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Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale examine le rapport d'El Salvador
13 août 2014
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné hier après-midi et ce matin le rapport présenté par El Salvador sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale
Le rapport d'El Salvador a été présenté par M. Ramón Rivas, Secrétaire à la culture auprès de la Présidence de la République, qui a indiqué que le nouveau président, Salvador Sánchez Cerén, avait réaffirmé son engagement en faveur des peuples autochtones dans le cadre du programme de gouvernement, qui reconnaît l'importance d'assumer les racines historiques et l'identité longtemps niées du pays, notamment par la reconnaissance et la revalorisation des populations d'origine, ainsi que de leurs droits. C'est dans ce cadre qu'a été lancé un programme national d'apprentissage de la langue vernaculaire nahuat, proche de l'extinction. L'État garantit par ailleurs que tous les instruments internationaux font partie intégrante de la législation nationale une fois ceux-ci ratifiés. M. Rivas a souligné l'importance de la Loi de développement et de protection sociale récemment adoptée qui a pour objectif de garantir pleinement les droits économiques sociaux et culturels de la population et qui vise à la mise sur pied d'un système de protection sociale universelle.
La délégation salvadorienne était également composée de Mme Carla Mabel Alvanés Amaya, Présidente de l'Institut salvadorien de réforme agraire, de M. Jorge Alberto Jiménez, Directeur général du développement social intégral au Ministère des relations extérieures et de membres de la Mission permanente d'El Salvador à Genève. La représentante d'une association d'organisations non gouvernementales autochtones a également pris la parole à la demande de la délégation. La délégation a répondu aux questions des membres du Comité portant en particulier sur la loi d'amnistie concernant la guerre civile de 1980-1992 et sur le versement de réparations pour les proches des victimes; sur l'ostracisme envers les migrants de pays voisins; sur l'absence de plaintes pour discrimination raciale, ce qui pose éventuellement la question de l'ouverture limitée de la justice face à ce problème. À cet égard, la délégation a d'abord affirmé que cette absence de plaintes illustrait le fait que les cas de discrimination étaient pratiquement inexistants, avant de concéder qu'ils pourraient être sous-estimés. Elle a insisté sur les mesures prises en faveur de l'égalité sexuelle, en donnant en particulier les moyens de vivre aux femmes autochtones, notamment en utilisant le levier de la réforme agraire. Une commission d'indemnisation a été créée en 2012 et le chef de l'État a demandé pardon aux communautés autochtones pour ce qu'elles avaient subi depuis des générations.
Le rapporteur du Comité pour l'examen du rapport d'El Salvador, M. Elías Murillo Martínez, a notamment relevé qu'El Salvador a accompli des progrès importants en matière d'application de la Convention et progresse dans son processus d'approfondissement de sa démocratie, mais les séquelles de la guerre civile (1980-1992) sont encore visibles dans les domaines économiques et sociaux. Il s'est inquiété en particulier de la violence générée par les maras, bandes de jeunes responsables d'un grand nombre d'homicides et autres actes de violence. Il a également noté que les migrants en provenance principalement du Nicaragua et du Honduras semblent les victimes systématiques d'actes de racisme et de xénophobie. El Salvador rencontre encore des difficultés considérables dans la reconnaissance, l'accès à la justice et le développement des groupes ethniques, victimes de racisme et d'une discrimination structurelle.
Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 29 août prochain.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport périodique des États-Unis (CERD/C/USA/7-9).
Présentation du rapport
Présentant le rapport d'El Salvador (CERD/C/SLV/16-17), M. RAMÓN RIVAS, Secrétaire à la culture de la Présidence de la République, a indiqué que plus d'une vingtaine d'institutions de l'État, ainsi que des organisations autochtones et l'Institution de défense des droits de l'homme, avaient été consultées pour la préparation du rapport de son pays. Le Président de la République, Salvador Sánchez Cerén, a réaffirmé son engagement en faveur des peuples autochtones dans le cadre du programme de gouvernement «El Salvador Adelante» (En avant El Salvador). Celui-ci reconnaît l'importance d'assumer les racines historiques et l'identité du pays, notamment par la reconnaissance et la revalorisation des populations d'origine, ainsi que de leurs droits. Cela a impliqué le lancement d'un programme national d'apprentissage des langues vernaculaires nahuat. Il s'agit aussi de reconnaître les droits de ces peuples en adhérant à la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail, dont la ratification se trouve actuellement dans un processus de consultation interne. Bien que le nouveau gouvernement n'ait que deux mois d'existence, il a d'ores et déjà donné des signes de l'engagement des autorités en faveur des peuples autochtones, afin de tourner la page d'un certain discours visant à leur assimilation et en arriver à la reconnaissance pleine et entière de leurs droits.
