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Communiqués de presse Conseil des droits de l’homme

Le Conseil des droits de l'homme tient une réunion-débat sur le droit à la vie privée à l'ère du numérique

12 Septembre 2014

Conseil des droits de l'homme
MATIN

12 septembre 2014

Le Conseil des droits de l'homme a tenu ce matin une réunion-débat sur le droit à la vie privée à l'ère du numérique.  Mme Flavia Pansieri, Haut-Commissaire adjointe aux droits de l'homme, a ouvert le débat en présentant un rapport du Haut-Commissariat sur la question, préparé à la demande de l'Assemblée générale des Nations Unies. 

Mme Pansieri a notamment souligné que l'ère du numérique est celle de l'émancipation et du plus grand mouvement de libération que le monde ait jamais connu.  Cependant, les communications sont vulnérables à la surveillance, à l'interception et au recueil de données, autant de pratiques qui affectent le droit à la vie privée, à la liberté d'expression, d'opinion et de réunion, et qui révèlent une absence de législation nationale appropriée.  Elle a toutefois reconnu que la surveillance électronique des communications peut être légitime du point de vue du maintien de l'ordre et de la sécurité, à la condition expresse que cela se fasse dans le respect du droit.

La réunion, animée par M. Marko Milanovic, Professeur à l'Université de Nottingham, comptait avec la participation de Mme Carly Nyst, Directrice juridique à Privacy International; de Mme Catalina Botero, Rapporteuse spéciale sur la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits de l'homme; de Mme Sarah Cleveland, Professeur à la Columbia Law School; et de M. Yves Nissim, Directeur adjoint, responsabilité sociale de l'entreprise chez Orange.

Mme Nyst a insisté sur le fait que le droit à la vie privée, notamment à la communication privée, a été reconnu dans de nombreux instruments juridiques internationaux, dont le Pacte international sur les droits civils et politiques.  Le défi aujourd'hui est de le défendre dans le contexte des technologies nouvelles et de contraindre les États à respecter ce droit.  Par ailleurs il faut tout autant protéger le contenu des communications que d'autres données les concernant, telles que le lieu et l'heure d'origine.   Mme Botero a précisé que la collecte des données privées n'est pas en soi une violation des droits de l'homme, mais elle le devient lorsqu'elle est effectuée de manière systématique et à l'insu des personnes concernées; la surveillance électronique exige le respect des critères de protection de la vie privée, à savoir la proportionnalité, la légalité, la légitimité et le caractère de nécessité absolue.  Mme Clevaland a ajouté que les mesures de surveillance et d'écoutes doivent disposer de garanties juridiques, de moyens de contrôle et de recours efficaces.  Quant à M. Nissim, il a insisté sur le fait qu'en raison de leur dépendance aux lois locales, les entreprises de télécommunications sont très souvent amenées à violer les droits de l'homme contre leur gré.  Il revient aux États d'agir avec plus de transparence, en amont et en aval.

Au cours du débat qui a suivi, les délégations* ont rappelé que le droit à la protection de la vie privée est indérogeable et qu'il s'applique à tout État qui exercerait son pouvoir en matière d'écoutes et de surveillance des communications, y compris en dehors de son propre territoire.  Ce principe a été rappelé dans la résolution 68/167 de l'Assemblée générale.  Cependant, si la surveillance numérique et la collecte d'informations personnelles peuvent s'avérer nécessaires, elle doit être proportionnée, équitable et se conformer au droit international et à l'état de droit.  Des délégations ont en outre souligné que la plupart des télécommunications transitent par un seul pays, qui abrite la majeure partie des infrastructures de l'Internet.  Cette situation est d'autant plus préoccupante que ce même pays est au centre des écoutes mondiales illégales.  Dans ce contexte, la communauté internationale doit prendre des mesures pour protéger les citoyens face à la violation de leur droit à la vie privée, notamment en créant un mécanisme de gouvernance mondiale de l'Internet.  Des délégations ont pour leur part déclaré qu'il fallait trouver un équilibre entre droit à la vie privée et nécessités en matière de sécurité nationale, tandis que d'autres ont présenté les mesures prises par leur gouvernement pour protéger la vie privée de leurs citoyens.

