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Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale examine le rapport du Cameroun
19 août 2014
19 août 2014
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné hier après-midi et ce matin le rapport présenté par le Cameroun sur les mesures prises par ce pays pour mettre en œuvre les dispositions de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Le rapport du Cameroun a été présenté par M. Paul Batibonak, chargé d'affaires de la Mission du Cameroun, le chef de la délégation et Représentant permanent à Genève, M. Anatole Fabien Marie Madeleine Nkou, n'étant présent qu'à la séance de ce matin. Depuis 2011, le pays célèbre tous les 9 août la journée des populations autochtones vulnérables et non plus des populations marginales. «Pour l'heure, seuls les groupes pygmées, qui bénéficient d'un consensus national quant à leur autochtonie au sens du droit international, sont considérés comme autochtones par le Gouvernement, qui prend des mesures spécifiques à leur égard dans le domaine de l'accès à la citoyenneté, à l'éducation, à la terre et aux ressources naturelles». Des mesures de discrimination positive sont également pratiquées en faveur de l'admission des populations autochtones dans l'éducation supérieure. Par ailleurs une attention particulière est portée à la minorité anglophone, dans un pays où se côtoient des systèmes de tradition anglaise et française dans les domaines de l'éducation et de la justice. Par ailleurs, alors que le Cameroun a vu affluer quelque 200 000 réfugiés depuis le déclenchement de la crise centrafricaine et la crise sécuritaire dans le nord du Nigéria, quelque 300 camps ont été installés avec l'appui du Haut Commissariat pour les réfugiés.
La délégation camerounaise, également composée d'autres représentants des Ministères des relations extérieures et de la justice, a répondu aux questions des membres du Comité portant en particulier sur la situation des Pygmées, sur la prise en compte de la composition ethnique du pays dans les organes législatifs, la proportion de femmes sur les listes de candidats aux élections ou encore sur la menace représentée à ses frontières par la rébellion du mouvement nigérian Boko Haram. Dans le cadre d'un échange avec le Comité sur la notion de race, elle a notamment souligné qu'aucune pièce d'identité camerounaise ne mentionnait la «race», l'ethnie ou la tribu. Le code pénal sanctionne la discrimination au sens large, ce qui apparaît suffisant. La définition du Cameroun est celle de la Convention, celle-ci ayant prééminence sur la loi nationale, a insisté la délégation. La délégation a par ailleurs assuré qu'il n'existait de discrimination d'aucune sorte envers les musulmans au Cameroun et que toutes les grandes religions révélées vivaient en parfaite harmonie dans le pays. Elle a enfin assuré que la Commission des droits de l'homme et des libertés du Cameroun avait participé à l'élaboration du rapport.
La rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, Mme Fatimata-Binta Victoire Dah, a déclaré qu'avec quelque 250 ethnies pour une population de vingt millions d'habitants, le Cameroun faisait face à de lourds défis, à cause en particulier des frontières poreuses du pays. Le Comité souhaiterait pouvoir disposer de statistiques socio-économiques précises. L'absence de cas de discrimination raciale conduit aussi à s'interroger sur la présence d'un tel délit dans le code pénal. La rapporteuse a aussi noté des insuffisances en matière d'éducation, d'accès à la justice et à la santé des populations autochtones.
Les observations finales du Comité sur tous les rapports examinés au cours de la session seront rendues publiques à la clôture des travaux, le vendredi 29 août prochain.
En ouverture de la séance de ce matin, le Président du Comité a rendu hommage aux victimes de l'attentat de Bagdad du 19 août 2003, rappelant que ce jour était commémoré en tant que Journée mondiale de l'aide humanitaire. Il a demandé à l'assistance d'applaudir pendant une minute en hommage aux défenseurs infatigables des droits de l'homme.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de l'Iraq (CERD/C/IRQ/15-21).
Présentation du rapport
Présentant le rapport périodique du Cameroun (CERD/C/CMR/19-21), M. PAUL BATIBONAK, chargé d'affaires de la Mission du Cameroun auprès de l'Office des Nations Unies à Genève, a indiqué que depuis 2011, le Cameroun avait renoncé à l'utilisation de l'expression «populations marginales» qui est perçue par le Comité comme contraire à l'esprit de la Convention et qui stigmatise les minorités auxquelles elle se réfère. Ainsi, le pays célèbre désormais, le 9 août de chaque année, la Journée des populations autochtones vulnérables et non plus des populations marginales. «La persistance de l'adjectif "vulnérable" est illustrative de la complexité de la notion de population autochtone au Cameroun», a-t-il noté. Une étude a été lancée, avec l'assistance du Programme des Nations Unies pour le développement, afin d'identifier les populations qui pourraient être considérées comme autochtones au sens du droit international.