Le 12 juin dernier, la Constitution a été réformée afin de reconnaître les peuples autochtones dans le but d'adopter des politiques visant à maintenir et développer leur identité ethnique et culturelle. Une des premières politiques visant à contribuer à cet effort est illustrée par la nouvelle «Politique publique en faveur des peuples autochtones d'El Salvador» qui a été élaborée en pleine concertation avec eux. Ladite politique définit cinq stratégies axées sur le développement social, le développement économique, le développement culturel, le développement environnemental et la gestion étatique. Les deux premières visent à améliorer les conditions de vie des communautés autochtones.
Afin de faire en sorte que soit incorporée la définition de la discrimination raciale dans la législation interne, incluant tous les éléments stipulés dans l'article 1 de la Convention, l'État garantit que tous les instruments internationaux font partie intégrante de la législation nationale une fois que ceux-ci ont été ratifiés. De cette manière, toute disposition des conventions internationales peut être invoquée devant chacune des institutions du pays.
Par ailleurs, un des textes les plus récents est la loi de développement et de protection sociale qui a pour objectif de garantir pleinement les droits économiques sociaux et culturels de la population au travers de l'investissement social. La loi tient pour principe le respect de la diversité culturelle. Avec cette loi, sera élaboré un système de protection sociale universelle. Un effort substantiel a été accompli par l'État dans le domaine social entre 2004 et 2012, le pourcentage des dépenses sociales étant passé de 12 à 14,8%. Sur le plan économique, un effort a été entrepris en faveur de la revitalisation de la culture du cacao.
Sur le plan culturel, un dictionnaire des langues nahuat-pipil a été rédigé dans le cadre d'une enquête ethnolinguistique qui a permis d'identifier 197 locuteurs nahuats âgés de plus de 60 ans vivant dans quatre localités. On travaille en outre dans le même temps à la production d'une émission de télévision sur les droits des peuples autochtones. Par ailleurs, le processus de ratification de la Convention n°169 de l'OIT est en bonne voie. Un projet de politique nationale de santé pour les peuples autochtones, validé par l'Organisation mondiale de la santé, est aussi en passe d'être adopté. Deux projets pilotes sont en cours avec l'assistance du Brésil. D'une manière générale, les politiques publiques en faveur des droits des femmes concernent toutes les Salvadoriennes sans distinction aucune. Cela n'empêche pas des mesures spécifiques en faveur des femmes autochtones, notamment en ce qui concerne la propriété foncière, dans le cadre de la réforme agraire. L'accès à un logement convenable figure aussi parmi les priorités gouvernementales.
Dans le domaine de l'éducation, le Gouvernement poursuit ses efforts dans les territoires à majorité autochtone, l'un des objectifs étant de revitaliser la langue nahuat en développant son enseignement avec l'aide d'étudiants. Il a été constaté en revanche que les idiomes lenca, kakwira et maya étaient pratiquement éteints dans le pays. Quant au nahuat, on estime le nombre total de locuteurs à 250 ayant cet idiome comme langue maternelle, raison pour laquelle les autorités lui donnent la priorité sur les autres, en relançant en particulier son enseignement en direction des enfants. À ce stade, 98 garçons et filles de 3 à 5 ans en bénéficient, a encore indiqué le chef de la délégation salvadorienne.
Examen du rapport
Questions et commentaires des membres du Comité
M. ELÍAS MURILLO MARTÍNEZ, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport d'El Salvador, a rappelé le poids démographique important de ce pays en Amérique centrale, avec une population approchant les sept millions d'habitants, les autochtones représentant entre 10 et 12% de ce total. Cette estimation officielle contredit toutefois le pourcentage de 0,23% qu'avait établi le recensement de 2007, a-t-il observé. Il a relevé qu'un nouveau recensement était envisagé en 2017 afin de parvenir à des statistiques plus fiables. Cela concerne aussi la population d'ascendance africaine qui demeure invisible dans les données officielles.