 

Le Conseil des droits de l'homme reprend à la mi-journée ses débats interactifs entamés mercredi après-midi avec le Rapporteur spécial chargé de la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition et avec le Groupe de travail sur les disparitions forcées.  Il portera ensuite son attention sur le rapport du Groupe de travail sur les disparitions forcées.

 

Réunion-débat sur le droit à la vie privée a l'ère du numérique

Déclarations liminaires

MME FLAVIA PANSIERI, Haut-Commissaire adjointe aux droits de l'homme, a noté qu'en très peu de temps, les technologies des communications numériques avaient révolutionné la façon d'interagir entre êtres humains.  «Pour des millions de gens, l'ère numérique est celle de l'émancipation et on pourrait même peut-être dire qu'il s'agit du plus grand mouvement de libération que le monde ait jamais connu», a-t-elle déclaré, citant l'exemple de la consultation menée au sujet des objectifs de développement pour l'après-2015 à laquelle ont participé plus d'un million de personnes.  Malheureusement, ces plateformes numériques sont vulnérables à la surveillance, à l'interception et au recueil de données – autant de pratiques qui affectent le droit à la vie privée, à la liberté d'expression, d'opinion et de réunion, a-t-elle fait observer.  De telles pratiques sont utilisées pour cibler des dissidents et on dispose d'indications selon lesquelles des technologies utilisées pour recueillir de l'information sont à l'origine de cas de torture et de mauvais traitement, a-t-elle insisté. 

Mme Pansieri a rappelé que dans sa résolution 68/167, l'Assemblée générale avait demandé au Haut-Commissariat de lui soumettre un rapport sur le droit à la vie privée à l'ère du numérique.  Ce rapport, qui est présenté au Conseil à la présente session, analyse les législations nationales et internationales et il apporte des éléments d'information recueillis auprès de nombreuses sources, dont les réponses à un questionnaire adressé aux parties concernées.  Ce rapport souligne que le droit international humanitaire fournit un cadre universel solide à la protection et la promotion du droit à la vie privée, y compris dans le cadre de la surveillance intérieure et extraterritoriale, l'interception des communications numériques et le recueil de données personnelles, a indiqué la Haut-Commissaire adjointe.  Pourtant, a-t-elle poursuivi, la pratique de nombreux États révèle une absence délibérée de législation nationale appropriée et de mise en œuvre, ainsi qu'une faiblesse des protections associées à la procédure et une inefficacité du contrôle y relatif.  Tout cela contribue à une impunité qui est monnaie courante en matière d'interférence arbitraire voire illicite dans le droit à la vie privée, a souligné Mme Pansieri.  Elle a toutefois rappelé que la surveillance électronique des communications pouvait être légitime du point de vue du maintien de l'ordre et de la sécurité, à la condition expresse toutefois que cela se fasse dans le respect du droit.

Par ailleurs, Mme Pansieri a abordé le rôle du secteur privé, les États faisant de plus en plus souvent appel à des sociétés privées pour réaliser et faciliter la surveillance numérique.  Si cela peut être tout à fait légitime, il y a des cas où cela se fait en violation des droits de l'homme, a relevé la Haut-Commissaire adjointe, avant de rappeler que les Principes directeurs relatifs aux activités du secteur privé, adoptés par le Conseil en 2011, fournissait un cadre mondial pour empêcher et régler les effets potentiellement négatifs sur les droits de l'homme des activités économiques. 

Le Conseil est saisi d'un rapport du Haut-Commissariat sur le droit à la vie privée à l'ère du numérique (A/HRC/27/37).  Le rapport est présenté conformément à la résolution 68/167 de l'Assemblée générale des Nations Unies priant le Haut-Commissaire de , porte sur «la protection lui présenter, ainsi qu'au Conseil, un rapport sur «la promotion du droit à la vie privée dans le contexte de la surveillance et de l’interception des communications numériques et de la collecte des données personnelles sur le territoire national et à l’extérieur, y compris à grande échelle», dans lequel il proposerait aux États Membres des vues et recommandations.