«Pour l'heure, seuls les groupes pygmées, qui bénéficient d'un consensus national quant à leur autochtonie au sens du droit international, sont considérés comme autochtones par le Gouvernement, qui prend des mesures spécifiques à leur égard dans le domaine de l'accès à la citoyenneté, à l'éducation, à la terre et aux ressources naturelles».
Le représentant camerounais a souligné qu'une grande partie des populations pygmées était dépourvue de documents d'état-civil. Une campagne d'informations a été lancée en 2010 pour y remédier. Les mesures prises – décentralisation des centres d'état-civil, gratuité de la carte d'identité – ont eu pour conséquences l'amélioration de la participation des populations pygmées aux consultations nationales et à la gestion des affaires les concernant, ainsi qu'un meilleur accès à la justice et à l'éducation. Des zones d'éducation prioritaires ont été créées. Des mesures de discrimination positive sont également pratiquées en faveur de l'admission des populations autochtones dans l'éducation supérieure. L'approche «genre» est également privilégiée pour favoriser l'accès des filles à l'éducation. En outre, l'histoire des Pygmées, leur mode de vie, ainsi que leur rôle dans le peuplement du pays sont intégrés dans les programmes d'enseignement. Des efforts sont également déployés pour dispenser les enseignements en langues locales.
M. Batibonak a toutefois reconnu que certaines dispositions législatives étaient de nature à réduire l'accès des Pygmées à certains droits, notamment à la terre et aux ressources forestières. Il a cité le cas de la loi foncière qui ouvre à tout Camerounais et à toute communauté le droit à l'immatriculation foncière d'espaces relevant du domaine national qui sont l'objet de mise en valeur. Or, les Pygmées, population nomade vivant de la cueillette et de la chasse, ne laissent pas d'emprise sur les espaces occupés : «Ils se trouvent, par le fait même, exclus du bénéfice de l'immatriculation», a-t-il été expliqué. «Aussi, l'État envisage-t-il la prise de dispositions visant à mieux protéger leur accès à la terre.» Une réforme des lois foncières et forestières est en cours. Elle fait l'objet d'une concertation avec les organisations représentatives des Pygmées. Dans ses actions de sédentarisation de ces communautés, le Gouvernement privilégie la préservation de leurs droits fonciers, particulièrement en cas d'expropriation. C'est dans ce cadre que 19 communautés pygmées sédentarisées ont obtenu une reconnaissance légale des terres qu'elles occupent, les superficies concédées variant de 0,4 à 1500 hectares.
Par ailleurs, une attention particulière est portée à la minorité anglophone, raison pour laquelle se côtoient un système anglophone et un système francophone dans les domaines de l'éducation et de la justice. Des actions sont menées en vue de la promotion du bilinguisme.
En outre, le Cameroun n'a cessé d'agir pour promouvoir le bien-être des personnes handicapées, a précisé son représentant, d'importantes mesures étant prises en faveur de l'amélioration de leurs conditions de vie, s'agissant notamment de l'accès à l'éducation par l'octroi de subventions aux institutions spécialisées privées ou de l'attribution d'appuis matériels et financiers aux élèves et étudiants concernés.
Le Cameroun a vu affluer quelque 200 000 réfugiés depuis le déclenchement de la crise centrafricaine et la crise sécuritaire dans le nord du Nigéria. «Fidèle à la légendaire tradition d'hospitalité du Cameroun», son gouvernement a fait aménager plus de 300 sites avec l'appui du Haut-Commissariat pour les réfugiés. Un Comité interministériel ad hoc chargé de la gestion des situations d'urgence a été créé en mars dernier.
S'agissant de l'évolution du cadre législatif et institutionnel, un Sénat a été mis en place à la suite des élections de 2013. Le Cameroun comptant plus de 250 ethnies déterminées par le dialecte, le souci de faire barrage à toute discrimination fondée par ce critère explique que la chambre haute soit composée de 100 sénateurs issus de chacune des dix régions du pays. Chaque région est ainsi représentée par dix sénateurs dont sept sont élus au suffrage universel indirect sur la base régionale et trois nommés par le chef de l'État. Vingt pour cent de l'effectif du Sénat est constitué de femmes, ce qui porte à un total de 31% la proportion des femmes parlementaires. Pour les élections sénatoriales et législatives, il a été tenu compte des différentes composantes sociologiques de chaque localité dans la constitution des listes électorales. Le code électoral fait obligation à chaque parti politique désireux de présenter des candidats de tenir compte des différentes composantes sociologiques de la circonscription concernée dans la constitution de ses listes.