El Salvador progresse dans son processus d'approfondissement de sa démocratie, comme l'a démontré l'élection récente du Président Salvador Sánchez Cerén qui a appartenu dans le passé à l'organisation rebelle du Front Farabundo Marti de libération nationale, a souligné le rapporteur, qui a aussi rappelé que le pays avait connu une guerre civile entre 1980 et 1992. Les séquelles de ce conflit sont encore visibles dans les domaines économiques et sociaux. Elles s'illustrent par la grave situation de violence générée par les maras, bandes de jeunes responsables d'un grand nombre d'homicides et autres actes de violence qui constituent un défi lancé aux institutions. Cette violence est la cause principale du flux permanent de déplacés et de migrants, essentiellement en direction des États-Unis. On estime ainsi que le tiers de la population se trouve en dehors du pays. Il s'avère en outre qu'El Salvador est lui-même un pays de destination de migrants en provenance principalement du Nicaragua et du Honduras. Ces migrants semblent les victimes systématiques d'actes de racisme et de xénophobie, notablement de la part des autorités municipales, celles-ci les tenant pour responsables de la petite criminalité.
Depuis le dernier examen d'El Salvador, ce pays a accompli des progrès importants en matière d'application de la Convention, s'est félicité le rapporteur. Il a notamment cité la réforme constitutionnelle de juin dernier et mentionné la loi d'égalité, d'équité et d'éradication de la discrimination contre la femme. Il s'est aussi félicité que le pays ait progressé en direction de l'adoption de la Convention n°169 de l'OIT sur les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.
Toutefois, malgré les progrès accomplis, El Salvador rencontre encore des difficultés considérables dans la reconnaissance, l'accès à la justice et le développement des groupes ethniques, victimes de racisme et d'une discrimination structurelle. Cela peut peut-être s'expliquer en partie par le fait que l'accent n'a pas été mis sur les politiques et programmes en leur faveur. Il a noté que le rapport faisait peu état de politiques spécifiques en direction des peuples autochtones et encore moins des personnes d'ascendance africaine. Or, il ne s'agit pas d'un détail, a souligné le rapporteur; il s'agit, ni plus ni moins, du droit qu'ont ces populations à exercer leur citoyenneté à partir de leur différence dans le cadre d'une démocratie participative d'inclusion égalitaire. Il s'agit aussi de prendre en compte la diversité et les disparités existantes au sein des groupes ethniques. Le rapporteur a noté au passage la situation particulièrement critique de la femme autochtone, selon des informations fournies par les organisations non gouvernementales.
M. Murillo Martínez est ensuite revenu sur les chiffres incohérents du recensement de 2007 s'agissant particulièrement de la population autochtone. Il a souhaité avoir des précisions sur les dispositions prises pour que celui prévu en 2017 soit plus fiable, en impliquant mieux les autochtones et les personnes d'ascendance africaine. Il a aussi demandé de préciser la définition de la discrimination raciale, qui doit correspondre à celle figurant à l'article 1 de la Convention. Il a souhaité savoir à quel moment est prévue la ratification de la Convention n°169 de l'OIT. Il a aussi demandé quelle était la situation des peuples autochtones en matière d'accès à la terre. Quelle est la politique de l'État en matière d'accès à la santé de ces populations, particulièrement les droits sexuels et reproductifs de la femme autochtone? Quelles actions a mené l'État pour garantir l'accès des populations autochtones à l'eau potable ou pour réparer les cas de spoliation?
Le rapporteur a aussi demandé quel bilan était tiré des politiques en faveur de la renaissance et de la préservation des dialectes. Il a souhaité savoir ce qu'il en était de la mise en œuvre des accords de paix de 1992 s'agissant des peuples autochtones. Par ailleurs, l'État-partie a-t-il pris des mesures législatives pour garantir les droits des populations migrantes?
