suisse dans la lutte contre la torture et les mauvais traitements au niveau international, comme en témoigne notamment son rôle moteur dans l'élaboration de l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus. Sur le plan national, le Centre suisse de compétence pour les droits humains s'est montré très actif depuis sa création en 2011, étant à l'origine de nombreuses publications sur des domaines couverts par la Convention, notamment un état des lieux complet des mécanismes créés par la Confédération et les cantons pour permettre de dénoncer des mauvais traitements de la part de la police. S'agissant du renvoi d'étrangers criminels, M. Stadelmann a précisé que le juge peut renoncer à une expulsion si cette mesure met l'étranger dans une situation personnelle grave et si les intérêts publics ne l'emportent pas sur les intérêts de l'étranger.

La délégation suisse était également composée de plusieurs chefs de service et experts du Département fédéral (ministère) de justice et police, de deux représentants du Département fédéral des affaires étrangères ainsi que du chef de la police du canton de Genève, Mme Monica Bonfanti. Elle a répondu aux questions et observations des experts du Comité s'agissant en particulier des conditions de la détention administrative des demandeurs d'asile et de leur renvoi vers des États tiers; des mesures prises pour améliorer les conditions de détention dans les prisons, notamment la réduction de la surpopulation carcérale; de l'indépendance et de l'efficacité des enquêtes menées sur les allégations de violences policières; et de l'intention de la Suisse d'intégrer à son code pénal une définition de la torture conforme à celle donnée par la Convention.

Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, M. Abdoulaye Gaye, a mis en garde contre l'utilisation par la police fédérale suisse de méthodes d'interrogation ayant recours à des pressions psychologiques, estimant que ce type d'actes pourrait être assimilé, au titre de l'article 1er de la Convention, à des tortures mentales. Le rapporteur a suggéré par ailleurs que la Suisse se dote rapidement d'une commission nationale des droits de l'homme conforme aux principes de Paris, ainsi que d'une autorité indépendante qui serait chargée d'enquêter sur les allégations de violences policières. La corapporteuse, Mme Sapana Pradhan-Malla, a fait état de rapports concordants selon lesquels les conditions de détention sont insatisfaisantes dans plusieurs établissements, notamment dans la prison genevoise de Champ-Dollon, qui est surpeuplée. L'experte a aussi relevé des lacunes dans la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques.

Le Comité a ainsi achevé l'examen des rapports des trois pays – Slovaquie, Iraq et Suisse – qui figuraient à l'ordre du jour de la présente session. Il adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur les rapports de chacun de ces pays, qu'il rendra publiques à la fin de la session, le vendredi 14 août.


À sa prochaine séance publique, le mercredi 12 août à 15 heures, le Comité se penchera sur la suite donnée par les États parties aux observations finales et recommandations que leur a adressées le Comité. Il se penchera en outre sur le suivi de la question des représailles exercées contre des personnes qui coopèrent avec le Comité.

Présentation du rapport

Le Comité est saisi du rapport initial de la Suisse (CAT/C/CHE/7), qui comporte notamment des réponses à la liste de points à traiter que lui a adressée le Comité avant la rédaction du rapport (CAT/C/CHE/Q/7).

M. BERNARDO STADELMANN, Vice-Directeur de l'Office fédéral de la justice, Département fédéral de justice et police, a affirmé d'emblée que la Suisse ne tolérait aucun acte de torture ou de maltraitance. S'agissant des faits nouveaux intervenus depuis la soumission du précédent rapport de la Suisse, en mai 2014, le chef de la délégation a notamment expliqué qu'au plan international, la Suisse participait activement à l'élaboration du manuel de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime sur l'usage de la violence par la police et les agents de sécurité. Elle s'est aussi engagée dans la révision de l'Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus («règles Mandela»), adoptée en mai 2015. Le rôle moteur de la Suisse dans l'élaboration de ces documents démontre sa volonté de s'engager sans relâche pour la lutte contre la torture et les mauvais traitements au niveau international, a fait valoir M. Stadelmann.

Sur le plan national, M. Stadelmann a indiqué que le Centre suisse de compétence pour les droits humains s'est montré très actif depuis sa création en 2011. Il a été à l'origine de nombreuses publications sur des domaines couverts par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, notamment un Manuel de droit suisse des migrations (décembre 2014) destiné aux praticiens; ou encore une étude intitulée La protection juridique contre les abus de la part de la police (juin 2014), qui est un état des lieux complet des mécanismes créés par la Confédération et les cantons pour permettre aux personnes de dénoncer des mauvais traitements dont elles auraient été victimes de la part de la police. Ces documents sont disponibles gratuitement en allemand et en français, ce qui leur assure une large diffusion auprès des milieux intéressés, a souligné le chef de la délégation.