En conclusion, le représentant du Cameroun a rappelé que son pays était «une mosaïque de peuples et de religions, doté d'une solide tradition d'hospitalité dont il est particulièrement fier». L'État a pour souci constant de lutter contre toutes les formes de discrimination et de promouvoir l'égalité de tous. Ses efforts à cet égard expliquent la cohésion et l'harmonie sociale» régnant dans le pays, qui contribuent ainsi à améliorer la conformité du pays avec la Convention.
M. ANATOLE FABIEN MARIE MADELEINE NKOU, Représentant permanent du Cameroun à Genève, qui n'était pas présent à l'occasion de la séance consacrée hier à la présentation du rapport mais uniquement à celle de ce matin, a assuré le Comité que «la problématique des droits de l'homme est essentielle pour le pays en dépit des moyens limités qui sont les siens». Le Cameroun prétend à l'instauration d'un état de droit, une œuvre qui est malaisée et de longue haleine, a-t-il ajouté. Le représentant a dit compter sur l'aide des membres du Comité, cette tâche exigeant en outre des moyens. Il a demandé aux experts de faire preuve de compréhension face aux manquements éventuels qui ne sont en aucun cas volontaires mais parfois imposés. Le Cameroun attend du Comité des conseils pour pouvoir améliorer la situation des droits de l'homme dans le pays.
Examen du rapport
Question et observations des membres du Comité
MME FATIMATA-BINTA VICTOIRE DAH, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport du Cameroun, a regretté que la Commission nationale des droits de l'homme et des libertés du Cameroun ne se soit pas manifestée à l'occasion de l'examen de ce rapport alors qu'elle vient de retrouver son statut A. Elle sera la bienvenue lors du prochain examen de l'État-partie, a-t-elle précisé. Mme Dah, qui a qualifié le rapport du Cameroun de «très riche et très agréable à lire», a souligné que le pays était touché par la situation de précarité et d'instabilité régnant dans la région, au Nigéria notamment. Avec quelque 250 ethnies pour une population de vingt millions d'habitants, le Cameroun fait face à de lourds défis, la rapporteuse soulignant que selon certaines autres sources, le pays compterait jusqu'à 440 ethnies. Elle a mentionné les frontières «poreuses» du pays dues à sa géographie mais aussi à son histoire.
Mme Dah a énuméré les trois grandes familles ethniques qui peuplent le Cameroun : les Bantous, les «bantoïdes» ou semi-Bantous et les Soudanais, auxquels il convient d'ajouter les Pygmées. Tout en rappelant que les recensements ne comportaient pas d'informations ethniques, choix que reconnaît le Comité, celui-ci souhaiterait pouvoir néanmoins disposer de statistiques sur la composition ethnique du pays. Se pose en effet la question de savoir qui est majoritaire et qui est minoritaire. Comment s'assurer qu'une minorité locale n'est pas l'objet de discrimination ou qu'une majorité n'est pas traitée de manière défavorable, a-t-elle demandé.
La rapporteuse a rappelé que l'experte indépendante de l'ONU chargée des questions relatives aux minorités avait souligné la nécessité de disposer de statistiques socio-économiques, ne serait-ce que pour mesurer les progrès enregistrés dans le développement du pays. L'absence de cas de discrimination raciale conduit aussi à l'interroger sur la présence d'un tel délit dans le code pénal. Quant aux conflits d'ordre foncier qui sont généralement réglés par la justice coutumière, cette procédure pèche généralement par le fait que les décisions prises obéissent à des coutumes qui ne sont pas toujours suivies par toutes les parties.
Le Cameroun a une place à part en Afrique, a encore souligné la rapporteuse, qui a précisé que les minorités ou populations autochtones étaient au nombre de trois: Bororos, Montagnards et Pygmées. Elle a relevé qu'un certain nombre de mesures étaient programmées concernant les «populations autochtones vulnérables», notamment en faveur de la réduction de la pauvreté. Elle a noté des insuffisances en matière d'éducation, d'accès à la justice et à la santé. Les actions engagées telles que les campagnes en faveur de la délivrance d'actes de naissance, de cartes d'identité en particulier, sont des actions ponctuelles, a-t-elles observé. Il serait souhaitable que les engagements clés soient reflétés, notamment que soit recueilli le consentement des populations concernées, particulièrement en matière forestière.