Exposés des panélistes

MME CARLY NYST, Directrice juridique à Privacy International, a déclaré que le droit à la vie privée est lié aux autres droits.  Sans vie privée, on se retrouve dans le monde décrit par Georges Orwell dans «1984», sans liberté personnelle ni d'opinion et sous étroite surveillance de l'État, a-t-elle souligné.  Or, le droit à la vie privée, notamment à la communication privée, a été reconnu dans de nombreux instruments juridiques internationaux, en particulier au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a rappelé Mme Nyst.  Le défi consiste aujourd'hui à défendre ce droit dans le contexte des technologies nouvelles et de contraindre les États à le respecter, a-t-elle indiqué.  Les outils existent pour ce faire, notamment la Déclaration universelle des droits de l'homme, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention américaine sur les droits de l'homme, la déclaration de l'ANASE sur les droits de l'homme ou encore la Convention de l'Union africaine sur la cybersécurité et la protection des données.

Mme Nyst a par ailleurs estimé que la distinction entre le contenu des communications et les données devait être abandonnée.  En effet, les données générées par les communications sont aussi précieuses que le contenu de ces communications elles-mêmes, a-t-elle expliqué.  Par exemple, s'agissant d'un courrier écrit, l'endroit, l'heure ou le timbre-poste acheté sont autant de données importantes que le contenu de la lettre elle-même. 

MME CATALINA BOTERO, Rapporteuse spéciale sur la liberté d'expression de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, a déclaré que la collecte des données privées n'est pas en soi une violation des droits de l'homme.  Elle le devient lorsqu'elle est effectuée de manière systématique et à l'insu des usagers.  C'est pour cela qu'il faut examiner les opérations de collectes de données et l'interception des communications dans le cadre du catalogue des droits de l'homme, tout en veillant à ce que la sécurité de tous soit assurée, a indiqué Mme Botero.   Mme Botero a ensuite fait observer que la surveillance exige une interprétation systématique des dispositions qui protègent le droit à la vie privée.  Pour qu'une surveillance soit légale, il faut qu'elle passe tous les critères de protection de la vie privée.  L'écoute, quant à elle, doit être proportionnée, légale, incluse dans une loi claire, légitime et disposant d'un critère de nécessité absolue, a souligné Mme Botero. 

MME SARAH CLEVALAND, Professeur à la Columbia Law School, a souligné que les citoyens ont bien entendu droit au respect de leur vie privée, ce que garantit, entre autres, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.  La juriste a par ailleurs déclaré que la surveillance en soi n'est pas source de violation des droits de l'homme, mais qu'elle doit respecter des principes de droits de l'homme, tel qu'établis dans les instruments juridiques existants.  La surveillance doit en outre être entourée de garanties juridiques, de moyens de contrôle et de recours, a ajouté Mme Clevaland. 

M. YVES NISSIM, Directeur adjoint, en charge de la responsabilité sociale de l'entreprise, chez Orange, a affirmé qu'il est courant que les gouvernements demandent aux entreprises de télécommunication des «choses qu'elles ne souhaitent pas faire».  Mais en tant que partenaires économiques des gouvernements, et soucieux de la sécurité de leurs employés, les entreprises souhaitent avoir un comportement exemplaire en matière de respect des droits de l'homme, a-t-il souligné.  Il revient aux États d'agir avec plus de transparence, a-t-il insisté. 

M. Nissim a également expliqué que pour des raisons techniques, les opérateurs ont besoin de garder les données, «les tickets», afin de faire des analyses sur la qualité des réseaux ou en cas de réclamation.  Cependant, les gouvernements demandent souvent aux opérateurs de les garder plus longtemps, ce que parfois ils ne souhaitent pas faire, a indiqué M. Nissim. 

