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Communiqués de presse Organes conventionnels

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale examine le rapport du Sénégal

15 août 2012

Le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale a examiné, hier après-midi et ce matin, le rapport du Sénégal sur les mesures prises par le pays pour se conformer aux dispositions de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale.

M. Fodé Seck, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, a attiré l'attention sur la particularité du pays, carrefour de métissage, par son histoire et sa géographie, qui continue d'être un lieu de brassage culturel et religieux, une terre de tolérance et d'hospitalité. Il a fait valoir l'absence de saisine des tribunaux pour discrimination raciale en dépit d'un accès libre à la justice. M. Seck a par ailleurs attiré l'attention sur la mise en place d'un Observatoire national des lieux de privation de liberté; la ratification récente de nouveaux instruments internationaux dans le domaine des droits de l'homme; la mise en place de l'Observatoire national de la parité. Les migrants et les étrangers vivent au Sénégal dans les mêmes conditions d'égalité que les citoyens sénégalais, a assuré le chef de la délégation. En ce qui concerne la question «la thématique dite des castes», le représentant a souligné la difficulté pour l'État de sanctionner des comportements individuels qui tendent à circonscrire les liens du mariage aux membres d'un même groupe social.

La délégation sénégalaise était également composée de représentants du Ministère de la justice; du Ministère de l'intérieur; du Ministère de la femme, de l'enfant et de l'entreprenariat féminin; et du Ministère des affaires étrangères. Elle a répondu aux questions qui lui étaient adressées par les experts s'agissant, principalement, de la Casamance; de l'absence de plaintes pour délit à caractère racial; de la pratique sociale du «cousinage à plaisanterie»; de la problématique des réfugiés, notamment pour ce qui est des réfugiés mauritaniens vivant au Sénégal; des droits syndicaux des travailleurs migrants; de la traite de personnes; de la situation des femmes, notamment en ce qui concerne la pratique des mutilations génitales féminines.

L'expert chargé de l'examen du rapport du Sénégal, M. Kokou Mawuena Ika Kana Ewomsan, a relevé que les problèmes relatifs, notamment, aux migrants, aux enfants talibés, aux réfugiés, au système de castes et au conflit en Casamance ont particulièrement retenu l'attention des membres du Comité. Rappelant que lors de l'examen de son précédent rapport, le Sénégal n'avait pas reconnu le caractère ethnique de ce conflit, le rapporteur a souhaité que la situation soit réglée de façon pacifique en tenant compte de tous les aspects de la question pour permettre au Sénégal de réaliser la réconciliation nationale. M. Ewomsan a aussi attiré l'attention sur la situation des enfants immigrés des pays voisins, contraints à la mendicité par des chefs religieux qui dirigent des écoles coraniques. Il a également relevé l'interdiction qui est faite aux travailleurs étrangers d'exercer des fonctions syndicales au Sénégal. Le rapporteur s'est préoccupé de la situation des réfugiés, en particulier des réfugiés mauritaniens, dont certains ont entrepris récemment une grève de la faim. S'agissant des problèmes liés au système de castes, le rapporteur a souligné que si la survivance de ces pratiques n'est pas le fait de l'État, il n'en demeure pas moins que l'État a le devoir de protéger les personnes contre ces pratiques et de prendre des mesures pour les éradiquer. Pour M. Ewomsan comme pour d'autres membres du Comité, l'absence de plaintes pour discrimination n'est pas nécessairement un signe positif car elle peut s'expliquer par un manque de confiance dans les juridictions nationales, une méconnaissance des recours disponibles, une ineffectivité des recours disponibles ou encore d'une méconnaissance des victimes quant à leurs droits.

Le Comité adoptera, dans le cadre de séances privées, des observations finales sur le rapport du Sénégal et les rendra publiques à l'issue de la session, qui se termine le vendredi 31 août.

Cet après-midi, à 15 heures, le Comité entamera l'examen du rapport des Fidji (CERD/C/FJI/18-20).