M. Murillo Martínez a rappelé que la Cour interaméricaine des droits de l'homme avait estimé que la loi d'amnistie ne devait pas représenter un obstacle à la tenue d'enquêtes sur de graves violations des droits de l'homme survenus pendant la guerre civile, citant le cas du massacre d'El Mozote. Il a demandé à la délégation de donner de plus amples informations sur la «Commission nationale de réparation en faveur des victimes de violations des droits de l'homme survenus dans le contexte du conflit armé interne».
Parmi les autres membres du Comité, un expert a déploré l'absence de statistiques concernant les peuples autochtones et les personnes d'ascendance africaine, même si des politiques publiques sont actuellement élaborées en leur faveur. Il a souhaité savoir si les autorités prévoyaient de développer leur appareil statistique afin d'avoir une connaissance affinée de la diversité de la population. Ainsi, il a dit avoir le sentiment que certains peuples autochtones n'étaient tout simplement pas reconnus. Il s'est étonné par ailleurs de l'absence de plaintes pour discrimination raciale, se demandant si cela n'illustrait pas une méconnaissance de ses droits par une grande partie de la population. Par ailleurs, alors que débute l'an prochain une Décennie internationale des personnes d'ascendance africaine, le Gouvernement pourrait en profiter pour lancer des actions en leur faveur, en matière d'alphabétisation par exemple. Pour ce qui concerne la restitution des terres, des actions pourraient être envisagées au niveau national et pas seulement local. Par ailleurs, le Comité souhaiterait que l'État revienne sur la loi d'amnistie. Est-il envisagé d'assurer des réparations aux victimes des violations des droits de l'homme, en particulier dans le cas d'El Mozote.
Un autre membre du Comité s'est étonné lui aussi de l'absence de plaintes pour discrimination, alors que le code pénal fournit les outils juridiques pour ce faire. Il a demandé qui décidait de la gravité du délit de discrimination. Existe-t-il une autorité centrale susceptible d'avoir enregistré des plaintes pour discrimination? Des actions au civil ont-elles été intentées? L'expert s'est étonné par ailleurs du caractère flou de la disposition relative à l'abus de la liberté d'expression et demandé de quels délits il s'agissait précisément. Quant à la liberté de religion, il semble que la législation ne prenne en compte qu'une seule d'entre elle, à savoir le catholicisme.
Une experte a constaté que l'on était en présence d'un pays «apaisé» qui donnait le sentiment de «se retrouver» «l'occasion de s'interroger sur son identité et sur son devenir» Il cherche ainsi à renouer avec ses racines en revendiquant son héritage culturel. El Salvador a certainement progressé, ce qui ne l'empêche pas d'être confronté à des défis. Ainsi, la reconnaissance des peuples composant la société, y compris ceux d'ascendance africaine, implique d'être une société ouverte, a-t-elle encore observé. Toutefois, l'absence de statistiques ne permet pas au Comité d'analyser ce qu'il en est, s'agissant en particulier des personnes d'ascendance africaine. Cela justifie une fois encore, pour El Salvador comme pour d'autres pays examinés, que le Comité obtienne des statistiques ventilées. La même experte a souhaité avoir des précisions sur la préparation du recensement de 2017 «Il n'est pas trop tôt pour commencer et pour associer au maximum les différentes couches sociales et populations» a-t-elle observé. Elle a rappelé qu'il n'était pas rare que lors des recensements, les personnes préfèrent ne pas se revendiquer comme autochtones ou d'ascendance africaine car elles sont stigmatisées dans la société et qu'elles pourraient craindre d'alimenter cette stigmatisation.
Un autre expert a demandé si la Convention primait sur la législation nationale. Si ce n'était pas le cas, toutes les dispositions de la Convention devraient être incorporées dans la législation. Il a souhaité savoir si par nationalité on entendait citoyenneté ou origine ethnique. Relevant dans le rapport un grand nombre de projets et de programmes à l'intention des peuples autochtones, il a demandé si ceux-ci étaient définis en concertation avec eux. S'agissant des discriminations visant des migrants d'autres pays d'Amérique centrale, celles-ci s'appuient, semble-t-il, sur des ordonnances municipales, et l'expert a souhaité des précisions à ce sujet. Il a rappelé par ailleurs que le droit à être scolarisé ne souffrait de restrictions d'aucune sorte pour tout enfant. Il s'est félicité par ailleurs de l'alphabétisation en langue nahuat, qui ne saurait être contradictoire avec l'apprentissage de la langue nationale.