Débat interactif

Un certain nombre de pays ont souligné que le droit à la vie privée est un droit indérogeable.  L'Allemagne, au nom d'un groupe de pays (Allemagne, Autriche, Brésil, Liechtenstein, Mexique, Norvège et Suisse) a ajouté que le droit international s'agissant du droit à la vie privée comme d'autres droits continuait de s'appliquer lorsqu'un État exerçait son pouvoir en dehors de son propre territoire.  Les États ne peuvent pas s'abstraire de la légalité internationale lorsqu'ils prennent des mesures en dehors de leur territoire, a fortiori lorsque celles-ci sont illégales au plan national.  L'Union européenne a déclaré que la préservation des droits fondamentaux dans la société de l'information actuelle était une question fondamentale pour elle.  Comme le rappelle la résolution 68/167 adoptée en 2013 par l'Assemblée générale sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique, le droit international fournit le cadre universel contre toute atteinte au droit individuel à la vie privée.  L'Irlande a ajouté que toute surveillance d'État devait être proportionnée et équitable, qu'elle devait respecter le droit et les conventions internationales et être régie par l'état de droit, sous la surveillance des autorités civiles. 

La Sierra Leone a souligné le caractère paradoxal du fait que les nouvelles technologies étaient censées améliorer la jouissance des droits de l'homme, alors qu'elles sont vulnérables aux interceptions et par conséquent aux atteintes à la vie privée.  L'Équateur rejette catégoriquement la surveillance électronique de masse, sous prétexte de sécurité nationale et de lutte contre le terrorisme.  Le droit international humanitaire est le cadre idoine pour réglementer ces questions. 

Cuba, au nom d'un groupe de pays attachés aux mêmes principes, a souligné qu'une grande partie des communications électroniques mondiales transitaient par un seul pays, la majeure partie de l'infrastructure mondiale de l'Internet étant basée sur son territoire.  La communauté internationale doit prendre des mesures d'urgence pour protéger les individus face à la violation de leur droit à la vie privée.  Le Venezuela a pour sa part dénoncé le système de surveillance massive mis en place dans certains pays et l'utilisation des données personnelles recueillies par des compagnies privées de l'Internet qui sont exploitées par les services de renseignements, grâce à la collaboration de ces sociétés.  La Chine a dénoncé elle aussi la collecte de données personnelles, qui constitue une atteinte au respect de la vie privée.  Non seulement les droits des individus des États concernés sont violés mais aussi ceux d'autres États en raison du transit dans certains pays du trafic Internet mondial.  La Chine estime qu'il faut mettre en place un régime transparent qui soit bénéfique à tous. 

La Fédération de Russie a estimé qu'il n'y pas actuellement pas de réponse aux nombreuses questions que sont venues poser les révélations récentes sur l'espionnage numérique, lequel est devenu une dangereuse habitude.  Pour la Fédération de Russie, la contre-utopie orwélienne est devenue une réalité planétaire.  Regretté que certains pays fassent pression sur des entreprises pour qu'elles fournissent des informations sur leurs clients.  Les États doivent prendre des mesures de protection juridique fortes.

Le Pakistan, au nom de l'Organisation de la coopération islamique, a lui aussi estimé qu'il s'agissait d'un sujet de vive préoccupation, certains pays disposant de la technologie leur permettant d'avoir accès à l'essentiel du trafic mondial de l'Internet.  Il est urgent d'agir pour protéger les individus de telles violations.  Il faut mettre sur pied un système international transparent quant à la gouvernance de l'Internet.

Tout en soulignant la nécessité de protéger le droit à la vie privée à l'ère numérique, les Émirats arabes unis estiment qu'il faut trouver un équilibre qui permette aussi de lutter contre le développement de la criminalité et du terrorisme.  Les Émirats arabes unis ont pris des mesures en ce sens. Le Royaume-Uni a estimé qu'il ne s'agissait pas montrer du doigt des États mais de trouver ensemble l'équilibre nécessaire entre l'application de la loi et le droit des citoyens à ne pas voir entravées leurs libertés fondamentales.  Les États-Unis ont souhaité avoir l'avis des panélistes sur la mise en place de garde-fous efficaces en matière de programmes de surveillance.  Si la transparence doit être encouragée, le secret peut être nécessaire dans certains cas, ont-ils affirmé, souhaitant avoir l'avis des experts sur la question ainsi que sur les motifs légitimes de recueillir et de partager des informations.