Présentation du rapport du Sénégal

Présentant le rapport périodique du Sénégal (CERD/C/SEN/16-18), M. Fodé Seck, Représentant permanent du Sénégal auprès des Nations Unies à Genève, a souligné que le pays demeure plus que jamais animé d'une volonté renouvelée pour assurer le respect de ses obligations en vertu de la Convention. Cet engagement va au-delà de la Convention et de manière générale s'étend à la promotion et la protection des droits de l'homme, sans aucune exclusive. Un tel état d'esprit prend une forme spécifique dans le cadre de la lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance qui y est associée au regard de la particularité du Sénégal, carrefour de métissage par son histoire et sa géographie, et qui continue d'être un lieu de brassage culturel et religieux, terre de tolérance qui lui vaut le surnom de pays de la teranga, c'est-à-dire de l'hospitalité, a-t-il indiqué.

Au Sénégal, a poursuivi M. Seck, «il est clair que les questions liées à la discrimination raciale ne sont pas des phénomènes tels qu'on peut les connaître ailleurs, à en juger par l'absence de saisine des tribunaux sur cette matière en dépit d'un accès libre à la justice». «L'hospitalité du peuple sénégalais ainsi que l'intégration réussie des étrangers dans le tissu social national laissent peu de place à ces phénomènes», a-t-il insisté. Toutefois, cet environnement n'est pas une fin en soi, surtout dans un monde d'interconnexion et de mutations subites. C'est pour cette raison que l'accent est mis sur la prévention, à travers la promotion d'une société ouverte, basée sur une culture de la paix et de la tolérance, avec divers mécanismes sociaux, comme le cousinage à plaisanterie (c'est-à-dire la possibilité de voir des membres d'ethnies différentes se taquiner sans dommage ni conséquence, comme cela est consacré dans la Charte historique du Mandé, adoptée dès 1236), dans lesquels les chefs religieux et les leaders traditionnels et coutumiers jouent un grand rôle.

M. Seck a indiqué que «la mise en œuvre de la Convention, à la lumière de la Constitution qui l'élève à un niveau supra-légal, est traduite par la domestication des dispositions de ladite convention, notamment ses articles 1 et 4 dans la législation pénale nationale relativement aux droits civils et politiques». Cette législation de mise en œuvre s'étend également aux droits économiques, sociaux et culturels aussi bien au niveau de la Constitution qu'au niveau du Code du travail, notamment. «Ce processus n'ignore aucune portion du territoire sénégalais car il a une dimension nationale qui embrasse aussi bien les zones urbaines que les zones rurales, a-t-il ajouté. «Parce que la lutte contre la discrimination raciale est un défi de tous les instants», a poursuivi le représentant, ces dispositions de mise en œuvre ont été complétées par une série de mesures nouvelles consacrées, notamment, aux droits des personnes vulnérables, y compris les droits des non-ressortissants. Avec la mise en œuvre de la Loi de 2010 sur la parité homme-femme dans l'exercice des fonctions publiques électives, la nouvelle Assemblée nationale issue des élections du mois dernier compte 65 représentantes et 85 représentants. Dans quelques semaines, la mise en place du Sénat obéira à la même logique, a indiqué M. Seck.

Par une loi du 10 mai 2005, le Sénégal s'est doté d'un cadre répressif renforcé plus tard par l'adoption en 2009 d'un Plan national d'action de lutte contre la traite des personnes, puis d'une Cellule de lutte contre la traite des personnes, à l'effet de protéger les personnes victimes d'exploitation à des fins économiques ou autres, a poursuivi le Représentant permanent. L'une des cibles majeures de cette Cellule sont les enfants mendiants (ou «talibés»), dont la majorité provient des pays limitrophes, a-t-il précisé.

Au titre des avancées significatives enregistrées depuis la présentation du précédent rapport du Sénégal, en 2002, M. Seck a notamment cité la mise en place d'un Observatoire national des lieux de privation de liberté; la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ainsi que la ratification de la Convention sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées; l'adoption, en 2006, d'une loi portant obligation scolaire de 10 ans (de 6 à 16 ans); ou encore la mise en place, en mars 2011, de l'Observatoire national de la parité.