Le Centre suisse de compétence pour les droits humains ayant largement fait ses preuves, le Conseil fédéral a décidé de prolonger ses activités par une décision du 1er juillet 2015. L'exécutif a aussi chargé l'administration d'élaborer des modèles d'institution nationale de droits humains en Suisse et se prononcera sur ces modèles à la fin de l'année. M. Stadelmann a précisé que le Centre suisse de compétence poursuivrait ses activités jusqu'à la création d'une telle institution ou pour cinq ans au maximum.

S'agissant du renvoi d'étrangers criminels, le Parlement a décidé que l'expulsion automatique ne concernerait que les personnes coupables de crimes, et ce pour une durée de 5 à 15 ans. Le Parlement a cependant prévu, dans une loi adoptée le 20 mars dernier, une disposition permettant au juge de renoncer à une expulsion si cette mesure met l'étranger dans une situation personnelle grave et si les intérêts publics ne l'emportent pas sur les intérêts de l'étranger. Cette marge de manœuvre laissée au juge permet dès lors de confirmer qu'il lui appartiendra de se prononcer, dans chaque cas concret, sur l'articulation entre le droit national et international. Le Tribunal fédéral a, à ce propos, réaffirmé le principe de primauté du droit international dans une décision concernant le renvoi d'un criminel étranger, a indiqué M. Stadelmann.

En matière d'asile, le Conseil fédéral a adopté un message visant à accélérer les procédures de modification de la loi et faire en sorte que la majorité d'entre elles aboutissent à une décision exécutoire. Parallèlement, pour garantir une procédure équitable, le projet de modification octroie aux requérants le droit de se faire conseiller et représenter gratuitement, a souligné le chef de la délégation suisse. Il a précisé que la défense des intérêts des mineurs non accompagnés était assurée aussi longtemps que dure la procédure dans un centre de la Confédération ou à l'aéroport, par un représentant légal agissant en qualité de personne de confiance.

S'agissant de la question du refoulement de demandeurs d'asile, la délégation a notamment expliqué que la Suisse avait obtenu de l'Italie les garanties nécessaires dans chaque cas où une famille devrait être renvoyée dans ce pays. Dans le cas de la famille afghane dont la plainte avait été à l'origine d'un arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme, la Suisse avait déjà recueilli ces garanties en 2014: la famille est retournée en Italie où elle vit désormais dans un logement adapté aux enfants, a conclu M. Stadelmann.

Examen du rapport

Questions et observations des membres du Comité

M. ABDOULAYE GAYE, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport de la Suisse, a fait état d'une divergence entre la Suisse et le Comité au sujet de l'adoption, dans le code pénal de ce pays, d'une définition de la torture qui corresponde à celle de l'article premier de la Convention et qui soit accompagnée de peines adaptées à la gravité des crimes commis. L'absence d'une telle référence préoccupe le Comité: le risque est l'application hasardeuse des principes par une interprétation dépendant de la seule autorité compétente. Cette lacune empêche d'autre part la Suisse de tenir compte de la torture mentale, qui est un aspect important du problème: plusieurs témoignages de ressortissants kurdes, yéménites ou égyptiens parvenus au Comité font état d'un recours par la police fédérale à des méthodes d'interrogation mettant en jeu des pressions mentales. Ce type d'actes pourrait être assimilé, au titre de l'article premier de la Convention, à des tortures mentales, un point de vue partagé par des organisations suisses de lutte contre la torture.

Le rapporteur a par ailleurs suggéré que la Suisse se dote sans délai d'une commission nationale des droits de l'homme, indépendante et conforme aux principes de Paris. Il a d'autre part souligné que l'impunité des auteurs d'actes de torture ne peut que favoriser de tels actes. Or, l'examen des statistiques oblige à mettre en cause l'efficacité du système suisse destiné à décourager les actes susceptibles de constituer des actes de torture. Par exemple, cinq plaintes pour mauvais traitements ou abus d'autorité ont été déposées dans le canton de Vaud en 2013, mais aucun chiffre n'est disponible pour les années précédentes; à Genève, 21 plaintes ont été déposées contre la police pour usage excessif de la force, mais aucune n'a donné lieu à une condamnation. La Cour européenne des droits de l'homme a condamné la Suisse en 2013 pour défaut d'enquête et traitement inhumain et dégradant, a noté M. Gaye. Le rapporteur a, à ce propos, rappelé les recommandations antérieures du Comité portant sur la création d'une autorité indépendante qui serait chargée d'enquêter sur les allégations contre la police.