Mme Dah a souligné l'existence d'une situation de bilinguisme – l'anglais et le français étant langues officielles sur un pied d'égalité – de deux systèmes juridiques également en vigueur (anglo-saxon de la common law et romano-germanique).
Grâce à sa stabilité, le Cameroun est devenu terre d'accueil, a noté la rapporteuse. Les événements en Centrafrique continuent ainsi à drainer les réfugiés vers le Cameroun. Elle a demandé à la délégation de fournir des précisions sur la situation des réfugiés, dont l'intégration doit être privilégiée et les camps devant demeurer une exception. Comment le Cameroun traite-t-il les étrangers souvent sans papiers? Qu'en est-il de la scolarisation des enfants de réfugiés? Quelle protection pour les femmes réfugiées, a-t-elle aussi demandé, notant que, bien souvent, l'accès des réfugiés au marché du travail demeurait problématique. En outre, il semble que les projets de ratification d'instruments internationaux suivent leurs cours «sans hâte excessive».
Parmi les autres membres du Comité, un expert a mentionné les activités de l'organisation Boko Haram, estimant que le Cameroun risquait de devoir se monter plus réactif face à la menace qu'elle représente. Par ailleurs, il a relevé l'absence de données ventilées fournies par le Cameroun, rendant impossible toute connaissance de la situation en matière de discrimination. Il est certes sans doute impossible d'avoir des données sur 250 ethnies mais il est certainement possible d'en disposer sur les plus importantes numériquement. S'il est heureux qu'une étude nationale soit en cours au sujet des Pygmées, il ne paraît pas démesuré, selon lui, d'élargir celle-ci aux grands groupes ethniques que compte le pays.
Un autre expert a évoqué le fait que le Cameroun n'a pas adhéré à la procédure de plainte prévue par la Convention: tout en notant qu'elle était facultative, il a noté que le Sénégal, par exemple, s'y était rallié. Il a souligné par ailleurs la nécessité de prendre des mesures spéciales à l'endroit des Pygmées. Quant à l'expression «discrimination positive», il a rappelé que le Comité ne l'employait pas en raison d'une contradiction dans les termes, tout en reconnaissant que des mesures «spéciales» pouvaient effectivement s'imposer. Un autre expert a ajouté que toute discrimination était négative pas définition.
Un membre du Comité a posé une série de questions sur les procédures réglementant la participation des partis politiques aux élections. Les formations ont-elles l'obligation, par exemple, de présenter des candidats reflétant la composition sociologique, voire ethnique, de leur circonscription? Dans un pays multiethnique, le choix des candidats par les partis politiques se fait souvent en fonction de critères socio-ethniques, a-t-il souligné, ce qui peut apparaître effectivement comme une forme élaborée de racisme. Un expert a souhaité savoir ce qu'il en était de l'abolition de la peine de mort, ainsi que de la dépénalisation de l'homosexualité.
Un autre membre du Comité a abordé la question des méthodes de travail du Comité. Il a souligné qu'un organe chargé de surveiller la mise en œuvre d'un instrument des droits de l'homme doit avoir pleine connaissance de ses objectifs. Le rapport du Cameroun est admirable car il reflète les efforts qu'il déploie, y compris pour des recommandations qui n'ont aucun sens dans son cas. En effet, sauf si le Cameroun persécutait férocement les Pygmées, les recommandations à leur sujet n'ont en effet guère de sens, a estimé cet expert, qui a émis l'espoir que l'on cesserait d'insister sur des choses n'ayant rien à voir avec la situation de ce pays. Chaque pays est un cas et il est erroné d'avoir un modèle unique. Dans un monde qui se fragmente de manière effrayante, il est bon de voir que des États tels que le Cameroun entendent préserver leur unité dans la diversité. Il ne faut pas imposer la production de données ventilées, un dogme dont on peut voir le résultat dans des pays voisins ravagés par la fragmentation ethnique, a encore affirmé cet expert. Poursuivant cette discussion sur les recommandations formulées aux États par le Comité, un autre expert a pour sa part estimé que rien n'empêchait un État de recueillir de telles données de manière officieuse. Le recueil de données par zones géographiques est pertinente à cet égard. On peut ainsi avoir des données économiques et sociales pour connaître les besoins des populations de telle ou telle région, sans pour autant désigner les populations par leur ethnie.