Un membre du Comité a évoqué la possibilité d'annuler des décisions telles que les ordonnances municipales visant les migrants, en s'appuyant sur le respect de la Convention. S'agissant de la Commission nationale de réparation, il a souhaité savoir s'il s'agissait de répondre à des cas généraux ou individuels. Une autre experte a souligné la nécessité de disposer d'un cadre juridique plus précis si l'on entend lutter contre les discriminations et si l'on entend que la justice puisse se saisir de cas spécifiques. Elle a demandé par ailleurs quels types de mécanismes avaient été mis en place pour lutter contre la mortalité maternelle.
Un membre du Comité a demandé s'il était prévu de verser des indemnisations ou des réparations aux peuples autochtones. Il a aussi demandé si l'on constate parmi cette population une prévalence des maladies mentales, comme cela se voit dans d'autres régions du monde où des peuples autochtones ont été marginalisés.
Un autre membre du Comité a fait part de sa perplexité face aux chiffres concernant la part d'autochtones au sein de la population, qui sont soudain passés de 0,14% à 10 voire 12% sans que l'on sache d'où sortent ces données. Un processus d'auto-identification a-t-il été mis en place qui soit susceptible d'expliquer un tel bond en quelques années? Un expert s'est interrogé sur la loi d'amnistie, notant que les tribunaux avaient la liberté de ne pas l'appliquer. Ne serait-il pas plus simple de l'abroger, a-t-il demandé. Il a noté que le massacre d'El Mozote remontait à 33 ans et qu'aucune réparation n'avait encore été versée, alors que les faits et les victimes sont connus. Une experte a demandé si une aide juridictionnelle était prévue pour les autochtones. Elle a aussi souhaité savoir de quelle manière étaient octroyées les licences d'exploitation en faveur des multinationales et s'il était tenu compte des droits et aspirations des populations. Rappelant que les femmes autochtones étaient doublement victimes de discrimination, en tant que femmes et en tant qu'appartenant à des minorités, elle s'est demandée de quelle manière on pouvait agir en leur faveur en l'absence de statistiques.
Un membre du Comité s'est interrogé sur la possibilité pour la langue nahuat d'avoir un statut officiel alors que celle-ci n'a que 250 locuteurs. L'important n'est-il pas que toute la population puisse échanger dans une langue commune, sans qu'aucun idiome ne soit imposé, a-t-il demandé. Et si la langue ne permet pas de distinguer les autochtones des autres, comment El Salvador compte-t-il procéder pour déclarer que telle ou telle catégorie de la population est d'ascendance autochtone Il a mis en garde contre la fragmentation à laquelle on assiste actuellement dans le monde. Il s'est aussi insurgé contre la dénonciation du «machisme» en Amérique latine, alors que ce continent est celui où l'on compte le plus de femmes au pouvoir, a-t-il observé. La domination des hommes autochtones sur les femmes est-elle du fait des sociétés autochtones elles-mêmes auquel cas l'État serait fondé à user de son influence pour en finir avec ce phénomène ou illustre-t-elle une situation générale en El Salvador, a-t-il demandé.
Le Président du Comité a demandé à la délégation, alors qu'est envisagée la création d'une Commission nationale de réparation, si une commission nationale de la mémoire historique ne serait pas non plus particulièrement utile pour reconnaître le «génocide de 1932» résultant de tentatives d'arracher les racines autochtones du pays. Le Président s'est inquiété par ailleurs de la discrimination visant les migrants centraméricains du fait d'ordonnances locales, s'interrogeant sur l'incapacité de l'État central à s'y opposer.
Un membre du Comité s'est interrogé sur le fait que de nombreux Salvadoriens préféraient encore aujourd'hui ne pas être assimilés aux autochtones, une mentalité qui a des causes historiques évidentes. Si l'important est de préserver l'identité salvadorienne, «il n'est pas pour autant nécessaire de tenter de ressusciter un cadavre», a ajouté un autre expert, faisant semble-t-il allusion aux efforts de revitalisation de la langue nahuat.