Le Canada a fait part quant à lui de sa vive préoccupation par la tendance grandissante de voir certains États avoir recours aux cybertechnologies les plus pointues pour surveiller et contrôler leurs citoyens de manière illicite, ainsi que pour réprimer la liberté d'expression et bloquer l'accès à l'information.  L'Inde a pour sa part estimé qu'il fallait trouver un équilibre entre droit à la vie privée et les nécessités en matière de sécurité nationale.  La surveillance numérique et la collecte d'informations personnelles doit se faire de manière proportionnée et non arbitraire, avec des objectifs légitimes, en accord avec l'état de droit et des garde-fous effectifs.

Plusieurs délégations ont mis en avant leur initiatives nationales dans le domaine de la protection de la vie privée à l'ère du numérique.  Ainsi, la Belgique, estimant que le rôle du secteur privé était tout aussi crucial que celui des États, entend sensibiliser les entreprises belges à cette problématique dans le cadre de la rédaction de son Plan d'action national «droits de l'homme et entreprises» et encourage les autres pays à faire de même, même si l'expérience apprend que l'implication de toutes les parties prenantes est particulièrement difficile.  La Malaisie a indiqué que son gouvernement avait pris des mesures pour garantir le respect et la protection du droit à la vie privée, attirant notamment l'attention à cet égard sa loi de 2010 sur la protection des données personnelles.   L'Algérie a souligné l'importance de l'implication de tous les États en vue de l'adoption d'un instrument visant à améliorer le cadre juridique de la protection des données personnelles.  En Algérie, toute écoute ne doit désormais se faire que sur décision d'un juge.  La Roumanie a souligné qu'elle avait œuvré de manière constante à élaborer une législation protégeant la vie privée dans le secteur des communications électroniques, citant une récente loi de 2012.  L'Australie a indiqué elle aussi que sa loi interdisait l'interception ou la connaissance des communications, ainsi que la divulgation des communications individuelles en dehors de toute autorité légale.

Pour la France, les révélations sur l'ampleur de la surveillance des communications ont suscité des préoccupations légitimes.  La France rappelle son attachement au respect de la vie privée, à la fois en ligne et hors ligne.  Il appartient à chaque État d'élaborer son propre système juridique concernant le respect de la vie privée dans le respect du droit international.  Les États devraient se doter de mécanismes indépendants chargés de veiller au respect de la législation sur la protection de la vie privée, comme la France l'a fait dès 1978 avec la Commission nationale de l'informatique et des liberté, dotée d'un pouvoir de sanction.  La France a en outre renforcé son système de contrôle démocratique des services de renseignement pour concilier la nécessité de garantir la sécurité de citoyens et l'obligation de garantir leur droit à la vie privée.  Dans le même sens, la Slovénie a expliqué avoir mis en place une commission indépendante pour veiller aux dispositions de la loi sur la protection de la vie privée.  Elle a rappelé qu'une Convention du Conseil de l'Europe traite de la protection de la vie privée à l'ère du numérique et que cette dernière est ouverte à des États non membres de cette organisation régionale.  Les citoyens ne sont souvent pas conscients de ce qui peut être fait des données les concernant, même quand elles sont collectées avec leur consentement préalable, a constaté l'Italie, pour qui l'un des principaux défis pour les années à venir consistera à définir la limite fine entre les mesures légitimes et celles qui sont arbitraires.

L'Indonésie a appelé les États et parties prenantes à revoir leurs pratiques en matière de surveillance des communications et a demandé aux panélistes quelles étaient les perspectives s'agissant de l'élaboration d'un instrument juridiquement contraignant relatif à l'Internet et aux droits de l'homme.  L'Estonie, qui a rappelé qu'il y avait près de trois milliards d'usagers de l'Internet dans le monde, a demandé aux experts quelle pourrait être la contribution des acteurs de l'Internet en matière de changement politique, voire de développement économique, particulièrement dans les pays où les libertés sont réprimées.  Les Pays-Bas ont demandé ce que les panélistes répondaient à l'argument souvent entendu selon lequel le citoyen n'a rien à craindre s'il n'a rien à se reprocher.

Rappelant qu'elle étudiait depuis longtemps ces questions, l'Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture a indiqué qu'elle avait publié une «Étude mondiale sur le respect de la vie privée sur l'Internet et la liberté d'expression ».