Le même expert a demandé ce que la délégation entendait par le terme «race» dans son rapport. Il a aussi souhaité savoir si une partie de la population n'avait toujours pas d'actes de naissance, se trouvant ainsi privée d'identité formelle. Il a mentionné le fait qu'une organisation non gouvernementale avait souhaité la visite du Comité dans le pays, une visite à laquelle il s'est dit lui-même favorable, tout en reconnaissant qu'elle dépendait du bon vouloir des autorités.
Une experte a noté que si le Parlement comptait une représentation féminine de 31% - la Constitution fixant un quota de 30%, ce chiffre ne reflétait pas réellement la représentation minimale voulue par la Constitution dans la mesure où l'Assemblée nationale ne comptait que 11% de femmes.
Un autre expert a posé une série de questions au sujet des Baka, un peuple considéré parfois comme menacé. Il a noté en particulier leur situation d'exclusion et le mépris dans lequel ils sont notamment tenus leurs enfants à l'école. L'administration a-t-elle pris des initiatives en leur faveur?
Un membre du Comité a demandé à la délégation quel sens elle donnait au terme «autochtone», s'agissant en particulier des Pygmées. Il a contesté que le droit à l'éducation repose sur la nationalité. Tout enfant présent dans le pays a droit à l'éducation, a-t-il rappelé, quelle que soit sa nationalité. Une experte a souhaité avoir des précisions sur les mesures éventuellement prises en faveur des femmes, autochtones notamment. Une autre experte a demandé comment le Cameroun voyait la contradiction potentielle entre la préservation de la culture des peuples autochtones et l'évolution de leurs conditions de vie. Qu'en est-il de la préservation des savoirs traditionnels afin que ceux-ci soient intégrés dans la société moderne, tout en sensibilisant la jeunesse à cet égard? Un autre expert a dit avoir le sentiment que le Cameroun avait une politique équilibrée, citant la promotion de Pygmées au sein de la fonction publique.
Le Président du Comité a demandé si le Cameroun envisageait de ratifier la Convention n°169 de l'Organisation internationale du travail sur les peuples indigènes et tribaux.
Aujourd'hui, alors que l'Afrique est indépendante, la règle veut que l'on dispose de données ventilées pour identifier les cas de discrimination, a souligné un membre du Comité. Il existe des cas, comme le Cameroun, où se pose la question de savoir si une tribu s'impose sur les autres. L'expert a dit avoir le sentiment que ce n'était pas le cas au Cameroun. Toutefois, le Comité aimerait pouvoir en être certain.
Se lançant dans un débat sur le terme de «race» l'expert a convenu que les races n'existent pas et que le concept avait été mis en avant par les Européens aux fins de justifier l'esclavage. Toutefois, tout le monde sait ce que recouvre ce mot, un concept occidental très difficile à appliquer sous certaines latitudes. Pour certains, la Convention viserait même à défendre les Blancs, a-t-il observé. Le mot «race» est une construction sociale pleine de préjugés, a-t-il ajouté. Les concepts occidentaux sont à la source de confusions incroyables, a-t-il observé. Ainsi, les Pygmées sont classés parmi les peuples autochtones, appellation qui n'est sans doute pas appropriée. Ainsi, qui est autochtone en Suisse? L'expert a rappelé que le mot «indigène» avait la même racine que le mot «indien» et qu'il dérivait de l'erreur commise par Christophe Colomb croyant débarquer en Inde lorsqu'il a découvert l'Amérique. Aujourd'hui, dans le monde entier, il faut découvrir des autochtones, a-t-il constaté, alors que bien souvent, on ignore qui sont les peuples premiers, ceux qui par définition sont censés être arrivés les premiers.
«S'il n'y a certes pas de races, le racisme existe néanmoins», a pour sa part constaté un expert qui a rappelé qu'il s'agissait pour le Comité de conseiller les États-parties. Il a rappelé en outre que le Comité préférait ne pas utiliser l'expression «discrimination positive», considérant qu'une discrimination ne pouvait n'être que négative et préférant l'expression «mesures spéciales».