S'agissant de la violence contre les femmes, l'expert a voulu savoir pourquoi la loi suisse ne prévoyait pas de poursuites d'office pour coups et blessures volontaires ou ayant entraîné des lésions corporelles importantes. Le rapporteur a constaté avec satisfaction que les femmes migrantes victimes de violence de la part de leur conjoint suisse peuvent bénéficier, en vertu de la loi, de mesures de protection. Mais les conditions de preuve à réunir pour bénéficier concrètement des dispositions de cette loi semblent excessivement dures, a estimé M. Gaye.

Le rapporteur s'est ensuite interrogé sur la brièveté des délais de recours contre une décision de refus d'entrée en Suisse prononcée aux frontières, et sur la raison pour laquelle ces recours n'ont pas d'effet suspensif. M. Gaye a voulu savoir quelle était la limite imposée à la prolongation de la détention administrative des étrangers. Il a noté que la société civile dénonce souvent la détention systématique de migrants par certains cantons. Un examen de la loi suisse montre qu'il existe un nombre très important de motifs de détention administrative de migrants, au point de donner le sentiment général qu'il n'y a pas de différence, dans le régime carcéral, entre cette forme de détention et la prison. Or, on ne peut traiter de la même manière un migrant en infraction de la loi sur les étrangers et une personne condamnée au pénal, a souligné M. Gaye. Des questions se posent aussi sur le régime particulièrement strict des centres d'enregistrement et de traitement des demandeurs d'asile. Dans certains cas, ce régime se rapproche de la semi-liberté, a relevé l'expert. Les requérants d'asile devraient bénéficier d'un conseil juridique dès le début de la procédure les concernant, plutôt qu'au seul stade des recours, a souligné le rapporteur.

Enfin, M. Gaye a été frappé par la croyance exprimée dans le rapport selon laquelle les «assurances diplomatiques» pourraient constituer des garanties suffisantes contre des actes de torture sur des personnes extradées par la Suisse. M. Gaye a relevé que de nombreuses critiques portent sur les méthodes d'investigation des dossiers et sur l'évaluation des situations dans les pays de destination. Les critiques se fondent sur des erreurs commises dans le renvoi de personnes vers Sri Lanka, où deux personnes ont été torturées après leur expulsion de Suisse. L'une d'entre elles a par la suite été autorisée à revenir en Suisse, un revirement qui montre bien qu'il existe un problème d'évaluation, a estimé M. Gaye.

MME SAPANA PRADHAN-MALLA, corapporteuse pour l'examen du rapport de la Suisse, a pris acte des efforts du pays dans le domaine de la formation des policiers et des gardiens de prison, demandant à la délégation de préciser si cette formation s'étendait aux avocats et aux procureurs, notamment. Mme Pradhan-Malla a souligné que, selon des organisations non gouvernementales, le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitement cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d'Istanbul) était largement inconnu en Suisse. Des rapports concordants indiquent que les conditions de détention sont insatisfaisantes dans plusieurs établissements, notamment dans la prison genevoise de Champ-Dollon. L'experte a demandé des précisions statistiques sur l'application de peines de substitution aux étrangers.

La corapporteuse a souligné que, selon des organisations non gouvernementales, le mécanisme de plainte contre les abus policiers n'était pas suffisamment indépendant. Mme Pradhan-Malla a aussi relevé des lacunes dans la prise en charge des personnes détenues souffrant de troubles psychiatriques. Elle a d'autre part demandé à la délégation de dire si la Suisse avait adopté une stratégie globale de lutte contre la traite des êtres humains, prévoyant notamment des mesures de protection des victimes et de sensibilisation de la police; et si la police procédait à un recensement des violences à caractère raciste.

