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Communiqués de presse

Conférence de presse de fin de mission

02 Septembre 2011


2 septembre 2011

Je termine demain ma 9° mission en Haïti depuis que j’ai été nommé à la fonction d’Expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits de l’homme en Haïti en septembre 2008 et je me rends ensuite à New York et à Washington pour des consultations sur Haïti. Et comme à chacune des missions, j’ai souhaité rencontrer la presse pour partager avec vous mes premières impressions, mes observations, mais aussi mes attentes dans certains domaines. Comme vous le savez, je ne suis pas un membre du personnel de la MINUSTAH, je ne suis pas payé pour cette fonction, mon mandat s’exerce en toute indépendance, et je rapporte au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, ce qui me donne une entière liberté de ton et d’expression vis-à-vis de tous.

Comme je l’avais annoncé dans le communiqué qui a précédé mon arrivée en Haïti, l’objectif principal de cette mission était d’examiner la mise en œuvre de certaines des recommandations que j’avais formulées dans le dernier rapport que j’ai présenté en juin dernier devant les Nations unies, ce rapport est disponible sur le site du Haut-Commissariat des Nations unies pour les droits de l’Homme. Mes préoccupations portaient d’abord sur la réforme de l’état de droit, ensuite sur la lutte contre l’impunité et enfin sur la crise humanitaire et notamment la question des camps et des expulsions forcées.

C’est essentiellement sur ces 3 points que je souhaite partager avec vous quelques observations.

Je ne vous cache pas que j’étais curieux, en arrivant à Port-au-Prince, de découvrir le contexte politique lié à l’élection du Président Michel Martelly, et après avoir lu dans la presse et entendu à la radio un certain nombre de promesses ou d’annonces dans des domaines qui m’intéressent au premier chef, je pense notamment à tout ce que j’avais entendu dans le domaine de l’état de droit.

Et je ne vous cache pas non plus que j’ai été assez impressionné, lors des rencontres que j’ai eues avec les présidents des deux assemblées, les conseillers du président et le Président Michel Martelly lui-même lors de l’entretien que nous avons eu hier.

Assez impressionné, oui, parce que j’ai vu et entendu des annonces qui répondaient exactement aux recommandations que j’avais formulées dans mes rapports, recommandations qui rejoignaient beaucoup des observations et recommandations qui figuraient également dans les documents des organisations internationales et des organisations nationales des droits humains.

Dans le domaine de l’état de droit:

  • Je pense d’abord à l’annonce hier du choix fait par le sénat des 18 candidats à la Cour de Cassation et de la très prochaine nomination par le Président des 6 membres de la Cour et surtout de son Président qui représente, vous le savez, l’élément tant attendu qui permet de rendre effectif le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire et le Conseil d’Administration de l’Ecole de la Magistrature. Il ne m’appartient pas de me prononcer sur les noms qui ont été retenus par le Sénat, mais pour  ce qui concerne les 6 membres de la Cour de Cassation, il me paraît évident qu’ils devront répondre aux exigences d’éthique et de déontologie attendus pour les juges suprêmes dans le pays. J’ai cru comprendre dans les entretiens que j’ai eus que les membres du CSPJ feront l’objet d’un processus de vetting destiné à vérifier qu’ils correspondent à ces exigences. Avec d’autres, je serai attentif à ce point, dès lors qu’ils seront notamment conduits à se prononcer sur les nominations et la carrière des magistrats du pays.
  • L’annonce d’une rentrée judiciaire le 3 octobre prochain avec ces nominations attendues me semble porter le germe de la réalisation de la réforme de la justice voulue par les 3 lois votées en 2007.
  • Je n’ai pas le temps de m’étendre plus longuement sur ce sujet, mais je souhaitais vous dire que je vois dans cette annonce les prémisses de la réalisation tant attendue de la nécessaire séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire qui devrait, à terme, permettre de redonner aux Haïtiens confiance dans l’effectivité de leur justice tellement décriée. Cette funeste confusion, fruit de la corruption, a été la source de tellement de frustrations et de tant d’atteintes aux droits de l’homme.
  • Je ne veux pas être taxé de naïveté – le chemin est pavé d’embûches et de pièges et je crois qu’il est maintenant nécessaire d’attendre que ces décisions annoncées soient suivies d’effet, et croyez-moi, je serai un observateur attentif. Mais dans le même temps je souhaite aussi partager avec vous la conviction que j’ai senti la détermination et la volonté politique du Président Martelly de concrétiser ces annonces prochainement dans le domaine de l’état de droit, l’une des priorités annoncées pour son mandat
  • Mais l’état de droit c’est également la réforme de la police et j’avais par le passé salué le fait que, avec le soutien fort de la MINUSTAH et de la communauté internationale, un plan de réforme de la PNH était engagé. Ce plan s’accompagne, vous le savez, d’un processus de vetting mené conjointement par les UNPOL et la MINUSTAH et qui doit aboutir à ce que les éléments de la police qui ne répondent pas aux exigences d’une police démocratique soient écartés des rangs de l’institution policière. Je ne vous cache pas mon inquiétude de voir que les milliers de dossiers qui ont été examinés et qui devaient faire l’objet d’une décision du Président du Conseil Supérieur de la Police Nationale restent actuellement en souffrance alors que des policiers, parfois de rang élevé, devraient sans plus tarder être écartés des rangs de la PNH. Il s’agit là d’une mesure de salubrité et je m’inquiète de ce que des ex-policiers au passé sujet à caution puissent dans le même temps réintégrer la police nationale haïtienne. Cette inaction dans le domaine de la mise en œuvre des recommandations du vetting et la confirmation de ces réintégrations donneraient le signal que les deux piliers de l’état de droit, la justice et la police, ne se réforment pas au même rythme. Je fais confiance au futur gouvernement pour que ces craintes soient rapidement et complètement dissipées.
  • L’état de droit c’est également le traitement décent des personnes privées de liberté parce qu’elles purgent leur peine ou qu’elles sont en attente de passer devant le juge. Et vous savez que lors de chacune de mes visites je ne manque jamais de me rendre dans une prison ou un commissariat. Hélas, pour constater que, malgré les efforts faits et l’importante assistance de la communauté internationale, la prison en Haïti est souvent un lieu dans lesquels les personnes enfermées sont l’objet de traitement cruels ou dégradant. Je suis très inquiet pour la situation des prisons, et notamment pour des questions sanitaires, alors que l’épidémie de choléra n’est pas encore terminée et pour des raisons purement bureaucratiques, les latrines de certaines prisons ne sont plus vidées. De même, je suis profondément troublé par le fait que l’approvisionnement en nourriture pour les détenus n’est quasiment plus assuré, les stocks de nourriture sont épuisés et, là aussi pour d’obscures raisons les décisions ne sont pas prises d’alimenter les cuisines des prisons d’un stock de denrées alimentaires. Il y a là quelque chose de profondément choquant, sans compter le risque d’explosion de violence que cette inaction de l’état porte en germe dès lors que les prévenus et les détenus ne seraient plus nourris.
  • Instaurer l’Etat de droit c’est enfin aussi garantir un fonctionnement des institutions et des services publics qui, au-delà de la sécurité des personnes et des biens, doivent veiller à assurer à tous les citoyens l’exercice de l’ensemble des droits civils et politiques, comme les droits économiques, sociaux et culturels tels qu’énoncés par les deux Pactes. Cette approche holistique devrait guider les choix du gouvernement dans les réformes à conduire, de telle sorte que progressivement l’accès à l’éducation pour tous, l’accès à un système de santé, l’accès à l’eau potable et aux services d’assainissement, un logement salubre et décent, un accès aux revenus du travail et à la formation soient garantis pour tous

La crise humanitaire
J’aimerais aussi rappeler que la crise humanitaire n’est pas terminée, alors que la fermeture des clusters, ces indispensables instances de coordination de l’aide humanitaire est annoncée pour la fin de l’année. On ne passe pas aussi aisément d’une crise humanitaire de cette ampleur à une phase de développement et je suis confiant dans la sagacité de la communauté internationale et des Nations unies pour faire en sorte que la période charnière entre les deux phases de l’humanitaire et du développement fasse l’objet de réflexions pertinentes et de la nécessaire souplesse que l’on attend en la matière.