Réponses de la délégation
La délégation camerounaise a indiqué, s'agissant de «la nébuleuse Boko Haram», qu'une direction militaire spéciale serait installée dans l'extrême nord du pays afin de pouvoir faire rapidement face à toute détérioration de la situation. Le Président a décidé par ailleurs de la participation camerounaise à la force multinationale devant être déployée dans la région du lac Tchad.
S'agissant de la situation des Pygmées, la délégation a précisé que ces populations ne vivaient pas dans un continuum géographique et que les régions où ils sont installés étaient sensiblement différentes. Ils vivent généralement «avec la forêt et dans la forêt». Cela explique que la sédentarisation constitue en soi un risque. Mais il y a aussi des Pygmées dans la fonction publique et dans les villes où ils ne sont toutefois pas majoritaires. Il n'existe donc pas de solution unique pour tous les Pygmées, ce qui implique une diversité des modes d'intervention de l'État. Par ailleurs, leur nomadisme rend délicat l'attribution de terres. D'autant que, pour eux, la forêt passe avant la terre, le bois et la flore avant le reste. Leurs représentants sont associés à la prise de décision, a ajouté la délégation. Avant de critiquer ce qui se fait au Cameroun, il est souhaitable par conséquent de s'informer sur le terrain, a-t-il observé. En outre, l'État ne peut pas tout faire mais ce qui a été fait peut être quantifié dans le cadre d'un processus.
Malgré des moyens limités, le Cameroun fait beaucoup, a dit la délégation, notamment en faveur des albinos, qui sont intégrés et qui jouent un rôle dans la société, contrairement à ce que l'on voit dans certains pays voisins.
La médecine communautaire est de plus en plus développée, l'État camerounais veillant à intégrer tout le monde et pas seulement les citadins. Si l'État parle de discrimination positive, il n'est pas figé dans les mots mais sur la réalité que recouvrent ces mesures qui sont discriminantes par nature, a rappelé la délégation. L'idée est de faire en sorte qu'il y ait une dérogation à la norme, a-t-il justifié. Les règles doivent s'appliquer à tout le monde, tout en aidant ceux qui ont été défavorisés par l'histoire, a-t-il encore déclaré.
La délégation du Cameroun a assuré que le Gouvernement s'était engagé à respecter l'unité dans la diversité, tout en promouvant la liberté.
Un expert ayant demandé ce que la délégation entendait par le mot «race», la délégation a répondu qu'il n'existait pas de races au Cameroun. Aucune pièce d'identité d'un Camerounais ou d'une Camerounaise ne mentionne la race, l'appartenance à la tribu. C'est un pays où il y a des Noirs, des Blancs, des métis, la délégation reconnaissant que le terme de race n'était pas approprié. Elle a en outre proposé que le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale se rebaptise en supprimant l'adjectif «raciale». La délégation a d'ailleurs souligné que le code pénal camerounais rédigé en 1967 mentionnait la discrimination sans autre précision. La définition du Cameroun est la définition de la Convention, celle-ci ayant prééminence sur la loi nationale.
«La seule race existante dans ce monde est la race humaine», a ajouté le chef de la délégation, M. Nkou, qui a notamment expliqué que, «certes, je suis Noir mais dans mon village je suis considéré comme un Blanc». Un membre du Comité s'étonnant de cette affirmation, il a répondu que l'on était considéré comme «Blanc» lorsque l'on donnait le sentiment d'avoir réussi dans la vie : «Quand vous avez un niveau de vie comparable à celui d'un Américain, d'un Saoudien, d'un Français, vous êtes considéré comme «le Blanc» du village, autrement dit celui qui a réussi et sur lequel on peut compter en cas de coup dur. C'est une question de solidarité élémentaire régissant la «famille africaine» au sens large (Réagissant à cette explication, le Président du Comité a jugé personnellement préoccupant que l'on ait ainsi tendance à considérer que ce qui venait des Blancs soit nécessairement positif).
Si la Convention contre la discrimination raciale est peu invoquée par les tribunaux, la délégation a précisé qu'en revanche d'autres instruments tels que la Convention pour l'élimination de toutes les discriminations à l'égard des femmes ainsi que celle relative au droit de l'enfant l'étaient couramment.