Selon les organisations non gouvernementales suisses, les mineurs non accompagnés qui demandent l'asile en Suisse sont insuffisamment protégés et pris en charge par les autorités, a observé la corapporteuse. Elle a noté par ailleurs que les châtiments corporels ne sont pas explicitement interdits par la loi suisse. S'agissant de pratiques préjudiciables qui préoccupent également d'autres organes conventionnels, Mme Pradhan-Malla s'est dite inquiète de certaines opérations chirurgicales superflues pratiquées sur des enfants intersexués. Elle a, enfin, voulu savoir si les diplomates en poste à Genève peuvent être traduits en justice s'ils commettent des actes de torture ou des traitements inhumains ou dégradants.

Dans leurs questions et observations, d'autres membres du Comité ont voulu savoir comment la Suisse détectait ceux des mineurs migrants non accompagnés qui risquaient d'être victimes de la traite. S'agissant de l'asile, une experte a voulu savoir si la Suisse accordait un traitement particulier aux Érythréens requérants d'asile, étant donné leur importance numérique prépondérante. La délégation a été priée de préciser la nature des garanties juridiques exigées par la Suisse avant de renvoyer un étranger dans un pays tiers; et de dire quelles suites avaient été données aux différentes plaintes associées au renvoi de plus de 38 000 personnes sous contrainte depuis l'aéroport de Zurich entre 2009 et 2013.

Une experte a demandé à la délégation de préciser si la police suisse recevait une formation suffisante aux exigences légales dans le traitement des personnes détenues ou en contact avec la loi. Elle a noté que certains policiers avaient été amenés à intervenir de nuit et de manière masquée dans des centres pour requérants d'asile, une méthode que l'experte a estimée plus que troublante. L'experte a jugé grave, ou même criminelle, la pratique consistant à faire des injections calmantes à des personnes en instance d'expulsion. Elle a insisté sur la nécessité de préserver la dignité humaine en toute circonstance.

Un autre expert s'est interrogé sur les moyens financiers accordés au mécanisme suisse de prévention de la torture et sur la rapidité et l'efficacité des enquêtes menées au sujet des accusations pour violences policières. L'expert a voulu savoir si la Suisse prévoyait de créer un mécanisme indépendant d'examen de ces accusations. Un autre expert a souligné les nombreux retards qui émaillent les enquêtes sur les violences policières. Il a rapporté que plusieurs organisations non gouvernementales suggèrent que la Suisse crée une base de données recensant toutes les violences policières commises dans le pays.

Un expert a constaté que les conditions de détention varient en fonction des établissements. Le risque existe que les soins de santé ne soient pas toujours de qualité optimale, une situation imputable en partie au fait que les directives en la matière soient lacunaires. Le même expert a noté que si l'action du Conseil d'experts pour les questions de santé dans l'exécution des peines était certes louable, elle était néanmoins insuffisante dans la mesure où cet organe n'a pas de pouvoir décisionnaire.

Une experte s'est félicitée du rapport exemplaire de la Suisse et des contributions très importantes de ce pays à la protection contre la torture et les mauvais traitements. L'experte a voulu savoir si l'action du Centre suisse de compétence pour les droits humains avait déjà fait l'objet d'une évaluation indépendante et si la Suisse avait adopté des mécanismes pour garantir que les plaintes pour mauvais traitements contre des femmes aboutissent effectivement.

Le Président du Comité, s'est demandé pourquoi la Suisse n'envisageait toujours pas adopter une définition de la torture qui couvre de manière univoque les faits relevant objectivement de ce crime – même si on ne peut pas parler de tendance systématique dans ce domaine en Suisse. Le Président a demandé à la Suisse de fournir des statistiques sur le nombre de plaintes pour mauvais traitements ou recours excessif à la force de la part de la police et sur les décisions rendues par la justice à ce propos, en particulier les sanctions prises. Le Comité n'entend pas mettre en cause le principe de l'action policière, a précisé M. Grossman, seulement en corriger les abus.

Dans le cadre de questions complémentaires après les premières réponses de la délégation, le rapporteur a pris acte de la position de la Suisse s'agissant de la définition de la torture et de l'incrimination pénale de cet acte. M. Gaye a constaté, par ailleurs, que l'initiative populaire sur le renvoi des criminels étrangers s'était déjà concrétisée par un durcissement de la jurisprudence. Certes, le juge est indépendant pour apprécier telle ou telle situation et le risque de torture. Mais on constate une tendance inquiétante bien réelle, a noté M. Gaye.

Le rapporteur a par ailleurs relevé que les réponses de la délégation ne faisaient état d'aucune condamnation d'un policier pour des faits de violence. Or, la Cour européenne des droits de l'homme a effectivement condamné la Suisse pour de tels faits et pour défaut d'enquête. La question reste donc posée de l'efficacité des enquêtes sur les violences policières.