M. Seck a ensuite assuré que les migrants et les étrangers vivent au Sénégal dans les mêmes conditions d'égalité que les citoyens sénégalais. Il a en outre insisté sur l'attachement du peuple sénégalais à la «parenté à plaisanterie» et à l'harmonie des différentes ethnies et religions, au titre du dialogue islamo-chrétien, ainsi que les mariages mixtes et les brassages interethniques. Par ailleurs, les mécanismes traditionnels de régulation sociale continuent de jouer pleinement leur rôle dans l'approfondissement de la tolérance et de la cohésion sociale. C'est dans cet esprit que la situation en Casamance est abordée et «il peut difficilement être contesté au Sénégal sa volonté irréversible de faire cohabiter pacifiquement toutes les composantes de sa société, au nom de l'unité nationale et de l'égalité de tous les citoyens, comme le proclame la Constitution», a déclaré le représentant.

À propos de la thématique dite des «castes», s'il peut exister des comportements individuels qui tendent à circonscrire les liens du mariage aux membres d'un même groupe social, ceux-ci ne revêtent pas une forme que l'État peut atteindre par la sanction, sous peine de violer la légalité, puisque «le mariage au Sénégal est une union librement consentie entre deux personnes de sexe différent dont le choix de se marier à l'intérieur du même groupe socio-ethnique ne peut être censuré par l'État», a expliqué le Représentant permanent. Au-delà des liens matrimoniaux, la question ne peut avoir aucune portée sur l'engagement du Sénégal en faveur du principe de non-discrimination puisque aucun levier institutionnel, idéologique ou autre ne peut être utilisé pour défavoriser un prétendant à une fonction politique ou administrative, a ajouté M. Seck.

Examen du rapport

Questions et observations de membres du Comité

M. KOKOU MAWUENA IKA KANA EWOMSAN, rapporteur du Comité pour l'examen du rapport du Sénégal, a félicité le pays pour son engagement en faveur de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Il a aussi relevé que le Sénégal était à la fois un pays de transit et de destination des flux migratoires.

En dépit de quelques soubresauts, le Sénégal vient de réaliser une alternance qui démontre un réel ancrage démocratique, a par ailleurs fait observer le rapporteur. Il a ensuite félicité le Sénégal d'avoir accepté la compétence du Comité pour recevoir et examiner des plaintes individuelles (communications). Il a en outre rappelé que le Sénégal avait été l'un des premiers pays à ratifier le Statut de Rome de la Cour pénale internationale et a ajouté que dans ce contexte, on peut se demander pourquoi le pays a tant résisté à l'idée de faire traduire M. Hissène Habré devant le Tribunal.

M. Ewomsan s'est ensuite enquis des mesures prises ou envisagées par le Sénégal pour permettre à son institution nationale de droits de l'homme de conserver son statut de catégorie A.

Le chômage touche 40 à 50% de la population, a poursuivi le rapporteur, soulignant que les jeunes sont particulièrement affectés de ce point de vue et que les populations rurales sont particulièrement touchées par la marginalisation et les inégalités socioéconomiques.

L'accord de pêche avec les pays étrangers a entraîné une surpêche au détriment des pêcheurs sénégalais, a en outre fait observer M. Ewomsan.

La population est estimée à 11,4 millions d'habitants répartis en plusieurs ethnies. En 2002, les émigrés sénégalais représentaient 68 953 personnes, dont 84% d'hommes, en particulier jeunes. Parmi les immigrants, les Guinéens sont majoritaires. La population est majoritairement musulmane. Le rapporteur a déploré le manque de données ventilées concernant la composition ethnique de la population, rappelant que l'unité nationale doit s'accompagner d'une contribution adéquate de toutes les ethnies du pays.

Selon le Rapporteur spécial sur les droits de l'homme des migrants, des enfants immigrés des pays voisins sont contraints à la mendicité par les chefs religieux auxquels ils ont été confiés et qui dirigent des écoles coraniques; près de 90% de ces enfants sont des «talibés». Or, la loi sanctionne quiconque contraint autrui à la mendicité, a fait observer M. Ewomsan.