Un membre du Comité ayant souhaité savoir si le Cameroun envisageait néanmoins l'adoption d'une loi générale relative à la discrimination raciale, la délégation a répété qu'une discrimination de cette nature n'existait pas à sa connaissance dans son pays, citant le cas des tribunaux qui n'ont pas connaissance de cas de discrimination en fonction de l'ethnie ou de la tribu. Elle a rappelé que le pays était partie à plusieurs conventions relatives à divers types de discrimination. On ne peut envisager de prendre à chaque fois une loi générale par rapport à chacune d'entre elles, a-t-elle expliqué. Pour le moment, les textes existants couvrent la discrimination au sens de la Convention, a-t-elle assuré, et il n'est pas envisageable d'adopter un texte de loi spécifique à chaque instrument. Un expert ayant relevé que le Cameroun n'avait pris en compte la notion de discrimination que dans son code pénal et son code électoral et qu'il semble donc souhaitable d'adopter une disposition générale sur l'origine et sur le sexe qui s'appuierait sur l'article un de la Convention (comme l'ont fait d'autres pays, notamment africains) la délégation a dit en prendre bonne note, estimant toutefois que cette recommandation pouvait s'avérer beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît et être même contre-productive.
En réponse à une question sur la lutte contre «les criminels qui prétendent se battre au nom de l'islam», la délégation a assuré qu'il n'existe aucune discrimination d'aucune sorte envers les musulmans; toutes les grandes religions révélées vivaient en parfaite harmonie dans son pays. L'islam est défendu par les non-musulmans. Les fêtes musulmanes sont fêtes nationales, à l'instar des fêtes chrétiennes. La délégation a jugé désolantes les exactions de la secte Boko Haram, qui mène des incursions au Cameroun même. L'armée a été renforcée et pense pouvoir y faire face. Elle a souligné qu'une étroite coopération était établie non seulement avec les pays voisins, à commencer par le Nigéria, mais aussi avec la France et les États-Unis. Toutefois, les moyens du Cameroun étant limités, toute aide est la bienvenue. L'indignation face aux exactions de cette secte était unanime dans le pays, de la part des chrétiens, des musulmans et des «païens», a ajouté la délégation.
S'agissant des questions posées hier sur les populations autochtones, la délégation a mentionné la question de la construction de barrages susceptibles d'avoir des retombées sur les populations environnantes, les Pygmées en particulier. Leur spécificité culturelle, qui dépend de la relation étroite de ces populations avec la forêt, doit être préservée, a convenu la délégation. Des projets agricoles adaptés à leur style de vie, à leur alimentation, leur sont proposés dans le cadre de l'incitation à la sédentarisation. Afin de diminuer la stigmatisation qui affecte ces populations, des journées comme le 9 août en l'honneur des populations autochtones servent à tenter de changer la vision que l'on a d'eux en sensibilisant les autres populations à leur égard. S'agissant de l'état d'avancement de l'étude en cours sur les populations autochtones, il s'agit de mesurer l'impact des mesures prises au niveau national et l'appropriation par celles-ci des mesures adaptées au monde moderne. Par exemple, il faut convaincre les populations de l'utilité de disposer de cartes d'identité, ce qui ne va pas nécessairement de soi. Quant à la dénomination «autochtone», la plupart des ethnies, à commencer par les Bantous ont tendance à s'affirmer comme tels. Il s'agit de proposer un concept de population autochtone qui soit adapté au Cameroun, a expliqué la délégation. De fait, les populations non autochtones ont les mêmes besoins que les autochtones, en matière d'accès à la terre, à la santé, à l'éducation. Cette étude, qui se déroule en plusieurs phases, s'inspire de ce qui a été fait dans ce domaine par le Congo-Brazzaville. À l'heure actuelle, les experts sont sur le terrain, aidés de statisticiens afin d'obtenir des données ventilées.
S'agissant du code électoral, si les membres d'un parti estiment que leur formation n'a pas tenu compte de la composition sociologique de telle ou telle circonscription, ils peuvent introduire un recours. La loi prévoit l'invalidation de candidatures pour appel à la discrimination.
La Commission des droits de l'homme et des libertés a participé à l'élaboration du rapport, a assuré la délégation. C'est à elle qu'il appartenait de décider éventuellement en toute indépendance de participer à l'examen devant le Comité. Cette commission a reçu 608 requêtes en 2013 et en a traité 526. Elles portaient pour la plupart sur la violation du droit à un procès équitable et sur le respect du code du travail. En outre, elle effectue des visites impromptues dans les prisons.