Revenant sur les questions relatives à l'asile, M. Gaye s'est interrogé sur les raisons de la forte baisse du taux d'acceptation des demandes d'asile entre 2010 et les années suivantes. Il a aussi demandé des précisions sur la surveillance des rapatriements forcés par voie maritime, une piste que la Suisse semble vouloir poursuivre.

La corapporteuse s'est pour sa part interrogée sur la méthode suivie par la Suisse pour coordonner l'action des différents niveaux de pouvoir dans la mise en œuvre de la Convention, après avoir constaté que la délégation était surtout composée de membres du pouvoir exécutif. Mme Pradhan-Malla a observé, d'autre part, que les autorités suisses restreignent la délivrance de permis de séjour si elles soupçonnent un mariage frauduleux. Mais n'existe-t-il pas d'autres moyens de lutter contre les mariages blancs, qui ne remettent pas en cause la protection qu'il faut accorder aux victimes de la violence domestique, s'est interrogée l'experte. Mme Pradhan-Malla a souligné que, du point de vue du Comité, les peines de prison à vie risquent d'aggraver l'état de santé de condamnés qui souffrent déjà de problèmes psychiatriques.

Une experte a relevé que d'autres organes conventionnels ont fait état explicitement de «violences» ou de «brutalités» commises par des policiers en Suisse, et non pas seulement d'actes inappropriés: la question se pose du contrôle véritablement indépendant de l'action policière. L'experte a souligné aussi que des membres de la société civile suisse ont condamné les conditions de détention et d'expulsion forcée des migrants en Suisse et depuis la Suisse. Certes, la Suisse témoigne d'une évolution positive dans ce domaine, mais des données statistiques devraient étayer les réponses du pays, a demandé l'experte.

Un autre expert a constaté que le code civil suisse, s'il incrimine les actes de torture, ne définit nulle part en quoi elle consiste précisément. Il a suggéré que la Suisse adopte une position plus nette à ce sujet et rejoigne, en adoptant une définition conforme à la Convention, le groupe des États à l'avant-garde de la lutte contre la torture. Le Président a précisé que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ratifié par la Suisse, utilise et définit la torture: par quel biais juridique interne la Suisse pourrait-elle poursuivre des actes de torture relevant de la Cour pénale internationale?

Un autre expert a recommandé à la Suisse d'organiser, au plan fédéral, un système complet de prise en charge des problèmes de santé rencontrés spécifiquement par les personnes détenues.

Le Président du Comité a aussi demandé à la délégation de dire au Comité si la Suisse rencontrait, du fait de sa structure fédérale, des difficultés particulières pour recueillir des statistiques. Il s'est dit d'autre part soulagé d'apprendre que les autorités suisses poursuivent d'office les auteurs de violences domestiques. M. Grossman a enfin demandé à la Suisse de dire comment elle pondérait les exigences de la lutte contre la traite des êtres humains et ses prérogatives d'État souverain en matière de séjour des étrangers.

Réponses de la délégation

Répondant aux observations du Comité s'agissant de la définition de la torture, la délégation a souligné que la torture est explicitement réprimée dans le code pénal, qui prévoit cinq ans de détention au moins. Tous les comportements visés par l'article 1 de la Convention sont réprimés par la loi suisse, de même que les abus d'autorité. Les complices et les instigateurs d'actes de torture sont également punissables. La création d'une norme pénale réprimant expressément la torture semble donc superflue.

Dans le cadre de la procédure pénale, la loi garantit l'accès à un avocat dès la première heure de l'arrestation et, dans le cas d'un étranger, le contact avec un représentant consulaire. La loi suisse garantit en outre à toute personne arrêtée le droit de consulter un médecin de son choix. Le code de procédure pénale interdit expressément certaines méthodes d'administration de la preuve, notamment la menace et tout moyen de limiter le libre arbitre de la personne. Les preuves récoltées de cette manière ne sont en aucun cas exploitables devant les tribunaux. Tout prévenu peut faire vérifier la régularité de la procédure le concernant en déposant une plainte auprès du juge.

Répondant à des questions et observations complémentaires des membres du Comité, la délégation a précisé que la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants – y compris la définition de la torture qui y figure – était applicable directement dans l'ordre juridique interne suisse. Le code pénal suisse définit la torture à son article 264 (f), dans le contexte restreint des crimes contre l'humanité.