Selon l'Organisation internationale du travail (OIT), a poursuivi M. Ewomsan, le Sénégal est un pays de départ, de transit et de destination de la traite de femmes et d'enfants aux fins de travail forcé et d'exploitation sexuelle.

L'expert a aussi souligné que l'absence de certificats de naissance au sein de communautés rurales et pauvres fait obstacle à l'accès à l'éducation des enfants de ces communautés.

Le rapporteur a en outre attiré l'attention sur l'interdiction qui est faite aux travailleurs étrangers d'exercer des fonctions syndicales au Sénégal.

M. Ewomsan s'est ensuite enquis de la situation des réfugiés, en particulier des réfugiés mauritaniens vivant au nord du Sénégal, alors que, selon certaines informations, certains d'entre eux ont engagé une grève de la faim. Au total, quelque 20 500 de ces réfugiés ont été rapatriés entre janvier 2008 et décembre 2010 en application d'un accord signé en 2007 entre le Sénégal, la Mauritanie et le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR); les 3500 restants devraient bénéficier d'une aide à la réinsertion, mais bon nombre d'entre eux n'ont pas de papiers d'identité et ne peuvent de ce fait pas accéder à nombre de services sociaux, a souligné le rapporteur.

S'agissant des problèmes de castes, M. Ewomsan a déclaré que, si la survivance de ces pratiques n'est pas le fait de l'État, il n'en demeure pas moins que l'État a le devoir de protéger les personnes contre ces pratiques et de prendre des mesures législatives et judiciaires pour éradiquer ce phénomène.

En ce qui concerne le conflit en Casamance, M. Ewomsan a rappelé que lors de l'examen de son précédent rapport périodique, le Sénégal n'avait pas reconnu le caractère ethnique de ce conflit qui a éclaté il y a 30 ans et a connu des périodes d'accalmie et des périodes de tensions.

Les textes de lois en vigueur au Sénégal interdisent la discrimination raciale, ethnique et religieuse; néanmoins, il est préoccupant de constater qu'aucun cas de discrimination ne soit porté devant les tribunaux, a souligné M. Ewomsan. En effet, l'absence de plaintes n'est pas nécessairement un signe positif car elle peut s'expliquer par un manque de confiance dans les juridictions nationales ou par une méconnaissance des recours disponibles. L'expert a plaidé en faveur de mesures de sensibilisation visant à mieux faire connaître à la population recours à leur disposition.

Un membre du Comité a attiré l'attention sur l'important apport culturel du Sénégal à travers de grands hommes tels que Léopold Sedar Senghor.

Plusieurs experts ont salué le fait que le Sénégal se soit doté d'une définition de la discrimination raciale conforme à la Convention et d'une législation complète au regard de l'article 4, mais ont eux aussi exprimé leur inquiétude qu'aucun cas de discrimination n'ait été porté devant les tribunaux à ce jour. Ainsi, un expert a relevé que la législation relative à la lutte contre la discrimination raciale et ethnique en vigueur au Sénégal contient des aspects positifs au plan des textes, au regard notamment de l'introduction d'une circonstance aggravante pour la motivation raciale d'un crime. Néanmoins, aucune plainte n'a jamais été déposée devant les instances juridictionnelles; i la rappelé lui aussi que l'absence ou la rareté de plaintes pour discrimination raciale n'est pas un élément nécessairement positif, car elle peut être révélatrice d'une insuffisance ou d'une ineffectivité des recours disponibles ou d'une méconnaissance des victimes quant à leurs droits, voire d'une méfiance à l'égard de la justice ou encore d'une difficulté en matière d'établissement de la preuve.

Un expert a exprimé sa déception que l'institution nationale des droits de l'homme du Sénégal n'ait pas été suffisamment soutenue et ait perdu son statut de catégorie «A» au mois d'octobre 2011. Qu'en est-il du statut du Haut Commissariat aux droits de l'homme rattaché à la présidence de la République, a ensuite demandé cet expert, s'interrogeant sur les risques d'interférence de cette institution avec l'institution nationale des droits de l'homme?