Près de 26 000 personnes sont détenues, dont plus de 10 000 en préventive, la délégation reconnaissant un phénomène de surpopulation carcérale. La solution à cette situation consiste à diminuer le recours à la détention préventive, en utilisant par exemple plus couramment le versement de caution par les personnes mises en cause.
Répondant à des questions sur le système de justice, et notamment la pratique en matière de détention préventive et d'accès à un avocat, la délégation a expliqué que de nombreux prévenus étaient détenus pour crimes et doivent tous disposer d'un avocat, éventuellement commis d'office. Toutefois, les avocats ont tendance à privilégier les clients qui les payent bien et à négliger les commissions d'office. Un membre du Comité ayant suggéré que des dispositions pourraient être prises pour imposer aux avocats d'accorder la priorité aux prévenus ayant demandé l'aide juridictionnelle, la délégation a expliqué que les personnes prétendant avoir recours à un avocat commis d'office devaient solliciter un certificat d'indigence délivré par la mairie du domicile. Elle a dit accueillir favorablement l'idée de sanctionner les avocats négligents. L'assistance judiciaire est relativement peu demandée, la délégation reconnaissant qu'une campagne d'information pourrait être utile à cet égard. Elle a aussi précisé qu'en 2013, près de 3000 affaires avaient donné lieu au recours à un interprète.
Par ailleurs, il n'existe pas de droit coutumier codifié au Cameroun, a indiqué la délégation. Il existe des juridictions traditionnelles dont les décisions sont appliquées tant qu'elles ne sont pas contraires à l'ordre public. Le jugement devant une telle juridiction n'est pas automatique, les justiciables devant accepter au préalable d'être jugés en vertu du droit coutumier. Si ce n'est pas le cas, le tribunal coutumier se déclare incompétent.
S'agissant de la critique formulée par une experte sur le fait que la règle de 30% de femmes à des postes électifs n'était pas correctement respectée, la délégation a rappelé que les dernières élections avaient permis de passer de 25 à 56 femmes députées à l'Assemblé nationale, 20% des sénateurs étant par ailleurs des femmes: il s'agit d'une grande évolution, les textes fixant à 30% le pourcentage de femmes dans les postes électifs à l'horizon 2020. Le Cameroun estime par conséquent être en avance par rapport à cet objectif.
Conclusions
MME DAH, rapporteuse du Comité pour le Cameroun, a parlé d'un dialogue «très intéressant et original». Ne voulant pas anticiper sur les recommandations, elle a néanmoins tenu à préciser qu'il ne s'agissait pas de juger mais d'évaluer, à la lumière d'une expérience proche du demi-siècle d'existence du Comité. Celui-ci est très prudent en ce qui concerne la discrimination raciale, aucun pays n'étant exempt de ce fléau, a-t-elle souligné. Depuis la Déclaration de Durban, on a appris que cette discrimination était «un véritable caméléon». Elle a mentionné les «formes contemporaines» de racisme. «Nous donnons des conseils et nous nous imprégnons de vos réalités pour alimenter notre expérience». Elle a émis l'espoir que dans l'avenir le Cameroun se prêterait dans les temps à cet examen.
M. NKOU, Représentant permanent du Cameroun à Genève et chef de la délégation, a confié que son expérience vieille d'une dizaine d'années à Genève lui avait permis de se soumettre à un exercice similaire devant d'autres comités. Il s'est dit frappé par l'atmosphère de convivialité du Comité, par l'expérience de ses membres, ce qui n'a, selon lui, pas toujours été le cas avec les autres organes. Lors du renouvellement des mandats des experts, il a assuré qu'il apporterait son soutien à leur prorogation pour chacun d'entre eux.
Le Cameroun ne saurait être un paradis, c'est un jeune État à l'échelle historique disposé à recevoir avec beaucoup de compréhension et de respect les conseils qui lui sont prodigués. Mais tout ce qui se fait en matière de droits de l'homme a un coût. Or, le Cameroun est un pays pauvre manquant de moyens pour défendre les droits des uns et des autres. M. Nkou en appelle par conséquent à l'indulgence du Comité vis-à-vis de ce qui n'a encore pu se faire. Le Cameroun est un pays multiconfessionnel, il est à la fois terre d'islam, terre de chrétienté et chaque religion y est respectée. Les ethnies, les étrangers vivent en parfaite convivialité. Il s'agit d'un pays en développement désireux d'améliorer la qualité de vie et le niveau de vie de sa population.
Le Président du Comité s'est félicité pour sa part de l'ouverture affichée par le Cameroun.
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