Depuis 2004, les actes associés à la violence domestique sont poursuivis d'office: voie de fait, menace, contrainte, viol, contrainte sexuelle ou encore lésions corporelles graves. Une procédure pour mauvais traitement peut être classée avec l'accord tacite de la victime. Cette disposition a fait l'objet de critiques au Parlement. Une proposition de loi vise à obliger le ministère public à auditionner la victime avant de pouvoir classer une plainte.

La délégation a précisé que les autorités qui poursuivent des auteurs de violence conjugale doivent, pour évaluer la gravité des actes, se fonder sur la jurisprudence. Un tribunal peut ainsi estimer que des violences conjugales – bien réelles – n'atteignent pas un degré de gravité suffisant pour octroyer un permis de séjour à la victime.

En juin 2012, le Conseil fédéral a adopté un important rapport dont les principales constatations sont que les parents ne peuvent plus recourir librement au châtiment corporel. Les autorités ont cependant considéré qu'un changement durable dans ce domaine devrait passer par un accompagnement des familles plutôt que par l'application du code pénal. En l'état, les sanctions pour violence sur des enfants peuvent comprendre le retrait de l'autorité parentale.

S'agissant de l'intersexualité, la Commission nationale d'éthique a été chargée de faire un rapport sur l'attitude à adopter face aux variations du développement sexuel. La Commission a dressé une liste de recommandations médicales et éthiques sont le Conseil fédéral s'est saisi: l'exécutif décidera d'ici à la fin de l'année des mesures à prendre.

La jurisprudence consacrant la primauté du droit international sur le droit suisse est bien établie, a assuré la délégation.

La peine de prison à vie est exceptionnelle, réservée aux crimes les plus graves. Cette décision peut être contestée jusque devant la Cour européenne des droits de l'homme. Une libération conditionnelle peut être envisagée après 15 ans de détention.

S'agissant des conditions de détention, la délégation a relevé que l'égalité du traitement médical est garantie dans les prisons. Certes, il n'existe pas de système national de prise en charge sanitaire. Mais l'ensemble des mesures existantes conduit à une prise en charge médicale équivalente et professionnelle, a assuré la délégation. Le suivi psychiatrique des détenus est parfois difficile, compte tenu de la dangerosité de certains patients. Cependant, dans chaque cas individuel, tout est fait pour améliorer la santé individuelle des personnes concernées.

Plusieurs cantons envisagent par ailleurs de construire des établissements réservés à la détention administrative. Toutefois, s'agissant de ce type de détention, les autorités doivent tenir compte des intérêts de nombreux intervenants, y compris les cantons, et des impératifs de protection auxquels les ministères publics sont soumis, a noté la délégation.

Mme Monica Bonfanti, chef de la police genevoise, a précisé que les plaintes contre la police sont déposées devant le ministère public, organe judiciaire indépendant de l'exécutif. Le ministère public peut décider de classer la plainte, décision qui peut être soumise à recours. S'il donne suite, le ministère public peut confier l'affaire à la chambre pénale qui convoquera toutes les parties en cause. Toutes les décisions prises sur la plainte peuvent faire l'objet de recours. Les justiciables peuvent bénéficier d'une aide juridique. Les plaintes pénales déposées à Genève contre la police sont traitées directement par le procureur général. Les enquêtes sont confiées à l'inspection générale des services, qui n'est pas subordonnée à la police. Mais d'autres mesures sont prévues pour garantir un comportement professionnel des policiers, a indiqué Mme Bonfanti. D'abord, la police impose des exigences de moralité sévères à ceux qui postulent pour entrer dans ses rangs. Les candidats suivent un enseignement poussé en éthique et déontologie policières. Les policiers, de même que les magistrats, suivent ensuite des formations continues qui détermineront leur évolution professionnelle. En 2014, 75 plaintes ont été déposées contre des policiers genevois, dont 22 cas concernaient des abus de contrainte. Vingt-neuf sanctions disciplinaires ont été prononcées – un chiffre à rapporter aux 450 000 appels reçus et aux 82 000 interventions effectuées, a précisé le chef de la police genevoise. Ce corps s'est doté, en 2007, d'un commissariat à la déontologie. Le problème des violences policières n'est plus tabou pour l'institution, a assuré Mme Bonfanti. Il importe dans ce contexte que chaque commandant de police s'engage sans équivoque dans ce domaine. Les commandants de police étudient la possibilité de poser des caméras embarquées, de manière à identifier objectivement les faits litigieux.