Parmi les organisations non gouvernementales, l'American Civil Liberties Union, au nom également de Human Rights Watch, dans une déclaration commune, ont attiré l'attention sur la surveillance électronique dont les journalistes américains, et surtout leurs sources, gouvernementales en particulier, étaient l'objet.  Elles ont noté que des remèdes existaient pour y échapper, notamment par l'usage de téléphones mobiles jetables, ce qui renchérit néanmoins le coût du travail journalistique.  Les deux ONG demandent la création d'un mandat sous la forme de la nomination d'un rapporteur spécial sur ces questions.  L'Association pour la communication progressive a souligné que les droits de l'homme devaient être protégés sans restriction pour permettre à l'Internet de s'épanouir.  Elle a souligné le rôle clé que devrait avoir le Forum de gouvernance de l'Internet des Nations Unies qui s'est réuni tout récemment en Turquie.

L'Article 19 - Centre international contre la censure a dénoncé la surveillance des défenseurs des droits de l'homme dans des pays comme Bahreïn et le Viet Nam.  L'ONG a salué la contribution importante que représente le rapport du Haut-Commissariat sur la question, estimant toutefois nécessaire d'approfondir la réflexion en s'appuyant sur cette base.  Elle estime nécessaire la création d'un mandat de rapporteur spécial sur le droit à la vie privée.

Le Korea Center for United Nations Human Rights Policy, a souligné le caractère particulièrement problématique constitué par la collecte de données personnelles par les fournisseurs d'accès et par les sites Internet.  Elle soutient les recommandations de la Haut-Commissaire en faveur de la mise en place de régimes de surveillance efficaces et indépendants, avec une attention particulière sur le droit aux victimes.

Réponses et conclusions des panélistes

MME NYST a déclaré que les États doivent considérer en priorité les droits de l'homme dans les mesures d'écoute.  Le problème dans la surveillance est qu'elle se fait le plus souvent à l'insu des personnes espionnées, a-t-elle observé.  Il faut donc des mesures légales autorisant ces écoutes, des moyens de contrôle et de recours efficaces.  Il faut que les tribunaux corrigent l'asymétrie entre les citoyens et le gouvernement, a-t-elle ajouté. 

La représentante de Privacy International a estimé qu'il faudra limiter les transferts d'informations et de renseignement au titre du partage à un nombre très limité de personnes, comme c'est le cas pour les informations recueillies par d'autres voies que celles propres à l'ère numérique.  Mme Nyst s'est dite favorable à ce que d'autres titulaires de mandat au titre des procédures spéciales prennent en compte les défis posés par l'ère numérique, tout en appuyant fortement le maintien d'un mandat spécifique sur la question de la protection de vie privée à l'ère numérique.

MME BOTERO a quant à elle observé qu'il y a un vrai désordre normatif en matière de protection de la vie privée.  Il manque également des experts mondiaux capables de comprendre, analyser et conseiller les États sur les défis qui se posent aujourd'hui en la matière.  En ce qui concerne les moyens de recours, la Rapporteuse spéciale a dressé une liste de préalables pour garantir la légalité des mises sous surveillance.  Il faut des contrôles judiciaires avant et après la mise sous écoute, a dit l'experte. 
La Rapporteuse spéciale de la commission interaméricaine des droits de l'homme a estimé que les préoccupations initiales des États portaient sur l'espionnage de leurs citoyens.  C'est de là que découle la préoccupation pour les questions d'extraterritorialité.  Face aux représentants qui ont déclaré que, si on à cacher, on n'a rien à craindre de la surveillance, Mme Botero a rappelé que la vie privée est justement cet espace de solitude préservé de toute intrusion ou surveillance.  En général, ceux qui utilisent une telle expression parlent des individus face à l'administration, mais jamais de l'administration face aux citoyens.  Or, si les administrations n'ont rien à cacher, pourquoi les États maintiennent-ils une telle culture du secret?  Sur la question de la spécialisation éventuelle des tribunaux, Mme Botero a estimé qu'elle n'était pas synonyme de secret et permettrait d'éviter le risque que des juges non spécialisés créent des jurisprudences qui qui pourraient aller à l'encontre de la protection du droit à la vie privée, par simple ignorant.  Mme Botero est favorable à l'extension du mandat du Rapporteur spécial.

