Communiqués de presse Organes conventionnels
Le Comité auditionne des ONG au sujet de la mise en oeuvre de la Convention en Pologne et en Suisse
10 février 2014
Comité pour l'élimination
de la discrimination raciale
10 février 2014
Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a auditionné, ce matin, des représentants d'organisations non gouvernementales au sujet de la mise en œuvre de la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale dans deux des cinq pays dont les rapports doivent être examinés cette semaine, à savoir la Pologne (dont le rapport sera examiné cet après-midi et demain matin) et la Suisse (dont le rapport sera examiné vendredi après-midi et dans la matinée de lundi prochain). Les autres pays dont les rapports seront examinés cette semaine sont l'Ouzbékistan, le Kazakhstan et le Luxembourg.
S'agissant de la Pologne, la discussion a porté sur l'évolution récente de la législation dans le pays – s'agissant notamment de la loi sur l'égalité et de la loi sur les étrangers –, ainsi que sur la situation des Roms et sur les crimes de haine, une association ayant établi quelque 600 incidents fondés sur le racisme, la xénophobie, la discrimination ou les crimes haineux s'étaient produits en Pologne pour la seule période 2011-2012.
En ce qui concerne la Suisse, les ONG ont essentiellement soulevé les questions ayant trait aux résultats de la votation d'hier qui a abouti à l'approbation d'une initiative sur le contrôle de l'immigration; à la situation des requérants d'asile; ou encore à la persistance de la pratique du profilage racial, notamment dans les gares. Les ONG ont également déploré les faibles progrès enregistrés par la législation antidiscriminatoire dans le pays, ainsi que le manque d'aires de séjour et de transit pour les Gens du voyage en Suisse et, plus généralement, la stigmatisation des Roms dans le pays.
Des représentants de la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme sont intervenus sur la Pologne et, sur la Suisse, la Plateforme droits humains des ONG et le Groupe de travail «Femmes migrantes et la violence conjugale». Plusieurs membres du Comité ont participé aux échanges.
Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la Pologne (CERD/C/POL/20-21).
Aperçu des débats
S'agissant de la Pologne, une représentante de la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme, a attiré l'attention sur l'évolution récente de la législation dans le pays, ainsi que sur la situation des Roms et les crimes de haine dans ce pays. Elle a souligné que l'une des faiblesses de la loi sur l'égalité adoptée par la Pologne réside dans le fait que le plaignant ne peut prétendre qu'à compensation. La nouvelle loi sur les étrangers, qui régit la situation de ces personnes en Pologne, ne prévoit pas l'interdiction de la détention de mineurs étrangers dans des centres de rétention, a par ailleurs fait observer la représentante. Elle a ensuite attiré l'attention sur l'insuffisance des données statistiques concernant les Roms: selon le recensement de 2011, la Pologne compte 16 830 Roms, alors que les autorités gouvernementales locales estiment que ce nombre atteint 20 à 25 000. En outre, aucune statistiques officielles n'existent quant au nombre de Roms migrants. De plus, on ne peut pas dire que l'adoption du Programme pour la communauté rom en Pologne (2004-2013) et autres mesures en leur faveur aient apporté des améliorations tangibles de la situation des Roms en Pologne, a estimé la représentante. Elle s'est enfin inquiétée du nombre de crimes de haine dans le pays, les données recueillies par l'Association «plus jamais ça» laissant apparaître que pour la seule période 2011-2012, quelque 600 incidents fondés sur le racisme, la xénophobie, la discrimination ou les crimes haineux s'étaient produits en Pologne. Le rapport annuel de l'Association (the "Brown Book") documente les incidents dans le contexte de la violence raciste et xénophobe commis en Pologne, constate une hausse substantielle des agressions perpétrées par des nationalistes extrémistes au cours de ces deux dernières années. La représentante a ajouté que les enquêtes relatives à ces crimes ne sont pas suffisamment efficaces.
Un membre du Comité a souhaité savoir s'il y avait en Pologne des Roms provenant d'autres pays et, si tel est le cas, s'ils étaient confrontés à des problèmes particuliers et lesquels. Les Roms en Pologne sont-ils toujours itinérants ou sont-ils sédentarisés – dans quelles régions sont-ils éventuellement concentrés? Une autre experte a relevé que si la Pologne, comme tout autre État de l'Union européenne, dispose d'une stratégie nationale sur les Roms, il semble nécessaire de voir si cette politique bénéficie d'un soutien suffisant des autorités.
La représentante de la Fondation Helsinki pour les droits de l'homme a indiqué qu'en Pologne, une partie de la communauté rom est composée de personnes venant de Roumanie et de Bulgarie. La majorité des Roms en Pologne se trouve dans les parties sud et est du pays, a-t-elle précisé. Les Roms en Pologne sont confrontés à de nombreux problèmes, parmi lesquels ceux liés à l'accès à l'éducation, aux services de santé, aux prestations sociales, entre autres, a aussi indiqué la représentante. Interpelée au sujet des raisons pour lesquelles si peu d'enquêtes étaient engagées en matière de crimes haineux, elle a évoqué le manque de formation des procureurs, en particulier. Le Défenseur des droits de l'homme produit chaque année un rapport qui traite notamment des questions de discrimination, a par ailleurs souligné la représentante, assurant que ces rapports sont une source très fiable d'informations.
S'agissant de la Suisse, un représentant de la Plateforme droits humains des ONG a estimé que la votation d'hier en Suisse témoigne du climat xénophobe qui s'est développé ces dernières années dans le pays. Il ne faut pas en déduire que les Suisses n'aiment pas les étrangers; les Suisses aiment les touristes, les ouvriers étrangers, mais ne veulent pas donner de droits à ces ouvriers: tel est, selon lui, le sens de la votation d'hier.