Répondant à des questions complémentaires au sujet des violences policières, le chef de la police genevoise a assuré qu'il était faux de dire qu'aucun policier n'est jamais condamné pour des faits de violence. Les procédures dirigées contre la police aboutissent bel et bien dans certains cas, a assuré Mme Bonfanti, ajoutant que ces procédures donnent lieu parfois à des licenciements. Elle a précisé que les commandants de police n'attendent pas le résultat des plaintes pour lutter contre les violences policières. À l'heure actuelle, les autorités fédérales ne veulent pas instituer de tribunaux spécialisés dans le traitement des policiers, ce qui explique que les plaintes soient traitées de la manière décrite. Un autre membre de la délégation a tenu à préciser que la Cour européenne des droits de l'homme n'avait pas condamné la Suisse pour défaut d'enquête dans un cas de violence policière, mais pour la méthode d'enquête employée.

La Suisse s'inscrit dans le courant de pensée qui entend faire de la prostitution une activité réglementée au plan administratif, dont les acteurs sont protégés par les dispositions de la Constitution relatives à la liberté économique.

L'évaluation des demandes d'asile commence par une évaluation de la situation personnelle du requérant. En cas d'évaluation négative, les autorités évaluent la possibilité de renvoyer la personne dans son pays d'origine, après une évaluation de la situation dans ce pays. La Suisse procède, à ce propos, à des échanges d'information extensifs avec les pays de l'Union européenne et avec le Haut-Commissariat des Nations Unies aux réfugiés.

En 2013, deux requérants d'asile déboutés par la Suisse ont en effet été arrêtés à leur retour à Sri Lanka, a confirmé la délégation. Les autorités suisses ont immédiatement interrompu les renvois vers ce pays et procédé à une révision complète de la pratique à cet égard. De fait, pratiquement tous les requérants sri lankais peuvent actuellement rester en Suisse, vu la situation des droits de l'homme dans leur pays. Les autorités italiennes fournissent à la Suisse des garanties individuelles s'agissant du renvoi de familles de requérants d'asile. Mais il n'appartient pas à la Suisse de se prononcer sur la pertinence de ces garanties, qui sont données par un État souverain, a souligné la délégation. Les requérants en provenance de l'Érythrée peuvent obtenir un statut de réfugié s'ils ont fui le service militaire dans ce pays. L'importante diaspora érythréenne déjà installée en Suisse explique le grand nombre de requérants en provenance de ce pays.

Les migrants mineurs non accompagnés sont entendus à deux reprises, une première fois de manière sommaire et une nouvelle fois de manière plus approfondie. Depuis le 1er juillet dernier, le règlement européen en la matière est entré en vigueur; des personnes de confiance doivent désormais assister à tous ces entretiens. La délégation a indiqué que 85% des mineurs concernés sont théoriquement âgés de 15 à 18 ans. Mais les autorités savent qu'une majorité des cas ne concerne pas réellement des mineurs. La disparition de requérants pendant une procédure est un phénomène connu, qui a plusieurs raisons, notamment le regroupement familial dans un autre pays ou la volonté de se soustraire à un transfert au titre des règlements de Dublin.

La délégation a précisé que les centres de traitement des requérants d'asile ne sont pas des établissements de détention. Les règlements n'ont d'autre objectif que de garantir la qualité de vie et la sécurité dans ces centres. Leurs pensionnaires doivent respecter des heures de sortie; ils peuvent quitter les lieux dès lors qu'ils renoncent à déposer une demande d'asile. La durée maximale de la détention administrative des adultes - 18 mois - est conforme aux directives européennes, mais rarement appliquée dans toute son étendue, et plus rarement encore aux mineurs. Les conditions de la détention administrative peuvent varier d'un canton à l'autre, a admis la délégation, relevant que certains petits cantons ne disposent pas d'établissements différenciés. La Confédération peut octroyer des subventions aux cantons pour qu'ils garantissent des conditions distinctes aux personnes soumises à une détention administrative.