Un expert a déploré le vocabulaire à connotation péjorative parfois utilisé au Sénégal à l'endroit des non-ressortissants; dans ce contexte, il a souhaité savoir si le Gouvernement a pris des mesures afin que de tels comportements disparaissent.

Un membre du Comité s'est inquiété de la discrimination et des mauvais traitements à l'encontre des travailleurs domestiques – et principalement des jeunes filles – dont font état certaines organisations non gouvernementales. Un autre expert s'est inquiété que les immigrés sans papiers soient placés en détention avec des personnes condamnées par la justice.

Un expert a soulevé la question de la survivance des castes, s'enquérant des mesures effectives prises par les autorités pour s'efforcer d'éradiquer les conséquences négatives de certaines coutumes en cause dans ce contexte. Ce qui intéresse le Comité s'agissant de la question des castes, ce sont les mesures prises contre cette injustice historique et structurelle, a souligné un membre du Comité. Un autre a souligné que la délégation sénégalaise circonscrit la problématique des castes au seul domaine du mariage, alors qu'elle renvoie à une situation de stratification sociale qui a une incidence quant à l'accès à l'école, aux ressources ou à l'emploi.

Un expert a déploré ne pas avoir senti d'évolution sensible ces dix dernières années pour mettre un terme au conflit en Casamance. Il a fait part de sa préoccupation suite aux informations ayant fait état de bombardements de populations civiles dans des villes de Casamance. Des négociations ont eu lieu, mais elles n'ont pas tout à fait abouti et les problèmes resurgissent. Dans ce contexte, il est légitime de se demander pourquoi la situation perdure, a souligné cet expert, avant d'attirer l'attention sur le problème de la terre, qui touche, dans de très nombreux pays, les peuples ou communautés dits autochtones. Un autre expert s'est enquis des liens culturels entre la population de la Casamance et celle du reste du pays. Quelles sont les ethnies majoritaires en Casamance; sont-ce les mêmes que dans le reste du Sénégal?

Réponses de la délégation

La délégation a affirmé que le dossier de la Casamance est éminemment politique, sans aucune considération basée sur l'ethnie, la race ou la religion. Elle s'est dite «ahurie» par les informations évoquées par un membre du Comité concernant des bombardements de populations civiles au Sénégal, précisant que ces informations ne sont «absolument pas fondées». Les revendications indépendantistes des rebelles casamançais ne sont absolument pas fondées d'un point de vue juridique, a par ailleurs affirmé la délégation. Il faut que le Comité intègre le fait qu'il y a eu des influences extrêmement néfastes de la guerre de libération en Guinée Bissau, a-t-elle insisté. Pourquoi prendre les armes dans un pays aussi libre et démocratique que le Sénégal, a poursuivi la délégation? Elle a ajouté qu'une frange importante de la rébellion est en train de se constituer en parti politique. Au regard de la Convention, «le conflit casamançais n'est absolument pas un conflit à relent discriminatoire», a insisté la délégation.

L'un des facteurs ayant jusqu'ici entravé la résolution des problèmes de la Casamance est celui du discontinuum territorial, le partenaire gambien ne s'étant jusqu'ici pas entendu avec le Sénégal pour la construction d'un pont sur la Gambie pour que l'on puisse joindre cette partie sud du territoire sénégalais. Néanmoins, le Sénégal a été informé que les travaux pour la construction d'un pont sur la Gambie allaient démarrer incessamment.

La délégation a d'autre part indiqué que les chefs coutumiers et traditionnels sont étroitement associés aux campagnes de sensibilisation en faveur des droits de l'homme, s'agissant en particulier des mutilations génitales féminines. Des spots et messages sont souvent diffusés à la télévision sur des thèmes comme celui de la justice de proximité, a-t-elle également souligné. En dépit de ces acquis, des efforts restent à faire pour une meilleure vulgarisation des conventions relatives aux droits de l'homme, a reconnu la délégation.