S'agissant des personnes d'ascendance africaine, un expert a observé qu'un ministre, trois députés et un seul juge appartenaient à cette communauté, le recensement de 2007 chiffrant cette communauté - probablement numériquement sous-estimée - à quelque 7500 personnes. Il s'agit d'une illustration supplémentaire de la nécessité de disposer de statistiques fiables et ventilées. Par ailleurs, il semble que la loi salvadorienne demeure trop vague pour réprimer les différentes formes de racisme, un expert suggérant qu'elle soit amendée afin de mieux correspondre à la lettre et à l'esprit de la Convention.
Un membre du Comité a souligné que l'absence de plaintes pour discrimination ne constituait en rien une indication que le problème n'existait pas, et pourrait s'expliquer par l'attitude du pouvoir judiciaire. Il a estimé qu'une institution nationale des droits de l'homme pourrait jouer un rôle utile à cet égard.
Réponses de la délégation
La situation salvadorienne est sensiblement différente de celle du reste de l'Amérique centrale, a assuré la délégation, notamment en ce qui concerne la présence autochtone. Il a reconnu qu'il était pratiquement impossible de mettre en place des politiques ciblées en l'absence de données statistiques fiables. C'est encore plus vrai en ce qui concerne les personnes d'ascendance africaine, leurs communautés étant disséminées géographiquement dans le pays, sans qu'aucune cartographie de leur présence n'ait jamais été faite. En outre, on ignore d'autant plus totalement les effectifs de ces communautés que l'existence même de personnes d'ascendance africaine dans le pays a longtemps été niée. À cet égard, le recensement prévu en 2017 sera essentiel, a-t-il reconnu. Celui-ci ouvrira de nouvelles perspectives et donnera des éléments permettant de se faire une idée précise de la composition démographique du pays. Cette enquête devra se faire en étroite concertation avec les représentants autochtones.
La délégation a expliqué qu'El Salvador avait changé du tout au tout depuis le changement démocratique entamé en 2009, les gouvernements successifs ayant tourné le dos aux politiques répressives du pays, un autoritarisme ayant duré plus de six décennies puisque, historiquement, on situe son origine au «génocide» de 1932, a-t-il été rappelé. Ces soixante années de répression expliquent la quasi-invisibilité des autochtones, ceux-ci ayant renoncé à se distinguer du reste de la population, de la façon de s'habiller à la langue qu'ils utilisent. On espère que dans un avenir proche les populations autochtones pourront exercer pleinement leurs droits. La délégation a aussi souligné qu'il s'agissait d'aller de l'avant. Les Salvadoriens de gauche comme de droite n'ont pas le choix, ils doivent cohabiter dans le même pays. Ils doivent vivre dans la société du dialogue, du respect et de la compréhension. C'est là la seule manière de bien vivre ensemble, a souligné la délégation, citant le programme de «Buen Vivir» du chef de l'État dernièrement élu.
La délégation a expliqué que la définition de la discrimination raciale s'appuyait sur la terminologie de la Convention. Deux lois importantes ont été adoptées, l'une sur l'égalité et l'éradication de la discrimination envers les femmes, et l'autre contre la violence à leur encontre. Elles s'inspirent de notions universelles relatives à la discrimination. Quant à la suggestion de membres du Comité en faveur de la promulgation d'une loi spécifique concernant la discrimination envers les autochtones, la délégation en prend note mais souligne que des textes plus universels existent déjà à cet égard dans la législation locale. La réforme agraire en cours permet de favoriser l'autonomie des femmes, tout en préservant les connaissances ancestrales en matière d'agriculture.
La délégation a confirmé l'absence de plaintes pour discrimination raciale même si le code pénal prévoit des peines de prison en particulier contre des fonctionnaires. La délégation salvadorienne considère qu'elle dispose d'un arsenal juridique suffisant à cet égard, l'absence de plaintes illustrant le fait que les cas de discrimination raciale sont pratiquement inexistants dans le pays. La délégation a par la suite souligné que la Constitution établissait clairement l'égalité de tous devant la loi. Les comportements racistes sont donc dûment sanctionnés. Il sera procédé à une évaluation de la législation afin de veiller à ce que toute manifestation raciste soit poursuivie, a assuré la délégation, qui a reconnu que le phénomène existait très probablement, au moins de façon marginale. Sur le plan statistique, la délégation ne peut constater autre chose que cette absence de plaintes de fait.
