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Communiqués de presse Organes conventionnels

Comité contre la torture : L'Arménie répond aux questions des Experts

11 Mai 2012

APRÈS-MIDI

11 mai 2012

Le Comité contre la torture a entendu, cet après-midi, les réponses de la délégation de l'Arménie aux questions que lui ont posées les experts hier matin.

Conduite par M. Yeghishé Kirakosyan, Vice-Ministre de la justice, la délégation de l'Arménie a répondu aux questions du Comité concernant, notamment, les mesures de lutte contre la violence au sein de l'armée et les programmes de réforme des forces policières. Les services d'inspection du Ministère de la défense agissent de manière indépendante, leurs membres étant nommés par le Président de la République. Ils mènent des enquêtes préliminaires sur des délits commis contre des soldats ou par des soldats. La délégation a également donné des précisions sur plusieurs allégations relatives à des violences commises contre des soldats ayant entraîné leur décès, et informé le Comité du suivi d'enquêtes portant sur des décès de personnes détenues. La délégation arménienne a par ailleurs indiqué que les autorités entendent lutter contre la surpopulation carcérale en recourant davantage aux mesures alternatives et en limitant le nombre de délits justifiant la détention. L'Arménie collabore avec des organisations non gouvernementales locales et avec l'OSCE en vue de la création d'un service de réinsertion des détenus. La délégation a aussi indiqué que le contrôle de la situation des personnes extradées par l'Arménie est assuré sur la base d'accords bilatéraux, notamment avec l'Iran. La délégation a aussi précisé que la loi portant amendement de la définition de la torture, afin de la mettre en conformité avec les exigences de la Convention, est actuellement à l'examen devant le Parlement.

Mme Felice Gaer, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l'Arménie, a posé des questions complémentaires et s'est notamment étonnée qu'un haut gradé accusé de violences sur un subordonné n'ait pas été relevé de ses fonctions pendant l'enquête le concernant. M. Xuexian Wang, corapporteur, a rappelé que la corruption en prison peut entraîner des violations des droits fondamentaux des personnes détenues. Un autre membre du Comité a noté que la violence domestique n'est pas un délit à part entière en Arménie. Un autre expert a exprimé sa préoccupation au sujet de l'indépendance du barreau et du pouvoir judiciaire: il semble que plusieurs juges ont été limogés en Arménie, ce qui est inhabituel. Un autre expert a regretté que la loi n'autorise pas l'avocat d'une victime de torture à solliciter un examen médical de son client.

Le Comité adoptera, dans le cadre d'une séance privée, des observations finales sur le rapport de l'Arménie qui seront rendues publiques à la fin de la session, le 1er juin prochain.

Lundi à 10 heures, le Comité entamera l'examen du rapport de la République tchèque (CAT/C/CZE/4-5).

Réponses de la délégation de l'Arménie

Le bizutage dans l'armée a été éradiqué, a assuré l'expert militaire de la délégation. Les huit dixièmes des quelque mille cas de violence au sein de l'armée n'ont rien à voir avec des opérations militaires, mais résultent de querelles entre soldats. En 2011, 313 poursuites ont été engagées à ce titre; 191 procès ont abouti à la condamnation de 148 soldats.la même année, l'armée a enregistré 36 décès: 10 sont imputables à des troubles à la frontière avec l'Azerbaïdjan, neuf à des suicides, les autres sont dus à des accidents. Les statistiques sont recueillies et disponibles depuis 2007. La prévention de la violence et le rétablissement de la discipline sont assurées par un ensemble de mesures approuvées par le Ministère et le Procureur militaire. Une commission de prévention de la violence au sein des forces armées a été créée en 2011.

Une loi sur la discipline militaire élaborée avec des experts de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe a été adoptée il y a peu; un guide d'application sera remis aux fonctionnaires responsables de l'application de la loi à tous les niveaux. La loi devrait aussi avoir pour effet de réduire la corruption et les prévarications au sein de l'armée. Le Code de procédure pénale en vigueur ne prévoit pas de tribunaux militaires, les délits commis dans le cadre de l'armée sont renvoyés devant les cours pénales ordinaires. Le projet de nouveau Code pénal classe les délits commis par des soldats de la même manière que les délits civils, avec toutefois une différenciation en fonction des grades et des responsabilités.