En ce qui concerne la situation des femmes au Sénégal, la délégation a fait valoir que le Gouvernement compte six femmes parmi ses membres. À l'heure actuelle, le Sénégal compte quelque 69 272 hommes et 16 346 femmes dans la fonction publique, soit 19,09% de femmes, a ajouté la délégation. Au total, le corps judiciaire compte 826 membres dont 143 femmes, soit 17,29% de femmes, a-t-elle encore indiqué.

Le Sénégal a jugé nécessaire dans sa Charte fondamentale d'interdire totalement la pratique des mutilations génitales féminines, a rappelé la délégation. Le pays s'est également doté d'une loi spécifique réprimant la pratique de l'excision. En 2000, le Sénégal s'est doté d'un plan national de lutte contre ces pratiques. Un second plan d'action adopté en 2010 s'est accompagné d'une étude d'évaluation de l'application de la loi d'interdiction qui a montré la nécessité d'engager un plan de sensibilisation à la loi – lequel a démarré cette année. Le Sénégal a en outre intégré la dimension transfrontalière dans la mise en œuvre de son plan d'action, afin d'éviter que des ressortissantes sénégalaises aillent subir des mutilations génitales dans des pays où cette pratique n'est pas interdite. En 1997, le Sénégal comptait 5000 communautés pratiquantes et aujourd'hui 4400 communautés ont indiqué avoir abandonné cette pratique, a fait valoir la délégation.

Concernant la question soulevée par un membre du Comité en ce qui concerne des accords de pêche qui auraient été suspendus avec la Fédération de Russie, la délégation a indiqué qu'elle ne voit pas très bien le lien entre le mandat du Comité et cette question précise. Quoi qu'il en soit, il s'agit non d'accords de pêche qui auraient été suspendus mais de licences de pêches qui ont été suspendues; en outre, cela ne vise pas spécifiquement la flotte russe, comme a pu le laisser entendre un expert, mais toutes les flottes européennes, en réponse aux demandes des pêcheurs sénégalais confrontés à un véritable pillage des ressources halieutiques au large des côtes du Sénégal, a expliqué la délégation.

S'agissant de l'absence de plaintes pour délits à caractère racial, la délégation a indiqué qu'en la matière, le Sénégal préfère considérer la bouteille à moitié pleine plutôt qu'à moitié vide. Elle a néanmoins pris note du fait que les membres du Comité ont estimé que l'absence de plaintes ne constituait pas un indicateur fiable positif. Aucune plainte pour délit à caractère racial n'a non plus été déposée devant la Cour de justice de la CEDEAO, alors que cette juridiction n'exige pas l'épuisement des voies de recours interne pour se saisir d'une plainte, contrairement à ce qui est le cas pour les plaintes déposées devant le Comité au titre de l'article 14 de la Convention. C'est parce qu'il y a une harmonie au sein de la société sénégalaise qu'il n'y a pas de plainte pour délit à caractère racial au Sénégal, a affirmé la délégation. On ne va tout de même en venir à se demander ce qu'il faudrait faire pour alimenter le contentieux à caractère racial au Sénégal, a-t-elle insisté. La délégation a néanmoins admis que l'absence de recours en justice ne signifie pas nécessairement absence de griefs.

Expliquant ce qu'est le «cousinage à plaisanterie», la délégation a souligné qu'il n'a pas un caractère judiciaire et ne doit donc pas être mis en cause dans l'absence de plaintes à caractère racial au Sénégal. Cette pratique n'est pas tombée en désuétude et est même profondément ancrée en zone rurale, a-t-elle ajouté. Le cousinage à plaisanterie n'est pas non plus un mode de règlement préventif; c'est une pratique sociale que l'on rencontre dans toute l'Afrique de l'Ouest pour favoriser l'harmonie sociale entre les différentes ethnies.