J’ai, comme à chacune de mes missions depuis janvier 2010, visité quelques camps et parlé avec des familles qui y vivent et décrivent leur quotidien et leurs attentes, j’ai regardé également la question des expulsions forcées. J’avais demandé en son temps qu’un moratoire sur les expulsions soit déclaré tant que des solutions durables ne sont pas apportées et je regrette de constater que ces expulsions s’accélèrent et s’intensifient et je souhaiterais que la police reçoive des instructions claires de ne pas appuyer ou faciliter de quelque manière ces expulsions, en dehors des procédures légales. Des solutions existent et ont été identifiées pour traiter la question des camps installés dans le domaine public, d’autres solutions sont à inventer pour répondre aux légitimes souhaits des propriétaires privés de récupérer leurs terrains, je pense notamment à la réflexion à mener sur la pertinence d’un fonds d’indemnisation en la matière.

Un mot enfin pour terminer sur la question de l’impunité
Vous savez l’importance que j’accorde, avec beaucoup d’autres, à la lutte contre l’impunité et c’est la raison pour laquelle j’ai choisi d’aborder dans mes rencontres deux dossiers pour moi emblématiques de la lutte contre l’impunité.

  • J’ai pu constater que le retour de l’ancien Président Jean-Claude Duvalier a ravivé des blessures douloureuses chez beaucoup d’Haïtiens, dans le pays comme dans la diaspora. J’ai reçu un grand nombre de témoignages et de documents. J’ai rencontré, au cours de ma mission, des victimes et des familles de victimes. Plusieurs ont porté plainte contre Jean-Claude Duvalier. Depuis que mon rapport a été déposé, la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme a adopté une importante déclaration concernant le devoir de l’état haïtien d’enquêter sur les graves violations des droits humains commises sous le régime de Jean-Claude Duvalier et priant instamment la communauté internationale d’accorder toute l’aide possible à Haïti en cette occasion historique pour le système judiciaire haïtien.Je souhaite ici rappeler que la tenue d’un procès équitable serait un évènement important qui montrerait à la population du pays que la justice fonctionne en Haïti et que dorénavant l’impunité ne sera plus tolérée pour les crimes les plus graves. Je reste, avec mes collègues de procédures spéciales, à la disposition des autorités d’Haïti pour les appuyer dans la lutte contre l’impunité.
  • Le deuxième dossier emblématique de la lutte contre l’impunité est celui du massacre de la prison des Cayes, le 19 janvier 2010. Vous savez qu’une commission internationale a enquêté sur cette question et qu’une recommandation a été adressée à l’état Haïtien demandant que les responsables soient traduits en justice.
  • Sur ces deux dossiers, j’ai reçu avec une grande satisfaction une assurance au plus haut niveau que la justice suivrait son cours et que la séparation des pouvoirs interdirait toute interférence de l’exécutif dans le traitement judiciaire des procédures engagées. Et je me réjouirai alors de constater que la réforme engagée dans le domaine de la justice s’accompagne d’une forte détermination à lutter contre l’impunité.

Dans quelques semaines, le 13 octobre prochain, Haïti se soumettra à Genève devant le Conseil des Droits de l’Homme des Nations unies à la nouvelle procédure d’examen périodique universel. C’est un dispositif par lequel tous les pays acceptent de présenter leur action en matière de droits humains et se voient en retour proposer par les états des recommandations pour améliorer la situation des droits humains dans leur pays. En raison du programme ambitieux annoncé par le Président Martelly dans le domaine de la réforme de l’état de droit, je lui ai suggéré que ce soit lui qui conduise la délégation haïtienne et qu’il vienne annoncer lui-même devant la communauté des états les orientations nouvelles que va prendre le pays sous sa direction,  pour que l’état de droit, la sécurité humaine, la justice sociale et la lutte contre l’impunité règnent dans le pays.

Je vous remercie

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