La délégation a rappelé que la santé n'était pas gratuite jusqu'en 2009. Un système de soins gratuits a été mis en place depuis lors, en intégrant médecines moderne et traditionnelle, l'usage des plantes médicinales étant en effet répandu dans le pays. Des équipes médicales mobiles circulent désormais sur le territoire, y compris dans les endroits les plus reculés.
Des investissements ont été lancés dans l'assainissement de l'eau, domaine trop longtemps négligé par le passé. La délégation a rappelé que les politiques économiques libérales auxquelles le pays avait été astreint avaient considérablement réduit les capacités d'investissements des pouvoirs publics.
S'agissant du massacre de Mozote, il ne s'agit que d'un cas parmi d'autres pendant la guerre civile, a-t-il été rappelé. Une commission d'indemnisation a été créée en 2012. Le chef de l'État a demandé pardon aux communautés autochtones pour ce qu'elles avaient subi depuis 1932. Des monuments ont été ou seront érigés en mémoire des victimes. Le budget de 2015 prévoira le versement d'indemnités. Il faut se souvenir de tout ce qui s'est passé pour que ce passé ne se reproduise pas, dit-on couramment en El Salvador, la délégation reconnaissant la difficulté de ce travail de mémoire.
Dans le domaine de l'éducation, la délégation a expliqué que les fournitures scolaires sont gratuites au primaire et il est prévu de faire de même au secondaire. Certes, il ne s'agit pas d'une mesure spécifiquement en faveur des autochtones mais ceux-ci en bénéficient au même titre que le reste de la population.
Le pays prévoit de faire un effort considérable pour améliorer ses statistiques en prévision de l'organisation du recensement de 2017.
La volonté politique existe de parvenir au plein respect des droits de l'homme, a expliqué la délégation en indiquant les traités auxquels entend être partie El Salvador, à commencer par la Convention n°169 de l'OIT.
Pour ce qui a trait aux discriminations envers les migrants, la délégation a rappelé que les populations se déplaçaient en nombre dans tout l'isthme centraméricain. La délégation a reconnu le caractère parfois problématique de certaines ordonnances municipales visant les migrants, les conseils jouissant d'une grande autonomie. Il arrive en effet que les ordonnances locales aillent à l'encontre des décisions du pouvoir central. La délégation a pris bonne note du problème et les observations du Comité seront répercutées auprès des 262 communes que compte le pays. La délégation a assuré que les ordonnances municipales devaient respecter la Constitution et les traités auxquels le pays est partie. Si les maires doivent pouvoir disposer d'une certaine marge de manœuvre dans le cadre de leur autonomie, ils ne peuvent s'abstraire de la loi nationale.
S'agissant de la langue nahuat, le nombre de locuteurs importe peu et s'il n'y en avait plus qu'une dizaine il serait tout autant vital de tout faire pour empêcher son extinction, a estimé la délégation. C'est la raison pour laquelle cette question est considérée comme fondamentale, au point où une version en nahuat-pipil de l'hymne national est chantée dans les régions à forte population autochtone. Le chemin sera certes ardu car il faut aller à contre-courant du «blanchiment» de la société imposé depuis des générations, raison pour laquelle un grand nombre de Salvadoriens préfèrent ne pas être assimilés aux autochtones. Il s'agit de solder une dette historique que le pays a envers sa population d'origine, a encore expliqué la délégation.
Le transfert des terres constitue une dette historique, a reconnu la délégation. Plus de 34 000 titres de propriété ont été remis à des familles de paysans sans terre depuis trois ans, chiffre équivalent à ce qui avait été fait ces vingt dernières années, les autorités se fixant pour objectif de remettre 50 000 titres. Cette réforme se fait en concertation avec les communautés autochtones, ce qui constitue une première par rapport à la pratique passée. Un mécanisme de plaintes a été mis en place car des terres ont été octroyées, durant les mandats de trois anciens présidents, en faveur d'un demi-millier de fonctionnaires qui ne pouvaient y prétendre. Des mesures ont été prises pour limiter la possibilité de revente des terres afin de prévenir la reconstitution de grands domaines. Une assistance technique est fournie par des agronomes aux paysans qui le souhaitent.