Les services d'inspection du Ministère de la défense agissent de manière indépendante, leurs membres étant nommés par le Président de la République. Ils mènent des enquêtes préliminaires sur des délits commis contre des soldats ou par des soldats. Les procureurs militaires ne sont pas des soldats. La délégation a donné des précisions sur plusieurs allégations relatives à des violences commises contre des soldats ayant entraîné leur décès.

L'expert de la délégation chargé des questions de police a estimé que les éléments négatifs associés par l'action de la police devraient être rapidement résolus, grâce notamment au programme de réforme des forces policières adopté en 2010-2011. Des mesures concrètes ont été appliquées à cet égard en matière de formation des agents et d'instauration de relations de confiance avec la population, notamment. À l'heure actuelle, un groupe de travail est chargé d'élaborer un nouveau programme pour la période 2012-2013. Le projet prévoit notamment des mesures d'observation vidéo dans les commissariats pour mieux assurer le respect des droits de la défense. Les autorités compétentes n'ont pas reçu en 2011 de plaintes de personnes détenues relatives à l'accès à l'aide médicale. L'aide médicale gratuite est accordée en fonction de la situation matérielle des personnes concernées. Un examen médical est pratiqué sur tout nouveau détenu. Quant aux salaires des avocats commis d'office, tous inscrits au barreau, ils sont compétitifs, a assuré l'expert juridique de la délégation.

La coopération juridique pénale entre la Russie et l'Arménie est régie par la Convention de Minsk sur l'entraide juridique et par un accord bilatéral datant de 2003. Les parquets des deux États se prononcent sur les demandes d'extradition.

La République d'Arménie ne sanctionne pas les comportements homosexuels, a assuré la délégation, personne n'est donc détenu à ce titre. L'arrestation de 53 personnes par les forces de police lors d'un vaste coup de filet dans le district de Nor Nork s'explique par l'appartenance des intéressés à une bande criminelle, a-t-on précisé.

Des détails ont été donnés sur les procédures judiciaires ayant abouti à la relaxe de deux agents de police accusés d'actes de torture ayant entraîné la mort, faute d'éléments à charge. Les proches de la victime ont perdu leurs appels. Le décès en détention de M. Levon Ghulyan a fait l'objet de trois procédures judiciaires. Les magistrats ont annulé les précédentes conclusions des enquêtes du Parquet, et renvoyé l'affaire pour nouvelle instruction; la Cour européenne des droits de l'homme aura le dernier mot sur cette affaire.

Les responsables de la mort de dix personnes lors des événements postélectoraux du 1er mars 2008 n'ont pu être identifiés. Le Président de l'Arménie a demandé aux autorités de police de renforcer les moyens d'enquête sur cette affaire: plusieurs centaines de nouveaux témoins ont été entendus et plusieurs autres experts mandatés. Un appel à la population a été lancé pour récolter de nouveaux indices. La délégation a précisé que les témoins bénéficient, si nécessaire, de mesures de protection. Les comportements illégaux de membres des forces de l'ordre sont punis par plusieurs articles du Code pénal. Les services d'enquête de la République ont mené des enquêtes sur 22 comportements de ce type en 2011. Quatre personnes ont été mises en détention, 18 ont subi d'autres sanctions.

Après 2007 et l'adoption d'une nouvelle loi, le procureur n'est plus chargé de l'instruction des plaintes. Son rôle est de contrôler la régularité des procédures. Les accusés qui estiment que leurs droits sont violés peuvent faire appel aux autorités locales, au défenseur du peuple et aux organisations de défense des droits et libertés publiques. La correspondance des personnes condamnées et détenues n'est pas censurée. Il est interdit d'empêcher une personne condamnée de déposer une plainte. Les détenus apatrides et réfugiés, qui ne peuvent bénéficier d'une aide consulaire, ont le droit de se mettre en liaison avec des organisations internationales.

L'expert juridique de la délégation a précisé que le bureau du Défenseur des droits de l'homme (ombudsman) est financé par une ligne budgétaire séparée, le salaire du Défenseur étant identique à celui du président de la Cour constitutionnelle. Le nombre de plaintes traitées par le Défenseur n'est pas communiqué par cette instance.