S'agissant du rapatriement des personnes expulsées par «vol spécial», la Confédération fait appel aux services d'une société privée, a confirmé la délégation. Dans ce contexte, le médecin qui accompagne la personne expulsée peut seul décider de l'opportunité de lui administrer des médicaments (calmants), un acte qui doit toujours être justifié par des raisons de santé. En principe également, l'expulsion se fait sans immobilisation forcée. Il n'est cependant pas possible de renoncer d'emblée aux liens, a constaté la délégation, ce qui irait contre l'objectif qui est le renvoi sécurisé de personnes pouvant présenter un danger pour elles ou pour autrui. La délégation a par la suite précisé que les mineurs soumis à une procédure d'expulsion forcée ne peuvent être menottés que dans des cas très exceptionnels. La délégation a indiqué que la loi suisse ne prévoit de contrôle des renvois que dans le cas d'expulsion par vol spécial.

La Suisse participe déjà aux «vols Frontex» et se conforme aux dispositions régissant ces vols de rapatriement, notamment la présence de médecins et d'observateurs. La Suisse a procédé à un rapatriement par voie maritime dans le cadre d'un projet pilote mené avec le pays de destination; l'accompagnement médical était garanti. S'agissant du décès accidentel de deux personnes lors de leur rapatriement, la délégation a précisé que la Suisse avait, dans un cas, octroyé un montant de 50 000 francs à titre de geste humanitaire, sans préjudice d'une indemnisation ordonnée par un tribunal civil ou pénal; et, dans l'autre cas, pris en charge les frais de rapatriement du corps au Nigéria, pour un montant de 13 000 francs suisses.

S'agissant de la lutte contre la traite des êtres humains, les tribunaux suisses prononcent chaque année entre 10 et 15 condamnations, auxquelles s'ajoutent de 15 à 20 condamnations pour encouragement à la prostitution. La répression de ce crime dépend dans une grande mesure de la capacité des autorités à obtenir le témoignage des victimes, lequel est loin d'être acquis, a souligné la délégation. La Suisse dispose aussi d'un cadre législatif très strict contre la traite à des fins de transplantation d'organes, un problème auquel le pays ne semble pas confronté, a déclaré la délégation.

Le Centre suisse de compétence en matière de droits humains a été évalué sous l'égide d'un comité de conduite chargé de tirer un bilan impartial, qui servirait de fondement à la création d'une institution permanente. Le comité était composé de représentants du Gouvernement fédéral et de la société civile, notamment. Selon les résultats de cette évaluation, la qualité des travaux du Centre a été jugée bonne à très bonne. Mais le Centre n'a pu remplir toutes les tâches prévues, en particulier parce qu'il ne peut agir entièrement de sa propre initiative. Mais le plus grand problème est le manque d'indépendance formelle du Centre. Sur cette base, le Conseil fédéral a reconduit le projet pilote pour cinq ans au maximum. D'ici à la fin 2015, il décidera de l'opportunité de créer une institution permanente, et sous quelle forme.

Les autorités fédérales veillent à l'application sur l'ensemble du territoire suisse de l'application des obligations de la Suisse au titre des instruments internationaux. Les départements compétents se chargent de coordonner auprès des cantons la collecte des informations nécessaires à la rédaction des rapports qui seront présentés aux organes conventionnels.

L'Office fédéral de la statistique gère la collecte systématique des données avec les cantons; d'autres recensements sont organisés ponctuellement en fonction des besoins. La Suisse rencontre dans ce domaine les mêmes difficultés que d'autres États s'agissant en particulier de la cohérence des données. Les cantons établissent leurs propres statistiques sur les violences policières, qu'il est aisé de compiler à des fins d'analyse.

Après trois ans de mariage, a expliqué la délégation en réponse à d'autres questions, l'autorisation de séjour du conjoint étranger est prolongée automatiquement.

L'administration de la santé – y compris en milieu carcéral – relève de la compétence des cantons et non de l'exécutif fédéral, a confirmé la délégation. Mais la Confédération a l'intention d'édicter des directives dans ce domaine, sans qu'il soit encore possible de dire à quelle échéance.

La délégation a indiqué qu'elle fournirait par écrit des réponses aux questions du Comité au sujet de la lutte contre la traite des êtres humains.

Conclusion

M. STADELMANN, a réaffirmé la tolérance zéro de son gouvernement contre tout acte de torture ou de maltraitance. La Suisse est consciente des défis pointés par les membres du Comité. Elle a créé une Commission nationale de prévention de la torture, une structure permanente capable de détecter les lacunes dans l'application de la Convention.

Le chef de la délégation suisse s'est félicité de la nouvelle méthode choisie par le Comité pour examiner les rapports des pays, qui permet à ces derniers de comprendre très rapidement quelles sont les préoccupations des experts.

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