Enfin, la délégation s'est dite favorable à la mise sur pied d'une commission permanente qui assurerait le suivi de toutes les recommandations adressées par les organes conventionnels et par les rapporteurs spéciaux de l'ONU. D'une manière générale, la délégation a assuré le Comité que ses observations seraient dûment prises en compte et répercutées auprès des institutions concernées.
Conclusion
M. JOSÉ FRANCISCO CALI TZAY, Président du Comité, a jugé encourageant que dix pour cent des Salvadoriens s'identifient à la population autochtone. Il a émis l'espoir que le recensement de 2017 favoriserait encore cette identification. Nier les différences en imposant l'uniformité par la force ne peut qu'alimenter les conflits, a-t-il ajouté. D'où l'importance d'institutionnaliser les différences dans le cadre d'un pacte social qui consolidera l'état de droit.
À la demande de la délégation, et à titre exceptionnel autant qu'inédit, a précisé M. Cali Tzay, la parole a été donnée à la représentante d'une organisation non gouvernementale, le Consejo Coordinador Nacional Indigena Salvadoreño (CCNIS), qui s'est félicitée des explications fournies par la délégation du Gouvernement. Elle a rappelé les difficultés historiques auxquelles les autochtones ont été confrontés depuis la colonisation. Les changements impulsés depuis 2009 ne se sont pas faits tous seuls, les autorités faisant face à une opposition farouche de la droite en ce qui concerne la reconnaissance des peuples autochtones. Pour ceux-ci, il ne s'agit pas seulement de dresser le bilan de la guerre civile mais aussi de considérer plus de cinq siècles d'oppression. La lutte contre le système est une tâche difficile, a reconnu l'ONG, émettant l'espoir que les changements impulsés s'approfondiraient. Il s'agit de se réapproprier la conscience de leurs origines pour les Salvadoriens et plus particulièrement pour les autochtones. Témoignant de sa propre origine nahuat, le fait de ne plus maîtriser la langue originelle n'efface pas pour autant l'identité, a-t-elle confié. L'unité des populations autochtones doit être renforcée. L'État doit les considérer comme un allié dans le processus de développement, dans le cadre du «bien vivre» impulsé par le Gouvernement.
M. MURILLO MARTÍNEZ, Rapporteur du Comité pour El Salvador, a dit attendre beaucoup du prochain rapport, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des programmes sociaux. Il a dit s'attendre à ce que le pays se dote d'un appareil statistique digne de ce nom. Les différences font la richesse de notre humanité commune, a-t-il souligné, et il faut tout faire pour ne pas les effacer. Quant aux possibilités offertes d'accès à la terre, il s'agit sans nul doute d'une avancée très importante. M. Murillo Martinez a souligné par ailleurs que l'absence de plaintes pour racisme n'était pas significative de l'inexistence du phénomène. Sans doute, convient-il d'adapter la loi pour la rendre applicable et faire en sorte qu'elle soit mieux appliquée. Il a appelé à assurer davantage de cohérence entre les lois nationales et les décisions prises au niveau local. Le Comité attend beaucoup aussi de la part de la Commission de réparation, a-t-il conclu, exprimant l'espoir que les recommandations à venir seraient diffusées le plus largement possibles dans le pays.
M. RIVAS, Secrétaire à la culture auprès de la Présidence salvadorienne, a qualifié la rencontre de très gratifiante. Il s'est félicité du caractère concret des propositions formulées par les experts, fruits de leur expérience personnelle autant que collective au sein du Comité. Ces propositions permettront de répondre de manière efficace aux défis posés. Il n'est pas facile de sortir des ornières dans lesquelles El Salvador est demeuré trop longtemps, a-t-il ajouté. Il a l'intention de continuer de l'avant, ce qui implique de toujours mieux dialoguer et d'écouter la société civile.
Un membre de la délégation, M. Jorge Alberto Jiménez, du Ministère des relations extérieures, s'est dit fier de porter ses origines autochtones sur son visage. Il a mentionné la toponymie, la cuisine qui portent l'héritage de la population de souche. Même si la langue n'est plus guère parlée, l'espagnol d'El Salvador comporte de nombreuses expressions idiomatiques, au point où l'on pourrait parler de «langue salvadorienne» a-t-il dit.
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