Les autorités entendent lutter contre la surpopulation carcérale en recourant davantage aux mesures alternatives et en limitant le nombre de délits justifiant la détention. L'Arménie collabore avec des organisations non gouvernementales locales et avec l'OSCE en vue de la création d'un service de réinsertion des détenus. Les mineurs confrontés à la justice bénéficient de mesures de protection et de réinsertion spécifiques.

Répondant à d'autres questions dans le domaine de la justice, la délégation a indiqué que le contrôle de la situation des personnes extradées par l'Arménie est assuré sur la base d'accords bilatéraux, notamment avec l'Iran; que les parents responsables de violences sur leurs enfants risquent une peine pouvant atteindre trois ans de détention; et que plusieurs organisations non gouvernementales participent aux activités de surveillance des lieux de détention.

Un fonctionnaire confronté à un ordre manifestement illégal doit informer sans délai son supérieur hiérarchique sur ses doutes relatifs à cet ordre. Si le supérieur confirme cet ordre, le fonctionnaire l'exécutera tout en avisant le Conseil de la fonction publique de l'existence d'un doute. Si l'obéissance à l'ordre entraîne la réalisation d'un crime ou d'un délit, le fonctionnaire s'en abstiendra, sous peine des sanctions prévues par la loi.

La jurisprudence de la Cour de cassation est alignée sur la législation européenne, a dit une représentante de cette instance. L'impartialité et l'indépendance des juges est garantie par leur formation à la déontologie, conforme aux principes de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe en particulier. La procédure pénale n'est pas accusatoire, comme il a été soutenu par une experte du Comité: en 2011, sur 3900 procédures pénales, moins de 250 émanaient du parquet.

Les victimes de la torture ont droit à une indemnité. Les dommages causés à des citoyens du fait d'actes illicites d'agents de l'État donnent en général droit à réparation.

Questions supplémentaires et observations des membres du Comité

MME FELICE GAER, rapporteuse du Comité pour l'examen du rapport de l'Arménie, a demandé des renseignements complémentaires sur la teneur du projet de loi modifiant la définition officielle de la torture en Arménie. L'experte a demandé combien de procédures ont été engagées par les services d'enquête des forces armées sur des faits se rapportant à des violences, tortures, harcèlement ou sévices exercées sur des subordonnés par leurs supérieurs hiérarchiques, et combien de personnes ont été condamnées à ce titre. Mme Gaer a voulu aussi savoir si les suicides de jeunes conscrits font l'objet d'enquêtes. L'experte s'est étonnée qu'un haut gradé accusé de violences sur un subordonné n'ait pas été relevé de sa fonction pendant l'enquête le concernant. Mme Gaer a demandé d'autres renseignements s'agissant du service de remplacement, en particulier le nombre de personnes détenues pour refus d'accomplir le service militaire.

Mme Gaer a voulu savoir combien de policiers sont aujourd'hui soumis à des mesures disciplinaires ou pénales et combien détenus au titre de l'article du Code pénal relatif aux abus de pouvoir. Elle a demandé si des enquêtes ont été ouvertes au sujet d'allégations de mauvais traitements infligés aux personnes arrêtées à Nor Nork. L'experte s'est enquise des conditions de détention des homosexuels détenus, dont il semble qu'ils appartiennent à l'échelon inférieur de la hiérarchie informelle qui régit la vie en prison, et à ce titre soumis à des discriminations et à des brutalités systématiques. D'autres questions de l'experte ont porté sur les assurances diplomatiques et sur le harcèlement et l'intimidation de journalistes et de personnes défendant des plaignants.

M. XUEXIAN WANG, corapporteur du Comité sur le rapport arménien, a demandé des réponses à ses questions sur la formation, sur les interrogatoires ainsi que sur la pratique consistant à convoquer des personnes dans les commissariats en tant que témoins afin de les inculper. L'expert a demandé si la loi prévoit un dédommagement des victimes de torture ou de mauvais traitements autre que pécuniaire. Il a rappelé que la corruption en prison peut entraîner des violations des droits fondamentaux des détenus.