MME CLEVALAND a observé que les recours restent difficiles, étant donné le secret qui entoure ces mises sous écoute.  Les victimes rencontrent très souvent des difficultés à saisir la justice, car elles ne peuvent pas toujours apporter la preuve d'une mise sous écoute.  Ce qu'il faudrait c'est notifier à la personne surveillée, qu'elle a été l'objet de mesures d'écoute dans le cas où le gouvernement a l'intention d'utiliser ces données, a plaidé Mme Clevaland. 

Le professeur Cleveland a déclaré qu'il était très difficile de protéger la vie privée dans le cadre des communications électroniques, du fait de l'absence de territorialité.  Toutefois, il existe une obligation de respecter les droits en application de l'article 2 du Pacte international sur les droits civils et politiques, qui oblige les États membres à respecter le droit à la vie privée sur leur territoire, donc aussi pour les données qui transitent sur ce territoire.  Le partage de l'information répond aux mêmes critères que leur collecte : il doit être légitime et proportionnel aux besoins.  Le changement technologique ne crée pas des zones vides de droit.  Le droit existant doit en revanche s'adapter aux défis lancés par les nouvelles technologies.  La question s'est par ailleurs posée de savoir si la police.  Mme Cleveland a estimé que l'extension du mandat du Rapporteur spécial sur le respect de la vie privée pourrait être utile

M. NISSIM, a indiqué que les compagnies de télécommunications sont soumises aux législations locales.  Pour une entreprise, les lois locales passent avant le droit international.  Elles peuvent donc être emmenées à la demande des gouvernements à violer la vie privée, a-t-il rappelé, donnant l'exemple de mesures que la compagnie Orange a dû prendre dans un pays arabe «d'Afrique du nord, qui a connu sa révolution il y trois ans» : à la demande insistante des autorités, suivie d'une menace armée, Orange a dû couper le réseau Internet et envoyer des messages textes à tous ses abonnés.  Pour l'expert, la transparence doit venir des gouvernements, qu'elle soit à priori ou à posteriori, a-t-il dit. 

Le représentant d'Orange a rappelé que les technologies deviennent à la fois plus accessibles et plus complètes.  M. Nissim a cité le cas de la «paquet inspection», une technologie destinée à réguler les flux quand ils sont trop importants.  Or, elle permet aussi de savoir quelles informations circulent, et permet donc de faire tout autre chose que la régulation des flux.  Les entreprises, elles, n'utilisent pas ce type de technologies pour d'autres raisons que la qualité du service.  Orange a signé volontairement il y a un an un pacte de respect de la vie privée des gens.  Les opérateurs commerciaux souhaitent qu'il existe des cadres juridiques précis et transparents qui respectent les droits de l'homme et regardent vers les Nations Unies pour qu'elles mettent au point des règles pour les États membres.  La protection de la vie privée ne peut être garantie qu'avec la participation des différents acteurs : opérateurs privés États, société civile, organisations internationales.

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*Les délégations suivantes ont participé aux échanges avec les panélistes: Allemagne (au nom d'un groupe de pays: Allemagne, Autriche, Brésil, Liechtenstein, Mexique, Norvège et Suisse), Union européenne, Cuba (au nom du Groupe de pays attachés aux mêmes principes), Pakistan (au nom de l'Organisation de la coopération islamique), Canada, Inde, Indonésie, Belgique, Irlande, Estonie, Malaisie, Organisation des Nations Unies pour l'éducation, la science et la culture, Émirats arabes unis, Fédération de Russie, France, Slovénie, Italie, Pays-Bas, Venezuela, Chine, Australie, États-Unis, Équateur, Sierra Leone, Algérie, Roumanie, Royaume-Uni, American Civil Liberties Union (au nom également de Human Rights Watch), Association pour la communication progressive, Article 19 - Centre international contre la censure et Korea Center for United Nations Human Rights Policy.

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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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