Une autre représentante de la Plateforme droits humains des ONG, a pour sa part attiré l'attention sur la situation des requérants d'asile en Suisse. Elle a plus particulièrement dénoncé les modifications apportées à la loi sur l'asile, eu égard à leurs conséquences négatives pour les requérants d'asile, s'agissant notamment du regroupement familial et de l'accès à un permis durable, sans parler de l'accès à la naturalisation (qui exige dorénavant un permis C). Jadis, tous les réfugiés obtenaient un permis C (autorisation d'établissement) après cinq années de séjour en Suisse; maintenant, non seulement il leur faut justifier de dix ans de séjour dans le pays, mais il faut également qu'ils soient bien intégrés, parlent la langue et soient indépendants de l'aide sociale. Par ailleurs, plusieurs problèmes se posent s'agissant des centres d'accueil pour requérants d'asile en Suisse: restrictions à la liberté de mouvement; manque d'informations fournies aux requérants quant aux procédures les concernant; absence de toute vie sociale et familiale; non-scolarisation des enfants; discrimination à l'encontre des ressortissants des pays de l'Est, dont une grande partie était composée de Roms, qui ne percevaient pas l'argent de poche accordée aux autres requérants. Dans certains cantons, a ajouté la délégation, la prise en charge des requérants d'asile déboutés et devant être renvoyés est encore pratiquée de manière très rigoureuse. Quant au profilage racial, s'il y a incontestablement amélioration au niveau de la formation de base des policiers, les problèmes persistent dans ce domaine, des pratiques de profilage racial étant encore constatées, même dans les corps où une formation a été dispensée. Dans les gares, la police ferroviaire continue de pratiquer le profilage racial, notamment à l'encontre des Noirs, a insisté la représentante.
Un autre représentant de la Plateforme droits humains des ONG a dénoncé la structure discriminatoire de la politique de naturalisation en Suisse, ainsi que les progrès insuffisants enregistrés par la législation antidiscriminatoire dans le pays. Ce représentant a par ailleurs déploré le manque d'aires de séjour et de transit pour les Gens du voyage en Suisse et, plus généralement, la stigmatisation des Roms dans le pays.
Une représentante du Groupe de travail «Femmes migrantes et la violence conjugale» a attiré l'attention sur la façon par trop restrictive avec laquelle est appliquée la notion d'«intensité» des violences conjugales, le plaignant étant, selon la jurisprudence et les directives fédérales, censé démontrer que l'auteur inflige des mauvais traitements systématiques à la victime pour affirmer sa supériorité et exercer un contrôle sur elle. La notion d'«intensité» des violences devrait être retirée. Tant qu'il ne sera pas possible de rassurer les victimes quant à l'application de la loi dans ce domaine, bon nombre d'entre elles retourneront chez l'auteur des faits, auprès duquel elles risquent parfois leur vie. Il paraît donc essentiel que le Comité recommande à la Suisse de préciser les critères de prise en compte des preuves irréfutables de violences, notamment pour ce qui est du statut accordé par la Loi sur l'aide aux victimes d'infractions en vue du renouvellement d'une autorisation de séjour aux victimes de violence domestique qui quittent leur conjoint, de manière à ce que les cantons et l'administration fédérale les appliquent de manière équitable et unifiée.
Un membre du Comité a souhaité en savoir davantage au sujet du contenu de l'initiative approuvée hier par le peuple suisse et qui va à l'encontre des droits des travailleurs migrants. Quelle est la portée de cette décision et quelle est la procédure qui va permettre son entrée en vigueur effective? Un expert s'est demandé si les résultats de telles votations peuvent être remis en cause par le droit international, s'ils contredisent des normes juridiquement contraignantes de ce droit.
Commentant lui aussi le résultat de la votation d'hier en Suisse, un expert a fait observer que l'on se trouve face à une opinion publique qui fait comme s'il n'y avait pas de lois en matière de lutte contre la discrimination; dans ce contexte, il faut s'interroger sur la manière de procéder pour rappeler à l'opinion publique que de telles lois existent et la sensibiliser. Il faudrait notamment rappeler aux Suisses qu'ils ont eux-mêmes été victimes de discrimination par le passé, notamment s'agissant des émigrés vers l'Amérique latine.
Une experte a demandé si des statistiques pouvaient être fournies concernant la discrimination multiple à l'encontre des femmes migrantes.
Revenant sur la question du profilage racial, le représentant d'une ONG a souligné que le véritable problème était d'ordre structurel et que les responsables politiques à tous les niveaux, pas plus que ceux de la police, ne montrent une volonté résolue de s'attaquer à ce problème. Ils donnent même généralement l'impression qu'ils ne considèrent pas qu'il y ait en la matière de problème grave. Le profilage racial est interdit par la Constitution, a poursuivi une autre représentante; mais la police ne semble pas avoir conscience de la réalité de cette problématique, sauf à Lausanne où un travail important a été fait pour passer du profilage racial à l'action policière ciblée. Ailleurs, des initiatives ont pu être prises, en particulier en termes de formation des policiers: mais cette formation n'est pas obligatoire.
Il apparaît de plus en plus en Suisse que le discours sur les droits de l'homme (discours de légitimation d'une action par le biais des droits de l'homme) a une prise moindre sur l'opinion publique, a affirmé une représentante d'ONG. Certains discutent même de la possibilité pour le pays de se retirer de la Convention européenne des droits de l'homme. Il conviendrait donc de trouver le moyen de montrer à la population suisse qu'elle a elle-même intérêt à ce que le pays reste partie à la Convention européenne des droits de l'homme, a-t-elle souligné.
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