Un expert a demandé si les indemnisations de justiciables imposées par la Cour européenne des droits de l'homme en 2009 ont été versées. Une experte a pour sa part relevé que la question sur le caractère accusatoire du système juridique arménien reflète des préoccupations exprimées par d'éminents juristes internationaux. Elle a aussi noté que les juges ne devraient pas être responsables pénalement de la teneur de leurs jugements. La délégation a par ailleurs souligné que le faible nombre de mineurs délinquants ne libère pas de l'obligation de mettre en place un système de justice pour mineurs: cette démarche répond à des normes et critères internationaux.

Une experte a noté que la violence domestique n'est pas un délit à part entière, la loi ne tenant de plus pas compte du fait que cette forme de violence est généralement occultée. L'experte a demandé des précisions sur la structure d'accueil, de soutien et de réintégration des femmes victimes de la violence.

Un expert a exprimé sa préoccupation au sujet de l'indépendance du barreau et du pouvoir judiciaire: il semble que plusieurs juges ont été limogés en Arménie, ce qui est inhabituel. Un autre expert a regretté que la loi n'autorise pas l'avocat d'une victime de torture à solliciter un examen médical de son client: seul le procureur peut décider de cet examen. La question a été posée de la garantie d'irrecevabilité d'aveux obtenus sous la torture.

D'autres experts ont posé des questions sur la détention au secret en Arménie et sur la supervision des lieux de détention relevant du Ministère de la justice, ainsi que la réalisation de visites par le Défenseur des droits de l'homme. Un expert a salué la volonté des autorités d'améliorer le système carcéral du pays.

Réponses complémentaires de la délégation

La délégation a précisé que la loi portant amendement de la définition de la torture, afin de la mettre en conformité avec les exigences de la Convention, est actuellement à l'examen devant le Parlement. L'amnistie de personnes condamnées pour des faits relevant de l'article 119 du Code pénal (relatif à la torture) s'explique par le fait que ces faits ne correspondent pas tout à fait à ceux incriminés par la Convention. Cette question sera réglée en même temps que l'adoption d'une nouvelle définition de la torture. De même, la loi introduira un ensemble de sanctions plus sévères contre les auteurs d'actes de torture.

Quarante personnes sont aujourd'hui détenues pour refus d'effectuer leur service militaire. La loi qui sera bientôt adoptée répondra aux normes européennes relatives au service alternatif. La délégation ne dispose pas de statistiques sur le nombre de militaires victimes d'actes de torture. Par contre, il a été confirmé que deux personnes accusées d'abus de pouvoir ont été amnistiées en raison de leur repentance.

La délégation ne dispose pas de statistiques officielles sur la corruption dans les prisons. Si ce problème était avéré, les autorités prendraient des mesures énergiques pour l'éradiquer, a assuré la délégation, l'État s'étant doté du dispositif juridique adéquat dans le cadre de ses mesures générales de lutte contre la corruption à tous les échelons.

La délégation a aussi communiqué les montants versés et les dates de versement des indemnités concédées par la Cour européenne des droits de l'homme à des justiciables victimes d'actes de torture et de mauvais traitements.

Les extraditions entre la Russie et l'Arménie font l'objet de statistiques qui seront communiquées au Comité ultérieurement.

En réponse à la question d'un expert, la délégation a assuré qu'il est rare que des témoins convoqués par la police soient inculpés à cette l'occasion. La surveillance vidéo et l'établissement de procès-verbaux d'audiences de police sont des mesures prévues dans le projet de nouveau Code de procédure pénale. La délégation a par ailleurs assuré que les personnes interpellées à Nor Nork n'ont pas subi de traitements dégradants.

La délégation arménienne a indiqué que la prévention de la violence domestique a été au cœur de l'élaboration, entre 2008 et 2012, d'un plan d'action national accompagné de mesures législatives contre la violence sexiste en général. Le plan d'action prévoit notamment la création d'abris temporaires et permanents pour femmes victimes de violence. D'autres plans d'action ont été adoptés contre la traite des êtres humains, en collaboration avec les intervenants concernés sur le terrain; le Code pénal a été amendé et complété pour tenir compte des objectifs visés par les autorités.

L'Arménie n'exige en principe pas des autres États de pouvoir surveiller la situation de personnes extradées. Par contre, l'Arménie examine avec beaucoup de soin toutes les demandes d'extradition dont elle est saisie. D'ailleurs, à ce jour, seule une plainte a été transmise par une personne extradée par l'Arménie.

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Ce document est destiné à l'information; il ne constitue pas un document officiel

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