En ce qui concerne les questions relatives à l'esclavage, la délégation a indiqué que la loi sénégalaise de 2010 entre dans la catégorie des lois mémorielles. Cette loi a été adoptée lors du cinquantenaire de l'indépendance du Sénégal et sa vocation première est de s'inscrire dans la mémoire collective des Sénégalais; elle incrimine l'esclavage et la traite négrière, a précisé la délégation.

Évoquant la problématique des réfugiés, la délégation a déclaré que le Sénégal s'est approprié le slogan selon lequel «un seul réfugié privé d'espoir, c'est déjà trop». En 2003, le Sénégal a créé un Comité national de gestion de la situation des réfugiés, personnes déplacées et rapatriés. Pour améliorer la protection des réfugiés, le Sénégal a en outre signé avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) un mémorandum pour la délivrance de papiers d'identité aux réfugiés et a mis en place un dispositif à cette fin.

En ce qui concerne les réfugiés mauritaniens vivant au Sénégal, suite à l'accord tripartite signé entre le Sénégal, la Mauritanie et le HCR, tous les réfugiés mauritaniens qui le désiraient ont pu rentrer chez eux dans la dignité et en toute sécurité. Il ne s'agit pas de rapatriement forcé, mais bien de rapatriement volontaire, a souligné la délégation. Ceux qui n'ont pas voulu être rapatriés en Mauritanie et n'ont pas non plus voulu se soumettre au programme d'intégration locale ont exprimé le souhait de partir dans un pays tiers et certains d'entre eux ont entamé une grève de la faim, comme l'a mentionné un membre du Comité; mais il n'appartient pas au Sénégal de s'immiscer dans les demandes d'asile de ces personnes auprès de pays tiers.

Au Sénégal, a par ailleurs indiqué la délégation, toute personne exerçant une activité professionnelle bénéficie de la protection de ses droits syndicaux, y compris le travailleur migrant sous réserve du principe de la réciprocité. Les travailleurs migrants et leur famille bénéficient aussi d'une couverture sociale, comme les travailleurs sénégalais, a-t-elle ajouté.

Répondant à des questions sur la participation des étrangers à la vie politique, la délégation a expliqué qu'un étranger au Sénégal ne peut créer de parti politique; mais il peut créer une association, être membre d'un syndicat et même le diriger, sous réserve du principe de réciprocité déjà mentionné, a également indiqué la délégation.

La délégation a souligné que les pouvoirs publics accordent une attention toute particulière à la lutte contre la traite des êtres humains. Le Sénégal s'est ainsi doté en 2005 d'une loi sur la lutte contre la traite des personnes et les pratiques assimilées, a-t-elle fait valoir, précisant que la mendicité est considérée comme une pratique assimilée. À la fin de l'année 2009, 43 microprojets pour un montant de plus de 200 millions de francs CFA avaient été élaborés aux fins de la prévention et de la lutte contre la traite. Le pays s'est également doté d'un Plan national de lutte contre la traite de personnes, qui regroupe des acteurs étatiques et non étatiques.

En ce qui concerne les enfants talibés, la délégation a indiqué qu'ils sont victimes de réseaux, y compris étrangers, liés à l'exploitation économique. Elle a attiré l'attention sur la situation géographique spécifique du Sénégal, pays où, en raison de la liberté de circulation qui prévaut dans la région, circulent librement des personnes provenant de nombreux pays. Au total, quelque 101 talibés ont été réinstallés dans leur village d'origine auprès de leurs maîtres coraniques, a fait valoir la délégation.

Observations préliminaires

M. EWOMSAN, rapporteur pour le rapport du Sénégal, a rappelé qu'au cours de ce dialogue ont été soulevés un certain nombre de problèmes concernant, notamment, les migrants, les enfants talibés, les réfugiés, le système de castes et le conflit en Casamance. Le rapporteur a souhaité que la situation de la Casamance soit réglée de façon pacifique: il a été dit qu'il s'agit avant tout d'un problème politique, mais ce problème politique est aussi une convergence de nombreux paramètres et il faut avoir l'intelligence de tous ces paramètres pour permettre au Sénégal de réaliser la réconciliation nationale et d'avancer, a déclaré M. Ewomsan.

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